Entreprises et diversité religieuse : comment gère-t-on l’après 2015 ?

Mais ce qu’observe Baudouin Aucquier, consultant en gestion du changement et maître de conférences à l’UCL, c’est un regain de tension dans pas mal de sociétés : “Il y a des tensions plus grandes, dit-il, des crispations, et l’actualité internationale joue sans doute un rôle. Mais cette crispation est mutuelle : un certain nombre de travailleurs ou de managers d’origine belge craignent l’émergence d’une certaine forme de radicalisation mais on constate aussi une très grande frustration, une très grande irritation chez certains de leurs collègues de culture musulmane, qui ont parfois le sentiment d’être montrés du doigt en permanence voire même d’être considérés comme les complices de toutes les formes de radicalisme qu’on connaît aujourd’hui“.

Il faut oser en parler, oser rencontrer l’autre, finalement

Ces crispations se cristallisent sur des problématiques comme le halal dans les cantines ou les pratiques vestimentaires avec la question du voile. Ces questions sont pourtant loin d’être inédites mais, si elles continuent à suscitent des crispations, des crispations parfois plus fortes qu’il y a quelques années, c’est sans doute parce que, dans un certain nombre d’entreprises, elles n’ont tout simplement pas été gérées. Parfois parce que la question est taboue, parfois simplement parce que le management de l’entreprise n’a pas les connaissances nécessaires.

Il est vrai, comme le souligne Laurent Taskin, professeur à la Louvain School of Management, qu’il n’y a pas de cadre juridique clair qui permette à l’entreprise de savoir précisément ce qu’elle peut accepter, ou pas, et au travailleur ce qu’il peut demander, ou pas. Dès lors, estime Laurent Taskin, une seule solution : “Dialoguer. Le bon réflexe à acquérir, c’est de questionner le pourquoi des demandes qui arrivent de part et d’autre – pas seulement de la part des collaborateurs de culture musulmane. En précisant aussi d’emblée que l’entreprise ne peut pas accorder de privilèges à telle ou telle catégorie de personnel. Et là, on peut avancer. Mais il faut oser en parler, oser rencontrer l’autre, finalement.

Inventer des solutions pragmatiques

Dialoguer donc mais aussi, et peut-être surtout, inventer des solutions pragmatiques. C’est ce qu’essaie de faire Hajibb El Hajjiji, de l’Association Belge des Professionnels Musulmans. Pour le moment, il discute avec une entreprise sur la manière la plus appropriée de répondre à la demande d’un salarié qui souhaite que son entreprise installe un lieu de prière : “Ce que nous proposons, dit-il, c’est que l’entreprise établisse un lieu de silence, qui permet d’en élargir l’accès à l’ensemble du personnel. Une autre situation que nous rencontrons régulièrement, ce sont les restrictions alimentaires. Et là, une solution avancée par beaucoup, c’est de mettre en avant un plat végétarien dans le choix de la cantine“.

Solution concrète qui permet de rencontrer les souhaits des travailleurs de culture musulmane – notamment – sans poser de problème aux autres collaborateurs de l’entreprise.

Et les entreprises qu’en pensent-elles ?

Doit-on interdire purement et simplement tout signe religieux partout et tout le temps ? Faut-il accorder des privilèges à certaines catégories de personnel pour des raisons de religion ?

Des privilèges non, mais des aménagements pour tenir compte des réalités que vit le personnel musulman, c’est la politique que pratique le groupe Ikea. “Le groupe s’adapte aux réalités géographiques et sociétales de chaque siège“, explique Steven De smet son porte-parole. “Exemple au siège d’Anderlecht, il y a une certaine proportion de salariés de confession musulmane. Nous avons donc aménagé une aire de repos distincte du réfectoire pour ces employés. Dans le même esprit, nous aménageons le planning pour qu’en période de ramadan, on leur évite les tâches lourdes. Et pour les dames, le port du foulard est autorisé pourvu qu’il soit aux couleurs d’Ikea“.

Mais toutes les entreprises ne sont pas aussi conciliantes. Dans les services publics par exemple, la règle est : la neutralité totale quand on est en contact avec le public. Stéphane Thiery, directeur du marketing du groupe Tec : “Nous employons 5000 personnes en Wallonie, dont une majorité de chauffeurs qui sont quotidiennement au contact des voyageurs. Rien dans la tenue vestimentaire ne peut montrer une appartenance à une religion, quelle qu’elle soit. Donc le port du voile au volant est strictement interdit. De même que le comportement de nos chauffeurs doit être respectueux des croyances de chacun. Pas d’arrêt du bus pour la prière par exemple et, bien sûr, pas de prosélytisme auprès des clients.

Même son de cloche chez bpost. Les guichetiers et les facteurs ne peuvent arborer aucun signe religieux sur leur uniforme. La neutralité du service public doit rester la règle, affirme Pascale Decouttere permanent Cgsp. “Mais pour les travailleurs qui ne sont pas en contact avec le public, on peut admettre une certaine tolérance.

Des positions finalement assez tranchées dans ces entreprises qui emploient de nombreux travailleurs mais pour la grande majorité des entreprises, la question ne se pose pas. Pas encore du moins…

Michel Gassee et Thierry Vangulick