Diversité et universalité dans l'Eglise

Pape Synode

Procéder à une « saine décentralisation », donner plus de poids aux conférences épiscopales et réfléchir à une « conversion de la papauté » : telles sont les grandes lignes du discours historique prononcé par le pape pour le 50ème anniversaire du synode des évêques initié par Paul VI. Une clé de lecture essentielle qui indique combien ceux qui attendent que le synode sur la famille se termine dans une semaine risquent d’être déçus.

« Il n’est pas opportun que le Pape se substitue aux épiscopats locaux dans le discernement de toutes les problématiques présentes sur leur territoire ». L’idée de la décentralisation était déjà présente en 2013 dans son Exhortation apostolique Evangelii Gaudium mais alors que l’Eglise fêtait les 50 ans de l’institution du synode par Paul VI, François a remis le sujet sur le devant de la scène avec une force inédite dans un discours historique. « Dès le début de mon ministère d’évêque de Rome, a-t-il rappelé, j’ai voulu améliorer le Synode, qui est l’un des plus précieux héritages du Concile Vatican II. (…) C’est sur ce chemin de la synodalité que nous trouvons la direction que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire » a-t-il déclaré, prônant une « conversion de la papauté ».

Dans ce programme de réforme ecclésiologique, il a appelé à mettre en œuvre les intuitions de Vatican II en inversant la logique pyramidale : non plus du haut vers le bas mais du bas vers le haut. D’abord, il faut « écouter des gens » et valoriser le « sensus fidei », « l’instinct » du troupeau des baptisés à « discerner les nouveaux chemins que le Seigneur révèle à l’Église » : tel est le sens, par exemple, de la grande consultation des fidèles par les questionnaires envoyés dans les diocèses il y a un peu plus d’un an. « Une église synodale est une église d’écoute », a-t-il insisté, où chacun, fidèle, pasteur, évêque, évêque de Rome doit apprendre de l’autre. En somme, le Pape entend responsabiliser l’Église à chaque niveau et, dans le cadre du synode il donne une réponse sans équivoque à la question qui traverse les travaux des évêques depuis le début de leurs réflexions sur la famille : faut-il davantage décentraliser l’Église pour mieux répondre aux problématiques locales ? De toute évidence, pour François, la réponse est oui.

Preuve de l’efficacité de sa méthode de « discernement », c’est aussi la conclusion à laquelle étaient arrivés certains pères synodaux qui, dans les rapports de leurs travaux de groupe, s’interrogeaient sur la manière d’articuler local et universel. C’est-à-dire de proposer des pistes claires à des catholiques du monde entier, marqués par des cultures parfois très différentes. Dans les groupes de travail, certains se sont déjà franchement prononcés en faveur d’une décentralisation de l’Église. Dans un groupe francophone, un intervenant avait proposé « que les conférences épiscopales puissent disposer d’un certain pouvoir pour permettre à leurs pasteurs d’être de “bons samaritains” dans leur service ecclésial ». Dans un groupe anglophone, « le sens de la diversité »amène les intervenants à se demander « si telle analyse ou tel argument ne serait pas mieux géré à un niveau local ou régional qu’à un niveau global » : « Dans la plupart de nos discussions, insistait-on, il y avait une tendance décentralisatrice ; et paradoxalement cela n’a pas sapé notre sens de l’unité dans la tâche. »

Décentralisation et « glocalisation » de l’Eglise

Deux théologiens proches de François, qui jouent un rôle clé dans ce synode sur la famille – le cardinal Kasper à qui il a confié le grand discours d’ouverture du consistoire des évêques de 2013 et Bruno Forte, l’archevêque de Chieti, qu’il a nommé secrétaire spécial des deux assemblées – ont travaillé sur la question de la décentralisation.

Un des points fondamentaux de la théologie du cardinal Kasper est la critique d’une Église romano-centrée, où tout se décide au Vatican. Dans un article de la revue America, le cardinal Kasper, répondant au futur pape Benoît XVI, avait dénoncé en 2001 sa vision de l’Église « totalement problématique si l’unique Église universelle est tacitement identifiée à l’Église romaine, de facto au pape et à la curie ». Ce qui, selon lui, n’était en aucun cas « une aide pour la clarification de l’ecclésiologie de communion, mais (…) son abandon et comme une tentative de restauration de la centralisation romaine ». Quant à Bruno Forte, il a développé l’idée d’une Église « glocale », qui fasse « l’union entre les aspects positifs de la globalisation (global) et ceux de la valorisation du territoire (local) » : « Aucune réalité au monde n’est plus “glocale” que l’Église catholique : l’appartenance, le local, renforcé par l’usage liturgique des langues vulgaires promu par le concile, et l’universel, l’unité enracinée dans la communion de la foi, et portée à un niveau universel par le ministère du pape, l’évêque de Rome, dont la voix rejoint, dans toutes les parties du monde, croyants et non croyants », écrit-il dans Une théologie pour la vie.

Un synode non doctrinal ?

Quelles conséquences pour le synode ? François a toujours dit et rappelé que le synode serait pastoral et non doctrinal. Mais il semble de plus en plus évident que l’objet de ce dernier est au moins aussi ecclésiologique que pastoral. Si l’assemblée n’aboutit pas à un changement doctrinal, cela signifie qu’elle proposera de grandes lignes directrices, des orientations générales que chaque évêque devra mettre concrètement en application dans son diocèse avec, en débat, la question de la ligne de partage entre ce qui sera de l’ordre du principe universel et ce qui sera de l’ordre de l’application concrète dans tel ou tel domaine.

Sur ce point, le pape s’était déjà exprimé dans l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium en écrivant qu’une « excessive centralisation, au lieu d’aider, complique la vie de l’Église et sa dynamique missionnaire. » Et le discours de ce weekend ne fait que confirmer son intention de rendre « une certaine autorité doctrinale » aux Églises locales. Y compris l’autorité de résoudre des problématiques aussi complexes – mais décrites par bon nombre d’intervenants comme occidentalo-centrées – comme celle des divorcés remariés ?

Lors d’une conférence de presse, le bénédictin allemand Jeremias Schröder qui assiste aux travaux a déclaré : « Dans de nombreux discours, l’hypothèse d’aborder les questions selon le contexte culturel a été avancée. La question des divorcés remariés, par exemple, est très présente en Allemagne parmi les fidèles et moins ailleurs. Même la compréhension de l’homosexualité est culturellement très diversifiée. On pourrait permettre à des conférences épiscopales à trouver des solutions pastorales en harmonie avec l’environnement. »

Interrogé sur la possibilité de solutions locales, le cardinal Nichols a quant a lui fait entendre une autre voix : « L’Église universelle doit aider les Églises locales à avoir une distance critique et créative par rapport leur environnement culturel pour qu’elles aient un regard objectif ». Il faut dire que la question est sensible car toucher à l’équilibre des pôles de décision pourrait présenter, à terme, des risques de désunion comme le montre le schisme nord-sud qui agite la communion anglicane sur la question de l’homosexualité depuis 2003.

Le synode après le synode

Mais le synode prend aussi conscience de ses limites et si certains avancent la piste de la décentralisation, ils n’en attendent pas moins une direction claire de la part du pape. Un groupe italien a ainsi émis le souhait que François produise un document, ce qui pour l’heure, n’est toujours pas assuré : « Parce que l’institution du Synode pourrait difficilement répondre au besoin d’exposer dans un document exhaustif la complexité et la diversité de la doctrine sur le mariage et la famille, il est nécessaire de demander un document magistériel qui puisse répondre à ce besoin et s’efforce de vérifier les aspects pastoraux liés à la question », écrivent-ils.

C’est tout le paradoxe de l’histoire : parce que l’Église catholique est catholique, développer la synodalité renforce l’autorité du pape, garant de l’unité. Et si François, comme il l’a dit dans son discours de ce weekend, conçoit l’Église comme « une pyramide inversée dont le sommet se trouve sous la base », il ne minimise pas l’importance de son ministère. Son insistance sur le « cum Petro et sub Petro », avec Pierre et sous l’autorité de Pierre, est au moins aussi forte que sa volonté décentralisatrice.

Marie-Lucile Kubacki
Créé le 19/10/2015

Modifié le 20/10/2015 À 09H05

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