Aborder les questions de religion à partir d’une perspective urbaine peut offrir une lecture nouvelle, voire rafraîchissante, de phénomènes souvent associés à des débats sociaux lourds et difficiles. Mais cette lecture n’en est pas moins paradoxale dans la mesure où le religieux y est traité à la fois dans sa mise en visibilité et dans son invisibilisation.
Espace public et sociabilité
En effet, d’un côté l’aménagement des lieux de culte pose la question de leur visibilité dans l’espace urbain et partant, de leur reconnaissance. Si certains lieux de culte sont et se font discrets dans le paysage urbain, allant jusqu’à l’occupation de lieux profanes (commerce, entrepôt, voire logement, etc.), d’autres s’affirment par leur volume ou leur architecture distinctive. Permettre l’un et l’autre, c’est pour les villes, prendre acte de leur présence dans la Cité et respecter la forme prise par cette présence. C’est donc du même coup reconnaître leurs fidèles comme membres à part entière de la Cité. Inversement, s’opposer à leur mise en visibilité, c’est refuser leur “citadinité”.
D’un autre côté, les interactions sociales dans les espaces urbains, et notamment dans les espaces publics où se côtoient généralement des inconnus, on parle alors de sociabilité publique, offrent la particularité de mobiliser simultanément plusieurs marqueurs sociaux. L’expérience urbaine des usagers d’un parc ou de voisins dans un quartier convoque à la fois leur statut social, leur identité culturelle, leur genre et éventuellement leur religion, etc. Ce faisant, elle peut contribuer à invisibiliser un marqueur dans ce foisonnement de différences. Dans certains cas, elle peut au contraire en faire ressortir la saillance. Les espaces publics peuvent donc tout autant favoriser l’apprivoisement des différences qu’exacerber leur stigmatisation, mais généralement l’expérience urbaine fonctionne à l’ambivalence.
La visibilité des lieux de culte
Les exigences de la tolérance ne sont pas les mêmes s’il est question de la visibilité des lieux de culte ou de l’ouverture de l’espace public.
Dans le second cas, une civilité de côtoiement n’exige pas que le respect des différences passe par une acceptation explicite des attachements et convictions des individus. Les identités culturelles apparaissent comme suspendues mais elles ne sont pas niées pour autant. Ainsi les signes religieux peuvent être affichés sans conséquence.
Dans le premier cas, celui de l’aménagement des lieux de culte, l’urbanisme rationnel qui se veut valuefree ne tient pas. Les valeurs religieuses doivent être prises en considération car elles s’assortissent de pratiques spatiales spécifiques.
Faire cohabiter nos différences
Le défi dans les processus d’aménagement où par définition le lieu de culte doit être situé dans un environnement urbain et social, est alors de conjuguer les deux dynamiques. Ainsi dans les cas de controverses sur des dossiers d’urbanisme a-t-on pu constater que les compromis passent souvent par des transactions sociales portant sur des questions non religieuses, engageant par exemple des dynamiques de voisinage sur des questions spatiales concrètes, et non par des échanges interculturels portant sur les différences de valeurs.
On voit bien alors l’importance de prendre l’espace urbain au sérieux dès qu’il est question de religion, et ce, a fortiori si l’on parle de diversité religieuse. En effet, avec la succession des vagues migratoires, les pratiques religieuses se sont différenciées et posent des questions d’aménagement inédites. Dans les villes canadiennes, le paysage urbain reflète cette diversité qui prend toutefois souvent les administrateurs municipaux au dépourvu car elle met les outils d’aménagement traditionnels à l’épreuve. Mais au-delà des questions d’urbanisme proprement dit, c’est toute la question de la cohabitation des différences dans l’espace urbain qui est à l’ordre du jour.
Annick Germain interviendra mardi 17 novembre à “Mode d’emploi”, dans le cadre de la conférence intitulée “Les lieux de la religion : tolérance religieuse et espace urbain”.Deux semaines de rencontres et de spectacles ouverts à tous, dans toute la Région Rhône-Alpes: interroger le monde d’aujourd’hui avec des penseurs, des chercheurs, des acteurs de la vie publique et des artistes.
– Prendre le temps des questions
– Accepter la confrontation
– Imaginer des solutions
– Trouver le mode d’emploiMode d’emploi est conçu et organisé par la Villa Gillet en coréalisation avec les Subsistances. Ce festival est soutenu par le Ministère de la Culture et de la Communication, le Centre national du livre, la Région Rhône-Alpes et la Métropole de Lyon.
Pour en savoir plus : http://www.huffingtonpost.fr/