
Chacun se souvient de ce qu’il faisait le 11 septembre 2001, tout comme le jour de l’attaque de Charlie puis de l’Hypercasher. J’étais avec mes collègues à la tête d’une délégation en visite en Turquie pour la commission d’enquête sur les réseaux jihadistes. Sur nos portables, SMS, appels et messages n’ont cessé, avec détails de larmes et de sang. Nous étions au cœur du dispositif à Gaziantep parmi les réfugiés, qui nous accueillaient avec un message de solidarité “Je suis Charlie”.
Un an après, les chaînes de télévisions, les radios, les médias vont immanquablement multiplier hommages et leçons de chose, dans un climat émaillé par les attentats du 13 novembre et le contexte sécuritaire qui en a découlé.
N’offrir aucune notoriété à ces meurtriers
Pour avoir depuis 2 ans beaucoup travaillé sur ces questions j’ai la certitude d’un effet pervers sur ces célébrations. Car en effet, que cherchent ces meurtriers, outre promouvoir une idéologie violente et contraire à nos valeurs, c’est un moment de gloire: ils cherchent la reconnaissance de leurs mentors, de leurs amis et des ilotes qui les entourent.
Lors d’une visite faite aux services anti terroristes du FBI l’an dernier, on nous a longuement expliqué le cheminement psychologique de ces terroristes radicalisés et notamment les étapes qui les menaient ou pas à l’acte. Certains passent à l’acte, d’autres jamais. Le phénomène déclencheur est assez mal identifié. Comparaison n’est pas raison on peut imaginer un homme sur le point de se suicider stoppé dans son action par un appel téléphonique. Il semble qu’il en soit de même pour les jihadistes et que l’émulation provoquée par des images violentes, la notoriété tragique qui entoure les criminels suscitent des vocations.
Le dernier attentat à Tel Aviv à la terrasse d’un café ressemble tragiquement aux attentats de Paris, comme la multiplication des attaques au couteau, ou à la voiture bélier. On reconnaît d’ailleurs des modes opératoires proches dans la préparation des attentats et personne ne croit plus à la fable du loup solitaire. Les jeunes radicalisés qui passent à l’acte sont désormais certains non pas d’une minute de gloire mais d’heures et d’heures de longues palabres sur leur vie, leur parcours, leur famille, leur école, leur prison, leur photo trônant sur les écrans du monde entier.
L’information continue glorifie et inspire
Les chaînes d’information en continu leur donnent une tribune planétaire inespérée relayée par les réseaux sociaux. Le passage en boucle de ces reportages parfois sans aucune valeur ajoutée informative, ce rabâchage, ce bégaiement d’une information entièrement ciblée sur eux et sur leur œuvre de mort sont à mon sens autant de facteurs de stimulation et pas de dissuasion.
Faire mentir les nouveaux oracles de la détection et de la lutte anti terroriste, déjouer les services de renseignement dans une sorte de jeu du chat et de la souris, dans lequel la souris sans goût particulier pour la vie aurait comme seul but de faire courir le chat. Dans cette guerre de l’obus et du blindage les terroristes de plus en plus organisés et connectés se jouent des moyens mis en place pour les contrer. Ils tirent des leçons des attentats passés, soit pour améliorer les dispositifs, soit pour les dupliquer.
Dans cette internationale du crime terroriste, quels effets peuvent avoir les images anniversaire de Charlie, mis à part renforcer leur conviction qu’ils ont atteint leur but ? Endeuiller des familles pour toujours, créer une psychose sécuritaire, diviser la société, fragiliser la République qui oublie ici ou là les principes fondateurs de Liberté Égalité Fraternité, ce qui leur constitue à posteriori des alibis.
“Ah vous d’origine étrangère, vos enfants nés en France, vous les pensiez Français à part entière ? Et bien, non ! la République va constitutionnaliser l’inégalité de traitement, donc rejoignez nos rangs vous y serez à votre place.” Et on voit bien comment certains discours détournés de responsables ou de philosophes servent à la propagande de Daesh qui fait feu de tout bois et est aux aguets de nos erreurs ou de nos lourdeurs administratives.
Le challenge d’une commémoration responsable.
Les émissions anniversaire vont se succéder, j’espère que les chaînes responsabilisées ont réfléchi aux effets pervers d’un excès de célébrations, non seulement dans l’opinion publique déjà traumatisée en quête légitime de sécurité, mais aussi dans l’esprit des plus de 8000 personnes aujourd’hui signalées comme en voie de radicalisation à l’Unité centrale de lutte antiterroriste.
8000 esprits écorchés sont prêts à prendre la voie sanglante de leurs aînés. S’il est légitime de commémorer le drame de Charlie, que cette commémoration soit responsable et montre notre détermination à vaincre le terrorisme sans faire de ses acteurs des héros.
Quel challenge !