Guide pratique de haut niveau sur la laïcité

LucFerry

LA CHRONIQUE DE LUC FERRY – Dans son dernier ouvrage, Régis Debray propose des solutions concrètes aux questions qui fâchent sur la laïcité.

La Laïcité au quotidien. Tel est le titre du livre que publie (chez Gallimard), avec Didier Leschi, l’un de nos plus grands intellectuels républicains, Régis Debray. Il s’agit d’un guide pratique pour s’orienter dans la pensée, un petit ouvrage qui devrait être distribué gracieusement dans lycées et collèges si notre Éducation nationale n’était pas devenue autiste ces derniers temps. Sans fard ni détours, il aborde avec un réel souci argumentatif toutes les questions qui fâchent quand il s’agit d’appliquer les principes : qu’offrir aux enfants dans les cantines scolaires ?

A-t-on le droit de caricaturer les symboles les plus sacrés aux yeux des croyants ?

Que penser du mot «islamophobie», qui prétend interdire toute critique des religions ?

La circoncision peut-elle être comparée à l’excision ?

Faut-il accepter la construction de minarets au motif que les églises ont leurs clochers ?

Que dire des crèches installés dans les mairies ?

La liberté d’expression est-elle limitée ?

L’Etat doit-il s’intéresser à la formation des imams ?

Faut-il interdire la jupe longue ?

Doit-on libérer le travail le dimanche ?, etc…

Chaque chapitre dresse un bilan des positions en présence et propose des solutions, excellentes bases pour nos cours d’éducation civique, juridique et sociale, voire pour ceux de philosophie en terminale tant les argumentations développées le sont avec intelligence et tact, avec cet alliage de profondeur et de bon sens qui est si rare et pourtant si précieux sur des sujets délicats.

Les derniers paragraphes, consacrés aux “excès de zèle”, donnent le ton et le sens d’ensemble de l’ouvrage. Je ne puis mieux faire que laisser la parole à nos deux auteurs : “Entre les laïques, qui ont peur pour eux-mêmes, et les laïques qui veulent faire peur aux autres, s’est récemment enclenché un cercle vicieux… Ici, on déprogramme un film ou une pièce de Voltaire, on masque le visage de Mohamed sur la reproduction d’une miniature médiévale… Principe de précaution. Là, on met en scène sur la place publique des “apéros vin-saucisson”, on distribue la soupe au cochon et des Zorro lancent une tête de porc sur le seuil d’une mosquée. Principe de provocation. Funeste spirale.”

Tout est ici affaire de nuance, j’allais dire de délicatesse, la fermeté absolue sur les principes à juste titre prônée par les auteurs ne devant conduire ni à l’insulte ni à la provocation gratuite. Un des meilleurs passage de leur essai est d’ailleurs consacré à la distinction entre opinion et conviction. La première, essentiellement intellectuelle, reste relativement extérieur à nous : on vote Trucmuche ou Tartempion, mais si un journal moque ou caricature notre héros, on s’en remettra. La conviction, c’est autre chose : elle engage notre identité, le fond de notre être. Une “opinion est contredite, une conviction est blessée”. Pour tenir à la laïcité comme à la prunelle de ses yeux, faut-il rechercher à tout prix la blessure ? Beau sujet de réflexion pour nos futurs bacheliers, mais tout autant pour la presse.

Un autre passage, intitulé “Vues de l’étranger”, précise la nature de cette spécificité française qu’est la conception républicaine de la laïcité. Le terme n’est apparu qu’en 1871. Il est alors si novateur que le Littré l’ignore encore dans son édition de 1874. Peu à peu, il s’impose dans le langage courant, sous la IIIème république, en même temps que “laïciser” et “laïcisation”. Aucune traduction parfaite n’existe dans d’autres langues. On y parle plutôt de “sécularisation”, ce qui décrit davantage un processus historique (la déchristianisation de l’Europe) qu’un principe philosophique et juridique potentiellement anhistorique. Quant aux traductions en hébreu (hilani, qui veut dire profane) et en arabe (alemani, qui signifie érudit ou savant), elles prêtent carrément à contresens. Le dollar affiche un “In God we trust”, tandis que les Anglais chantent le “God Save the Queen”.

La France serait-elle alors le seul pays vraiment laïc ? Oui et non – seule nuance que je marquerai par rapport à nos deux auteurs. Oui si l’on s’en tient de manière stricte à notre législation, non si l’on considère, plus largement, qu’un pays est laïc à partir du moment où la source de la loi n’est plus située en Dieu, dans des textes sacrés, mais dans un Parlement composé de simples humains. En ce sens, et à la différence des théocraties, tous les pays européens sont laïcs. Voila, cela dit au passage, qui devrait davantage être mis en valeur au sein d’une Union Européenne de plus en plus chancelante sur ses valeurs.

Luc Ferry

Pour en savoir plus : http://www.lefigaro.fr/