Discriminations des jeunes issus de l’immigration maghrébine : l’emploi

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Un article du 22 Avril 2016 du site de la revue “la Lettre du cadre territorial” concernant les discriminations à l’embauche des jeunes issus de l’immigration maghrébine.

Entretien de Stéphane Menu, journaliste, Yaël Brinhaum et Sabrina Issehnane deux chercheurs qui ont effectué un travail de recherche sur la question.

« Les débuts de carrière des jeunes issus de l’immigration : une double pénalité ? ». Pour Yaël Brinbaum et Sabina Issehnane, deux chercheures qui viennent de rendre un travail sur la question, inutile de conserver le point d’interrogation. Ce que tout le monde pressent sur une jeunesse d’origine maghrébine fustigée dès l’entame du parcours professionnel s’avère. Une réalité qui interroge sur la capacité de la France à réduire ses fractures sociales…

Peut-on identifier un lien entre la crise économique et le renforcement de cette discrimination à l’embauche ?

En l’état actuel de nos recherches, non, ce n’est pas possible. Nous sommes capables de montrer la réalité d’une hausse du chômage et donc de l’impact induit sur les emplois précaires ou l’intérim qui concerne, par ricochet, l’emploi des jeunes issus de l’immigration. Le plus révélateur, dans cette étude, reste le niveau de persistance de ce décalage sept ans après. On pourrait croire que les évolutions de carrière permettraient de faire converger la situation des groupes « Français d’origine », « Français d’origine d’Europe du Sud » et « Français d’origine maghrébine », de tendre vers une plus grande égalisation. Ce n’est pas le cas, même si les conditions de travail des jeunes d’origine maghrébine progressent : de 2007 à 2011, la part de l’emploi intérimaire recule, de 10 à 4 % mais les CDD restent toujours à un niveau élevé, de l’ordre de 18 % de la cohorte des jeunes suivis depuis 2004. Cette discrimination se manifeste aussi sur le niveau des salaires.

Les jeunes d’origine maghrébine perçoivent des salaires et traitement moins élevés que les Français d’origine, avec des écarts plus élevés aux extrémités des échelles de rémunération. Ainsi, 32 % des premiers cités perçoivent une rémunération inférieure au Smic mensuel, en lien avec la part importante d’emplois à temps partiel au sein de cette population, tandis que seuls 15 % sont rémunérés au dessus du salaire médian, contre 23 % pour les Français d’origine. Ces jeunes ont de plus faibles niveaux de diplômes, ils bénéficient également moins de promotions et d’augmentations salariales au sein de leur entreprise depuis leur embauche. Même si les choses s’améliorent avec le temps…

Un brin de provocation : l’avantage essentiel de votre étude, c’est le fait qu’elle conforte statistiquement une intuition difficilement révocable, à savoir que les jeunes Maghrébins sont (aussi) victimes d’un racisme à l’embauche. Quelles sont les solutions pour sortir de cette impasse?

Il est vrai que notre travail de sociologue se limite à établir scientifiquement les faits. La réalité du chômage de ces jeunes est connue. Il serait intéressant de savoir ce qui existe en amont pour en limiter les effets que nous recoupons. Or, alors que le discours sur la lutte contre les discriminations se renforce, que les pénalités liées au genre, aux handicaps, sont prises en compte par la loi, force est de constater que tel n’est pas le cas pour ce qui s’apparente à une discrimination raciale. L’arsenal législatif contourne cette réalité sociétale. Pourtant, le racisme existe, les jeunes en souffrent, pour des tas de raisons liées à leur naissance, à leur look, à leur lieu de résidence, etc. Mais rien n’est fait.

Estelle Barthélémy, directrice générale adjointe de Mozaïk RH, cabinet de recrutement spécialisé sur les jeunes diplômés issus des quartiers difficiles : « Et en plus, ces jeunes n’ont pas de réseau » « Si ces jeunes diplômés des quartiers ne réussissent pas, c’est franchement catastrophique pour les quartiers populaires. Il existe un racisme qui ne dit pas son nom dans les entreprises, la discrimination n’est pas frontale. On peut parler d’habitudes de recrutement qui se reproduisent, comme un système de clones, donc de façon indirecte. Ces jeunes ont moins accès que les autres aux réseaux, aux connaissances, à la culture, etc. 80 % des emplois ne se trouvent pas à Pôle emploi mais dans les réseaux. Il y a donc toujours un plafond de verre placé au-dessus de leur tête. Dans les zones urbaines sensibles, le taux de chômage des jeunes est supérieur de 7 % aux autres jeunes issus d’autres quartiers. Dans notre manière de travailler, nous essayons de vendre aux entreprises que la diversité est un atout pour leur développement, tant en interne qu’à l’externe. 90 % des entreprises qui ont travaillé avec nous continuent de nous solliciter, ce qui tendrait à prouver que notre discours va dans le bon sens. »

Pourtant, la politique de la ville est censée réduire cette « double pénalité » ?

C’est un débat récurrent sur la réussite ou l’échec des politiques menées dans les quartiers prioritaires. À l’évidence, il y a encore de beaucoup de chemin à faire.

Si tout est prioritaire dans ces quartiers, nous croyons que la question de l’emploi est centrale, bien avant celle de l’éducation. Car une meilleure prise en compte de cette problématique aurait un effet levier auprès des plus jeunes qui, à l’école, auraient le sentiment qu’il est possible de sortir par le haut en empruntant le chemin de l’école républicaine. Quelles sont les politiques mises en oeuvre dans ces quartiers ségrégués et qui vont dans cette direction ? Les politiques de défiscalisation pour attirer les entreprises dans les quartiers défavorisés atteignent leurs limites. Les zones d’éducation prioritaire pour les écoles sont aussi confrontées au même constat d’échec. Il va de soi qu’il faut mettre en oeuvre des mesures d’accompagnement vers l’emploi de ces jeunes manifestement discriminés.

Ce racisme feutré qui ne dit pas son nom. Il faudrait vivre sur une autre planète ou faire preuve d’une évidente mauvaise foi pour ne pas anticiper la tautologie : les jeunes issus de l’immigration maghrébine galèrent plus que ceux qui présentent des patronymes moins connotés. L’étude du Cereq, après plusieurs autres, permet de mettre des mots et des statistiques indubitables en face du ressenti sociologique : la « pénalité maghrébine » dans l’accès à l’emploi se traduit entre autres par une durée plus longue, à diplômes égaux, pour décrocher un travail et par leur surreprésentation sur les postes les plus précaires. L’analyse repose sur les données de l’enquête Génération 2004, une cohorte de Français sortis de formation cette année-là, et que les chercheurs du Cereq suivent à la trace depuis sept ans. Résultat : au classement morbide de la stigmatisation sociale, les jeunes d’origine maghrébine sont largement en tête, non seulement par rapport aux Français d’origine française, mais aussi vis-à-vis des jeunes issus de l’immigration d’Europe du Sud, Portugais en tête.

• Sur les sept dernières années, ces derniers ont traversé 11 mois de chômage pendant que les Français d’origine maghrébine prolongeaient ce plaisir pendant 27 mois !

• Moins diplômés, ces derniers sont victimes d’une « orientation contrariée » ensemençant le terreau de l’échec scolaire : 40 % sont des enfants d’ouvriers (12 % pour les Français d’origine), 23 % résident dans les zones urbaines sensibles.

• Les salariés d’origine maghrébine sont surreprésentés dans les emplois précaires et le sous-emploi – des CDD, des contrats d’intérim ou aidés, avec des salaires proches du SMIC, peu enclins à des évolutions, voire à temps partiel…

• Ils sont nettement moins nombreux en CDI et dans la fonction publique, là où, logiquement, les carrières se dessinent. Sans faire de lien hasardeux avec le contexte terroriste – rien n’excusant le terrorisme, absolument rien –, les pouvoirs publics seraient avisés de se pencher plus intensément sur cette discrimination qui contient, potentiellement, des brandons de discorde sociétale. Si renforcer le vivre ensemble permet d’éviter à des jeunes de sombrer dans de quelconques radicalisations, il faut renforcer les exemplarités, les logiques d’ascension sociale. Et, en la matière, la fonction publique, sous toutes ses formes, peut faire profil bas…

L’étude met aussi l’accent sur le ressenti de cette jeunesse maghrébine…

Cette moindre qualité de l’emploi se traduit dans les chiffres sur la satisfaction personnelle qu’éprouvent les jeunes face à leur situation professionnelle. Ainsi, 65 % des jeunes d’origine maghrébine assurent se réaliser sur un plan professionnel, un chiffre qui se rehausse à 80 % pour les jeunes d’origine française et 82 % pour les jeunes d’origine d’Europe du Sud. La fonction publique ne montre pas le bon exemple, elle qui prétend régulièrement être dépositaire d’exemplarité…

Nous n’avons pas fait deux modèles comparés entre la fonction publique et le secteur privé.

En ce qui concerne la qualité de l’emploi, c’est l’objet d’une prochaine recherche. Nous avons néanmoins des résultats sur l’accès à l’emploi, où la pénalité est également forte dans l’accès à la fonction publique pour ces jeunes.

Pour en savoir plus : https://blogs.mediapart.fr

Yaël Brinbaum est chercheure au Centre d’études de l’emploi (CEE) et à l’Institut national d’études démographiques (Ined).

Sabina Issehnane est chercheure à l’Université Rennes 2, Ciaphs, CEE.

À lire : L’étude est téléchargeable sur le site du Cereq

Stéphane Menu, Journaliste

26 AVR. 2016

Par Walda Bey