Election d’un musulman à la mairie de Londres

SadiqKhan

Atlantico : Sadiq Khan, candidat travailliste de confession musulmane, vient d’être élu maire de Londres. Le même scénario semble aujourd’hui inimaginable dans une capitale comme Paris. Pourquoi n’existe-t-il pas aujourd’hui de personnalités politiques de confession musulmane ayant une envergure comparable en France ?

Nathanaël Uhl : C’est aux partis et aux responsables politiques eux-mêmes qu’il faut poser la question. Aujourd’hui, l’islam est le grand impensé français. Au nom de la laïcité, ou d’une certaine vision de celle-ci, les personnalités publiques n’ont pas à faire connaître leurs confessions. La loi interdit le prosélytisme, les personnalités politiques ont donc le devoir d’être discrètes sur la question. C’est peut-être un rappelle à faire à Christine Boutin ou au maire de Nice, Christian Estrosi, qui sur les réseaux sociaux a célébré l’Ascension avec des images religieuses. La seconde question posée n’est pas nouvelle, c’est celle de la diversité en politique.

La droite et la gauche traînent toutes les deux ce problème comme un fardeau. Les derniers représentants de la “diversité” – nous entendons souvent par ce mot-là les personnalités politiques issues de l’immigration – mis en avant comme Rachida Dati et Rama Yade ont surtout servi de caution. La diversité et l’islam sont devenus en France des gros mots et les politiques français ne savent plus comment les gérer. 

La différence avec la Grande-Bretagne et son système communautaire est vraiment flagrante. Alors que contrairement aux Etats-Unis il n’y a pas de discrimination positive, l’idée que pour représenter la nation il faut représenter toutes les communautés est quand même présente. Nous voyons des personnalités politiques de premier plan issues des immigrations successives. Il y a chez les travaillistes Diane Abbott, dont les parents sont jamaïcains. L’ancienne vice-présidente du Parti conservateur, Sayeeda Hussain Wars, est d’origine pakistanaise. L’actuel secrétaire d’Etat aux Affaires, à l’Innovation et aux Compétences – peut-être plus pour très longtemps au regard de sa manière de gérer la crise de l’acier –  Sajid Javid est également issu de l’immigration pakistanaise. Sadiq Khan est lui aussi d’origine pakistanaise et n’a jamais caché sa foi musulmane. Si nous avions en France un politicien – et j’utilise le terme “politicien” dans sa conception anglo-saxonne – qui affiche sa confession musulmane, il n’aurait sûrement aucune chance. Ce sont nos responsables politiques qui sont aujourd’hui incapables de prendre en compte la diversité, notamment de croyance ou de non croyance. Cela se voit aussi dans la manière dont les zones d’habitation sont gérées, où cette diversité est représentée à certains endroits plus qu’ailleurs, en banlieue notamment.

Londres est plus étendue et plus peuplée que Paris (8,5 millions d’habitants contre 2 millions). Sa population est également plus variée sociologiquement. Dans quelle mesure les différences entre ces deux villes rendent-elles improbable la candidature d’un Sadiq Khan français à Paris ?

Il faut d’abord expliquer pourquoi l’élection de Sadiq Khan à la mairie de Londres est un non-événement complet. La religion est l’un des premiers identifiants de la structuration communautaire de la Grande-Bretagne. Sauf que c’est tellement évident que cela devient banal. La religion est donc un non-débat. Voilà pourquoi nous pouvons être musulman et occuper des fonctions politiques, comme nous pouvons être catholique et occuper des fonctions politiques, même si parfois être catholique ou musulman peut être compliqué dans un pays où l’anglicanisme et le protestantisme sont assez majoritaires. Mais au Royaume-Uni, cela ne pose aucun problème de vérifier que tel membre du Parlement est affilié à telle religion. C’est d’autant plus possible qu’outre-Manche, la question-clé est toujours celle de la classe. Ce n’est pas un gros mot de parler de “classe ouvrière” et c’est plus clivant que l’appartenance religieuse. Ce qui a permis à Sadiq Khan de faire une campagne très inclusive, très ouverte et rassembleuse, c’est qu’il est un fils du peuple. C’est l’enfant d’un couple d’immigrés, dont le père est chauffeur de bus et dont la mère est couturière. Mais ses origines socio-économiques lui permettent de rassembler très largement la classe ouvrière, la classe moyenne et dans une moindre mesure les classes supérieures conscientisées de gauche, que l’on nommerait en France les bobos.

En France, dans les villes où la diversité est une réalité et est vécue comme atout, comme Aubervilliers ou Stains, il y a des maires issus de l’immigration, sans que nous ne nous intéressions à leur confession. L’homogénéité sociale, économique et culturelle marque la vie parisienne depuis une vingtaine d’années. Le processus long de “gentrification” a débuté dans les années 1960 avec la délocalisation de l’usine Citroën du XVème arrondissement à Aulnay-sous-Bois, et la fermeture de tout le tissu industriel productif à Paris. Voilà pourquoi nous avons maintenant une ville très majoritairement homogène socialement, blanche et quadragénaire. Cette population ne se verrait pas voter pour un candidat issu de la diversité et musulman, parce qu’il ne leur ressemblerait pas. Paris ne ressemble ni à la France, ni à la banlieue, et les Parisiens sont assez excluants. Bien sûr, il y a une femme issue de l’immigration comme maire. Mais c’est une immigration blanche et culturellement chrétienne, même si Mme Hidalgo n’a jamais parlé de ses convictions religieuses ou de son absence de croyance en la matière… Aujourd’hui, elle ressemble à la population parisienne. Cette dernière ne se retrouverait pas dans un candidat issu des minorités. Elles sont cantonnées dans des poches, dans le XVIIIème, à la Goutte-d’Or, dans le XIXème. Mais nous avons du mal avec la diversité, en témoigne ce qu’il s’est passé dans le XVIème arrondissement avec cette polémique sur la possibilité de créer un accueil pour les SDF.

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