Tout début mai, c’est à Auch que j’ai été amenée à parler. Sur les terres du Gers, non loin de Toulouse, pour une conférence qui clôturait un travail de 3 journées de formation à destination des éducateurs spécialisés, enseignants et personnels de secteur social, à la demande de la Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations et de l’association Les Francas, sur les thématiques liées à de nombreuses demandes d’ordre religieuses, en recrudescence depuis les attentats de l’année 2015.
Quelques rappels sur ce qu’est l’éducation et la cohérence de l’exemple de l’éducateur : être exigeant en même temps que bienveillant. Pour pouvoir réfléchir aux postures dans les relations avec les autres, j’ai développé le Modèle de Développement de Sensibilité Interculturelle que j’ai élargit à la diversité religieuse. C’est Milton Bennett qui l’a crée : c’est un modèle de six niveaux de développement de la perception et de l’acceptation des différences. Les trois premiers niveaux sont le déni, la défense et la minimisation. Ce sont des étapes éthnocentriques, car la culture d’appartenance reste le point de départ dans la manière d’accepter les différences. Les trois dernières étapes que sont l’acceptation, l’adaptation et l’intégration sont des étapes « ethno-relativistes » ou « ethno-relationnelles » : la personne commence à envisager sa propre culture comme une composante d’un ensemble d’autres appartenances et perceptions du monde tout aussi complexes.
Après cet outil de décryptage de posture, il était important de contextualiser l’histoire de la France qui est bien particulière. En effet, quelle est la spécificité de la France par rapport aux religions ? Quelle place leur donne la laïcité ? Quelle attention porter face aux peurs que peuvent susciter une plus grande visibilité dans l’espace public ?
Le paysage religieux français n’est pas monolithique et il est difficile de s’en faire une image claire. En effet, il y a une augmentation du nombre de pratiquants chez les musulmans. L’islam est depuis quelques années, la deuxième religion du pays. Et chez les chrétiens, c’est un recul de la pratique. Et de nouveaux courants religieux se développent progressivement, comme l’hindouisme, le bouddhisme. Voici, selon des chiffres de l’IFOP datant de 2011 une indication du paysage religieux français : 69 % des français déclarent avoir une religion, avec la répartition suivante :
- 61 % se disent catholiques
- 7 % musulmans
- 4 % protestants
- 1 % juifs
- 1 % bouddhistes
- 2 % affirment avoir une autre religion que celles-ci.
En fait, 57 % de ceux qui se réclament d’une appartenance religieuse se rendent seulement une fois par an à un service religieux et 39 % jamais ou presque jamais. La religion est en fait plus d’ordre du culturel que du religieux. Aujourd’hui, on peut déclarer appartenir à une religion sans savoir qu’il existe un Dieu, sans même croire en Dieu… Ce phénomène de croyance en Dieu en dehors des institutions religieuses traditionnelles est appelé « croire sans appartenir » par les sociologues. Le profil des croyants ne sont pas les mêmes selon les religions d’appartenance. Mais qu’en est-il vraiment de la place actuelle du religieux dans la société française ? Témoigne-t-elle de la sécularisation de la société et d’un déclin de l’emprise de la religion ou au contraire d’un retour au religieux ?
En France, le contexte politique, économique et social et marqué par la spécificité laïque. En effet, en France, le projet laïc s’énonce comme un projet englobant et un programme alternatif aux religions.
La laïcité fait débat depuis 1905 et la plus grande visibilité des pratiques religieuses musulmanes ces dernières années réactive régulièrement ce débat. Tout ceci questionne le modèle français d’intégration, et ses objectifs, qui ignorent jusqu’à présent la question religieuse. De nouvelles interrogations voient le jour : la gestion politique des nouvelles expressions religieuses peut-elle n’être traitée que comme une annexe secondaire à la question migratoire ? La laïcité doit-elle être un consensus sur l’invisibilité religieuse dans l’espace publique ? L’évolution du rapport à l’espace public qui reste mal appréhendé aujourd’hui est en fait un enjeu de l’avenir en France de la gestion du fait religieux.
Pour rappel, la laïcité française est liée à la séparation de l’Eglise et de l’Etat. C’est un dispositif juridique et politique de pacification qui vise en premier lieu à permettre aux citoyens qui ne partagent pas les mêmes croyances religieuses de vivre ensemble avec leurs différences. Le concept de laïcité peut être dévoyée pour discriminer des catégories de personnes. Le débat sur le retour du religieux se concentre sur les pratiques des musulmans, surmédiatisés, ce attise craintes et méfiances. Derrière ces méfiances il y aurait en fait la question de l’intégration des jeunes français d’origine maghrébine dans l’espace public. D’ailleurs, les différentes enquêtes indiquent une acculturation et une laïcisation beaucoup plus rapides que l’opinion ne l’imagine.
Pour mieux appréhender l’histoire des musulmans, quelques rappels de dates de l’histoire de cette religion :
- 570 : naissance du prophète Mohamed à La Mecque
- 622 : date de l’Hégire, émigration vers Médine
- 632 : mort du prophète
- 632-634 : Abou Bakr, premier calife
- 634-644 : Omar, deuxième calife
- 644-656 : Othman, troisième calife
- 656-661 : Quatrième et dernier calife “bien guidé”
- 661-750 : dynastie Ommeyade
- 750 – 1258 : dynastie Abbasside
La civilisation musulmane a, dans sa richesse et sa complexité servi de fondement à plusieurs cultures ayant chacune son histoire propre et qu’on a pris l’habitude d’appeler au singulier « civilisation musulmane ». Mais comment parler au singulier alors qu’on parle de territoires qui vont du Maghreb à l’Indonésie en passant par l’Afrique noire, les Balkans, l’Asie Centrale ou le subcontinent indien ? Si on y ajoute aujourd’hui les musulmans à travers le monde, on peut rajouter l’Amérique du Nord, l’extrême Asie, le sud de l’Afrique, l’Australie, la Russie et bien sûr, l’Europe.
Un nombre limité de pratiques et de croyances sont communes, mais les choses divergent, parfois fondamentalement d’une culture à l’autre : l’islam mauritanien est très différent de l’islam iranien et un musulman albanais se reconnaîtra difficilement dans les croyances d’un Turkmène ou d’un malgache. Considéré sous cet angle, il y a autant d’islams que de cultures existant entre musulmans. Pour mémoire, les quatre plus grands pays musulmans en termes de population sont l’Indonésie (175 millions), le Pakistan, le Bangladesh et l’Inde. Les arabes ne constituent que 20 % du total des musulmans.
Le Coran est considéré par les musulmans comme la parole même de Dieu, transmise au Prophète Mohamed directement en arabe par l’ange Gabriel.
Les cinq piliers de l’islam :
- La profession de foi : le musulman atteste que Dieu est Dieu et que Mohamed est son prophète.
- La prière : Un musulman adulte se doit de faire cinq prières par jour. Elle se fait selon des rites précis : ablutions, tapis protégeant des souillures du sol, visage tourné en direction de La Mecque, cycle de prosternation et de récitations strictement définis.
- L’aumône : à la fois acte de charité et de solidarité envers les plus pauvres, l’aumône purifie le donateur.
- Le jeûne du mois de Ramadan : durant le mois de Ramadan, le 9è mois lunaire, le musulman pratique le jeûne, du lever du soleil à son coucher, si possible. Abstinence de boire, manger, fumer, avoir des relations sexuelles. Il est important de réprimer les passions et désirs pour accéder à la dimension spirituelle de l’existence.
- Le pèlerinage à La Mecque : chaque musulman qui le peut doit effectuer une fois dans sa vie d’adulte.
Les jalons de la vie des musulmans sont le calendrier islamique qui commence l’année de l’hégire, pendant laquelle Mohamed à fuit de La Mecque à Médine, en 622 de l’ère chrétienne et le vendredi qui est le jour de grande prière collective à la mosquée. Les fêtes musulmanes sont la fin du jeûne du mois de Ramadan : l’Aïd el Fitr et la fin du mois de pèlerinage à La Mecque, Aïd el kébir, grande fête qui commémore le sacrifice d’Abraham. Les musulmans ne doivent pas boire de boissons alcoolisées, ni manger de porc, la viande de bêtes non égorgées, les amphibiens comme les grenouilles ou les crocodiles. Le calendrier islamique est rythmé par les lunaisons : elle prend 10 a 12 jours d’avance sur l’année civile, d’où le décalage d’une année sur l’autre des fêtes musulmanes par rapport au calendrier grégorien utilisé en France.
Il existe plusieurs courants au sein de l’islam : Les sunnites constituent près de 90% des musulmans. Ils se rattachent à la sunna, tradition du Prophète qui s’est constituée à partir du 18è siècle. Les premières querelles politiques, touchant la succession du califat ont donné naissance à des mouvements sectaires qui n’appartiennent pas aux quatre écoles juridiques reconnus dans le sunnisme. Le plus ancien mouvement sectaire est celui des kharijites (sortant), partisans d’Ali, ils réprouvèrent l’arbitrage qui allait lui être défavorable (au profit du calife ommeyade). Ils ont aujourd’hui peu nombreux. Une communauté vit dans le Mzab algérien, une sur l’île de Djerba en Tunisie et est la doctrine officielle de l’état d’Oman.
Les chiites représentent 10 % des musulmans : ils sont majoritairement Iraniens, Azéris, Irakiens et Bahreïnis, près de 20 % des musulmans en Inde et au Pakistan un peu plus en Afghanistan.
Ils se rattachent aux premiers partisans de Ali, cousin et gendre du Prophète qu’ils considèrent comme son successeur. Ali est le 4è calife de l’islam. Il est aussi, pour les chiites le premier imam (guide) légitime. Chacune de ces familles est en plus parcourue de nombreux courants de pensée, tendances spirituelles, écoles juridiques et théologiques. Mis à part les intégristes Wahhabites et leurs acolytes volontaires ou involontaires niant violemment ces pluralités, aussi bien lettrés et savants musulmans que chercheurs scientifiques ont toujours su que celles-ci constituent la principale raison des richesses innombrables de l’islam.
En France, aujourd’hui, les musulmans sont plus ou moins organisés. Au sein même du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), fondé en 2003, il y a plusieurs sensibilités :
- l’Union des organisations islamiques de France, fondée en 1983,
- la Grande Mosquée de Paris,
- la Fédération Nationale des musulmans de France,
- le Rassemblement des musulmans de France,
- le Comité de coordination des musulmans turques de France ou bien encore
- la Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles.
Le CFCM, qui fait figure d’islam officiel n’a pas réussit à devenir un médiateur crédible entre les services de l’Etat et les musulmans de bases pratiquants. Il reste très contesté, notamment à cause de ces luttes internes. L’islam sunnite lui-même est traversé par deux courants, actuellement : la mouvance des Frères Musulmans et les salafistes qui sont sans conteste les plus actifs sur le terrain des prédications et des mobilisations. Ceux qui se réclament des Frères Musulmans sont héritiers et partisans de l’idéologie des Frères Musulmans égyptiens, qui voient dans l’islam un projet global de société à l’échelle privée et publique, et veulent être intégré dans les systèmes politiques des pays dans lesquels ils vivent.
En France, le militant Nabil Ennasri, président du Collectif des Musulmans de France incarne cette tendance. Il est actif sur le terrain et les réseaux sociaux où il s’oppose à l’idéologie du Front National et défend des positions ultra-conservatrices sur les questions de mœurs. Il soutient systématiquement les mouvements islamistes sunnites. Pour lui, ils incarnent l’islam authentique contre les formes déviées, représentées entre autres par le chiisme. Un autre courant qui s’apparente aux Frères Musulmans refuse toute forme de revendication victimaire. Un de ces représentants est Camel Bechikh.
Ce mouvement, et c’est nouveau en France, se fait porte-parole de la Manif pour Tous. Il est opposé au mariage pour les couples de même sexe et est proche de l’extrême droite catholique conservatrice. Il existe aussi en France un courant incarné par l’organisation HM2F (Homosexuel-les Musulman-es de France) qui revendique pour les musulmans d’être reconnus comme homosexuels, avec le droit au mariage avec une personne de même sexe.
Pour les musulmans qui se disent salafistes (salaf signifie ancêtres ou prédécesseurs), il y a une quête d’une religiosité absolue, qui doit leur permettre de briser les liens qui les enchaine à une société honnie. Leur présupposé est que l’islam, n’était réellement authentique qu’au moment de la vie du prophète. En France, le salafisme n’est pas homogène ni unitaire, mais il a des traits communs : respect strict de la Sunna, les écrits de la tradition du prophète, pratique rigoriste, hostilité au chiisme,…Bien entendu ces deux courants n’ont pas de stratégies cohérentes ou unifiées partout et tout le temps…
A côté de ses profils de militantisme assumé, on trouve des intellectuels musulmans qui prônent un tout autre islam, beaucoup moins normé et revendicatif. Ghaleb Bencheikh, président de la conférence mondiale des religions pour la paix, Abdennour Bidar, philosophe et producteur de l’émission Culture d’Islam sur France Culture, Rachid Benzine, et Eric Geoffroy, universitaires et islamologues. Ils valorisent tous, explicitement ou non la dimension éthique et inclusive de l’islam. Ces auteurs, musulmans assumés, introduisent dans leur démarche de foi, chacun à sa manière, une dimension critique. Ils valorisent l’esprit des textes et de la Tradition, plutôt que la lettre et le ritualisme stricto sensu. Mais leurs travaux ne sont pas connus, et quand ils le sont, ils sont critiqués. La plupart des musulmans, en France, reste majoritairement orthodoxe dans sa pratique. Après avoir fait un tour d’horizon des religions en France et d’éléments de l’histoire de l’islam et des pratiques, étudions ensemble deux cas concrets.
Cas concrets : J’ai été sollicitée parce que des demandes qui n’existaient pas il y a quelques temps se font dans votre quotidien. Ces demandes sont souvent à priori liées à la religion musulmane.
Cela ne signifie pas que cette religion soit spécifique, mais dans le contexte socio-politique actuel, national, avec les attentats de janvier et de novembre de l’année passée, et international où des extrémistes s’affrontent, c’est autour de l’islam qu’il y a le plus d’interrogations, d’amalgames divers et variés, de crispations. Pour ma part, je considère, avec d’autres qui travaillent sur les mêmes sujets, qu’il est possible, dans le respect de la loi de 1905, d’appliquer à tous la laïcité de la même façon afin de garantir la cohésion de la société française.
Quels types de demandes liés au religieux ? Elles concernent les vêtements, les objets portés, l’alimentation, l’organisation du temps de travail pour l’expression de la foi (prières et fêtes) et les relations hommes-femmes.
Ces cas concrets sont tirés d’un guide à l’usage des professionnels co-écrit par Dounia Bouzar avec la communauté d’Agglomération de Grenoble en 2011-2012.
Situation n°1 : Des enfants refusent de manger de la viande non halal à la cantine
Des parents se plaignent du personnel de la cantine, qui force leurs enfants à manger de la viande. Or, ces derniers, au nom de leurs croyances religieuses, ne mangent que de la viande halal. Les parents ne veulent pas que leurs enfants mangent de la viande non ritualisée. Ils estiment que l’obligation de manger de la viande fait subir à leurs enfants une discrimination en raison de leurs convictions religieuses, alors que le droit à la liberté de conscience fait partie des droits fondamentaux. S’ils retirent leurs enfants de la cantine, ils estiment que cela porte atteinte au principe d’égalité des enfants. De son côté, l’élu en charge de la gestion de la restauration estime qu’il est normal d’inciter les enfants à manger. Cela fait partie des missions du personnel, qui peut éventuellement détecter une dépression, un mal-être ou une anorexie pendant le moment du repas. Les situations familiales difficiles (rupture, décès, divorce…) provoquent souvent un déséquilibre alimentaire. D’un autre côté, cela l’ennuie que des enfants soient retirés de la cantine, car cette prise en charge des enfants par le service public fait partie des moyens pour diminuer les disparités sociales.
Problématique : Des écoles ont déjà tenté de mettre de la nourriture casher ou halal dans les cantines. Cela a en fait segmenté les élèves : les enfants musulmans ou juifs d’un côté et les autres. Il y a eu des réflexions du type : « Ne touche pas à mes tomates halal et va manger ton cochon ! » dans certaines cantines. Et parfois, il arrive que certains enfants musulmans qui voudraient manger de la viande classique soient mal vus par des enfants musulmans plus stricts. D’un autre côté, si aucune solution n’est trouvée, la liberté de conscience de ceux qui ne mangent pas de viande est entravée.
Préconisations : on pourrait proposer un autre choix : en plus du repas traditionnel classique, on pourrait proposer un repas sans viande. Cela permet en plus de satisfaire certains mouvements écolo qui demandent des repas végétariens, des juifs et musulmans pratiquants,… Cette proposition de « repas végétariens » (avec poisson, oeufs, fromages ou équivalent) permet à tous ceux qui ne mangent pas de viande de s’inscrire à la cantine pour prendre leur repas avec leurs camarades, sans qu’il ne soit question de convictions religieuse à un moment ou à un autre.
Cela permet aux élèves de choisir jour après jour leur menu (avec ou sans viande) selon les propositions du cuisinier. Ce « deuxième choix pour tous » permet de ne prendre du « sans viande » que le jour où il y a du porc pour tel enfant, de prendre du « sans viande » tous les jours pour tel autre, mais aussi de le choisir « à la place du Bourguignon » si ce plat n’est pas aussi bon qu’à la maison pour un troisième. Pour faciliter l’organisation, le choix journalier du « viande » ou « sans viande » peut se faire à l’avance tous les mois. Ce compromis correspond à la volonté de chercher « le plus petit dénominateur commun » entre les enfants. Il permet à tous les enfants de partager le même repas, de manger à la même table et de ne pas faire référence à la religion dans l’espace public, tout en respectant les différences de chacun. Il faudra juste veiller à ce qu’en aucun cas, des tables « viande » ou « sans viande » se forment.
Situation N°2 : Des adolescentes refusent un animateur sportif, « parce que c’est un homme »
Dans des situations de prise en charge d’éducation par le sport, où le corps est «mis en scène » de façon plus ou moins intime (piscine), certaines jeunes filles refusent d’avoir un animateur de sexe masculin.
Problématique : Le genre du professionnel est évoqué pour « refuser » qu’il exerce sa fonction. Il s’agit donc de réfléchir à comment le « désexualiser » de façon à ce qu’il soit bien appréhendé et légitimé au travers de son identité professionnelle. Quelle approche éducative envisager pour que l’animateur sportif soit bien perçu comme un professionnel et non pas comme un « homme » ?
Préconisations : une prise en charge globale du jeune, plutôt qu’une rencontre ponctuelle au moment de l’activité, favorise l’établissement d’une «confiance professionnelle ». Des expériences de terrain montrent qu’un groupe de filles accepte de se mettre en maillot de bain devant le maître-nageur qui a mis en place un accompagnement sur le poids et l’alimentation, alors que ce même groupe refuse de se déshabiller devant un maître-nageur rencontré uniquement au moment des séances de piscines. D’autres professionnels insistent pour dire aux jeunes que « s’ils ont un problème », ils sont à leur disposition. Ces exemples montrent que travailler la relation en amont ou en parallèle aide à valoriser la fonction du professionnel sur le genre, en renforçant la relation de confiance. Dans cet exemple, l’activité sportive est en fait un support pour l’éducation. Que cette activité sportive soit un moyen de traiter l’éducation nécessite que personne ne se limite à ce support, ni les parents, ni les jeunes, ni les professionnels. Il s’agit de passer par le collectif, pour instaurer un cadre qui permet de travailler l’individuel.
La relation de confiance doit donc aussi s’établir avec la famille du jeune : le contact avec les parents, et la reconnaissance de ces derniers envers les professionnels semble être important pour les jeunes. Si les parents reconnaissent les professionnels, leurs enfants sont pris dans cette reconnaissance. Les animateurs peuvent organiser des manifestations avec les parents dans le quartier, des visites, des sorties, pour leur permettre de voir de quelles manières ils sont professionnels. La prise en charge doit s’établir dès le plus jeune âge : travailler avec des filles qui ont 10/11/12 ans est plus facile qu’avec des filles plus âgées. La relation de confiance s’établit d’autant plus facilement qu’elle se noue avant ou au tout début de l’adolescence. La mise en relation avec les collèges, où la mixité est pratiquée, est un tremplin intéressant pour les animateurs. Même si cette mixité est parfois interrogée y compris lors des séances de sport du collège, elle ne peut être remise en cause du fait qu’elle fait partie du programme d’enseignement et du fait de l’autorité de l’enseignant appartenant à l’institution. Il y a la notion d’obligation car le sport est une matière comme les autres. Ce cadre normalise la mixité, au sens où cette dernière, étant posée comme « non négociable », peut devenir « naturelle » aux yeux des jeunes.
L’articulation entre collèges et structures d’animation ne se fait pas forcément. Il faudrait peut-être amener l’école dans les structures ou faire entrer les structures dans l’école. Il s’agirait uniquement d’une collaboration sur l’information : que le professeur de sport ou le CPE puisse informer de l’existence et de la légitimité des structures extérieures, qu’il soit le premier relais pour parler à ses élèves de ce qui se fait dans l’association du quartier… Cela favoriserait la cohérence dans le domaine sportif mais aussi dans le domaine culturel.
Un système de tutorat peut être mis en place, pour que les aînées représentent un « trait-d’union » avec les plus jeunes. En devenant des « relais », ils transmettent l’image du professionnel. Une chaîne de légitimité peut alors se construire. Le respect de la mixité doit aussi concerner la composition des équipes, alors que certaines sont constituées de 100% de professionnels masculins ou féminins. Cela suppose une action très en amont des recrutements. Ce qui est fondamental, c’est que les différents « rapports au genre » soient portés par les professionnels, qu’ils soient hommes ou femmes.
Des questions réponses ont cloturée cette soirée très intéressante !
Merci à Dominique Chabanet et à Bertrand Marsol de m’avoir sollicitée pour cette intervention.
Marie DAVIENNE – KANNI