C’est l’un des rapports les plus longs à élaborer auxquels Chantal Jouanno ait participé, confie la sénatrice en début de séance. Après plus d’un an de concertations et trois échanges de vue (au lieu d’un pour les dossiers ordinaires), la présidente de la Délégation aux droits des femmes a présenté un épais corpus réalisé le 12 janvier 2017. Intitulé « La laïcité garantit-elle l’égalité femmes-hommes ? », il expose un travail de recherche approfondi, riche d’observations de terrain, pointant la dégradation des droits des femmes dans la sphère religieuse en France.
Ces constats ont permis aux sénateurs –la délégation est composée de vingt-cinq femmes et onze hommes – de présenter trois séries de recommandations respectivement destinées au législateur, au gouvernement, et aux acteurs de la vie sociale et politique. Tout en prenant en compte la diversité des croyances et des traditions, avec le « souci constant (…) de ne pas stigmatiser un culte plus qu’un autre », ces propositions ont pour vocation « àaller plus loin dans l’égalité femmes-hommes, sans tenir le religieux à distance », explique Chantal Jouanno.
Les membres de la délégation ont également souhaité réaffirmer les droits sexuels et reproductifs, porter le sujet de la laïcité et de l’égalité dans les grandes instances internationales et « conjurer l’influence des extrémismes religieux ». La publication du rapport final en ce début d’année vise aussi à « interpeller les candidat(e)s à l’élection présidentielle de 2017 », appelés à se prononcer sur les propositions phares du rapport.
Une nouvelle approche de la laïcité
La nécessité de se saisir du sujet de l’égalité femmes-hommes dans la laïcité est apparue à la présidente de la délégation lors d’une rencontre avec le collectif Femmes sans voile d’Aubervilliers. Sa cofondatrice, Nadia Ould-Kaci, lui avait alors présenté une série de photographies prises dans la banlieue est de Paris et montrant des petites filles portant le voile. Ces clichés, présentant une situation à laquelle un enfant ne peut consentir, interrogent alors Chantal Jouanno.
Le climat tendu des derniers mois a également contribué à mettre le sujet de la laïcité et des femmes sur le devant de la scène, notamment avec les débats sur le burkini l’été dernier. Cette atmosphère, faisant des vêtements féminins un objet de débat et un moteur d’animosité, transforme l’actualité en « imaginaire social » défavorable aux droits des femmes, affirme Houria Abdelouahed, psychanalyste et maître de conférences à l’université Paris VII.
La délégation avait déjà soulevé le sujet des droits féminins en 2003, en se penchant sur les mariages forcés et les crimes d’honneurs, et avait amorcé une réflexion générale sur la laïcité en mars 2015. Le débat s’ouvre alors sur ce constat fusionnant les deux thèmes : « On s’aperçoit que la laïcité n’est pas en soi porteuse d’égalité. »
S’amorce alors un long parcours de réflexion. Après une première table ronde en janvier 2016, en présence de douze personnalités investies dans les questions religieuses (dont onze femmes, parmi lesquelles Anne Soupa, Delphine Horvilleur, Hanane Karimi…), auditions et réunions se sont succédé avant de s’accorder sur le contenu du rapport, validé le 3 novembre 2016. La commission du 12 janvier a clos ce processus avec tous les acteurs impliqués dans le projet, lançant une phase de décision plus concrète.
S’emparer de la loi
Si l’intégralité du rapport n’a pas fait consensus, les recommandations jugées prioritaires par la délégation ont été unanimement saluées, voire accueillies avec « gratitude » et « reconnaissance » par les participant(e)s. Parmi ces priorités, la modification de l’article premier de la Constitution, pour y insérer la notion d’égalité femmes-hommes. Le premier alinéa mentionne déjà l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction « d’origine, de race ou de religion », mais il ne mentionne pas l’égalité des sexes. Cet ajout aurait pour effet de soumettre toutes les lois au respect du principe d’égalité entre les femmes et les hommes, car il n’apparaît aujourd’hui que dans le préambule de la loi fondamentale.
La délégation souhaite par ailleurs « créer un délit autonome d’agissement sexiste » afin d’élargir cette notion, qui est pour l’instant cantonnée au code du travail et ne permet de dénoncer les comportements sexistes que dans le cadre professionnel. De même, la commission invite à sanctionner les associations appelant à la discrimination, à la haine ou à la violence en raison du sexe. Les motifs de plainte pour les femmes victimes d’inégalités sexistes seraient donc étendus.
Autre point de concorde, les parties prenantes du débat ont collectivement pointé la nécessité «d’interroger le suivi et le contrôle des mesures prises», comme l’a souligné Marie-Thérèse Besson, Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France. Le flou juridique ne pourra en effet être levé qu’en fonction de l’aboutissement du rapport, et la manière dont s’en saisissent les acteurs politiques.
Frictions sur le sport, les signes religieux et la loi de 1905
Les institutions publiques – écoles, hôpitaux, communes – et le milieu associatif ont fait l’objet d’une attention particulière. La délégation a pris en compte des situations concrètes relatées dans le rapport, comme des cas d’hommes qui refusent de serrer la main de collègues féminines, ou de femmes qui s’opposent à être soignées par des médecins de sexe masculin. Le groupe de sénateurs appelle à établir des mécanismes de remontée directe pour signaler les incidents aux ministères concernés, sans filtrage hiérarchique.
Il demande par ailleurs la nomination de référents laïcité et d’aumôniers formés aux questions d’égalité femmes-hommes. Lors du débat, cet appel a été appuyé par deux aumônières musulmanes et une aumônière militaire israélite, ainsi qu’une spécialiste de la laïcité en milieu hospitalier, Isabelle Lévy. D’un point de vue plus global, les communes, partis politiques et entreprises ont été invités à adopter des codes de bonne conduite en matière de laïcité et d’égalité des sexes.
Le sport, le port de signes religieux à l’université et le statut de la loi de séparation des Églises et de l’État ont été les seuls points d’achoppement au cours du débat. Bien que les perceptions divergent sur ces thèmes, aucun(e) participant(e) n’a remis en cause la volonté collective de clarifier les limites d’exercice des croyances, athéisme y compris.
Virginie Larousse, rédactrice en chef du Monde des Religions, a notamment rappelé l’importance de « se sentir investi du droit de continuer à critiquer les religions » bien que « s’attaquer aux symboles [soit]souvent perçu comme une entrave à l’intimité ». L’une des dernières intervenantes, Liliane Vana, docteure en sciences des religions et fière d’affirmer son identité de juive orthodoxe, a donné le mot de la fin avec humour : « Dieu merci, la loi de 1905 existe. »
Publié le 25/01/2017
Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr/une/la-laicite-garantit-elle-l-egalite-femmes-hommes-25-01-2017-6086_115.php