Remise ce jeudi au Premier ministre, une enquête dresse le portrait d’une fonction publique «pas à l’image de la société française» et propose des mesures pour renforcer la diversité.
«Surreprésentation des enfants de fonctionnaires», «persistance des inégalités en défaveur des femmes», majoritaires dans la fonction publique mais très minoritaires chez les cadres supérieurs, «relative fermeture aux descendants d’immigrés», «prédominance de certains profils de formation» ou encore «proportion d’emploi de personnes handicapées qui reste en deçà de l’objectif» : le rapport sur les écoles de service public et la diversité, remis au Premier ministre, ce jeudi, par le conseiller d’Etat d’Olivier Rousselle dresse un portrait alarmant. Celle d’une «fonction publique [qui] n’est pas à l’image de la société française». Un constat déjà mis en avant, en juillet 2016, dans un autre rapport, celui de l’économiste Yannick L’Horty, qui s’était attaché à évaluer l’ampleur des discriminations à l’embauche dans la fonction publique.
La faute, selon le rapport rendu ce jeudi, à des faits de discrimination de la part des recruteurs, en fonction du genre ou de l’origine supposée. Les mêmes que l’on retrouve en somme dans le privé, tels que l’avaient mis en lumière les testings (envoi de candidatures fictives) commandés par le gouvernement et dont les résultats «accablants», de l’aveu même de la ministre du Travail, ont été dévoilés en décembre 2016.
Mais les discriminations ne sont pas les seules explications, selon le rapport, qui évoque pêle-mêle «l’autocensure» ou le «désintérêt pour la fonction publique», la structure très qualifiée de l’emploi public (44% des fonctionnaires ont un diplôme supérieur au baccalauréat, contre 29% des salariés du secteur privé), alors que «le système éducatif français a tendance à reproduire, voire à accentuer, les inégalités sociales». Mais aussi la complexité et la longueur du processus de recrutement, qui pénalisent les plus défavorisés.
«Faire sauter certains verrous»
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et notamment son article 6, est pourtant bien claire: tous les citoyens sont «également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents». «Longtemps, jusqu’aux années 2000 environ, nous avons vécu dans la croyance que le recrutement par concours suffisait à garantir le principe d’égalité», ajoute-t-on au ministère de la Fonction publique.
Sauf que, dans les faits, le respect de ces garanties est objectivement «loin d’être systématiquement assuré», souligne le rapport Rousselle. Et si «l’administration n’est pas entièrement responsable du manque de diversité de son recrutement», elle ne peut, non plus, «en être dédouanée». Intervenant en bout de chaîne, elle hérite certes des effets d’un «processus social et éducatif qui conduit à reproduire les inégalités». Non sans, à plusieurs égards, les «accentue[r]».
Pour y remédier, ce même rapport propose donc une série de mesures pour mieux faire connaître la fonction publique à tout candidat potentiel, professionnaliser et mieux encadrer les pratiques de recrutement ou encore sensibiliser les écoles aux problématiques de la diversité. Le tout pour élargir les chances d’accès de ceux qui, pour l’heure, sont moins présents dans les rangs des fonctionnaires.
Il préconise par exemple de développer l’accès à la fonction publique par le biais du «troisième concours». Destiné à des candidats ayant acquis une expérience professionnelle dans le secteur privé ou associatif ou comme élu local, ce dernier n’a représenté qu’environ 450 recrutements dans la fonction publique d’Etat, en 2013, contre près de 26 000 recrutements pour le concours externe. Un chantier que le ministère explique avoir déjà entamé en simplifiant les critères pour «faire sauter certains verrous».
Développement de l’alternance
Parmi les recommandations du rapport, quatre autres devraient par ailleurs être retenues par la ministre de la Fonction publique, Annick Girardin : la création d’une charte nationale de recrutement, l’ouverture des grandes écoles à leur environnement, notamment en tissant des liens avec des associations de lutte pour l’égalité des chances, l’évolution des épreuves de certains concours, jugées aujourd’hui trop académiques et donc disqualifiantes pour certains. Ou encore la diversification des jurys de sélection, en veillant à ce qu’une personne extérieure à l’école en fasse toujours partie.
De quoi «renforcer la démarche engagée depuis le début du quinquennat», précise le ministère qui pointe les «mesures volontaristes» déjà mises en place par le gouvernement. Et notamment l’ouverture des stages des collégiens de troisième à l’administration publique, les efforts de communication autour des métiers et formation pour rejoindre la fonction publique, ou encore le développement de l’alternance comme voie d’accès pour les jeunes, les chômeurs de longue durée et les personnes issues des zones politiques de la ville ou rurales.
5,2 millions d’emplois «fermés»
Demandé par la CGT du Conseil commun de la Fonction publique (instance consultative regroupant les partenaires sociaux du secteur), la mise en place d’un observatoire des discriminations n’a par contre pas été retenue par la ministre. Mais des données relatives à la formation et au contexte social et professionnel des candidats devraient être récoltées pour nourrir des statistiques et un rapport bisannuel. De nouveaux testings, prenant le relais de ceux réalisés dans le cadre du rapport L’Horty, pourraient aussi être à l’ordre du jour.
Reste un point, rapidement évoqué par le rapport: celui de la condition de nationalité, prévue par la loi de 1983, qui prévoit que nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire s’il n’est pas Français. Bien que faisant l’objet de plusieurs exceptions (certains postes étant accessibles sans distinction de nationalité, d’autres uniquement aux ressortissants de l’Union européenne), cette condition «fait obstacle à ce que bon nombre d’étrangers puissent accéder à des emplois publics», pointe le rapport.
En 2009, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (dont les missions ont été transférées au Défenseur des droits, en 2011) recommandait de supprimer ce critère. Mais pour le ministère, le sujet n’est pas là, d’autant que «les possibilités de naturalisation étant assez faciles en France». En 2016, 68 067 personnes ont acquis la nationalité française par décret (naturalisation ou réintégration).
Un chiffre, certes, en hausse sur le quinquennat, mais bien plus faible qu’en 2010 (94 573). Supprimer ce critère permettrait pourtant d’ouvrir aux étrangers non communautaires près de 5,2 millions d’emplois de la Fonction publique aujourd’hui «fermés». Et modifier ainsi, en partie, le paysage de la fonction publique française.