Séminaire Entreprise et Religion à Dakar

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Dans le cadre du Séminaire Entreprise et Religion du Centre d’Etudes des Cultures et des Religions de l’Université Catholique de Lyon, trois jours d’études ont été organisés à Dakar au Sénégal fin mai.

Les trois journées ont permis de découvrir les réalités historiques, culturelles, économiques et religieuses du Sénégal, de rencontrer des responsables et acteurs religieux de terrain et des responsables d’entreprises, puis de visiter notamment le monastère bénédictin Keur Moussa, le musée et la maison de Léopold Sédar Senghor, et l’île de Gorée et sa maison des esclaves.

Voici un compte-rendu succin des interventions, avec quelques apports et rajouts pour aller plus loin :

Au Sénégal, il y a une grande diversité ethnique et sociale. Face à ces réalités, 3 réactions sont possibles : soit la négation (déni), l’homogénéisation (réduire les différences au maximum, avec majorité comme élément déterminant), ou l’interculturalisation (ne pas niveler, dénier,…) : tentation de construire une richesse à partir des différences.
L’interculturalité dans l’espace sénégalais : comment vivre ensemble ?

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Toute culture est métissée. Une culture pure n’existe pas. On enrichit son patrimoine culturel tout au long de notre existence. Nous somme fait de la communication entre plusieurs cultures.
Nous sommes des êtres de dialogue. Tout monologue est un dialogue. Tout être est un être dialogique.

Le point essentiel est la décentration : partir de soi pour aller vers l’autre. Au-delà des différences, il s’agit de trouver des équilibres. Chaque individu est égal aux autres.

Il est important de développer une fidélité attentive à nos valeurs : l’hospitalité (L’autre est mon égal !) et l’amitié. Senghor a déconstruit l’éthnocentrisme avec le refus de l’eurobaromètre.

Un point historique important est la Charte du Couroukan Fouga (empire du Mali) : Le roi du Mali (Soumangourou) met à mort tous les princes héritiers du Mali, sauf Soundiata Keita (car il est paralytique). Celui-ci va rassembler différents clans (Traoré, Keita,…), va se convertir à l’islam et prendre le titre du Massa (roi). Il veut gagner une paix durable, c’est son projet politique.
“Gagner la guerre n’a de sens à ses yeux que si l’on gagne la paix !”
Il va tenter d’ériger un pacte pour unifier les 13 peuples du Mali (surtout les Keita et les Kamara) et celer l’amitié entre les peuples de l’empire en laissant la liberté de religion.

C’est la Charte du Mandé (1223) :

Après un préambule « à l’adresse des douze parties du Monde et au nom du Mandé tout entier », la charte mentionne sept paroles, qui sont autant d’entêtes d’articles de la charte :

  • « Une vie n’est pas plus ancienne ni plus respectable qu’une autre vie, de même qu’une autre vie n’est pas supérieure à une autre vie »;
  • « Que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin, que nul ne cause du tort à son prochain, que nul ne martyrise son semblable »;
  • « Le tort demande réparation »;
  • « Pratique l’entraide »;
  • « Veille sur la patrie »;
  • « La faim n’est pas une bonne chose, l’esclavage n’est pas non plus une bonne chose »;
  • « La guerre ne détruira plus jamais de village pour y prélever des esclaves; c’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblable pour aller le vendre; personne ne sera non plus battu au Mandé, a fortiori mis à mort, parce qu’il est fils d’esclave »;
  • « Chacun est libre de ses actes, dans le respect des interdits des lois de sa patrie ».

Selon les transcripteurs de la charte du Mandé, l’abolition de l’esclavage fut une œuvre maîtresse de Soundiata Keïta et de l’Empire du Mali. On trouverait dans cette charte les notions de respect de la vie humaine, de droit à la vie, les principes d’égalité et de non-discrimination, de liberté individuelle, de justice, d’équité et de solidarité.

Les plaisanteries entre les groupes servent à tisser le lien social. A ce sujet, lire le très bon article d’Etienne Smith sur “Les cousinages de plaisanterie en Afrique de l’Ouest, entre particularismes et universalismes” :

https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2004-1-page-157.htm

Pour Hamidou Dia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Hamidou_Dia) que nous avons eu l’honneur et le plaisir de rencontrer, le problème des sénégalais est la méconnaissance de l’histoire du Sénégal. Entre culture occidentale au niveau des élites et culture africaine, laquelle choisir ?
Il faudrait que les africains renouent avec l’estime de soi et réconciliation avec histoire et culture. Il faut que les jeunes sachent qu’ils ont des modèles, aient des récits nationaux, des méta-récits. Il faut composer des mythes (voir ci-dessus la Charte du Mandé, par exemple). Pour lui, les cousinages de plaisanteries sont des soupapes de sûreté.
Il serait intéressant d’exhumer, de mettre en évidence cet héritage, comme la révolution de Torodoo : le pouvoir ne s’hérite pas, c’est le plus vertueux qui doit régner. S’il s’enrichit ou qu’il veut mettre son fils, il faut le destituer.

Concernant l’esclavage et la colonisation, pour lui, il est facile de dire que c’est la faute uniquement des blancs : il faut prendre aussi ses responsabilités. En effet, l’indépendance date déjà de 50 années. C’est le problème de l’état providence : on attend tout de l’Etat, parfois trop !

Selon Hamidou Dia, etre citoyen, c’est passer de l’individualité à l’universalité.
L’islam sénégalais est soufi, il est contre le terrorisme. Mais il y a une influence de l’Arabie Saoudite, des salafistes (le salafisme guerrier qui est un problème). Au Sénégal, il y a des intégristes, qui sont sous surveillance.

Pour Jean-Claude Angoula, professeur à l’Institut St Joseph à Dakar, il faut réfléchir en terme de tradition et modernité : au Sénégal, plusieurs langues sont parlées : le Wolof a une place de choix, c’est une des particularités du pays. Le français est la langue officielle, celle des médias et des affaires. Et il y a 40 autres langues. Il y a un système de castes chez les wolof, madingues,… et une division du travail, héréditaire et endogame. Concernant le mariage, il existe des dispositions très conservatrices, mais des mariages inter-communautaires se font.
Les guides religieux font le dialogue entre les religions et appellent à la tolérance. Au Sénégal, il y a beaucoup de jours fériés l’année (au moins 1 mois liés aux fêtes religieuses). Les pratiques animistes sont très présentes.
Du côté de la modernité, le rapport à l’argent peut poser question :  la société sénégalaise devient de plus en plus matérialiste. C’est une terre d’accueil qui a accueillit beaucoup de missionnaires et des africains venant des pays d’à côté.

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Maison des esclaves de l’ïle de Gorée