« Il faut avoir sa maison bien en ordre pour pouvoir visiter celle d’un autre sans s’y perdre », rappelle le chercheur des HEC Montréal, fondateur et titulaire de la première chaire francophone d’éthique au monde dans une école d’affaires.
À 25 ans déjà, Thierry Pauchant dirigeait un hôtel important de San Francisco. Aux centaines de chambres, le jeune Lillois d’origine aurait pu ajouter d’autres hôtels et gagner beaucoup, beaucoup d’argent. « Mais où cela m’aurait-il mené ? Pour moi, cela n’avait aucun sens », dit celui qui est devenu professeur d’éthique à HEC Montréal.
C’est en retournant étudier – paradoxe – en finance, à la prestigieuse University of California in Los Angeles (UCLA), que le jeune Français découvre de grands auteurs de la psychologie humaniste comme Carl Rogers, et cette rencontre change le cours de son existence. « J’ai compris que le sens du travail, ce n’est pas seulement accroître la valeur des actionnaires », se souvient Thierry Pauchant, qui trouve enfin sa voie : aider les jeunes dans leur quête de sens tout en aidant les gens d’affaire à se doter de critères pour faire de « bonnes » affaires. Maîtrises et doctorat en poche, le futur professeur s’envole en 1987 pour Montréal, où il vit depuis avec son épouse Québécoise et ses trois enfants. « Ma racine est francophone et ma culture est chrétienne : je m’identifie plus facilement à un sapin de Noël qu’à un éléphant à trois trompes », dit-il en référence à toutes ces années où il creusait sa vie intérieure en explorant l’hindouisme et le bouddhisme. Avant de découvrir que l’art de la méditation et du silence existent aussi dans le christianisme – une découverte qu’il fait en fréquentant des groupes de méditation chrétienne, s’inspirant des Pères du désert. Le Christianisme est son enracinement. Mais son ouverture d’esprit est telle qu’il est bien difficile, sans le connaître, de l’identifier à quelque école que ce soit. « Il faut avoir sa maison bien en ordre pour pouvoir visiter celle d’un autre sans s’y perdre », rappelle-t-il, en citant Carl Rogers.
En 2002, Thierry Pauchant a fondé la première chaire francophone d’éthique au monde dans une école d’affaires. Cette chaire est reconnue comme très innovatrice dans le domaine mais aussi très pratique. « Quand on parle d’éthique, tout le monde patine », dit cet auteur de best-sellers – son ouvrage La Quête du Sens a été évalué comme l’un des cinq livres indispensables pour tous les gestionnaires, par le journal Les Affaires. Ni normes, ni droit, ni simple panier de valeurs ou de règles à suivre, « l’éthique est un processus, une méthodologie, une pratique qui nous permet de discerner ce qui est moral de ce qui ne l’est pas. » Thierry Pauchant a suffisamment croisé des gens d’affaires pour savoir que bien des critères peuvent influencer une décision au chapitre du « bien » et du « mal ». Tout le monde veut faire des affaires avec la Chine, le Mexique ou l’Inde, explique-t-il. En même temps, peu d’entrepreneurs nord-américains sont à l’aise avec la tradition des « dessous de table », très courante dans ces pays. Alors comment faire ?
Le professeur, qui enseigne aussi à la Fielding Graduate University de Santa Barbara en Californie, où il est professeur associé, réfléchit à ces questions et à beaucoup d’autres… Mais ne comptez pas sur lui pour trancher à votre place : pour les 700 étudiants de HEC Montréal qu’il forme chaque année ou les dirigeants d’entreprises qui demandent ses conseils -, il a mis au point une formation, basée sur le dialogue, qui les met en contact avec plusieurs des 50 grandes écoles d’éthique du globe : Platon, Confucius, Henry Ford, Milton Friedman ou Anita Roddick, Francisco van der Hoff ou Simone Weil…
Thierry Pauchant juxtapose les réponses des uns et des autres aux mêmes problèmes éthiques – par exemple, comment ces personnes auraient-elles traité la question de la sous-traitance de la production de nos produits dans des ateliers asiatiques, par exemple ? Dans sa liste, plusieurs noms sont de grands leaders spirituels – Moïse par exemple, reconnu comme un grand prophète par les trois grandes religions monothéistes. « Je peux aborder les questions spirituelles et les réponses des grandes traditions, sans heurter personne, parce que j’intègre aussi les approches d’un Machiavel ou d’une Simone de Beauvoir », explique-t-il. Mais comment échapper à une sorte de relativisme général, qui peut à la longue éloigner le cœur de ce qui l’anime – et pour nous chrétiens, de la foi ? « La morale est une réponse tentative, rappelle Thierry Pauchant. Ce qui fait la grandeur d’un leader comme Gandhi, c’est qu’il se donnait à 100 % dans un engagement, une conviction, et pouvait très bien en changer s’il voyait que cela ne l’amenait pas à une vérité plus grande. » Dialogue, remise en question et engagement éthique: avec ces trois clefs bien en main, le professeur-chercheur, comme tout être qui mène une réelle quête de sens, peut donc avancer dans les méandres incertains de la vie. Thierry Pauchant est d’ailleurs passionné par la manière dont les grands leaders, animés d’une vie intérieure intense, ont répondu aux défis de leurs temps. Il a mis en route une équipe de recherche pour dresser 100 « leadographies », qui montreront à partir de critères très précis comment les Dalaï Lama, Nelson Mandela, Martin Luther King et autre Eleanor Roosevelt sont devenus des « leaders intégraux » – pour nous inspirer. Lui-même s’est gardé Jésus de Nazareth, Gandhi et Mère Teresa. Récemment, par exemple, il était en Inde, en tant que bénévole, et rencontrer des témoins qui l’aideront à comprendre comment la religieuse albanaise a réussi à mettre sur pied une des organisations les plus efficaces dans le domaine de la charité. Avec, comme capital, la seule force de l’Amour.
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