Le terrorisme n’a pas de religion ! Jamel Debbouze

 

Attaques terroristes: La laïcité et le fait religieux restent sous-abordés à l’école

Fait-Religieux-Enseignement

A l’école Louis-Aragon de Pantin, un élève travaille sur la charte de la laïcité, le 9 décembre 2014. – EREZ LICHTFELD/SIPA

Eviter les amalgames, promouvoir à nouveau la laïcité, contrer les réactions hostiles face aux hommages aux victimes… Quelques jours après les attaques terroristes qui ont endeuillé la France, la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem, a consulté ce lundi matin les syndicats de l’éducation et les fédérations de parents pour «préparer une mobilisation renforcée de l’école pour les valeurs de la République». L’occasion de discuter aussi de la manière d’aborder la laïcité et le fait religieux à l’école.

Car pour l’heure, ces questions semblent sous-traitées dans les établissements. Les élèves du primaire bénéficient d’une instruction morale et civique à l’école, où les différentes religions et la laïcité ne sont que survolées. Au collège, les élèves suivent aussi un enseignement d’éducation civique par leurs professeurs d’histoire-géographie et au lycée, un enseignement d’éducation civique, juridique et sociale est généralement dispensé par les mêmes enseignants. La laïcité fait partie du programme, mais elle n’est souvent abordée qu’en coup de vent. «Par ailleurs, ces heures servent souvent de variables d’ajustement aux enseignants pour finir d’aborder le programme. Et au bac, cet enseignement n’est pas évalué, ce qui le fragilise», explique Pierre Kahn, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Caen Basse-Normandie.

«La méconnaissance est source de haine»

Idem concernant le fait religieux. «Depuis 1996, il est introduit par le biais d’autres disciplines (littérature, art et histoire) au collège et au lycée, mais il ne fait pas l’objet d’un enseignement spécifique», souligne Clémentine Vivarelli, docteur en sociologie spécialiste de la laïcité à l’école. Conséquence selon elle: «On n’aborde pas les religions dans leur dimension contemporaine (les faits religieux dans l’actualité, les pratiques religieuses…) et on reste sur des discours stéréotypés que ne s’approprient pas les élèves». Ces derniers manquent ainsi d’outils pour comprendre les différentes religions, ce qui peut entraîner des conflits confessionnels entre eux. Et lorsqu’ils sont interrogés sur le sujet par leurs élèves, certains enseignants préfèrent parfois botter en touche que de risquer d’attirer les foudres des parents d’élèves et de leurs parents.

Pour la chercheuse, il serait pourtant nécessaire «d’aborder le fait religieux de manière critique, distanciée, scientifique car la méconnaissance est source de haine». Des associations interviennent parfois dans certains établissements pour aborder la lutte contre les discriminations et l’identité religieuse. «Mais ces initiatives sont trop rares», souligne Clémentine Vivarelli. En novembre, la sénatrice EELV Esther Benbassa et son collègue de l’UMP Jean-René Lecerf avaient d’ailleurs proposé que le fait religieux soit enseigné dès l’école primaire. De son côté, Pierre Kahn estime aussi qu’il faudrait «renforcer la formation des enseignants afin de les aider à mieux aborder le fait religieux à l’école et de pouvoir désamorcer certains conflits entre les élèves».

A la rentrée 2015, les choses devraient cependant commencer à changer car un nouvel enseignement moral et civique sera initié dans les classes du primaire jusqu’au lycée et dans toutes les sections.A la tête du groupe d’experts chargés de concevoir ces programmes, Pierre Kahn estime qu’ils permettront de mieux aborder la laïcité et la manière dont les religions peuvent coexister dans l’espace public.

Publié par Delphine Bancaud – Créé le 12/01/2015 à 19h58 – Mis à jour le 12/01/2015 à 21h27

Pour en savoir plus : http://www.20minutes.fr

 

Rafaël Liogier sur la polémique des crèches : « On est dans la confusion totale »

RafaelLiogier

Raphaël Liogier est professeur de sociologie à Sciences Po Aix. Directeur du Master « Religion et société ».

Entretien avec Rafaël Liogier :

Cette polémique autour des crèches est-elle ridicule ou dans l’air du temps ?
Raphaël Liogier : « Les deux ! C’est aussi l’air du temps qui est ridicule. On est dans la confusion totale sur le contenu de la loi de 1905. D’abord, celle-ci acte la séparation de l’Église et de l’État. En aucune façon, celle du politique et du religieux, sinon le Parti démocrate chrétien serait interdit ! Avec cette loi, on signifie à l’Église qu’elle ne doit pas faire d’ingérence dans la chose publique et à l’État qu’il ne peut financer des églises, sauf en cas de problèmes sanitaires ou de sécurité. Ensuite, la loi de 1905 exprime un principe d’égalité dans l’expression de toutes les religions et non pas leur interdiction. Enfin, la neutralité s’impose aux agents publics et non pas aux lieux publics. Dire le contraire est choquant et un non-sens : l’espace public ne peut être neutre car cette loi consacre au contraire la liberté d’expression des cultes. Ce sont les représentants de l’État qui doivent rester neutres. »

En affichant ostensiblement une croix sur sa poitrine, Maryse Joissains-Masini transgresse-t-elle le principe de neutralité imposé par la loi ?
R.L. : « Sa croix peut être critiquable car elle est officier public. Elle représente la République et les forces de l’ordre sur le territoire d’Aix. Elle se doit d’être neutre. »

Ce débat ne signifie-t-il pas que la société ne souhaite plus voir de signes ostentatoires de traditions cultuelles mais aussi culturelles ?
R.L. : « Cette confusion ne se fait pas au hasard. On se rend compte, depuis les années 2000, que les sociétés européennes sont en crise d’identité : elles sont atteintes sur le plan économique et dans leur image d’elles-mêmes. Progressivement, la laïcité, au lieu d’être un principe, a glissé vers un instrument de défense de notre identité nationale. On est dans le populisme, où des gens s’expriment au nom du peuple tout entier. Le Front national de Marine Le Pen, par exemple, défend une laïcité vidée de son contenu pour attaquer la religion musulmane mais comme il est populiste, il reste attaché aux valeurs judeo-chrétiennes. Il est à la fois progressiste et traditionaliste pour tout attraper. »

Et la libre-pensée que souhaite-elle ? Agit-elle par souci d’équité ou est-elle animée par une volonté de gommer toute différence entre les cultures ?
R.L. : « C’est une fange de la gauche républicaniste et athée qui fantasme une République parfaite nettoyée de tous signes religieux. Non seulement c’est impossible à faire, mais cela n’a jamais été le but de la loi de 1905. La tradition chrétienne a été là, persistante pendant des siècles. Tout ceci est le signe d’une crise identitaire où on essaie de trouver des coupables. Tout le monde suspecte tout le monde de vouloir détruire son identité. »

Au final, la crèche est-elle un emblème religieux ou l’expression d’une tradition culturelle ?
R.L. : « Ça dépend de qui regarde. Mais c’est avant tout un lieu de rencontres et de festivités. Regardez le Père Noël ! C’est à Shanghai et Téhéran qu’il y en a le plus et pourtant ces deux villes ne sont pas réputées pour être un haut lieu du christianisme ! Par ailleurs, de plus en plus de personnages décalés apparaissent dans les crèches… Encore une fois, l’esprit de 1905 n’est pas de faire table rase mais de trouver des compromis. 1905, c’est de la négociation. »

Le santon, éternel sujet de polémique…

Cette année, il a fait le buzz, mais la polémique ne date pas d’hier. En 1563, le Concile de Trente, exigeant plus de rigueur dans l’expression de la foi des fidèles, avait interdit le boeuf et l’âne dans la Pastorale ! Deux santons aujourd’hui incontournables, à condition de ne pas être « tunisiens »…

Ces santons créés à la chaîne se sont attiré les foudres des adeptes du made in France, voire du made in Provence, renvoyant aux grincements de dents des puristes lorsque Fernandel ou autres figures contemporaines sont apparues à côté des Rois mages. À Aix, les six santonniers habilités pour la foire revendiquent « rester dans la pure tradition de la pastorale », en élargissant un peu à la Provence. On y met le maire et le curé mais pas encore de figurine à l’effigie de Maryse Joissains. À Marseille, plus rebelle, le pas a été franchi dans la mairie des 2e et 3e arr.

On y fait crécher ensemble Religion et République. Le maire de secteur, Lisette Narducci (div. gauche), arborant fièrement son écharpe tricolore, trône à l’entrée de la grotte de la Nativité. Et cette « crèche républicaine » n’a encore pas été vouée aux gémonies par la libre-pensée…

Laetitia Sariroglou

Pour en savoir plus : http://www.laprovence.com

Religion vs laïcité : la guerre des crèches n’aura pas lieu à Aix

Crèche-Mairie

Si les crèches sont bannies de certains lieux publics, certains santonniers aixois ne rechignent pas à proposer une mairie à côté de la grotte ou de l’étable. Photo Edouard Coulot

Attention, sujet explosif juste avant la trêve des confiseurs : faut-il faire une croix sur les crèches dans les lieux publics ? La libre-pensée s’est lancée dans une croisade rejaillissant sur le front politique. Gauche et droite, y compris dans le même camp, s’écharpent sur l’autel de la laïcité.

Et même l’Église de France, face à l’ampleur de la polémique, a dû prôner l’apaisement en affirmant que la crèche touche « la population d’un point de vue affectif bien plus large que sa signification religieuse ». « Le jour où notre société n’aura plus que la crèche à craindre est loin de se lever », a ironisé son porte-parole, Mgr Bernard Podvin. Société, d’ailleurs, qui fête de plus en plus ostensiblement Halloween, y compris dans les édifices publics…

Jusqu’ici, à Aix, on ne s’était pas vraiment posé la question de savoir si « la dimension culturelle et universelle des crèches transcendait ses origines chrétiennes ». Économie, patrimoine et tradition, sur fond de religion, cohabitent sans heurt. Et les élus aixois sont au côté des hommes d’église lors de la bénédiction des calissons, ainsi que de la foire aux santons, sans que la libre-pensée y voie de mauvaises intentions…

« La France est un pays judéo-chrétien »

Mais face à la menace qui guette le santon depuis la décision du tribunal administratif de Nantes, ordonnant le retrait d’une crèche installée dans le conseil général de Vendée, les santonniers sont montés au front.

Avec en chef de file, la Maison Fouque appelant « au soutien et à la défense de la tradition provençale », dans un communiqué. « Le respect de la laïcité n’est pas l’abandon de toutes nos traditions et la coupure avec nos racines culturelles, s’insurge la Maison Fouque. L’argument culturel de la crèche est particulièrement valide pour la crèche provençale, car celle-ci ne se limite pas à une pratique religieuse mais beaucoup plus généralement à une tradition provençale. »

« La France est un pays judéo-chrétien, martèle, à son tour, le maire UMP, Maryse Joissains qui arbore, n’en déplaise, une croix autour du cou « depuis toujours ». « Donc, nous avons des traditions et une histoire. Et la crèche fait partie de l’Histoire de France. Quant à moi, je suis catholique et je l’assume. » D’ailleurs, si le Petit Jésus n’a jamais été installé en mairie, il a toujours eu droit à l’office de tourisme. Sauf cette année pour cause de déménagement. « Mais j’y veillerai pour l’an prochain », affirme-t-elle.

Christian Kert dénonce « les Ayatollahs de la laïcité » 

Sur son blog, le député UMP Christian Kert dénonce « les Ayatollahs de la laïcité » et Bruno Genzana, conseiller général UDI, rappelle obtenir « depuis vingt ans des concerts de Noël dans son canton ». Cette année, l’élu invitait même les adeptes à venir écouter « Minuit chrétien » ou « Il est né le divin enfant » en l’église Saint-Jean-de-Malte, le 7 décembre dernier…

La libre-pensée a-t-elle fermé les yeux ou est-elle mal informée ? Quand se penchera-t-elle sur le décolleté de Maryse Joissains, les calissons bénis à Aix (et les navettes à Marseille), la messe des gendarmes pour honorer « leur patronne » Geneviève, les 15 août et 25 décembre notamment imposés en jours fériés aux agents publics, la messe du dimanche diffusée sur le service public… ? Peut-être même que les libres-penseurs vont désormais imposer une nouvelle façon de compter le temps…

Prendre la naissance de Jésus-Christ comme point de départ ne va-t-il pas à l’encontre du « sacro-saint principe de laïcité » ? Qui sait si un jour le Conseil d’État ne sera pas saisi de cette question cruciale…

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« La laïcité, c’est une notion perplexe »

L’association Enquête expérimente un nouveau format : « Apprendre par la recherche » avec un public adolescent. Lola Petit, doctorante en sciences sociales des religions, anime cet atelier. Elle raconte la deuxième séance de l’atelier, un soir, dans un centre social parisien.

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Problème de planning, six filles avaient indiqué préférer le vendredi, mais c’est visiblement compliqué. Finalement, elles optent pour le mardi. L’atelier d’aujourd’hui commence un peu en retard car elles tardent à arriver. Les jeunes filles ont 13 ans, et sont toutes en 4e.

Initiation à la recherche

Pour commencer, distribution d’un petit questionnaire (QCM) qui nous permettra d’évaluer le chemin parcouru entre le début et la fin de l’année. Elles doivent répondre« Vrai » ou « Faux » ; « D’accord », « Pas d’accord » aux affirmations proposées. Cela les amuse d’y répondre.

Isma commence avec « Selon toi, la laïcité est-elle une bonne chose ? » : « Ben, la laïcité, c’est une notion perplexe, je ne sais pas si c’est bien, je vais entourer le slash entre vrai et faux ». Dianké et Imenne enchaînent en choeur sur une question abordant un stéréotype« Les musulmans, facile de les reconnaître dans la rue ? » « Ben, oui, on les reconnaît, surtout à certains moment, le vendredi pas exemple. » Pour autant, après avoir choisi la réponse « D’accord », elles prennent le temps de la réflexion et ajoutent « Mais en même temps, pas d’accord parce que il y en a, on ne sait pas juste en les regardant. Donc, on va mettre « d’accord » et « pas d’accord » ». Imenne poursuit avec une question abordant un autre stéréotype, « Les juifs sont-ils tous pareils ? » « Ben oui  ». Je rebondis : « Ah bon ? En quoi sont-ils tous pareils ? ». « Ils ont tous la même tête ».

Sid, l’animateur du centre qui assiste à l’atelier, intervient et leur demande si elles connaissent le présentateur Cyril Hanouna. Elles s’exclament « Oui, il est trop drôle ». Sid n’ajoute rien (ce que je trouve bien, il sait que la question suffit à enclencher la réflexion !) De mon côté, j’ignore s’il est juif ou non, mais l’exemple de cette personne semble leur parler). Imenne très étonnée se demande à voix haute « Il est juif  ? Mais non, il est marocain, c’est pas possible ». Je lui demande : « Tu penses qu’on ne peut pas être juif et marocain ? ». Elle réfléchit, se plonge dans ses pensées et réalise que c’est possible. Le processus est visible : elle comprend d’elle-même, comme si elle ne s’était jamais posé la question, et qu’en se la posant pour la première fois, elle trouvait la réponse d’elle-même.

« Jésus ? Mais si il a existé : j’ai vu un film sur lui ! »

Isma formule alors une réflexion très pertinente sur une question du QCM, concernant la judaïté de Jésus : « Mais tu es d’accord qu’on ne sait pas si Jésus a existé, alors moi je peux pas répondre à la question s’il était juif. » Je lui dis : « Tu viens de réfléchir en chercheuse, tu as analysé la formulation même de la question et réalisé qu’elle pouvait poser problème ! » Une sorte de déformation professionnelle de chercheur, celle qui me pousse à toujours douter de tout, je me replonge (une seconde) dans mes études d’histoire, les débats sur l’existence historique de Jésus, la multiplicité des prophètes à cette époque, etc. Mais je n’ai pas le temps de peaufiner la réponse que je peux lui apporter car Dianké intervient : « Mais si il a existé, j’ai vu un film sur lui ! ».

S’en suit une discussion sur le cinéma, la réalité, jouer la réalité et je me dis que c’est l’occasion de parler du travail des historiens et des sources qu’ils utilisent. J’explique que l’historien, pour savoir si un personnage a existé ou un événement a vraiment eu lieu, ne croit pas sur parole les témoins, ni ce qui est raconté. Il se sert de nombreux témoignages, croisés avec des traces archéologiques, matérielles… Plus il existe de témoignages convergents, plus il y a de chances que le personnage ait existé. Pour autant, un historien ne décrétera que quelqu’un ou quelque chose a vraiment existé, que s’il a assez de sources, qu’elles sont suffisamment fiables et surtout qu’il existe des traces.

Isma note alors dans le cahier – cahier pour le moment commun au groupe, je leur en donnerai un à chacune la prochaine fois – une de ses questions : « Pourquoi le voile a été interdit ? », ainsi qu’une autre, énoncée par Djeneba « Pourquoi les jours fériés sont des jours chrétiens alors que la France est laïque ? » Elles sont très malignes les filles. Qu’est-ce je réponds à des questions aussi pertinentes ?

J’indique à Isma que je ne peux pas répondre à toutes les questions, d’abord parce que je ne sais pas tout, mais aussi parce que, pour le moment, notre travail ensemble, c’est de se poser des questions, des questions bien formulées, et que nous verrons plus tard pour les réponses. Je leur signifie juste que leurs questions sont excellentes, qu’elles font de bonnes chercheuses.

Imenne note une autre question sur un post-it, collé dans le cahier : « Est-ce que Mahomet a existé ? ». Question à laquelle Djeneba ajoute : « Jésus a-t-il existé ? ».

Enquête VS prosélytisme

Ces deux questions me renvoient à mes propres interrogations. Le travail du chercheur consiste à décrypter la complexité de la question qu’il étudie, à étudier la multiplicité des facteurs et leur coexistence, mais comment simplifier pour des ados sans oublier que je suis là pour les amener, par le questionnement, à entrevoir cette complexité ? Pour ce qui est de Jésus, je suis embêtée, et me dis, après coup, que j’aurais dû leur indiquer qu’aujourd’hui nous avons des preuves de sa probable existence. J’ai préféré leur demander si, pour les sociologues en herbe qu’elles sont, la question qui les intéresse n’est pas plutôt d’observer le comportement de ceux pour qui Jésus (qu’il ait existé ou non) est important. De voir quelles implications ça a sur leurs comportements dans la vie en société. Idem pour Mahomet.
Je les vois, là devant moi, en train de s’approprier la question que je viens de leur poser, je les vois comprendre par elles-mêmes que le réel et le symbolique sont deux choses différentes et que le rôle du chercheur est d’étudier leurs recoupements.

On est en fin de séance ; elles ne veulent pourtant plus s’arrêter de poser ou plutôt d’exprimer leurs questions. Je leur rappelle qu’il faudrait qu’on décide du projet de recherche, à la fois sur le fond et sur la forme, pour canaliser notre travail. Elles ont envie de réaliser une enquête dans le quartier, de poser des questions aux gens. J’acquiesce mais j’ajoute qu’il faut définir une question, une problématique précise, pour pouvoir créer un questionnaire d’enquête.

Émilie se demande alors : « Comme ceux qui sont dans la rue là, qui veulent parler aux gens, leur donner des tracts ? ». Je lui réponds : « Non justement, pas comme eux, parce que les gens dans la rue qui parle de leur religion pour faire du prosélytisme, ce ne sont pas des chercheurs. D’ailleurs, c’est quoi du prosélytisme ? ». Silence, surprenant, alors que le niveau sonore est élevé depuis 30 minutes. Elles disent qu’elles ne savent pas. Je demande quand-même à Émilie d’essayer de définir le mot. Peu sûre d’elle, elle avance :« C’est quand on veut convaincre l’autre, le convertir ». « Bravo ! Tu vois que tu sais ce que c’est, tu as bien fait d’essayer et de le dire ». Sid en rajoute une couche : « Moi, je n’aurai pas su comment le définir, je n’aurais pas dit mieux ». Émilie est très fière.

Regarder le monde, autrement

Fin de la séance. « Jusqu’à la prochaine fois, regardez autour de vous dans votre quotidien ce qui a trait aux religions, en sociologues. Et la prochaine séance, vous me direz quelles questions vous vous êtes posées. »

Super atelier. Les participantes sont motivées, intelligentes, perspicaces et drôles. Il y a une matière géniale. Le problème est celui de cadrer ces discussions. Les questions jaillissent au cours de nos échanges mais on n’a pas encore eu le temps de poser une méthode, de noter systématiquement les questions et de les creuser. Pour Sid, c’est normal, c’est déjà super, ça va prendre un peu de temps.
La suite au prochain épisode, mardi prochain donc…

 

Pour en savoir plus : http://www.fait-religieux.com

 

Où s’arrête l’intégrisme laïque ?

CrècheNoël
Si l’on veut enlever tous les signes religieux de l’espace public, il y a du boulot… © Daniel Karmann / AFP

La crèche de Noël installée dans le hall du conseil général de Vendée, à La Roche-sur-Yon, est « incompatible avec le principe de neutralité du service public ». Ainsi en a décidé le tribunal administratif de Nantes à la suite d’un recours de la fédération locale de la Libre pensée, organisation qui, à n’en pas douter, compte en terre vendéenne des milliers d’adhérents. Soit. Dura lex, sed lex. Mais pourquoi donc s’arrêter en si bon chemin ? Pas de demi-mesures quand on combat l’obscurantisme clérical ! Les ayatollahs du laïcisme ne doivent pas baisser les bras. L’infâme, pour reprendre une terminologie voltairienne, n’a qu’à bien se tenir…

Il faut impérativement extirper tout signe religieux de l’espace public. Les calvaires qui jalonnent l’Hexagone – et singulièrement l’ouest de la France – sont autant d’atteintes à la laïcité. Détruisons-les dans les meilleurs délais. Les clochers sont une provocation ouverte : arasons-les ! Même traitement, bien sûr, pour le minaret (33 mètres) de la Grande Mosquée de Paris voulue par le maréchal Liautey. Sans oublier la Grande Synagogue de la rue de la victoire (à Paris) où figure, à l’entrée, un verset de la Genèse qu’il est urgent d’effacer.

S’attaquer aux noms de commune !

Proclamons la loi martiale pour interdire les pardons en Bretagne, les processions à Lourdes. La police devra veiller à ce qu’aucun signe religieux, croix, chandelier à sept branches, mezouza, étoile de David ne puissent être imposés à la vue des passants d’une rue. Surveillons de près les boucheries hallal où traînerait un coran visible depuis l’extérieur. Gare au boulanger qui s’aviserait de mettre entre deux miches le petit Jésus encadré de Marie et Joseph flanqués d’un boeuf et d’un âne.

Il y a aussi les noms de milliers de nos communes qui posent problème. De Saint-Tropez à Saint-Jean-de-Luz ou Saint-Amand-les-Eaux, il y a du pain sur la planche. Il faudra ensuite s’attaquer aux rues portant des noms de saints. Les rues des Saints-Pères ou Saint-Dominique (à Paris) n’en ont plus pour longtemps. Il faudra trouver un autre nom au lycée Saint-Louis. Les musées – ce sont des espaces publics – devront être nettoyés de leurs fatras cléricaux genre vierge à l’enfant ou scène de l’apocalypse.

Enfin, notre vocabulaire devra être expurgé. Plus question de jurer en invoquant le nom de Dieu ou de prétendre le préférer à ses saints, de vouloir séparer le bon grain de l’ivraie. Le vocable « chemin de croix » devra être remplacé par « subir de dures épreuves consécutives ». Juda sera définitivement oublié et le mot « traître » retrouvera toute sa force. Le jugement de Salomon sera, évidemment, banni. Mais la sottise, elle, a encore de beaux jours devant elle..

 

Par PIERRE BEYLAU

Pour en savoir plus : http://www.lepoint.fr

Vivre dans une société plurielle

EstherBenbassa

Le titre de cette table ronde interroge l’universitaire que je suis restée et la politicienne que je suis devenue. Ainsi suis-je entrée de plain pied dans un univers où les mots semblent changer de connotations en fonction de la perception qu’en ont les différentes sensibilités politiques. En France, où on a l’habitude depuis l’affaire Dreyfus de diviser l’espace politique entre droite et gauche, ces connotations varient à l’intérieur même de la gauche, qui ne donne d’ailleurs pas le même sens à ces concepts quand elle est au pouvoir ou dans l’opposition. Et il suffit bien souvent de dire « minorités » et « diversité » religieuse pour que de vagues slogans républicains soient immédiatement brandis pour occulter ce que ces mots veulent dire. Puisque la République est égalitaire, il n’y aurait pas, à ses yeux, de minorités, et la diversité religieuse n’y serait éventuellement tolérée que tant qu’elle reste confinée à l’espace privé, la « laïcité », dernière valeur rassembleuse encore en vie, étant mise en exergue pour verrouiller le débat public.

Les discriminations perdurent

Certes, la société française est une société plurielle, ne serait-ce que par sa composition, comme bien d’autres sociétés démocratiques. Est-elle pour autant pluraliste? Cette question reste au cœur du débat, surtout en cette période de grandes turbulences économiques et de chômage, qui porte les politiciens, à défaut de programme susceptible d’endiguer ces maux, à se focaliser sur « la question des minorités ». Des minorités qui, en fait, la plupart du temps, ne devraient pas être réduites à ce statut, puisque désormais constituées de personnes nées en France et parfaitement françaises, mais qui, en raison des discriminations qu’elles subissent à cause de leur prénoms, patronymes, couleur de peau, religion (islam) et/ou adresse, dans maints domaines, de l’école jusqu’à l’emploi, en passant par le logement ou le contrôle d’identité au faciès, se considèrent elles-mêmes comme « minoritaires ». Les pouvoirs publics, de leur côté, tendent à valider et à renforcer ce statut de « minoritaires ».

Le vrai problème des « minorités » est d’être perçues comme non « autochtones ». Le nationalisme exacerbé qui se développe, dans un contexte socio-économique dur, renforce le rejet. Et il encourage les politiciens à faire mine de ne pas voir que ce rejet est lourd de conséquences. On ne commence à en prendre conscience que lorsque de jeunes musulmans s’enrôlent dans le djihadisme. Mais même dans ce cas, on préfère produire des lois exclusivement répressives, sans se donner la peine de travailler en amont, pour éviter à ces jeunes de devenir étrangers à une République dont les valeurs leur parlent de moins en moins.

Notre pays rechigne à mesurer les discriminations par crainte d' »assigner » les individus à une identité de groupe et de favoriser le « communautarisme », cet épouvantail ressorti régulièrement de sa boîte pour faire peur. Ce faisant, il s’évite de reconnaître que l’absence d’efforts consentis pour faire émerger une société réellement inclusive a déjà encouragé le repli des musulmans, notamment, sur leur groupe religieux, et ouvert la voie à l’endoctrinement de certains par des éléments qu’on n’a pas su repérer à temps. Que dire des dégâts observés dès l’école, où l’échec des enfants de minoritaires paraît programmé? Ou encore du chômage, de la précarité et de la pauvreté qui frappent tant d’entre eux, à un niveau évidemment supérieur aux Français dits « autochtones »?

Les solutions de la discrimination positive

Il est plus urgent que jamais de se résoudre à obtenir une radiographie de ces discriminations, pour tenter de mettre en œuvre les moyens d’en amortir les effets. Mesurer les obstacles, préciser leur nature permettra de déployer des mesures pour les combattre efficacement. Y compris la « discrimination positive », laquelle suscite immédiatement des débats virulents, à tort, et à laquelle on oppose trop facilement le principe républicain d’égalité. Comme si la réaffirmation incantatoire de ce principe était un remède miraculeux, alors qu’il n’est qu’un principe, justement, dont ne se prévalent, justement, que ceux qui ne subissent pas les discriminations. Si la discrimination positive n’est pas une panacée, ne peut-on au moins admettre qu’elle est en mesure de débloquer, dans un premier temps, pour certains, l’ascenseur social ? La discrimination positive, légalement décrétée pour bousculer l’inégalité dont pâtissent les femmes, n’a-t-elle pas permis d’obtenir quelques résultats appréciables ?

Statistiques ethniques, discrimination positive, on dirait que la polémique ne sert qu’à empêcher le débat. J’en ai encore récemment fait l’expérience en rédigeant, pour la Commission des Lois du Sénat, avec mon collègue UMP Jean-René Lecerf, après une quarantaine d’heures d’auditions dont celles de 14 universitaires, un rapport relatif à la lutte contre les discriminations qui, parmi une bonne dizaine d’autres, formulait une proposition pourtant bien modeste: la création, tous les cinq ans, dans le recensement, d’une case permettant d’indiquer le lieu de naissance des ascendants et la nationalité antérieure. Le but? Non seulement mesurer la diversité de la société française, mais aussi mesurer indirectement les discriminations dont pâtissent certains de nos concitoyens, tout en encadrant avec soin le recueil et l’utilisation les données.

Nous avons également appelé à la création de carrés musulmans dans les cimetières à l’instar des carrés juifs déjà existants pour éviter aux familles de défunts musulmans d’avoir à procéder à des dépenses importantes pour inhumer leurs proches dans le pays d’origine. L’opposition qu’a soulevée cette préconisation a une fois de plus montré combien notre corps politique reste réticent au pluralisme religieux, et à l’inclusion des musulmans, même morts. Seule notre proposition d’un approfondissement et d’une réorganisation de l’enseignement laïc du fait religieux a suscité une polémique comparable au Sénat. Et pourtant, l’apprentissage de la diversité, à travers l’acquisition, dans un cadre républicain, d’un vrai savoir, n’ouvre-t-il pas la voie à un réel vivre-ensemble ? Notre rapport a finalement été voté, mais après un long et houleux débat, et après, dans un premier temps, un report du vote, ce qui est tout à fait exceptionnel à la Haute Assemblée.

L’urgence du pluralisme

En cette période de radicalisation des positions exclusivistes, l’Etat doit donner l’exemple, appeler à l’inclusion, sans exiger a priori l’effacement pur et simple des différences et spécificités. Dès lors que nous vivons déjà dans une société plurielle, lancer une dynamique pluraliste volontariste, contre le rejet de l’autre que fabriquent certaines forces politiques, qui ont de surcroît le vent en poupe, aiderait sans nul doute à créer les conditions d’une plus grande solidarité et fraternité entre les Français.

Notons à ce propos qu’aujourd’hui, dans certaines strates de la société, ainsi parmi les jeunes, la question du pluralisme se pose avec beaucoup moins d’acuité que chez les aînés, simplement parce que celui-ci fait très tôt partie de leur vécu, grâce à une proximité bien plus grande dans leur quotidien avec les minorités dites « visibles ». Le pluralisme comme projet politique ne se décrète pas du jour au lendemain. Il demande de la volonté et du temps. Et une préparation du terrain à laquelle, hélas, ni notre exécutif ni les politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, ne paraissent prêts, tant la hantise des progrès de l’extrême droite paralyse leur action.

 

Pour en savoir plus : http://www.huffingtonpost.fr

 

Bibl. : E. Benbassa, La République face à ses minorités. Les Juifs hier, les Musulmans aujourd’hui, Paris, Mille et Une Nuits / Fayard, 2004 ; E. Benbassa (dir.), Minorités visibles en politique, Paris, CNRS Editions, 2011 ; J.-C. Attias & E. Benbassa (dir.), Encyclopédie des religions, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 2012.

Esther Benbassa est intervenu mardi 25 novembre dans le cadre de la conférence intitulée « Vivre dans une société plurielle : politique, minorités et diversité religieuse. »

Découvrir l’ensemble des textes du festival Mode d’emploi déjà publiés sur le Huffington Post.

Deux semaines de rencontres et de spectacles ouverts à tous, dans toute la Région Rhône-Alpes: interroger le monde d’aujourd’hui avec des penseurs, des chercheurs, des acteurs de la vie publique et des artistes.

– Prendre le temps des questions
– Accepter la confrontation
– Imaginer des solutions
– Trouver le mode d’emploi

Mode d’emploi, un festival des idées, est organisé par la Villa Gillet en coréalisation avec les Subsistances, avec le soutien du Centre national du livre, de la Région Rhône-Alpes et du Grand Lyon.

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Décès d’Emile Poulat, sociologue du catholicisme et de la laïcité

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L’historien et sociologue Emile Poulat, décoré de la Légion d’honneur, le 9 décembre 2012 lors d’une cérémonie à l’Elysée, à Paris (Photo Bertrand Langlois. AFP)

 

Emile Poulat, figure de la sociologie du fait religieux en France dans la seconde moitié du XXe siècle, spécialiste du catholicisme et de la laïcité, est mort samedi à Paris à l’âge de 94 ans, a annoncé la communauté de Sant’Egidio.

«Avec lui disparaît un illustre savant, une mémoire du XXe siècle et de l’Eglise et un fidèle compagnon de la Communauté de Sant’Egidio», écrit dans un communiqué cette association internationale de laïcs basée à Rome, très engagée dans le dialogue interreligieux.

Né le 13 juin 1920 à Lyon dans une famille très catholique, réfractaire au STO durant la guerre, Emile Poulat a été ordonné prêtre en mars 1945 (BIEN 1945) à Notre-Dame de Paris. Prêtre «au travail» (dans une compagnie d’assurances, un laboratoire d’électrochimie), il partage les positions progressistes des prêtres-ouvriers insoumis à Rome, sur lesquels il écrira plusieurs ouvrages. Rayé de la liste des prêtres du diocèse de Paris en 1954, il quitte le clergé et se marie l’année suivante.

Docteur en théologie en 1950, Emile Poulat a été le cofondateur du premier groupe de sociologie des religions au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) dès 1954, huit ans avant de soutenir en Sorbonne sa thèse d’Etat sur la «crise moderniste» dans l’Eglise, l’un des sujets de prédilection de cet historien du catholicisme contemporain.

Son oeuvre, considérable (une trentaine de livres, des centaines d’articles) et qui couvre plus d’un demi-siècle, s’est aussi focalisée sur l’analyse de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat, socle de la laïcité à la française dont il a été un défenseur infatigable, louant son équilibre.

Longtemps directeur de recherche au CNRS (1968-1987) et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS, 1978-2007), Emile Poulat était officier de la Légion d’honneur, dont le président François Hollande lui a remis les insignes le 9 décembre 2012, jour anniversaire de la loi de 1905. Le chef de l’Etat a salué dimanche matin dans un communiqué «un esprit libre» et «un infatigable défenseur des valeurs de la République».

«Proche de la communauté de Sant’Egidio et de son fondateur Andrea Riccardi depuis les années 1970, Emile Poulat était, avec son épouse Odile, un fidèle participant aux rencontres annuelles de prières et de dialogue pour la paix organisées depuis 1986 dans l’Esprit d’Assise», rappelle pour sa part cette association.

«Intellectuel aussi libre que rigoureux, érudit et homme de foi, Emile Poulat a montré par toute sa vie l’exemple d’un art de l’amitié, du dialogue avec tous et de la paix», ajoute la communauté.

Pour en savoir plus : http://www.liberation.fr

 

Méditation laïque, spiritualité laïque : que voulons-nous vraiment ?

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Le terme « laïc » ou « laïque » vient du latin laicus, dont le sens était « qui n’appartient pas au clergé ». Il a été inventé pour distinguer l’homme ou la femme qui n’était pas engagé(e) dans un ordre religieux ou une voie spirituelle spécifique, quelqu’un de libre de toute appartenance religieuse.

On parle beaucoup aujourd’hui de laïcité, tant au niveau du gouvernement que de nombreuses administrations ou encore dans l’univers philosophique, parfois d’une manière qui frise le harcèlement et la sottise. Il y a certes un côté positif si l’on comprend qu’il est important de mettre, effectivement, l’accent sur les qualités humaines, plutôt que sur les méthodes ou les moyens – propres à chacun – propices à les développer.

Néanmoins, quand on parle de « méditation laïque », on peut facilement voir que l’expression est en elle-même une sorte de pléonasme. En effet, il ne viendrait pas à l’idée de quelqu’un de sensé de dire : un feu chaud, une glace froide, une eau mouillée, etc. Si l’on comprend vraiment de quoi on parle, la méditation, la pratique du calme mental est naturellement laïque par essence, puisque toute forme de pensées, y compris religieuse est mise de côté pendant la pratique de la méditation. Elle peut par contre être intégrée à une voie spirituelle authentique, ce qui lui octroie une grande puissance.

L’expression « spiritualité laïque » est aussi un pléonasme, dans la mesure où une spiritualité épanouie est l’objectif véritable d’une religion bien comprise. C’est l’histoire du doigt qui montre la lune. L’important est ce qui est montré, c’est-à-dire la lune, et pas le doigt. Si je me cristallise sur le doigt au point d’en oublier ce qu’il désigne, c’est là que la religion pose un problème. La religion n’est pas laïque, mais le résultat – la spiritualité – est bel et bien laïque. Il ne faut donc pas confondre religion et spiritualités. La religion concerne le moyen utilisé, le spirituel est le fruit.

Quand on a eu la chance dans sa vie d’être en contact avec de vrais mystiques – ce qui a été mon cas –, on voit tout naturellement que ce qui prime chez eux, ce sont leurs profondes qualités humaines : amour, bonté, générosité, compassion, sagesse, etc, avant même la voie religieuse et spirituelle qu’ils ont parcourue pour en arriver là. Mais pour réaliser cela, ils ont bel et bien suivi un chemin religieux, si l’on comprend le terme religieux comme quelque chose qui nous relie à une profondeur et à une réalité que l’intellect ne peut saisir et appréhender par lui-même. La vraie laïcité est donc le résultat naturel d’un chemin religieux et spirituel bien compris.

De nombreux êtres humains veulent être libres et laïques. La liberté est essentielle, évidemment, il n’y a pas à revenir là-dessus. Mais la liberté qu’ils veulent est bien souvent celle de l’ego, de l’égocentrisme : « Moi ! », avec la laïcité qui lui correspond, c’est-à-dire plutôt médiocre, dans le sens où elle manque de profondeur, d’authenticité et d’un véritable sentiment d’altruisme, dont on peut constater actuellement les effets dévastateurs sur notre planète, ainsi que sur l’être humain lui-même. Je peux en témoigner à travers la consultation de la souffrance que j’anime depuis plusieurs années à l’hôpital.

Il y a ainsi aujourd’hui deux types de laïcité : une superficielle et égocentrée qui se développe dangereusement, cherchant à étouffer toutes formes de religions, même les plus sincères et les plus pures, et une autre beaucoup plus profonde et plus discrète, fruit d’une religion et d’un chemin spirituel purs et authentiques.

La méditation désacralisée

Un autre danger non négligeable réside aujourd’hui dans le développement d’une méditation exclusivement centrée sur le bien-être, au détriment de la dimension sacrée qui a pourtant imprégné l’esprit humain depuis la nuit des temps, avec toute la magnificience qui en a résulté. Une dimension qui donne tout son sens à la Vie. La méditation-bien-être n’est pas un problème en soi, au contraire, si l’on sait exprimer clairement qu’il y a aussi un autre objectif possible de la méditation qui, lui, est purement spirituel – on pourrait dire également, différent, supérieur et bien plus élevé. Il ne faut pas l’oublier. Il suffit juste de le dire et le problème sera partiellement réglé. Encore faut-il avoir le courage et l’honnêteté de le faire dans l’époque actuelle. Ainsi, si la méditation du calme mental (shine, samatha, pleine conscience, MBSR) participe du bien-être ; des pratiques plus avancées de la méditation (vision supérieure, lhakthong, vipassana, mahamoudra, dzogchen) orientent vers le sacré, vers ce qui ne peut être dit, mais seulement vécu et réalisé intimement. Elles impliquent une voie religieuse bien définie et un maître spirituel qui, lui, l’a pleinement parcouru, quelqu’un qui en a vraiment l’expérience. Un homme ou une femme, qui par son amour illimité, a cette merveilleuse capacité à dissoudre les derniers voiles qui séparent le disciple mûr de cet océan d’amour dont on ne peut exprimer le nom.

En réalité, c’est là que débute la vraie méditation, au seuil de cette ultime nudité, la « sainte simplicité » de nos Anciens, de nos Aînés sur la Voie. Ainsi, si l’on n’y prend garde, désacraliser la méditation ou nier cet aspect sacré, la réduire à un simple anxiolytique, reviendrait finalement à priver les générations futures d’une source de bonheur et d’émerveillement incroyables et inconcevables et pourtant si réels, si vrais, si vastes. Alors, que voulons-nous vraiment et sommes-nous prêts à assumer les conséquences de nos choix vis-à-vis des générations à venir ?

Dr Daniel Chevassut – publié le 24/07/2014

Médecin et représentant de la tradition bouddhiste au niveau des hôpitaux de l’Assistance Publique de Marseille, auteur du livre Pour une santé à visage humain… L’art sacré du soin pour les générations à venir (Guy Trédaniel Éditeur, 2014).

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr

Caroline Fourest se range en faveur des mères voilées

Caroline Fourest
Caroline Fourest

Une nouvelle loi d’interdiction générale du voile pour les parents d’élèves, une bien mauvaise idée. Cette position est formulée par l’une des personnalités les plus impopulaires au sein de la communauté musulmane. En réaction aux derniers propos de Najat Vallaud-Belkacem, qui estime que les mères voilées ont le droit d’accompagner les enfants aux sorties scolaires, Caroline Fourest s’est rangée de son côté en prenant acte de l’avis du Conseil d’Etat à ce propos.

Dans une contribution au Huffington Post parue lundi 3 novembre, l’essayiste déclare s’opposer à l’interprétation d’organisations laïques qui perçoivent la position de la ministre de l’Education nationale comme « une démission du politique et une trahison de la laïcité ».

« Autant, la loi de mars 2004 était tout à fait nécessaire pour sortir du cas par cas et sanctuariser l’intérieur de l’école, autant il faut savoir faire preuve de souplesse quand il s’agit des parents et des sorties scolaires. (…) Elle n’est pas là pour enseigner un modèle absolu mais le droit au doute », juge-t-elle.

« Les élèves ont bien conscience que les accompagnateurs sont les parents de leurs camarades et pas des professeurs. Il n’est pas possible de régir leur mode de vie comme s’il s’agissait d’enfants, d’élèves ou de personnels représentant l’institution. Et d’ailleurs, s’il fallait étendre la contrainte aux parents, pourquoi n’interdire que le voile ? (…) Ajouter une clause qui vise uniquement et spécifiquement la tenue de certaines mères n’aura qu’un effet désastreux et contre-performant. Celui de faire haïr la laïcité », dit-elle également.*

Respecter les choix « même rétrogrades »

A-t-elle changé d’avis sur le port du voile ? Que nenni pour celle qui soutient avec vigueur la loi « émancipatrice » de 2004. « Si la République laïque doit encourager l’émancipation et le respect de l’égalité chez chaque citoyen en devenir, elle doit aussi (parce qu’elle est démocratique) respecter ces choix – même rétrogrades – une fois ce citoyen devenu adulte. Y compris le port du voile tant qu’il ne dissimule pas le visage et ne porte pas atteinte à la sécurité publique », signifie l’essayiste. Ainsi, le choix de porter le voile n’en reste pas moins « rétrograde » à ses yeux.

D’autre part, l’abrogation de la circulaire Chatel n’est pas évoquée comme solution pour mettre fin au traitement différencié des parents.

Plutôt que de légiférer contre les convictions des parents, Caroline Fourest, qui a fait appel de sacondamnation pour diffamation pour ses propos contre une victime d’islamophobie à Argenteuil (Val-d’Oise), préfère « résister à l’inflation d’écoles confessionnelles intégristes, parfois sous contrat ».

Les réactions se multiplient depuis la salutaire prise de position de Najat Vallaud-Belkacem. Les mères voilées attendent désormais d’elle l’abrogation de la circulaire.

* Mise à jour : Dans un entretien accordé à Zaman France en octobre 2013, Caroline Fourest s’est aussi exprimé sur le sujet, en déclarant son opposition à l’interdiction faite aux mères voilées d’accompagner les enfants aux sorties scolaires mais également contre l’interdiction du voile à l’université.

Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com