Conseils, formations… Des outils de réflexion et d’action pour promouvoir la laïcité

Elus, enseignants et territoriaux sont souvent démunis face aux demandes liées à des prescriptions religieuses. L’installation d’un comité consultatif laïcité peut les aider.

LaicitéConseil

Avec les enseignants, les élus sont en première ligne face aux sollicitations fondées sur des prescriptions ou des interdits religieux. Ils sont également confrontés à la montée du radicalisme chez certains musulmans. Pour y répondre, plusieurs communes se sont dotées d’outils permettant de mieux former leurs personnels au principe de laïcité.

A l’intention des professionnels

En 2012, la Métro (communauté d’agglomération Grenoble-Alpes métropole) a mis en place un dispositif de « formation-action » à l’égalité et à la laïcité à l’intention des professionnels des communes, associations et institutions (lire ci-dessous). Le 5 février, Rennes a lancé son « comité consultatif laïcité ».

« Aujourd’hui – cela remonte de manière régulière des différentes rencontres – des entreprises, des associations, y compris cultuelles, des administrations même, dont la ville de Rennes, manquent de repères sur la portée concrète et pratique du principe de laïcité. Sa mise en œuvre se heurte au brouillage des lignes entre les sphères privées et publiques », explique Nathalie Appéré, maire de Rennes.

Le comité consultatif laïcité pourra « émettre des avis et se saisir de toute question locale, dans une perspective de conseil, de soutien et d’aiguillon à l’action municipale », et devra rédiger d’ici fin 2015 une « Charte du vivre ensemble ».

Avec la montée de la radicalisation chez certains jeunes musulmans, ces outils sont-ils suffisants ? « Je pense qu’on irrigue, on instille, et on permet que la discussion s’ouvre. Nous sommes sollicités un peu partout dans le département (de l’Isère) », assure Michel Baffert, ancien vice-président de la Métro.

De la laïcité aux valeurs

Pourtant, depuis 2012, la situation sur le terrain a changé. « Les outils du type guides de la laïcité ne permettent pas de prévenir la radicalisation de certains jeunes. Les recruteurs ont affiné leurs techniques et il ne suffit pas de ne pas être discriminant pour les contrer, prévient Dounia Bouzar, anthropologue qui a participé à la conception du dispositif de la Métro. Grenoble est pour moi un exemple de bonne gestion, or c’est aussi une ville où il y a de la radicalité. »

Pour Myriam El Khomri, secrétaire d’Etat à la Ville, « la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, et la lutte contre le racisme, les stigmatisations et l’antisémitisme » doivent pourtant aller de pair. Pour elle, les contrats de ville, qui rassemblent tous les acteurs, collectivités, tissu associatif et habitants des quartiers sensibles, pourraient être un levier d’action. A condition toutefois que soit ajouté aux trois volets existants, la cohésion sociale, l’emploi et le cadre de vie, un quatrième sur les valeurs de la République.

Trois conseils

Former élus et administration

Un personnel mieux formé est plus à même d’apprécier les situations et de savoir comment réagir à des sollicitations fondées sur des prescriptions ou des interdits religieux. Depuis 2013, l’université Lyon 3 et l’université catholique de Lyon, en lien avec l’Institut français de civilisation musulmane et le conseil régional du culte musulman Rhône-Alpes, et avec le soutien de la préfecture du Rhône, proposent un DU (diplôme universitaire) « Religion, liberté religieuse et laïcité ». Le public ciblé comprend agents des administrations (hospitalière, pénitentiaire, éducative, territoriale…), élus, etc. Des cadres managers de la ville de Lyon ont suivi cette formation. Selon Marylise Lebranchu, ce programme devrait inspirer celui que suivront les élèves des instituts régionaux d’administration (IRA).

Organiser le dialogue entre toutes les composantes de la société

Discussion et échanges favorisent des solutions consensuelles aux problèmes que posent parfois les religions. Le 6 février, Rennes a ainsi lancé un « comité consultatif laïcité ». Objectif : « Rendre accessible, lisible, compréhensible » par tous la laïcité et « se saisir de toute question locale, dans une perspective de conseil, de soutien et d’aiguillon à l’action municipale ». « Je pense à la question de l’occupation du domaine public », précise la maire, Nathalie Appéré, qui présidera cette instance. Composé d’élus de toutes les sensibilités du conseil municipal, de représentants des cultes et des mouvements de pensée, d’experts et d’acteurs de terrain, ce comité devrait se réunir à un rythme mensuel et rédiger, d’ici la fin de l’année, une Charte du vivre ensemble qui sera soumise au vote du conseil municipal au premier semestre 2016.

Trouver aide et conseil

Pour aider les familles confrontées à la crainte du départ d’un mineur pour la Syrie, le ministère de l’Intérieur a mis en place un numéro vert, le 0800.005.696. Les élus peuvent également contacter le « référent laïcité » dont sont dotées toutes les préfectures de France. Dans la plupart des cas, il s’agit du directeur de cabinet du préfet. En liaison avec le bureau des cultes du ministère de l’Intérieur, qui dispose d’une base de données juridiques, celui-ci renseignera les élus sur ce que prévoit la loi face à des situations comme une fonctionnaire décidant de porter le voile, une famille exigeant de la viande hallal ou casher à la cantine, etc. Ce référent laïcité est également référent pour la protection des lieux de cultes.

 

Ce que dit la loi.

Jusqu’à maintenant l’obligation de réserve – et de neutralité – à laquelle les fonctionnaires sont soumis est d’origine jurisprudentielle.
Marylise Lebranchu, la ministre de la Réforme de l’Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique entend la fixer dans la loi. Son projet de loi « relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires » consacre ainsi, « pour la première fois dans le droit de la fonction publique, les valeurs fondamentales communes aux agents publics ».
Ainsi des « obligations de neutralité et de réserve » et du « respect du principe de laïcité ». En déplacement le 26 février à Lyon pour présenter ce texte, Marylise Lebranchu a précisé que l’ensemble des élèves des instituts régionaux d’administration (IRA) seront formés à la laïcité dès la rentrée prochaine. Reconnaissant que l’application concrète de ce principe peut poser des difficultés à certains agents, notamment ceux qui sont au contact direct des usagers, la ministre a ajouté qu’elle souhaitait, avant la rédaction définitive de son texte « organiser des rencontres avec les fonctionnaires (…) pour pouvoir répondre à ces difficultés ».
Voir notre cahier « 50 questions sur la laïcité ».

 

Sur le terrain

CA Grenoble-Alpes Métropole : une « formation-action » adaptée
L’idée de proposer une « formation-action » à l’égalité et à la laïcité à l’intention des professionnels des communes, associations et institutions de l’agglomération grenobloise est née d’une demande du terrain.

« Nous avons été sollicités vers 2008 par des animateurs socioculturels. Etant en contact direct avec des populations de quartiers fragilisés, ils ont exprimé le besoin de mieux connaître le principe de laïcité et d’être formés à l’appliquer », rappelle Michel Baffert, ancien vice-président de la Métro(1), et président du GIP « Objectif réussite éducative ».

Les Grenoblois précurseurs
Cette initiative faisait suite à une précédente session de formation, organisée avec la ville de Grenoble en 2010-2011, et intitulée « Gérer le fait religieux sans discriminer ». A l’époque, « les Grenoblois ont été vraiment précurseurs. Depuis d’autres villes ont suivi », assure Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux à laquelle la mise en place de la démarche de la Métro a été confiée.

Concrètement, cette formation-action a pris deux formes : une trentaine de professionnels issus de diverses communes de l’agglomération ont été formés à ces questions au cours de cinq ou six journées réparties sur l’année 2012. Parallèlement, trois séminaires ont été organisés à l’automne 2012. Enfin, un guide pratique censé aider les personnels à répondre aux difficultés d’application du principe de laïcité a été rédigé, qui est toujours en ligne(2).

Directeur de l’association sociosportive grenobloise Kiap, Brahim Wazizi a suivi la formation. « C’était très bien, on a abordé beaucoup de sujets : les repas scolaires, le ramadan, la mixité dans le domaine sportif », rappelle-t-il. Depuis, la formation n’a pas été reconduite, or « beaucoup d’acteurs ont changé », souligne-t-il. Résultat : « Dans des gymnases, certains créneaux mixtes ont été donnés à des femmes ». Preuve que rien n’est jamais acquis.

Par Catherine Corroller

Pour en savoir plus : http://www.courrierdesmaires.fr/

« La laïcité est un processus, jamais totalement acquis…»

Valentine-zuber

 

Valentine Zuber, directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études, souligne les caractéristiques de la laïcité à la française, et notamment les difficultés, pour la République, d’accepter la visibilité des minorités. Elle rappelle que la laïcité s’impose avant tout à l’Etat et ses agents, et non aux citoyens.

Le concept de laïcité est-il spécifique à la France ?

Valentine Zuber. Non. Il est partagé absolument partout en Europe, même si l’on n’utilise pas le même mot. On trouve partout le même idéal de séparation de la sphère temporelle et de la sphère religieuse.

En anglais, on parle de « civil state », « secular state ». La modernité occidentale s’est construite sur la reconnaissance de la liberté de conscience, à la suite de longs combats religieux, philosophiques, philosophico-politiques, depuis le XVIe siècle. A cet égard, on peut citer les travaux de Pierre Bayle (1647-1706) au lendemain de la révocation de l’Edit de Nantes.

Les premiers à avoir théorisé cette séparation, au XVIIe siècle, sont des Anglo-saxons, et parmi eux, le puritain Roger Williams, fondateur de la colonie de Rhodes Island, puis John Locke en Grande-Bretagne (1632-1704). Ce sont souvent des dissidents du calvinisme qui ont pensé le pluralisme religieux, la liberté de conscience et de culte, dans un Etat neutre.

Cette conception a été appliquée pour la première fois dans l’histoire avec le premier amendement de la Constitution américaine , en 1791, qui sépare l’Etat fédéral, neutre et laïque, de toute religion. Puis, la France et les autres Etats européens ont procédé à cette séparation.

 

Comment s’expriment ces laïcités ?

V. Z. L’histoire fait que les modèles séparatistes ne sont pas les mêmes partout. On trouve deux grands modèles. Celui de l’indifférence, en France et aux Etats-Unis par exemple, où l’Etat ne s’occupe pas des cultes. Et celui de l’égalité entre les cultes, où l’Etat donne les mêmes moyens à tous, quels qu’ils soient : c’est le modèle de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne, de la plupart des Etats scandinaves.

Même si les modalités de mise en œuvre de la séparation Eglise-Etat sont différentes, le principe, lui, est le même partout. Ne confondons pas principe et modalité d’action.

En Europe, aucun pays n’a de politique discriminante contre une religion, aucun ne se trouve donc en contradiction avec l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre la liberté de religion et de conviction pour tous. De ce point de vue, les citoyens européens sont tous égaux, quelle que soit l’orientation idéologique de l’Etat et son éventuelle religion officielle.

 

Laïcité ne signifie donc pas absence de relation avec un mouvement religieux ?

V. Z. En effet, il y a une grande différence entre la position extrême de la France, où l’Etat est théoriquement complètement neutre, et d’autres pays où il existe une collaboration entre l’Etat et les mouvements religieux pour le bien commun.

En Allemagne, par exemple, les Eglises constituaient la seule poche de résistance au nazisme. La loi fondamentale du 8 mai 1949 prévoit donc qu’elles collaborent avec l’Etat dans les domaines de l’éducation, de la santé, des retraites. C’est aussi l’Etat qui collecte l’impôt volontaire pour le compte des Eglises. En France, au contraire, l’Etat s’est construit en opposition à l’Eglise catholique, à laquelle il a arraché l’état civil, l’éducation, la santé, la justice.

Je note pourtant que, même en France, il existe des subventions déguisées aux cultes par le biais de la réduction d’impôt sur les dons aux organismes d’intérêt public, souvent confessionnels. Ce n’est pas un système très transparent.

 

Plus précisément, qu’est-ce qui caractérise la laïcité en France ?

V. Z. Il y a deux aspects. Le premier, qui découle de l’article 1 de la loi de 1905 : l’Etat garantit la liberté de conscience et de culte de tous les citoyens. C’est très fort : l’Etat doit protéger cette liberté, il ne peut pas rester passif.

Deuxième aspect, l’article 2 de la loi dit que l’Etat et les collectivités locales n’ont pas le droit de subventionner un culte. Ce qui est très proche de la version américaine de la laïcité.

 

Est-ce un problème si l’Etat décide de ce qui est une religion ?

V. Z. L’Etat français garde souvent une mentalité « gallicane ». Il décide en effet de ce qui est une religion (sous l’appellation officielle de « culte ») et ce qui n’en est pas une. Cela paraît contraire à l’esprit de la laïcité-neutralité. Lorsque les libres penseurs ont demandé il y a quelques années, à bénéficier d’une émission sur la télévision publique le dimanche matin, il leur a été répondu que, n’étant pas une religion, ils n’y avaient pas droit.

En Belgique, par exemple, l’Etat soutient les catholiques, les protestants, les musulmans et les laïques etc., c’est-à-dire aussi ceux qui ne se réclament d’aucune religion, mais d’une « conviction ».

Par ailleurs, la France a du mal avec les mouvements minoritaires et reste très soupçonneuse vis-à-vis des mouvements religieux minoritaires qu’elle a tendance à qualifier péjorativement de « sectes », pour les disqualifier. Elle a du mal à comprendre et à vivre le pluralisme. C’est une marque profonde de l’ethos catholique unitaire et exclusif qui a modelé pendant des siècles notre identité.

 

Comment cette méfiance vis-à-vis des minorités se traduit-elle concrètement ?

V. Z. La neutralité de la laïcité à la française aboutit à des discriminations de fait. Cela tient au privilège qui revient à la religion historique. Les religions nouvelles, minoritaires, n’ont pas pu bénéficier des arrangements du début du XXe siècle. C’est le cas de la grosse minorité musulmane, naturellement, qui ne bénéficie pas de subvention.

Même situation pour les évangéliques. Le problème est donc de garantir la liberté de culte des musulmans et des évangéliques, liberté qui passe par l’établissement de lieux de culte. De façon pragmatique, les maires passent par des aménagements encouragés par l’Etat, des baux emphytéotiques, des associations bâtissant des lieux culturels annexés aux lieux de culte…

 

Que pensez-vous des demandes alimentaires pour raison religieuse dans les cantines scolaires ?

V. Z. La réaction des maires montre souvent une peur face à la gestion du pluralisme. Or la nourriture, c’est vital ! Dans les pays du Nord, on arrive à offrir des repas sans gluten sans que cela engendre de débats philosophiques. Avec un peu d’organisation, on peut bien proposer aussi des repas sans porc ! Il est normal et juste de s’adapter à la clientèle.

Mais les élus ont peur de devoir affronter d’autres demandes, comme le voile, le refus des filles de participer à certains cours…

V. Z. Le problème est que la laïcité est invoquée à tout bout de champ sur ces questions. Or, elle n’est par exemple pas garante de l’égalité homme-femme. C’est au nom de la laïcité que le droit de vote a été longtemps refusé aux femmes, supposées être inféodées à l’Eglise catholique et à ses clercs.

Aujourd’hui, on s’en prend aux femmes voilées, et pas aux hommes barbus… On considère que la femme doit s’émanciper, on veut imposer la liberté aux jeunes femmes musulmanes. Je m’insurge contre cette vision paternaliste des femmes.

En outre, l’égalité homme-femme est aussi un principe constitutionnel que l’on peut invoquer sans impliquer la laïcité. A ce titre, on peut résister aux demandes qui visent à exclure les filles de certaines activités ou à séparer filles et garçons.

 

Porter le voile fait donc partie de la liberté des femmes…

V. Z. C’est leur liberté… La doctrine du Conseil d’Etat est que la liberté est la règle, l’interdiction l’exception. Les débats sur l’interdiction du voile dans la rue, dans l’entreprise ou l’université découlent d’une mauvaise interprétation de la laïcité et sont simplement des atteintes à la liberté.

 

Ne s’agit-il pas en réalité, sous couvert de laïcité, d’un refus des populations immigrées ?

V. Z. Non. Des études sociologiques montrent que l’acceptation des immigrés est meilleure en France qu’ailleurs. Ce qui est mal supporté est la visibilité de la différence. Le mythe de l’égalité entre individus abstraits fait que les Français sont très sensibles à l’aspect extérieur. D’où le problème avec la visibilité des femmes voilées.

 

Faut-il réviser la loi de 1905 ?

V.Z. Non, il n’y a pas besoin de législation supplémentaire. Les lois de 2004, sur le voile, et de 2010, sur la burqa sont déjà des transgressions de la laïcité. Elles imposent la laïcité aux usagers des services et de l’espace publics, alors qu’en réalité la laïcité ne s’impose traditionnellement qu’à l’Etat et à ses agents, afin qu’ils puissent traiter tout le monde à égalité. Je reconnais malgré tout que ces lois ont contribué à l’apaisement de la société. Mais il n’en faudrait pas d’autres, car on toucherait au cœur de la laïcité.

 

La laïcité a-t-elle été concernée par les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper casher ?

V. Z. Naturellement. Mais j’ai apprécié que l’on mette en avant d’abord la question de la liberté d’expression. La liberté d’expression fait partie des droits de l’homme, tout comme la laïcité. Et non le contraire.

Dans liberté d’expression, il y a aussi liberté d’expression religieuse ou non religieuse. Je rappelle qu’en France, on parle de « liberté de religion ou de conviction ». Or les attentats s’en sont pris à l’anticléricalisme, à travers Charlie Hebdo, et à des juifs. Je ne pense pas que nous ayons vécu un échec de la laïcité. Celle-ci est un processus, jamais totalement acquis… Il n’y a pas de laïcité parfaite.

par Martine Kis

Pour en savoir plus : http://www.courrierdesmaires.fr/