Simon Castéran | le 12.09.2014 à 19:06
L’affiche de l’exposition Dieu dans la pub
Dieu aime-t-il la pub ? On ne le saura probablement jamais. En revanche, une chose est sûre : la pub, elle, adore Dieu. Ainsi que Jésus, les anges, les saints, les prêtres, jusqu’aux démons ; autant d’invités de marque que les publicitaires convoquent, depuis des décennies déjà, pour promouvoir fromage, bières ou steak de boeuf. D’où l’idée du père Gautier Mornas, prêtre du diocèse de Périgueux et Sarlat, dans le Périgord, de créer l’exposition Dieu dans la pub ! Hébergée à la Fabrique 222, au sein du couvent de l’Annonciation des Dominicains à Paris, cette rétrospective propose de manière ludique un regard croisé sur les relations qu’entretient la publicité avec la religion catholique.
« L’idée m’est venue quand j’étais séminariste à l’Institut supérieur de théologie des arts (Ista), au sein de l’Institut catholique de Paris », explique le père Gautier Mornas. « Mon professeur Jérôme Cottin, qui enseigne l’iconographie religieuse, m’avait proposé pour mon mémoire de travailler sur l’image de Dieu dans la publicité. Lui avait déjà publié un livre sur les relations entre religion et publicité [co-écrit avec Rémi Walbaum, Dieu et la pub, Paris-Genève, éditions Le Cerf-PBU, 1997], mais moi, j’ai plutôt eu envie de faire une exposition ». Bien lui en a pris : pour sa première édition, l’été dernier dans la cathédrale Saint-Front de Périgueux, Dieu dans la pub a attiré plus de 11.000 visiteurs en seulement deux mois et demi.
Le père Gautier Mornas
Tout commence en 2013, lorsque ce jeune prêtre de 38 ans décide de monter son exposition avec l’aide d’une mère de famille, Karin de Segonzac, et de Damien Tardy, qui officie comme directeur du marketing dans le groupe agro-alimentaire Bongrain. Le trio se met au travail, et recense bientôt grâce à Internet « entre 300 et 400 publicités » jouant de l’imagerie religieuse. Quatre grandes thématiques se distinguent peu à peu, qui formeront la structure de l’exposition : « Et Dieu créa… » consacré à la reprise du thème de la Genèse, « Autour de Jésus » sur le Christ et les moments importants de sa vie, « Au plus haut des cieux » qui se penche sur l’image des saints, des anges et des démons, et enfin « Des hommes de Dieu », dédié au pape, aux moines et aux prêtres.
Une quarantaine de publicités du monde entier
Pour chaque catégorie, les organisateurs de l’exposition choisissent alors de ne retenir qu’une dizaine de publicités, « les plus pertinentes, en excluant les plus provocatrices comme celle de Benetton, car nous voulions que ces images soient drôles, qu’elles provoquent la réflexion et qu’elles possèdent une véritable recherche esthétique », explique le père Gautier Mornas. Le choix est fait aussi de ne pas se limiter aux publicités françaises, et d’aller voir ce qui se fait en Israël, en Allemagne, aux États-Unis, en Australie… « Ce qui m’intéresse, c’est de voir ce que l’on peut se permettre selon qu’on soit dans un pays de vieille tradition catholique, de tradition protestante ou sans tradition chrétienne du tout ! Par exemple, on observe qu’en France, la pub joue plus avec la messe ou le personnel ecclésiastique, comme les moines et les prêtres, alors qu’en Allemagne, elle porte plus sur la figure de Jésus ».
Le pape, bonne poire exotiqueDe l’avis de Gautier Mornas, la publicité en France n’est, d’ailleurs, pas particulièrement provocatrice. « Bien sûr, la transgression, la provocation ont toujours un impact plus fort, mais je pense que les publicitaires jouent plus à être provocateurs qu’ils ne le sont fondamentalement ». Mieux, le fait de prendre ainsi des libertés avec la religion est, pour le prêtre, la preuve que « quoi qu’on en dise, si notre société est clairement déchristianisée dans sa pratique, les racines chrétiennes sont toujours là ! C’est d’ailleurs le but premier de cette exposition : montrer que, si les publicitaires utilisent autant la religion catholique, c’est parce que notre pays reste fondamentalement chrétien ». Pour autant, cette exposition vise surtout « à fournir une information culturelle sur un mode ludique à des publics très diversifiés, aux jeunes comme aux touristes. D’où qu’il viennent, les gens sont en manque de clés pour analyser ces publicités, pour les contextualiser, et ce même s’ils sont catholiques, comme j’ai pu m’en rendre compte avec les jeunes avec qui je travaille en aumônerie ».
Vaine polémique
Le pape François, une bonne poire. (Photo : D.R.)
Tout comme cette exposition pourrait être des plus profitables à ces quelques chrétiens ? ils sont moins d’une trentaine ? qui se sont fendus d’une pétition pour exiger des Dominicains… l’annulation de l’événement. Selon eux, l’exposition participerait du « blasphème » en « resservant au public les publicités qui tournent en dérision le Christ et la religion catholique ». Une accusation que Gautier Mornas balaye sans peine : « je suis prêtre », rappelle-t-il, « alors je me vois mal me moquer de celui à qui j’ai consacré ma vie ! ». Pire, à en croire ces mêmes fidèles, le logo multicolore d’Apple qui décore le titre de Dieu dans la pub serait « aux couleurs de la [communauté] LGBT », la pomme croquée signifiant ici « le péché dont se prévalent, par provocation, les homosexuels ». Et peu importe que ce logo ait été créé et utilisé bien avant que l’arc-en-ciel ne devienne le symbole des revendications homosexuelles ! Pour le père Mornas, ces réactions témoignent surtout d’une misère culturelle qu’il a d’ailleurs proposé de combler en invitant les pétitionnaires à une visite guidée de l’exposition. En vain.
Nul doute cependant qu’après Périgueux, Nancy et Metz, l’exposition Dieu dans la pub connaîtra également un beau succès à Paris. Petite nouveauté, celle-ci accueille désormais, outre une installation audiovisuelle, plusieurs goodies, ces petits accessoires offerts pour promouvoir l’image des marques : bouteilles de bière d’abbaye, sous-bocks, ou encore une collection de flacons de parfum et de vernis en forme de pomme croquée…
Exposition Dieu dans la pub, du 17 septembre au 19 octobre 2014 à la Fabrique du 222, rue du Faubourg-Saint-Honoré (Paris 8e).
Entrée libre tous les jours, du lundi au dimanche, de 9 h à 20 h.