Eloge du Maroc de la diversité

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Mardi 14 octobre 2014 – 10H35

L’Occident regarderait-elle trop du côté du Moyen-Orient lorsqu’elle se penche sur l’Islam alors que, si près de nous, l’Occident musulman offre un autre modèle, vivant, rayonnant… et majoritaire pour nous en France ? C’est l’un des enseignements majeurs de ces deux expositions qui ouvrent leurs portes (d’art marocain évidemment) à Paris : le Maroc médiéval au Louvre, le Maroc contemporain à l’Institut du Monde arabe.

Deux événements pour un seul message de modernité, de dialogue et d’ouverture au monde. Une expérience unique qui rompt avec cet air ambiant qui voudrait opposer des identités et raviver une guerre de civilisation dépassée.

Ce qui fascine, c’est la résonance de ces deux expositions : un millénaire les sépare pourtant. Le Moyen-Age rive droite, l’époque contemporaine rive gauche. Et pourtant, toutes deux dévoilent une étrange continuité, un goût du Maroc pour la diversité des influences artistiques et culturelles, une interaction fusionnelle du Maroc et du monde : Afrique et Europe ont façonné le Maroc comme le Maroc a irrigué et irrigue encore ces deux continents de ses valeurs et de ses créations.

Le Maroc, les deux expositions le montrent, repose sur un islam du juste milieu – que nous avions analysé en son temps, dont le rite malekite, la doctrine ash’arite et le soufisme sont les piliers. Le Maroc a su construire un équilibre séculaire réfléchi entre temporel et intemporel, permettant au Moyen-Age le dialogue de l’Islam avec d’autres spiritualités, et, à l’époque actuelle – et l’exposition de l’IMA en témoigne – les expressions sécularisées d’artistes libérés des carcans religieux. Le Maroc est resté traditionnel mais il est rentré de plain pied dans la modernité. Un Islam du contexte plus que des dogmes.

Organisées par le Louvre, l’Institut du Monde arabe présidé par Jack Lang, et la Fondation nationale des musées marocains présidée par Mehdi Qotbi, cette alliance bienvenue a accouché de deux expositions monde à Paris.

Le moment Louvre

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Madrasa El Attarine, Fès, Maroc. © Fondation nationale des musées marocains.

Commençons au Moyen-Age… L’histoire n’en a retenu que les croisades alors qu’un véritable siècle des Lumières, fait de dialogue et de tolérance, irradiait au même moment le sud de l’Europe et le nord de la Méditerranée occidentale. Le Louvre restitue cette histoire presque oubliée à travers les œuvres exposées : que ce soit le lustre de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès ou les commentaires de la Michna par Maïmonide, la redécouverte d’Arisote pat Averroès (non exposé ici mais pourtant pleinement présent), le Louvre fait revivre cet âge d’or où les musulmans, les chrétiens et les juifs cohabitaient et imaginaient le monde de demain.

La visite de cette exposition est d’autant plus nécessaire à qui veut découvrir le Maroc que ce dernier est peu présent dans les collections du nouveau département d’art islamique du Louvre (pourtant le plus fourni au monde). Car le Maroc a su conserver ses trésors en créant ses propres musées lorsque l’Europe vit éclore au XIXème siècle des centaines de musées à la faveur de ses conquêtes coloniales. Des œuvres conservées dans les musées, bibliothèques et mosquées du Maroc sortent donc pour la première fois pour le Louvre et ses visiteurs.

Le Maroc de l’époque médiévale, c’était un Maroc africain avec des œuvres venues du Mali et de la Mauritanie d’aujourd’hui. C’était aussi un Maroc européen avec de nombreuses œuvres espagnoles et même françaises (comme le suaire de Saint Exupère provenant probablement d’Almeria en Espagne et conservé à la Basilique Saint-Sernin de Toulouse). La position pivot du Maroc, entre Afrique et Europe, s’illustra donc dès le Moyen-Age.

Bahija Simou, directrice des Archives royales du Maroc, et commissaire générale de l’exposition avec son homologue française Yannick Lintz, explique les valeurs de cet empire qui rayonna de l’Afrique à l’Espagne :« Le Maroc devient ainsi une terre de rencontres et de civilisations et un espace d’échanges où se mêlaient et interagissaient plusieurs influences, celles de l’Afrique sub-saharienne, des Etats italiens, des royaumes espagnols ou encore de l’Egypte des Mamelouks. L’acmé atteint en cette période par l’Occident musulman a permis l’intégration des apports culturels arabes, amazighs, juifs, andalous et africains, contribuant à l’épanouissement d’une civilisation alimentée par de multiples affluents, et, comme telle, génératrice de créativité et d’innovations. »

L’exposition témoigne de ce foyer de civilisation exceptionnel, de ce carrefour des influences qui irradia les deux rives de la Méditerranée, entre le Maroc et l’Espagne d’aujourd’hui, sous le règne de grandes dynasties berbéro-andalouses ou amazighes qui surent unifier l’Occident islamique : les Idrissides autour du Xème siècle, les Almoravides (du milieu du XIème au milieu du XIIème) les Almohades (jusq’au milieu XIIIème, les Mérinides (jusqu’au début du XVème).

Le Maroc Contemporain à Paris

Retour dans le présent. Direction l’Institut du Monde Arabe.

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Passage protégé 1, Nour Eddine Tilsaghani, 2014, © Nour Eddine Tilsaghani

Aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers le Golfe persique alors qu’un Islam du juste milieu, solide, habite l’esprit d’une majorité trop silencieuse. Pendant que la fureur et la cruauté des « jihadistes » de l’Etat du Levant hante l’espace médiatique, les Marocains forment en silence des milliers d’imams africains à cet Islam du juste milieu, de la responsabilité et du respect. Trop en silence ? Pendant que des fous brûlent les œuvres d’art (rappelons nous les talibans détruisant les Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan), le Maroc contemporain construit une scène artistique libre et libérée.

L’exposition de l’IMA dessine un Maroc de la modernité, de la diversité, des couleurs, de l’art de vivre et du vivre-ensemble. Les oeuvres de plus de quatre-vingt artistes vivants, y compris des plasticiens, vidéastes, designers, architectes et même des créateurs de mode s’entrelacent pour esquisser une polyphonie, une unité de l’art marocain. Cette exposition est un des plus grands évènements jamais consacrés en France à la scène artistique contemporaine d’un pays étranger.

Sur le parvis de l’IMA, c’est un des articles du préambule de la nouvelle Constitution Marocaine de 2011 qui vous accueille : « son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen. » Le ton est donné. Le voyage va être pluriel dans la diversité culturelle, linguistique et religieuse du royaume chérifien.

L’Islam est loin d’occuper l’essentiel des œuvres marocaines exposées. Et l’exposition n’ignore pas les troubles et les soubresauts de la société marocaine. Les artistes ont traduit dans leurs œuvres ici exposées les aspirations du printemps arabe. Le corps sous toutes ses formes a fait irruption dans l’art contemporain marocain.

Comme le dit Jean-Hubert Martin, commissaire général de l’exposition avec Moulim El Aroussi et Mohamed Metalsi, « l’effervescence » caractérise la scène artistique contemporaine du Maroc. L’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun ajoute : « l’ensemble est hétérogène, riche, fulgurant de découvertes, échappant à l’ordre attendu, prenant des chemins de traverse, escaladant des montagnes où le réel est abandonné à son sort et la vie prend toute sa verve, ses sources, ses folies et ses passions. »

Une des fulgurances de cette exposition est de donner à voir dans le même espace une table à déjeuner richement décorée, bref l’art de la table, avec des peintures sublimes (comme les Anamorphoses d’André Elbaz qui nous ont subjugué) : il n’y a plus de frontière dans l’art entre la peinture, l’art de vivre, le design, les métiers d’art, l’artisanat et les arts de la table. L’art est partout, dans les ateliers autant que dans le quotidien des Marocains. Un art aussi élitiste que populaire. Bravo !

Un Maroc universaliste comme la France, à sa manière… 

Redonnons la parole à Bahija Simou : « Toute l’histoire du Maroc est empreinte d’une espérance. Elle est animée par un principe de sagesse millénaire, celui de la symbiose entre deux volontés solidaires, celle de l’unité et celle de la diversité. La première garantit l’intégrité identitaire de notre pays en préservant et revivifiant la mémoire de nos pères. La seconde lui assure l’exigence d’une ouverture qu’impose la marche de l’histoire.

« Ces deux volontés n’ont cessé de participer à la construction d’une humanité universelle, inclusive et non-exclusive, ouverte à l’autre et non repliée sur elle-même. C’est cette dynamique, qui traverse l’histoire du Maroc par-delà les vicissitudes […]. »

On croirait entendre parler de la France qu’on aime. Car, telle est notre conviction : Maroc, France et Europe partagent une même vision universaliste : l’union dans la diversité.

L’Islam des Lumières a existé au Moyen-Age. Le Maroc des Lumières vit toujours. Il est en train de revivre ! Sachons lui donner des ailes comme le Louvre et l’Institut du Monde Arabe osent le faire aujourd’hui.

Michel Taube
avec Ramin Namvari et Cécile Michiardi

http://www.opinion-internationale.com

Quels remèdes politiques aux dérives fondamentalistes ?

PUBLIÉ LE 22/09/2014 À 16:14

Que se passe-t-il à notre époque si rationnelle pour que l’on soit témoin d’actes d’une telle barbarie ?

Qu’y a-t-il que nous ne comprenons pas, que nous ne voyons pas pour que surviennent de telles tragédies politico-religieuses ? Rien ne saurait susciter une telle violence que des visions divergentes du sens de l’histoire, des réponses à l’énigme de la vie. Ce qui touche au destin ultime de chacun.

Notre Europe sécularisée est sonnée par l’upercut de fondamentalistes qui, tout en étant loin géographiquement, distillent chez elle, le venin de paroles fanatiques. La violence est d’autant plus grande que l’Europe baigne toujours dans un athéisme pratique. Celui-ci a rejeté les grandes traditions religieuses et l’adhésion de foi qu’elles supposent, mais aussi – et cela n’a pas été suffisamment perçu – l’immense travail de la raison sur les données de foi.

Ainsi les trois religions monothéistes qui se prétendent révélées conservent un contenu à croire, mais elles l’accompagnent d’un colossal effort pour comprendre. Si la foi catholique peut sembler irrationnelle à de nombreux observateurs, elle est pourtant constamment soumise à la critique de la raison. De même pour le Judaïsme ou l’Islam qui avancent dans l’histoire sous l’impérieuse obligation d’être crédible, c’est à dire compréhensible et recevable par la raison. Celle-ci expurge systématiquement du corpus des vérités proposées à la foi, ce qui nous semble aujourd’hui des énormités. Sur l’affaire Galilée, Jean-Paul II écrivait à l’Académie Pontificale des sciences en 1992 : « La science nouvelle, avec ses méthodes et la liberté de recherche qu’elles supposent, obligeait les théologiens à s’interroger sur leurs propres critères d’interprétation de l’Écriture. La plupart n’ont pas su le faire. Paradoxalement, Galilée, croyant sincère, s’est montré plus perspicace sur ce point que ses adversaires théologiens. « Si l’Écriture ne peut errer, écrit-il à Benedetto Castelli, certains de ses interprètes et commentateurs le peuvent et de plusieurs façons » (Lettre du 21 décembre 1613) ».

La raison va purifier la foi, autant que la foi va offrir une lumière plus vive sur le sens de l’histoire au travail de la raison. Elles ont une même source et tendent ensemble vers la contemplation de la vérité. Ainsi, le regard moderne sur les traditions religieuses doit il redécouvrir tout le travail des siècles d’intelligence qui ont scruté le langage de la foi. Or, l’affirmation de l’autonomie de la raison contre la foi s’est accompagnée du rejet de la reconnaissance des efforts de raison consentis par nos aïeux sur la foi elle-même. Passée dans un univers social où la laïcité impose d’ignorer les religions, il s’en suit un refus d’enseigner et de travailler à partir de la rationalité des religions historiques. Cette absence de travail, ce refus de considérer l’héritage rationnel sur les questions religieuses a laissé en friche le vaste champ de la crédulité naturelle qui habite toute personne.

Il est alors devenu très facile à partir de discours basés sur la seule autorité d’une proposition assez forte, d’une personnalité assez charismatique pour emporter l’adhésion d’une personne privée de repères et de réflexes rationnels sur les croyances. Les croyances explosent dans notre monde. Refuser de les considérer et de les interroger en raison, revient à laisser partir à la dérive les esprits inquiets et les livrer aux plus improbables croyances. Les rumeurs prolifèrent facilement car l’homme vit nécessairement de croyances.

Dans un monde où il est devenu ringard de croire en Dieu, on ne se rend plus compte que nous nous sommes mis à croire en n’importe quoi et en n’importe qui. Nous avons cru un temps que les avancées technologiques de notre modernité dispenseraient – enfin ! – de croire. Or, tout être humain doit rassembler ce qu’il sait dans un récit personnel, il doit croire quelque chose au sujet de ce qu’il sait.

Chacun doit donc se construire une représentation personnelle du sens de sa vie et de l’histoire. Celle-ci relèvera toujours du domaine de la croyance. Dès lors, la victoire contre les fondamentalismes ne viendra pas du rejet d’évocations religieuses dans l’éducation, mais au contraire d’un effort accru de questionnement sur ce que ces traditions pluriséculaires ont légué. Les jeunes français qui sont si aisément manipulés par les réseaux sociaux n’ont pas été éduqués à une réflexion critique sur la foi. Leur disponibilité à croire est totale, leur aptitude de raison critique est faible. Les grands témoins de la foi que furent Maïmonide, saint Thomas d’Aquin ou Ibn Arabi devraient être connus en vertu de leur effort de penser rationnellement la foi en Dieu.

Foi et raison sont ordonnées l’une à l’autre, elles sont ensemble les plus surs garants de l’équilibre psychique et de la fécondité spirituelle des sociétés.

http://www.lavie.fr/blog/laurent-stalla-bourdillon/