Des conflits géopolitiques sous couvert de religion

Et si les conflits du Moyen-Orient contemporain n’étaient pas de nature religieuse ? Pour l’historien et économiste libanais Georges Corm, cette approche réductrice de la géopolitique ne sert qu’à légitimer la thèse du « choc des civilisations ». Dans son livre Pour une lecture profane des conflits*, l’universitaire démontre les nombreux mécanismes qui ont permis de légitimer des guerres injustes depuis la fin de la Guerre froide. Une politique qui passe par l’instrumentalisation du religieux.

Par une lecture profane des conflits, entendez-vous vous opposer à la théorie de « choc des civilisations » ?

C’est un retour à la politologie classique, une approche des situations de guerre par une analyse multifactorielle, et non pas par une causalité unique qui serait religieuse, ethnique ou prétendument morale. La thèse du choc des civilisations est, à mon avis, une mise à jour post-moderne de la division du monde entre Sémites et Aryens, qui a provoqué l’antisémitisme effarant ayant mené au génocide des communautés juives d’Europe. Cette thèse perverse empêche de réfléchir sur les causes des conflits. Aveuglée par cette théorie du choc des civilisations, l’opinion publique peut soutenir des entreprises guerrières comme l’invasion de l’Irak, de l’Afghanistan, ou encore les interventions en Libye, en Syrie et très récemment au Yémen.

Au Moyen-Orient, le conflit sunnites-chiites est souvent mis en avant. La religion n’est-elle pas un vecteur de conflit dans cette région du monde ?

Quand le shah d’Iran était en place (1941-1979), sa politique n’était pas différente de celle du régime actuel. Pourtant, personne ne parlait d’opposition entre sunnites et chiites. Des intérêts géopolitiques se jouent aujourd’hui sous couvert de religion. Des enquêtes, publiées notamment dans The New Yorker, montrent que, suite à l’échec de l’invasion de l’Irak, les États-Unis ont décidé de provoquer des troubles entre sunnites et chiites. En créant notamment la notion de triangle chiite  Iran/Syrie/Hezbollah libanais, considéré comme l’équivalent d’un « axe du mal ». C’est très loin de la complexité des réalités de terrain, qui implique les intérêts géopolitiques des régimes turc, qatari, saoudien et israélien. La politique occidentale poursuit une ligne « sunnites contre chiites » sur le plan intérieur, et une vision « monde islamique contre monde occidental » sur un plan plus large. Il s’agit d’une approche fantaisiste : tous les gouvernements des pays musulmans sont dans l’orbite des puissances occidentales à l’exception de l’Iran, qui tente de normaliser ses relations avec les États-Unis.

Pourquoi les problèmes de religion, culture et civilisation sont si souvent invoqués pour justifier les conflits ?

Le Moyen-Orient est l’un des carrefours géopolitiques les plus importants dans le monde. C’est le principal réservoir énergétique. C’est aussi le lieu de naissance des trois monothéismes. Il est très facile d’utiliser les symboles religieux pour couvrir d’un voile les enjeux profanes purement politiques, militaires, économiques et autres désirs de puissance et d’hégémonie. Le Moyen-Orient est constitué de trois grands groupes ethniques ou nationaux : les Perses iraniens, les Turcs et les Arabes. Iraniens et Turcs ont pu hériter de structures d’empires vieilles de plusieurs siècles. En revanche, les Arabes ont été balkanisés dans diverses entités par les deux colonialismes français et anglais.

À l’heure du nationalisme arabe du président égyptien Nasser (1956-1970), la région était le théâtre d’atmosphères révolutionnaires qui menaçaient les intérêts occidentaux. L’organisation des Frères musulmans a été bien instrumentalisée afin de s’opposer à un panarabisme anti-impérialiste et tiers-mondiste qui entretenait des relations croissantes avec le bloc soviétique. Bien plus, l’instrumentalisation du religieux est devenue quasiment la politique officielle américaine pendant la Guerre froide. Zbigniew Brzezinski, conseiller du président américain Jimmy Carter de 1977 à 1981, a décidé d’organiser la mobilisation religieuse contre l’URSS. Dans l’aberrante guerre d’Afghanistan, en 1979, l’Arabie saoudite a été appuyée et financée par les États-Unis pour entraîner des milliers de jeunes Arabes, qui partaient ensuite se battre en Afghanistan. Al-Qaida est née à ce moment-là. Ces groupes de combattants ont ensuite été transportés en Bosnie, en Tchétchénie, aux Philippines, aujourd’hui dans le Xinjiang chinois… L’instrumentalisation de ces groupes mène à des organisations comme l’État islamique.

Vous parlez bien plus d’un recours au religieux que d’un « retour du religieux », expression que vous dénoncez. Pourquoi ?

Il n’y a jamais eu d’abandon du religieux dans l’Histoire du monde. Parler de retour du religieux est un ethnocentrisme européen poussé à l’extrême. Certes, la petite Europe a été relativement déchristianisée. Mais le reste du monde a conservé des liens importants avec la religion. À commencer par les États-Unis, pays fondé par des colons britanniques puritains. Le « retour du religieux » a été beaucoup invoqué pour dénoncer les dictatures marxisantes. Le philosophe allemand Léo Strauss (1899-1973) se demandait s’il ne fallait pas mieux revenir à des législations de type religieuses, après les malheurs qu’il attribuait exclusivement à la laïcité et la Révolution française, qui auraient d’après lui provoqué les deux Guerres mondiales. Accuser la Révolution française ou les philosophes des Lumières de tous les malheurs du monde est une thèse tout à fait exagérée. Pour moi, l’archétype de la guerre d’extermination, du goulag et du nazisme se trouve dans les guerres de religion.

Le raidissement des dogmes, aujourd’hui, traduit-il une nouvelle crise religieuse ?

Il ne faut pas tomber dans le piège des mouvances terroristes actuelles. Elles se réclament de trois théologiens politiques musulmans : Ibn Taymiyya (1263-1328), emprisonné par le sultan pour son extrémisme religieux ; le Pakistanais Abul a’la-Maududi (1903-1979), qui a justifié la sécession sanglante des Indiens de confession musulmane ayant donné lieu à la création de « l’État des purs » (ou Pakistan) ; et le Frère musulman égyptien Sayyid Qutb (1906-1966) qui a considéré tous les régimes politiques arabes comme « hérétiques » parce que ne respectant le principe d’une souveraineté absolue de Dieu sur les hommes. Mais la théologie musulmane, vieille de plus de treize siècles, va bien au-delà de ces trois noms et les théologiens « libéraux » sont très nombreux. Je pense qu’il y a aujourd’hui une crise des monothéismes, à cause de la manipulation du religieux. Concernant l’islam, la croyance wahhabite a été largement condamnée par la plupart des théologiens musulmans qui la considèrent beaucoup trop extrémiste. À l’origine, cette doctrine est née au XVIIIe siècle d’une simple alliance entre le prédicateur Abd al-Wahhab et la famille al Saoud aux ambitions politiques très grandes. Quand, dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’Arabie saoudite a atteint une puissance pétrolière et financière importante, le wahhabisme s’est exporté tous azimuts.

Quel rôle joue l’instrumentalisation de la mémoire dans la gestion des conflits ?

Les musulmans restés fidèles au concept de « religion du juste milieu » sont marginalisés. Aujourd’hui, les médias et les chercheurs ne s’intéressent plus à la sociologie des sociétés arabes, turques, perses… Ils se consacrent à l’étude des réseaux islamistes. C’est un islam abstrait, une méga-identité qui ne veut rien dire mais sert à stimuler cette idéologie du conflit des civilisations. On retrouve le même type de crispation, en ce qui concerne le judaïsme. De très nombreux citoyens européens ou américains de confession juive n’approuvent pas la politique d’Israël. Des groupes de religieux, comme Neturei Karta, ne reconnaissent même pas la légitimité de l’État israélien. Mais ils sont totalement marginalisés dans les médias et la recherche académique. Une autre manipulation de la mémoire est le passage de la notion d’Occident gréco-romain à la notion d’Occident judéo-chrétien. Ce coup d’État culturel n’a pas beaucoup de sens, car le christianisme s’est construit contre le judaïsme. Cette opération est destinée à réparer le traumatisme causé par l’Holocauste.

Alors que le XXe a vu, pendant un temps, triompher une vision laïque de l’ordre international, comment la religion a-t-elle pu opérer un tel retour en force ?

Jusqu’aux années 1970, la vie internationale était laïque. Les pays non-alignés basaient leur discours sur le rapport avec les deux grandes puissances. La préoccupation était le développement économique et social, l’appropriation des sciences et les technologies. Tout a basculé avec la Guerre froide. L’extension du marxisme dans les rangs de la jeunesse arabe dans les années 1950-60 était très impressionnant. De quoi inquiéter les milieux militaires et politiques occidentaux. En cherchant à réislamiser les sociétés musulmanes, la doctrine Brzezinski entendait que leurs préoccupations ne soient plus économiques ou sociales, mais théologiques.

Pourquoi la laïcité a-t-elle échoué dans le monde arabe et musulman ?

Je n’aurais pas un jugement aussi abrupt. De très larges pans de laïcité subsistent dans des pays comme la Turquie ou la Tunisie. La Syrie et l’Irak étaient largement laïcisés eux aussi. Tout comme l’Égypte dans les années 1940-1950. Il n’y a pas non plus de recul absolu. Heureusement, il existe encore des millions de musulmans arabes sans comportement religieux ostentatoire. Mais l’échec complet de l’industrialisation est associé à une expansion démographique effarante. Devant l’incapacité de trouver un emploi, la mosquée devient attirante. Toutes les ONG islamiques ont fleuri grâce au financement des monarchies et émirats du Golfe. Elles ont distribué des aides sociales, conditionnées par l’adoption d’un mode de vie religieux.

Les médias et intellectuels occidentaux ont-ils joué un rôle dans cette « réislamisation » ?

Les politologues occidentaux ont donné une crédibilité islamique à des gens comme Ibn Taymyya ou Sayyid Qutb, ainsi que Ben Laden et le soi-disant « État islamique ». Vouloir expliquer des phénomènes comme les attentats du 11 septembre 2001 ou celui de Charlie Hebdo par la religion musulmane ne fait qu’amplifier le malaise. Les organisations terroristes doivent être considérées comme telles. Si vous mobilisez des savoirs soi-disant académiques pour justifier leurs actes par la théologie musulmane, vous jouez dans leur camp et renforcez leur crédibilité. S’est-on penché sur les textes marxistes pour expliquer les crimes d’Action directe, ou de la bande à Baader ou le goulag ? Chercherions-nous dans les Évangiles une justification des Croisades ou du génocide des Indiens d’Amérique ? Non.

Pensez-vous qu’il est possible de sortir de ce cercle vicieux ?

Je ne suis pas très optimiste. À partir du moment où les médias américains et européens appellent Daesh « l’État islamique », le terrorisme s’accroît. En luttant contre Ben Laden, longtemps allié des États-Unis, on en a fait un grand héros, avec un retentissement médiatique hors-pair. Deux pays souverains ont été envahis en déployant des moyens militaires absurdes. D’autant plus que l’Irak était considéré par Ben Laden comme un État mécréant à détruire. Et ça continue avec le drame syrien. On a décidé de diaboliser Bachar el-Assad, sous prétexte de réduire un dictateur qui n’est pas dans le sillage géopolitique de l’Occident. Tout en affirmant, à côté, que des organisations comme le Front al-Nosra, pourtant classé comme terroriste, font du bon travail en Syrie. Au Yémen, on recommence à bombarder les Houthis sous prétexte qu’ils sont soutenus par l’Iran et qu’ils appartiennent à l’une des nombreuses branches du chiisme. Ces folies coûtent des milliards de dollars aux contribuables européens et américains. Comment arrêter cette machine ? Depuis 2001, il n’y a aucune demande de comptes dans les pays occidentaux. Il est temps que les démocrates se réveillent pour demander que cela cesse.

Propos recueillis par Matthieu Stricot – publié le 22/07/2015

(*) Georges Corm, Pour une lecture profane des conflits : sur le « retour du religieux » dans les conflits contemporains du Moyen-Orient, Paris, La découverte, 2015, 11 €.

Du même auteur : Pensée et politique dans le monde arabe : contextes historiques et problématiques, XIXe-XXIe siècles, Paris, La Découverte, 2015, 23 €.

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« Le Prophète Mohammed demande de ne pas prendre les armes »

« Tout est pardonné ». La une de Charlie Hebdo, après l’attentat qui a décimé la rédaction du magazine le 7 janvier 2015, présente le Prophète Mohammed dans une posture de miséricorde. Cette attitude correspond-t-elle aux paroles et actes de Mohammed, que les djihadistes, comme les détracteurs de l’islam, présentent comme un prophète guerrier ? Éric Geoffroy, islamologue à l’université de Strasbourg, nous explique la véritable signification du djihad, très loin de la « guerre sainte » prônée par les fanatiques d’aujourd’hui.

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© Stephane Mahe / Reuters

Cette semaine, la une de Charlie Hebdo met en scène le Prophète Mohammed tenant une pancarte où il est inscrit « Tout est pardonné ». Cela va-t-il dans le sens des paroles et actes du Prophète ?

Beaucoup de paroles et d’agissements du Prophète vont dans le sens de la compassion, de la miséricorde et du pardon. Le Prophète lui-même disait : « Je suis une pure miséricorde offerte aux mondes. » Dans les hadiths, les paroles du Prophète, il est dit que toutes les créatures sont la famille de Dieu. On trouve cette compassion chez tous les prophètes, mais chez Mohammed en particulier. Les terroristes n’avaient pas à venger le Prophète, car il n’était pas dans la vengeance. Un hadith convient tout à fait aux évènements actuels : « Lorsqu’il y a des troubles ou une guerre civile, la personne assise sera en meilleure posture que celui qui sera debout. De même, celle qui marche sera en meilleure posture que celle qui s’empresse. Brisez donc vos arcs, arrachez-en les cordes et frappez le tranchant de vos épées contre un rocher. Et si un agresseur pénètre dans votre demeure, comportez-vous comme le meilleur des fils d’Adam (Abel). » Le Prophète demande donc de ne pas prendre les armes.
De même, la lapidation pour adultère n’est pas une loi islamique. Aux premiers temps de l’islam, la sharia n’existait pas. Les nouveaux musulmans s’inspiraient de la loi de Moïse. Quand certains individus venaient dénoncer un couple adultère au Prophète, celui-ci faisait tout pour ne pas écouter ce genre de témoignages. Il se détournait. Dans toute la vie du Prophète, il y a une insistance sur cette compassion universelle.

Pourquoi cite-t-on souvent le « verset du sabre » – « À l’expiration des mois sacrés, tuez les polythéistes où que vous les trouviez. Saisissez-vous d’eux, assiégez- les… » (s9.v5) – pour évoquer un Prophète « guerrier » ?

On ne peut pas citer les textes révélés sans préciser leur contexte. Cela vaut aussi pour la Bible ou encore la Bhagavad-Gita des hindous. On ne peut pas se saisir des textes sacrés sans la médiation de gens autorisés. En islam, l’accès aux textes sacrés était médiatisé par les oulémas, des théologiens qui connaissaient le contexte. Maintenant, avec Internet, on peut dire n’importe quoi en toute ignorance. Le verset en question sort d’un contexte particulier. Persécutés, le Prophète et ses compagnons avaient dû fuir à Médine. Les musulmans avaient signé une trêve avec les polythéistes de La Mecque. Mais ceux-ci ont trahi le pacte. Le Prophète attendait une révélation pour pouvoir se défendre militairement. Il a attendu 14 ans, depuis le début de la persécution à La Mecque. Ce verset arrive pour dire « Stop », pour demander aux musulmans de se défendre contre les agressions à répétition des Mecquois. D’ailleurs, on ne peut pas lire le verset 9.5 sans le suivant, le 9.6 : « Et si un de ces polythéistes demande ta protection, accorde-la lui afin qu’il écoute la parole de Dieu. Puis fais-le reconduire en lieu sûr. » Cela prouve qu’il ne faut jamais lire un verset hors contexte.

Remettre les choses dans leur contexte, est-ce aussi valable pour les juifs Banû Qurayza tués en 627 ?

Cette tribu juive, alliée aux musulmans de Médine contre les Mecquois, s’était retournée contre les musulmans lors de la bataille du Fossé (Khandaq). À la suite de quoi, les musulmans les ont assiégés et ont eu raison de leur forteresse. L’entrée en islam leur fut proposée, en vain. Afin que leur jugement soit le plus indulgent possible, le Prophète en chargea un grand ami de cette tribu juive, Sa’d ibn Mu’adh, un membre de la tribu arabe médinoise des Aws. Celui-ci fit exécuter les hommes de la tribu pour haute trahison. Le Prophète approuva cette décision. Le jugement de Sa‘d s’inscrivait en fait dans la droite ligne de la loi juive. Dans le cas d’une cité assiégée, il est dit en Deutéronome 20 : 12 : « Et lorsque le Seigneur ton Dieu l’aura livré entre tes mains, tu feras passer tous les mâles au fil de l’épée ; mais les femmes, les enfants, le bétail et tout ce qui se trouvera dans la ville, ainsi que tout son butin, tu le prendras pour toi. »
La trahison a toujours été punie de la peine de mort, dans toutes les lois de la guerre. Or, la clémence que pratiquait le Prophète jusqu’alors avait toujours joué en sa défaveur : la sauvegarde des prisonniers, à l’issue de la bataille de Badr notamment, avait failli être fatale aux musulmans lors des batailles suivantes. Cette fois, le message fut entendu, et une telle situation ne se présenta plus de son vivant.

D’où vient le concept de djihad ? Et plus précisément, dans quel contexte s’applique le djihad mineur, le djihad militaire ?

Le Prophète distingue « djihad majeur » et «djihad mineur ». Le « djihad majeur » consiste à lutter contre son ego, ses passions et ses illusions, en Dieu. Le terme arabe signifie « effort sur soi ». Le djihad doit répandre le bien. Le Prophète dit par exemple à ce propos : « Ôte un caillou du chemin pour ne pas que ça ne nuise pas aux autres. » Quant au djihad mineur, militaire, il n’est autorisé qu’en cas de légitime défense. Ainsi lors des Croisades. Quand les chrétiens prirent Jérusalem en 1099, ils tuèrent les juifs et musulmans qui y vivaient. Lorsque Saladin reprît la ville en 1187, il épargna tout le monde, croisés compris. Il s’est aussi appliqué pendant l’occupation coloniale. Lorsque l’Europe a pris les terres aux Algériens, selon les lois, le djihad pouvait être déclaré. Mais c’est tout. Le djihad ne peut consister à répandre l’islam par l’épée.

Dans ce contexte post-colonial, les djihadistes d’aujourd’hui peuvent-ils interpréter à leur manière le verset : « quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes » (s5.v32). Considèrent-ils que les Occidentaux ont corrompu leurs terres et méritent donc la mort ?

Ces gens-là savent très bien communiquer. Quand ils ont effacé avec des bulldozers l’ancienne ligne de démarcation entre la Syrie et l’Irak, datant des accords Sykes-Picot de 1916, ils ont affirmé effacer le mal que l’Occident avait fait. Même revendication quand ils ont tué Hervé Gourdel en Algérie. Ils nous renvoient notre miroir : les croisades, le colonialisme, la Guerre d’Algérie, les Guerres du Golfe, la création d’Israël, le conflit israëlo-palestinien….. Ils sont dans le ressentiment vis-à- vis de l’Occident. Cela nourrit des rancoeurs au Proche-Orient. Mais les premières victimes des djihadistes sont les musulmans eux-mêmes, que ce soit au Yémen, en Irak, en Syrie, en Afghanistan. Il y a des milliers de morts. Notamment dans le conflit chiites-sunnites, qui a été attisé par les Américains en Irak. Daech joue clairement la carte antichiite. Et certains musulmans tombent dans le panneau.

Par quels référents les djihadistes s’autorisent-ils des pratiques aussi barbares que l’esclavage sexuel des femmes yézidies ?

En islam, il n’y a pas de magistère suprême. La source d’autorité est plurielle. Les fanatiques peuvent lancer une fatwa, en se référant à un avis juridique antérieur. Dans ce cas précis, ils peuvent affirmer qu’en cas de guerre, une femme qui s’offre aux combattants est récompensée. Mais, alors que l’islam prône l’équilibre, ces gens-là sont d’emblée dans l’extrémisme. Plusieurs autorités islamiques ont condamné ces actes, comme le fait de tuer des juifs et des chrétiens, actes totalement contraires à l’islam. Il ne faut pas entrer dans leur jeu. Ne pas développer de ressentiment antimusulman.

Si cela va à l’encontre des valeurs de l’islam, pourquoi ces djihadistes recherchent-ils la guerre à tout prix?

Cette logique jusqu’au-boutiste est animée par un nihilisme messianique. Ils ne sont pas les seuls. Beaucoup de musulmans, de juifs et chrétiens born-again américains, dont l’ex-président des États-Unis George W. Bush, y croient : il faut précipiter le chaos pour susciter la venue du Mahdi, du sauveur qui va préparer le retour de Jésus sur terre. Pour l’islam, Jésus n’est pas mort et va revenir à la fin des temps pour apporter le règne de la paix. Les djihadistes veulent précipiter le conflit en créant une guerre entre l’Occident et le monde musulman. Ils cherchent à attiser les haines, pour provoquer un choc des civilisations qui n’existe pas. C’est un choc des ignorances. Ces ignorances puisent leurs sources dans un malaise civilisationnel. Les gens qui commettent ces actes, comme les frères Kouachi, sont endoctrinés, mais n’ont pas de connaissance réelle de l’islam. Ils développent une culture du ressentiment envers l’Occident, la mondialisation, etc.. et ils cherchent une identité.

Que faut-il faire pour enrayer le phénomène des départs au djihad ?

Il faut créer des centres français de formation à l’islam. Ne pas laisser les gens partir se former en Arabie ou au Pakistan. La France n’a pas pris en compte le renouveau du religieux en général, de l’islam en particulier. Il y a une dizaine d’années, l’État français n’a fait aboutir aucune demande de création d’institut universitaire de formation à l’islam. Alors que le président Chirac y était favorable. La France doit réformer son rapport au religieux et au spirituel. Il faut prendre en compte le besoin de spiritualité. Beaucoup de gens, musulmans ou non, me confient qu’ils étouffent en France, car l’État nie le religieux et la spiritualité. Qu’elle soit islamique, chrétienne, juive ou autre, la spiritualité est à même de dépasser le champ horizontal du conflit. Elle apporte de la sagesse et du recul face aux évènements. Il faut bien sûr faire des lois antiterroristes. Mais il faut avant tout nourrir l’âme humaine, lui donner un sens.

Propos recueillis par Matthieu Stricot – publié le 16/01/2015

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St Louis, au delà du mythe

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Le Saint-Louis de Mainneville ouvre l’exposition de la Conciergerie (vers 1305-1310, église Saint-Pierre). © Matthieu Stricot

 

Il y a 800 ans, en 1214, naissait Saint Louis, roi de France de 1226 jusqu’à sa mort en 1270. Le règne de Louis IX fut l’un des plus marquants du Moyen Âge. Un rayonnement renforcé par sa canonisation en 1297. Mais quel homme était-il ? Comment liait-il sa foi et son pouvoir ? Comment sa personnalité a-t-elle marqué l’art de l’époque ? Jusqu’au 11 janvier 2015, l’exposition « Saint Louis » à la Conciergie, à Paris, présente ce grand personnage de l’Histoire de France.

 

« Il est le roi des rois de la terre. » Cette citation du moine anglais Matthieu Paris (v. 1200-1259) accueille le visiteur à l’entrée de l’exposition consacrée à Saint Louis à la Conciergerie, à Paris. Né il y a 800 ans, en 1214, Louis IX fut un souverain exceptionnel.« Peu de rois ou de princes ont laissé une telle empreinte dans le patrimoine français », affirme Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux.

Mais, au-delà du mythe, qui était l’homme ? « Pour y répondre, nous sommes partis du Saint Louis de l’historien Jacques Le Goff », explique Pierre-Yves Le Pogam, commissaire de l’exposition. « Il avait écrit son livre à la suite d’un article intitulé “Saint Louis a-t-il existé ?”. Il ne remettait évidemment pas en question l’existence d’un roi aussi puissant. La question était plutôt : Que savons-nous de l’homme réel derrière les filtres de l’Histoire ? »

L’exposition remonte le temps, du mythe à l’homme en passant par la canonisation. Pour commencer, la statue de Saint Louis de Mainneville, datée du XIVe siècle. « C’est une image idéale du roi, en tenue de sacre, qui met l’accent sur sa majesté », explique le commissaire. Une série de tableaux du XIXe siècle, réalisés par le peintre symboliste Alphonse Osbert, illustre comment « l’exemple de Saint Louis permettait alors de légitimer la “mission civilisatrice” de la colonisation ».

L’an 1297 est marqué par la canonisation du roi. « Elle fut déterminante dans l’intérêt des autres souverains pour Saint Louis. » Des reliques indirectes témoignent du culte voué au saint souverain : sa chemise, un cilice, le reliquaire de la Sainte-Épine…

Le visiteur découvre ensuite l’homme et sa famille. Un manuscrit de sa mère, Blanche de Castille, la petite Bible de Saint Louis, un recueil de psaumes appartenant probablement à sa fille Isabelle… Les objets rappellent les liens entre la foi et le pouvoir du roi.

Le fondateur de la Sainte Chapelle

Le caractère religieux du règne de Saint Louis est mis en valeur dans la deuxième partie de l’exposition, « du royaume terrestre à la Jérusalem céleste ». « Saint Louis s’identifie à la fois aux rois de Juda et aux rois mérovingiens ». En témoigne, pour ces derniers, la statue du roi Childebert. Si sa barbe fait référence aux premiers rois francs, le manteau et le sceptre le rapprochent d’un roi du XIIIe siècle.

La charte de fondation de la Sainte Chapelle vient rappeler l’attrait du souverain pour la Terre Sainte. Saint Louis a construit l’édifice afin d’abriter la Couronne d’épines qu’il avait acquise en 1239. « Mais son intérêt pour les reliques n’était pas égoïste. Pour lui, le roi doit être à l’image du Christ ». Il distribue des épines à ses amis. À l’abbaye d’Assise, notamment. « Sa spiritualité est guidée par la passion pour aller dans les pas du Christ. Elle est la raison de sa croisade », ainsi que l’illustre un manuscrit célébrant la conquête de Damiette, en Égypte, en 1249.

Un roi passionné par les arts

L’un des premiers exemples de Bible en français manifeste la floraison des arts sous le règne de Louis IX. « Les images y sont influencées par Byzance et le monde musulman », fait remarquer Pierre-Yves Le Pogam. Ce changement de style, des nouveautés iconographiques apparaissent aussi dans le Troisième évangéliaire de la Sainte Chapelle : « les quatre évangélistes y sont représentés sous leur forme humaine, sans leur symbole ». Les Franciscains eux-mêmes entendent être fidèles à la nature. Ainsi cette sculpture où Ève se distingue d’Adam par une poitrine apparente. « Pour la première fois, ils essaient de regarder le réel en s’intéressant à l’individualité. » De la même façon, la tête de saint Jean l’Évangéliste rappelle le pathos hellénistique. Elle fait judicieusement face à une statue de Vierge à l’enfant où se mêlent grâce et majesté. Le mouvement de la Vierge est perceptible.

Un démenti, donc, aux affirmations selon lesquelles « l’art de l’époque était un art d’équilibre ». Saint Louis a-t-il vraiment agi sur l’art de son temps ? « Saint Louis affirmait, il est vrai, que la principale qualité était la prud’homie, à savoir se comporter en homme moyen. Mais c’était au contraire un homme passionné. »

Son époque reflète sa personnalité. Celle d’« un roi animé par un souci intérieur, une angoisse : le désir d’aller vers le mieux », conclut le commissaire de l’exposition.

 

> Pour aller plus loin :

« Saint Louis », jusqu’au 11 janvier 2015, à la Conciergerie.
2, boulevard du Palais, 75001 Paris
De 9 h 30 à 18 h. Nocturne le mercredi jusqu’à 20 h.
Billets à partir de 9,50 euros sur ticket.monuments-nationaux.fr
Infos au 01 53 40 60 80

 

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr

 

Égyptiennes et chrétiennes, des femmes dans les révolutions

L’Égypte vit au rythme des changements de régimes depuis la révolution du 25 janvier 2011, au tout début des « printemps arabes ». Démission de Moubarak, arrivée au pouvoir des Frères musulmans, coup d’État puis élection du maréchal al-Sissi à la présidence… Depuis, l’Égypte a été le théâtre de graves violences et de tensions politiques et sociales. Comment la communauté chrétienne d’Égypte, la plus grande du monde arabe (plus de 10 millions de fidèles), a-t-elle traversé ces évènements ? Quelle est la place des femmes sous les différents régimes ? Nous avons rencontré trois chrétiennes égyptiennes.

ChrétiennesEgypte

Chaque mercredi, Martine Akad et Hélène Khoari suivent des cours de théologie à l’église Saint-Cyrille d’Héliopolis. © Matthieu Stricot

Le 25 janvier 2011, des millions de Cairotes envahissent la place Tahrir, réclamant la démission du président Hosni Moubarak.« Je n’avais jamais vu de révolution, de guerre ou de conflit en Égypte », se souvient Martine Akad, âgée de 23 ans au début de la Révolution. « C’était la première fois que je voyais des gens dans la rue pour s’opposer au pouvoir ». Après avoir étudié le droit à Paris, cette jeune catholique melkite est rentrée au Caire pour travailler comme manager de projet. Chaque mercredi, elle suit des cours de théologie à l’église Saint-Cyrille d’Héliopolis – à l’ouest de l’agglomération cairote – à l’instar d’autres femmes catholiques, toutes générations confondues. L’occasion de partager leurs opinions sur les évènements survenus depuis 2011.

Quand les premiers cocktails molotov ont explosé place Tahrir, Nadia Michelle Gaballa, 62 ans, a « fait le rapprochement avec la révolution égyptienne de 1952 ». Les manifestations antioccidentales avaient abouti au renversement de la monarchie de Farouk Ier. « La Révolution avait été kidnappée » par le coup d’État de Mouvement des officiers libres, conduit par Mohammed Naguib et Gamal Abdel Nasser. Mais l’enseignante à la retraite a vite changé son regard sur la révolution de 2011 : « Les Égyptiens victimes de la corruption ont rejoint les manifestants avec de bonnes intentions. Cependant, j’ai vite ressenti l’influence des Frères musulmans. »

Dans un premier temps, la présence de la confrérie dans les manifestations n’a pas inquiété la jeune Martine : « L’équipe de Moubarak faisait passer les Frères musulmans pour des monstres. Mais ils ont bien joué leur rôle place Tahrir. Ils n’étaient pas agressifs. Les gens ont eu pitié d’eux. » Après la démission de Moubarak, le 11 févier 2011, les Frères musulmans sont portés au pouvoir par les urnes en juin 2012. Mohamed Morsi est alors le premier président d’Égypte démocratiquement élu.

« Je ne pouvais plus conduire en débardeur »

« Une fois au pouvoir, les Frères musulmans n’avaient plus les mêmes idées, plus les mêmes objectifs, se souvient Martine. Beaucoup de traditions nous empêchent de nous habiller et de nous exprimer comme on veut. Mais quand un groupe islamiste veut imposer la sharia, sans séparer religion et politique, c’est effrayant. J’ai dû changer ma manière de vivre. Je ne pouvais plus conduire en débardeur. Une femme chrétienne a été attaquée parce qu’elle avait une croix dans sa voiture ».

Hélène Khoari, pharmacienne et enseignante de 54 ans, s’inquiétait surtout pour ses enfants : « Pour aller à l’université, ma fille devait attacher ses cheveux, ne pas porter un pantalon trop serré et mettre une veste, pour ne pas attirer l’attention. J’ai demandé à mes enfants s’ils voulaient partir étudier à l’étranger. » Aujourd’hui, l’une de ses filles étudie au Portugal, une autre en France.
Nadia, pour éviter les problèmes, s’efforçait de « penser comme les islamistes pour ne pas paraître trop féminine ». Elle admet tout de même n’avoir « pas trop souffert en tant que femme à Héliopolis. Ailleurs en Égypte, la situation était pire. Des femmes ont été kidnappées dans des villages, des magasins ont été attaqués ».

Autrefois enseignante, Nadia ne comprend pas cette division entre chrétiens et musulmans : « Dans mon école franciscaine, musulmans et chrétiens récitions ensemble le Notre Père et le Je vous salue Marie tous les matins. Mes amies, de vraies musulmanes, prient cinq fois par jour, mais elles ne mettent pas de mur entre nous. »
Hélène regrette également ce clivage : « Quand j’avais 10 ans, il n’y avait pas de division entre chrétiens et musulmans. Le phénomène est apparu à la fin des années 70. »

« Je pense d’abord comme une Égyptienne »

Face à la montée des tensions, plus de 12 millions d’Égyptiens sont descendus dans la rue pour exiger le départ de Morsi, le 30 juin 2013. « Les Frères musulmans accusent les chrétiens d’être responsables des manifestations. Mais je pense comme une Égyptienne avant de penser comme une chrétienne. Les Égyptiens musulmans manifestaient avec nous. Ils étaient tout aussi inquiets », affirme Martine.
Ce soulèvement populaire ouvre la voie au coup d’État mené par le maréchal Abdel Fattah al-Sissi contre Mohamed Morsi le 3 juillet 2013. Il jouit depuis d’une certaine popularité chez les Égyptiens. Le 8 juin dernier, il a remporté l’élection présidentielle avec 96 % des suffrages. Un vote orchestré dans un contexte de fraudes et de « violations répétées des droits de l’homme » contre des Frères musulmans, des violences dénoncées comme « l’un des plus importants massacres de manifestants de l’histoire récente » par l’ONG Human Rights Watch.

Cela n’empêche pas Nadia de qualifier al-Sissi de « sauveur ayant répondu à notre SOS ».Pourquoi cette dévotion ? L’armée est une institution profondément respectée de nombreux Égyptiens : « Elle est composée de pères, d’oncles, de frères, de nos familles. Ce ne sont pas des mercenaires. L’armée fait partie de nous. Elle est comme un père », affirme Nadia. Pour elle, le peuple égyptien « a besoin d’un grand leader. Avoir un militaire au pouvoir est une bonne chose pour notre pays. Al-Sissi est ferme et organisé. De plus, il a enlevé l’uniforme. Je suis certaine que l’on avance vers la démocratie, à l’opposé des Frères musulmans ».

La jeune Martine est plus réservée : « Je suis descendue dans la rue le 30 juin 2013. Mais je ne voulais pas revoir les militaires au pouvoir. C’est comme revenir en arrière. » Elle essaie tout de même de rester optimiste : « Jusqu’à présent, le gouvernement n’est pas parfait, mais il essaie de s’attaquer aux problèmes, contrairement à l’époque de Moubarak. À commencer par faire face à la vague d’attentats dans le Sinaï. »

Matthieu Stricot, envoyé spécial au Caire – publié le 13/11/2014

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Aumôniers : accompagner et soigner les âmes à l’hôpital

Matthieu Stricot et Fabien Leone – publié le 23/04/2014

Religieux et fonctionnaire à la fois, le métier d’aumônier est méconnu. Pourtant, cette profession couvre des territoires aussi essentiels que l’armée et l’hôpital. Un rôle d’accompagnement dans la vie comme dans la mort, tout en respectant la religion de chacun. Anne Thöni, pasteur-aumônier à l’hôpital Avicienne de Bobigny, a témoigné de son métier lors d’un colloque organisé par le Cefrelco*, début avril, à Paris.

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© Stéphane OUZOUNOFF/CIRIC

À la fois dépendant de sa tutelle religieuse et soumis à l’autorité de l’hôpital, « l’aumônier est en quelque sorte un agent double », sourit Anne Thöni, pasteur-aumônier et coordinatrice de la première aumônerie interreligieuse à l’hôpital Avicenne de Bobigny pendant dix ans.

L’aumônier ne doit trahir ni celui qui l’envoie, ni celui qui l’embauche. Cela doit être vécu « comme un mariage en alliance avec la laïcité. L’aumônier se trouve au carrefour du public et du privé, sans les mélanger », rappelle-t-elle. C’est une règle primordiale sinon le professionnel sera « écartelé » par cette double appartenance.

Un collègue catholique lui confia un jour son exaspération d’être cantonné « à donner un coup de goupillon sur les cercueils ». Anne Thöni persiste et signe : « nous ne sommes pas des gens de la mort mais de la vie » ! Au-delà des obsèques, la mission principale est d’accompagner, d’évaluer les besoins et promulguer des soins spirituels.

La spiritualité tient une place dans la guérison

Les hôpitaux sont des lieux de souffrance où la spiritualité peut occuper une place primordiale pour le patient. Pour certains malades, « c’est une pratique intégrante du quotidien. Elle peut constituer une place importante dans le processus de guérison », observe le pasteur-aumônier.

Anne Thöni se souvient « d’une patiente protestante évangélique. Elle m’explique qu’elle est fichue et qu’elle n’arrive plus à prier. Point par point, je tente de lui faire comprendre que sa culpabilité la bloque dans sa pratique. Nous avons échangé longuement au point de faire de la théologie. Avec les textes bibliques, je lui ai montré ce Dieu qui accueille. Après des mois de dialogue, elle retrouve la force de prier. Depuis cinq ans, elle vit chez elle et, bien que toujours bien malade, transcende son quotidien ».

La nécessité des aumôneries interreligieuses

La France est un pays traversé par un pluralisme religieux que les services d’aumôneries se doivent de traduire. Anne Thöni rappelle que « l’interreligieux n’est pas la fusion des cultes mais l’égalité des cultes. Ni minoritaire, ni majoritaire et surtout pas dominante ; une religion ne doit pas imposer sa vérité à l’autre », insiste-t-elle.

Les aumôneries interreligieuses sont « des alliances de bonne volonté où le respect se conjugue à tous les modes (le monde de l’hôpital, les autres cultes et la singularité des personnes).»

Ces années passées à l’hôpital Avicenne à Bobigny au côté d’aumôniers catholique, orthodoxe, juif et musulman ont été pour Anne Thöni « dix ans de bonheur ».

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