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Un num\u00e9ro historique de Charlie Hebdo <\/i>continue de s\u2019arracher dans tous les kiosques de France. Historique est ici \u00e0 prendre au sens litt\u00e9ral, dans lequel\u00a0 l\u2019histoire est ce mouvement qui transforme les hommes, les ensembles, les puissances. Cette histoire est-elle \u00abpleine de bruit et de fureur, racont\u00e9e par un idiot, et qui ne signifie rien\u00bb<\/i>, pour reprendre la tirade fameuse de Hamlet ? En tout cas, elle nous emm\u00e8ne tous quelque part o\u00f9 nous n\u2019\u00e9tions pas auparavant.<\/p>\n

Ce vendredi 16 janvier, jour de pri\u00e8re pour les musulmans, des pr\u00eacheurs \u00e9chauff\u00e9s ont expliqu\u00e9 aux fid\u00e8les, de par le monde, que Charlie Hebdo<\/i>, une fois encore, insultait le proph\u00e8te sur sa Une. Les douze personnes massacr\u00e9es le 7 janvier \u00e0 l\u2019hebdomadaire satirique p\u00e8sent peu, pour certains, face \u00e0 une telle accusation. Et \u00abla rue musulmane\u00bb a une fois de plus r\u00e9sonn\u00e9 de cris de col\u00e8re contre l\u2019Occident : des drapeaux fran\u00e7ais ont \u00e9t\u00e9 br\u00fbl\u00e9s, des instituts fran\u00e7ais incendi\u00e9s, il y a eu au moins quatre morts au Niger, un photographe de l\u2019AFP a \u00e9t\u00e9 gri\u00e8vement bless\u00e9 au Pakistan.<\/p>\n

Les int\u00e9gristes ont une excuse : ils n\u2019ont certainement pas regard\u00e9 cette Une de peur d\u2019y voir un sacril\u00e8ge. S\u2019ils osaient lever les yeux avant de lever le poing, que verraient-ils ? Un personnage en turban blanc, sur fond vert islam, la larme \u00e0 l\u2019\u0153il et tenant une pancarte \u00abTout es pardonn\u00e9\u00bb<\/i>. O\u00f9 est Mahomet sur cette Une ? Rien ne dit que c\u2019est lui. D\u2019ailleurs on serait bien en peine de le reconna\u00eetre puisqu\u2019il n\u2019est jamais repr\u00e9sent\u00e9, en tout cas dans la tradition musulmane sunnite \u2013les Persans chiites, eux, l\u2019ont longtemps fait figurer sur leurs exquises miniatures.<\/p>\n

Nous sommes bien l\u00e0 devant un probl\u00e8me de repr\u00e9sentations, sans mauvais jeu de mot. Les commentateurs de l\u2019islam le plus rigoriste \u2013 par exemple le courant wahhabite \u2013 poussent l\u2019interdit de la repr\u00e9sentation de Dieu jusqu\u2019\u00e0 l\u2019extr\u00eame : Dieu, inconnaissable, ne peut \u00eatre repr\u00e9sent\u00e9 ; par transitivit\u00e9, le Proph\u00e8te Muhammad (Mahomet) non plus ; par extension la figure humaine non plus ; et jusqu\u2019aux animaux, cr\u00e9atures de Dieu. Dans cette logique, la photographie et les vid\u00e9os, si pris\u00e9es de ceux qui se proclament djihadistes, ne semblent pas tr\u00e8s\u00a0 halal. Mais le dessin est une technique tr\u00e8s ancienne, qui existait d\u00e9j\u00e0 au VIIe si\u00e8cle, \u00e9poque \u00e0 laquelle disent se r\u00e9f\u00e9rer certains \u00abdocteurs de la loi\u00bb (oul\u00e9mas) pour faire valoir au XXIe si\u00e8cle un iconoclasme inflexible (l\u2019iconoclasme est la destruction des images assimil\u00e9es aux idoles ador\u00e9es par les pa\u00efens).<\/p>\n

Les repr\u00e9sentations, l\u2019Occident chr\u00e9tien en a aussi. Et elles m\u00e9ritent tout autant d\u2019\u00eatre prises en consid\u00e9ration, d\u00e9crypt\u00e9es et m\u00eame respect\u00e9es que celles de l\u2019Islam (avec une majuscule, pour parler de l\u2019aire culturelle musulmane). Voil\u00e0 ce qu\u2019un \u0153il fran\u00e7ais voir sur cette Une de Charlie Hebdo, r\u00e9alis\u00e9e avec un courage impressionnant par des gens \u00e9pouvant\u00e9s, endeuill\u00e9s, parfois bless\u00e9s quelques jours auparavant. Il y voit un message fonci\u00e8rement fraternel. L\u2019homme au turban blanc, un musulman standard selon les codes simplifi\u00e9s du dessin de presse, loin de faire peur ou d\u2019\u00e9loigner, rapproche par sa compassion : il pleure, et il pardonne.<\/p>\n

Ce \u00abTout est pardonn\u00e9\u00bb<\/i> est une parole chr\u00e9tienne. Il est impossible de l\u2019ignorer, m\u00eame si la mis\u00e9ricorde n\u2019est pas une exclusivit\u00e9 chr\u00e9tienne. Surgi sous le crayon de Luz dans le pire moment de souffrance, ce pardon montre que les caricaturistes, y compris les ath\u00e9es et les anticl\u00e9ricaux de Charlie Hebdo, appartiennent \u00e0 cette culture chr\u00e9tienne o\u00f9 l\u2019injonction \u00ab pardonne \u00e0 tes ennemis \u00bb est profond\u00e9ment inscrite dans les consciences \u2013 ou les inconscients. L\u00e0 o\u00f9 beaucoup de musulmans, y compris en France, voient une provocation, la plupart des Fran\u00e7ais, et parmi eux des musulmans, voient un geste de r\u00e9conciliation, une main tendue. Pardonner malgr\u00e9 notre propre col\u00e8re, c\u2019est ce qui nous est pr\u00e9sent\u00e9 comme la bonne chose \u00e0 faire \u2013 tant dans l\u2019\u00e9ducation la\u00efque que dans l\u2019\u00e9ducation religieuse.<\/p>\n

Comme disait Catherine Nay sur Europe 1 ce samedi matin, les pays musulmans ne comprennent pas que nous ne comprenions pas ce qu\u2019ils ressentent. De notre c\u00f4t\u00e9, nous ne comprenons pas qu\u2019ils ne comprennent pas ce que nous ressentons. L\u2019histoire est faite de ces moments. Dans notre int\u00e9r\u00eat \u00e0 tous, il ne faut pas en sous-estimer le danger. En ce sens, la pr\u00e9sence de hauts repr\u00e9sentants musulmans ou de pays musulmans \u00e0 Paris dans la marche des \u00abJe suis Charlie\u00bb, ne doit pas \u00eatre ridiculis\u00e9e ou minimis\u00e9e. Le roi et la reine de Jordanie, les imams fran\u00e7ais ou le ministre des affaires \u00e9trang\u00e8res turc, en d\u00e9filant \u00e0 Paris contre le terrorisme par\u00e9 du nom d\u2019Allah, ont pris, eux aussi, des risques.<\/p>\n

Sophie Gherardi<\/a> | le 17.01.2015 \u00e0 14:55<\/em>
\nEn savoir plus sur http:\/\/www.fait-religieux.com\/monde\/religions-1\/ou-est-mahomet-#S2lwBhFoRFEFd3zP.99<\/a><\/p>\n

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