Égyptiennes et chrétiennes, des femmes dans les révolutions

L’Égypte vit au rythme des changements de régimes depuis la révolution du 25 janvier 2011, au tout début des « printemps arabes ». Démission de Moubarak, arrivée au pouvoir des Frères musulmans, coup d’État puis élection du maréchal al-Sissi à la présidence… Depuis, l’Égypte a été le théâtre de graves violences et de tensions politiques et sociales. Comment la communauté chrétienne d’Égypte, la plus grande du monde arabe (plus de 10 millions de fidèles), a-t-elle traversé ces évènements ? Quelle est la place des femmes sous les différents régimes ? Nous avons rencontré trois chrétiennes égyptiennes.

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Chaque mercredi, Martine Akad et Hélène Khoari suivent des cours de théologie à l’église Saint-Cyrille d’Héliopolis. © Matthieu Stricot

Le 25 janvier 2011, des millions de Cairotes envahissent la place Tahrir, réclamant la démission du président Hosni Moubarak.« Je n’avais jamais vu de révolution, de guerre ou de conflit en Égypte », se souvient Martine Akad, âgée de 23 ans au début de la Révolution. « C’était la première fois que je voyais des gens dans la rue pour s’opposer au pouvoir ». Après avoir étudié le droit à Paris, cette jeune catholique melkite est rentrée au Caire pour travailler comme manager de projet. Chaque mercredi, elle suit des cours de théologie à l’église Saint-Cyrille d’Héliopolis – à l’ouest de l’agglomération cairote – à l’instar d’autres femmes catholiques, toutes générations confondues. L’occasion de partager leurs opinions sur les évènements survenus depuis 2011.

Quand les premiers cocktails molotov ont explosé place Tahrir, Nadia Michelle Gaballa, 62 ans, a « fait le rapprochement avec la révolution égyptienne de 1952 ». Les manifestations antioccidentales avaient abouti au renversement de la monarchie de Farouk Ier. « La Révolution avait été kidnappée » par le coup d’État de Mouvement des officiers libres, conduit par Mohammed Naguib et Gamal Abdel Nasser. Mais l’enseignante à la retraite a vite changé son regard sur la révolution de 2011 : « Les Égyptiens victimes de la corruption ont rejoint les manifestants avec de bonnes intentions. Cependant, j’ai vite ressenti l’influence des Frères musulmans. »

Dans un premier temps, la présence de la confrérie dans les manifestations n’a pas inquiété la jeune Martine : « L’équipe de Moubarak faisait passer les Frères musulmans pour des monstres. Mais ils ont bien joué leur rôle place Tahrir. Ils n’étaient pas agressifs. Les gens ont eu pitié d’eux. » Après la démission de Moubarak, le 11 févier 2011, les Frères musulmans sont portés au pouvoir par les urnes en juin 2012. Mohamed Morsi est alors le premier président d’Égypte démocratiquement élu.

« Je ne pouvais plus conduire en débardeur »

« Une fois au pouvoir, les Frères musulmans n’avaient plus les mêmes idées, plus les mêmes objectifs, se souvient Martine. Beaucoup de traditions nous empêchent de nous habiller et de nous exprimer comme on veut. Mais quand un groupe islamiste veut imposer la sharia, sans séparer religion et politique, c’est effrayant. J’ai dû changer ma manière de vivre. Je ne pouvais plus conduire en débardeur. Une femme chrétienne a été attaquée parce qu’elle avait une croix dans sa voiture ».

Hélène Khoari, pharmacienne et enseignante de 54 ans, s’inquiétait surtout pour ses enfants : « Pour aller à l’université, ma fille devait attacher ses cheveux, ne pas porter un pantalon trop serré et mettre une veste, pour ne pas attirer l’attention. J’ai demandé à mes enfants s’ils voulaient partir étudier à l’étranger. » Aujourd’hui, l’une de ses filles étudie au Portugal, une autre en France.
Nadia, pour éviter les problèmes, s’efforçait de « penser comme les islamistes pour ne pas paraître trop féminine ». Elle admet tout de même n’avoir « pas trop souffert en tant que femme à Héliopolis. Ailleurs en Égypte, la situation était pire. Des femmes ont été kidnappées dans des villages, des magasins ont été attaqués ».

Autrefois enseignante, Nadia ne comprend pas cette division entre chrétiens et musulmans : « Dans mon école franciscaine, musulmans et chrétiens récitions ensemble le Notre Père et le Je vous salue Marie tous les matins. Mes amies, de vraies musulmanes, prient cinq fois par jour, mais elles ne mettent pas de mur entre nous. »
Hélène regrette également ce clivage : « Quand j’avais 10 ans, il n’y avait pas de division entre chrétiens et musulmans. Le phénomène est apparu à la fin des années 70. »

« Je pense d’abord comme une Égyptienne »

Face à la montée des tensions, plus de 12 millions d’Égyptiens sont descendus dans la rue pour exiger le départ de Morsi, le 30 juin 2013. « Les Frères musulmans accusent les chrétiens d’être responsables des manifestations. Mais je pense comme une Égyptienne avant de penser comme une chrétienne. Les Égyptiens musulmans manifestaient avec nous. Ils étaient tout aussi inquiets », affirme Martine.
Ce soulèvement populaire ouvre la voie au coup d’État mené par le maréchal Abdel Fattah al-Sissi contre Mohamed Morsi le 3 juillet 2013. Il jouit depuis d’une certaine popularité chez les Égyptiens. Le 8 juin dernier, il a remporté l’élection présidentielle avec 96 % des suffrages. Un vote orchestré dans un contexte de fraudes et de « violations répétées des droits de l’homme » contre des Frères musulmans, des violences dénoncées comme « l’un des plus importants massacres de manifestants de l’histoire récente » par l’ONG Human Rights Watch.

Cela n’empêche pas Nadia de qualifier al-Sissi de « sauveur ayant répondu à notre SOS ».Pourquoi cette dévotion ? L’armée est une institution profondément respectée de nombreux Égyptiens : « Elle est composée de pères, d’oncles, de frères, de nos familles. Ce ne sont pas des mercenaires. L’armée fait partie de nous. Elle est comme un père », affirme Nadia. Pour elle, le peuple égyptien « a besoin d’un grand leader. Avoir un militaire au pouvoir est une bonne chose pour notre pays. Al-Sissi est ferme et organisé. De plus, il a enlevé l’uniforme. Je suis certaine que l’on avance vers la démocratie, à l’opposé des Frères musulmans ».

La jeune Martine est plus réservée : « Je suis descendue dans la rue le 30 juin 2013. Mais je ne voulais pas revoir les militaires au pouvoir. C’est comme revenir en arrière. » Elle essaie tout de même de rester optimiste : « Jusqu’à présent, le gouvernement n’est pas parfait, mais il essaie de s’attaquer aux problèmes, contrairement à l’époque de Moubarak. À commencer par faire face à la vague d’attentats dans le Sinaï. »

Matthieu Stricot, envoyé spécial au Caire – publié le 13/11/2014

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