Le terme « laïc » ou « laïque » vient du latin laicus, dont le sens était « qui n’appartient pas au clergé ». Il a été inventé pour distinguer l’homme ou la femme qui n’était pas engagé(e) dans un ordre religieux ou une voie spirituelle spécifique, quelqu’un de libre de toute appartenance religieuse.
On parle beaucoup aujourd’hui de laïcité, tant au niveau du gouvernement que de nombreuses administrations ou encore dans l’univers philosophique, parfois d’une manière qui frise le harcèlement et la sottise. Il y a certes un côté positif si l’on comprend qu’il est important de mettre, effectivement, l’accent sur les qualités humaines, plutôt que sur les méthodes ou les moyens – propres à chacun – propices à les développer.
Néanmoins, quand on parle de « méditation laïque », on peut facilement voir que l’expression est en elle-même une sorte de pléonasme. En effet, il ne viendrait pas à l’idée de quelqu’un de sensé de dire : un feu chaud, une glace froide, une eau mouillée, etc. Si l’on comprend vraiment de quoi on parle, la méditation, la pratique du calme mental est naturellement laïque par essence, puisque toute forme de pensées, y compris religieuse est mise de côté pendant la pratique de la méditation. Elle peut par contre être intégrée à une voie spirituelle authentique, ce qui lui octroie une grande puissance.
L’expression « spiritualité laïque » est aussi un pléonasme, dans la mesure où une spiritualité épanouie est l’objectif véritable d’une religion bien comprise. C’est l’histoire du doigt qui montre la lune. L’important est ce qui est montré, c’est-à-dire la lune, et pas le doigt. Si je me cristallise sur le doigt au point d’en oublier ce qu’il désigne, c’est là que la religion pose un problème. La religion n’est pas laïque, mais le résultat – la spiritualité – est bel et bien laïque. Il ne faut donc pas confondre religion et spiritualités. La religion concerne le moyen utilisé, le spirituel est le fruit.
Quand on a eu la chance dans sa vie d’être en contact avec de vrais mystiques – ce qui a été mon cas –, on voit tout naturellement que ce qui prime chez eux, ce sont leurs profondes qualités humaines : amour, bonté, générosité, compassion, sagesse, etc, avant même la voie religieuse et spirituelle qu’ils ont parcourue pour en arriver là. Mais pour réaliser cela, ils ont bel et bien suivi un chemin religieux, si l’on comprend le terme religieux comme quelque chose qui nous relie à une profondeur et à une réalité que l’intellect ne peut saisir et appréhender par lui-même. La vraie laïcité est donc le résultat naturel d’un chemin religieux et spirituel bien compris.
De nombreux êtres humains veulent être libres et laïques. La liberté est essentielle, évidemment, il n’y a pas à revenir là-dessus. Mais la liberté qu’ils veulent est bien souvent celle de l’ego, de l’égocentrisme : « Moi ! », avec la laïcité qui lui correspond, c’est-à-dire plutôt médiocre, dans le sens où elle manque de profondeur, d’authenticité et d’un véritable sentiment d’altruisme, dont on peut constater actuellement les effets dévastateurs sur notre planète, ainsi que sur l’être humain lui-même. Je peux en témoigner à travers la consultation de la souffrance que j’anime depuis plusieurs années à l’hôpital.
Il y a ainsi aujourd’hui deux types de laïcité : une superficielle et égocentrée qui se développe dangereusement, cherchant à étouffer toutes formes de religions, même les plus sincères et les plus pures, et une autre beaucoup plus profonde et plus discrète, fruit d’une religion et d’un chemin spirituel purs et authentiques.
La méditation désacralisée
Un autre danger non négligeable réside aujourd’hui dans le développement d’une méditation exclusivement centrée sur le bien-être, au détriment de la dimension sacrée qui a pourtant imprégné l’esprit humain depuis la nuit des temps, avec toute la magnificience qui en a résulté. Une dimension qui donne tout son sens à la Vie. La méditation-bien-être n’est pas un problème en soi, au contraire, si l’on sait exprimer clairement qu’il y a aussi un autre objectif possible de la méditation qui, lui, est purement spirituel – on pourrait dire également, différent, supérieur et bien plus élevé. Il ne faut pas l’oublier. Il suffit juste de le dire et le problème sera partiellement réglé. Encore faut-il avoir le courage et l’honnêteté de le faire dans l’époque actuelle. Ainsi, si la méditation du calme mental (shine, samatha, pleine conscience, MBSR) participe du bien-être ; des pratiques plus avancées de la méditation (vision supérieure, lhakthong, vipassana, mahamoudra, dzogchen) orientent vers le sacré, vers ce qui ne peut être dit, mais seulement vécu et réalisé intimement. Elles impliquent une voie religieuse bien définie et un maître spirituel qui, lui, l’a pleinement parcouru, quelqu’un qui en a vraiment l’expérience. Un homme ou une femme, qui par son amour illimité, a cette merveilleuse capacité à dissoudre les derniers voiles qui séparent le disciple mûr de cet océan d’amour dont on ne peut exprimer le nom.
En réalité, c’est là que débute la vraie méditation, au seuil de cette ultime nudité, la « sainte simplicité » de nos Anciens, de nos Aînés sur la Voie. Ainsi, si l’on n’y prend garde, désacraliser la méditation ou nier cet aspect sacré, la réduire à un simple anxiolytique, reviendrait finalement à priver les générations futures d’une source de bonheur et d’émerveillement incroyables et inconcevables et pourtant si réels, si vrais, si vastes. Alors, que voulons-nous vraiment et sommes-nous prêts à assumer les conséquences de nos choix vis-à-vis des générations à venir ?
– publié le 24/07/2014
Médecin et représentant de la tradition bouddhiste au niveau des hôpitaux de l’Assistance Publique de Marseille, auteur du livre Pour une santé à visage humain… L’art sacré du soin pour les générations à venir (Guy Trédaniel Éditeur, 2014).
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