Le symbolique Kosovo organise sa 4e Conférence interreligieuse

 Kosovo-conf

Atifete Jahjaga, présidente du Kosovo

L’un des thèmes principaux de cette rencontre était la lutte contre les discours haineux, notamment via Internet et les réseaux sociaux devenus des terrains de chasse favorables aux extrémistes. Du 28 au 30 mai dernier, Pristina a accueilli religieux, experts et journalistes pour faire un état des lieux et échanger leurs expériences.

Dans un hôtel donnant sur l’avenue Mère-Teresa, 200 participants venus du monde entier ont  pu entendre Atifete Jahjaga, présidente du Kosovo, ouvrir les débats. Les religieux locaux ont présenté un visage apaisé et uni qui a pu en surprendre plus d’un. Ainsi, l’archimandrite orthodoxe Sava Janjic a noté que « les religions n’avait pas joué de rôle dans le conflit qui avait ensanglanté le Kosovo ». Le président de la Conférence islamique locale, Ejup Ramadani, a appelé « à l’éradication de l’extrémisme, où qu’il soit caché ». Pour les catholiques, très minoritaires mais partie intégrante du peuple albanais, Don Lush Gjergji a souligné que « personne n’a réussi à briser l’unité religieuse du pays, ce qui doit en faire un produit d’exportation ».

Les religions, l’ONG la plus importante du monde

Pour conclure cette  session, l’ancien grand rabbin de Norvège, Michael Melchior, a partagé l’une des ses plus fortes expériences de dialogue interreligieux. En 2014, alors qu’il préparait la fête du Kippour en Israël, il fut informé que des extrémistes voulaient provoquer une émeute entre juifs et musulmans, profitant de la coïncidence de dates avec la fête de l’Aïd al-Adha – un jeûne contre un festin… Immédiatement, il a pris contact avec les imams locaux et, ensemble, ils ont pu éviter un bain de sang. Le rabbin Melchior d’en conclure que « les religions sont l’ONG la plus importante du monde »

Substance et efficacité des tables rondes

Particularité de cette rencontre, l’accent mis sur les solutions à apporter pour lutter contre la haine sur Internet. Ainsi, la directrice des produits de Facebook, Monika Bickert, a détaillé les stratégies du groupe dans ce sens. Des tables rondes expliquant comment devenir des activistes de la paix religieuse ont également suivi, sous l’impulsion du vice-ministre des Affaires étrangères Petrit Selimi. L’évènement est, en effet, l’un des piliers de la « diplomatie numérique » du Kosovo qui veut donner le modèle d’une société musulmane parfaitement laïque au reste du monde. De petits groupes de jeunes activistes du dialogue, comme les Français de l’association Coexister avaient aussi fait le déplacement pour partager leurs expériences de terrain auprès des jeunes avec d’autres acteurs, notamment de nombreux Américains. Parmi les questions posées, la place et la responsabilité des médias et des journalistes dans la connaissance et la présentation des religions ont été mises en avant et, il faut le dire, pas toujours à l’avantage des organes d’information. Un sujet important pour empêcher les extrémistes de trouver des arguments en faveur de leurs causes.

Par Antoine Colonna, envoyé spécial

publié le 01/07/2015

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr/

Internet et religion : quelques clefs pour un décryptage

InternetetReligion

Depuis une trentaine d’années seulement, on ne cesse de répéter que l’Internet a profondément transformé le paysage culturel des sociétés. Mais en quoi et jusqu’à quel point ? Sous couvert de « révolution digitale »,  les théories les plus fantaisistes ont été avancées, annonçant l’avènement d’une « nouvelle ère » pour les sociétés et pour les cultures. Mais qu’en est-il pour les religions, que Georges Balandier avait, il y a déjà trente ans, qualifié d’institutions parmi les plus résistantes à la modernité et à la mondialisation ?  Depuis le début des années 2010, les dits « réseaux sociaux »,  et de manière plus générale l’Internet ont été pointés du doigt pour leur rôle dans l’intense travail missionnaire dont les mouvances musulmanes radicales (dans l’appel au djihad) mais aussi chrétiennes (le prosélytisme des groupements évangéliques) représentent l’expression la plus visible – et la plus problématique : les événements récents sont venus tragiquement le confirmer.

Vecteur des idées fondamentalistes et de l’extrémisme religieux, l’Internet ? Le contraire aurait été étonnant, considérant que le réseau électronique est par excellence, une caisse de résonance aux pensées alternatives (celles du « complot ») et un espace de communication alternatif aux groupes minoritaires. Mais on ne saurait limiter toutefois le propos à ces aspects les plus saillants par leur caractère spectaculaire : ils restent marginaux dans un univers électronique où les manifestations du religieux sont nombreuses et complexes. Cet article entend proposer quelques éléments de décryptage  d’un tableau brossé à très grands traits et sans prétention à l’exhaustivité.

S’il est d’abord une évidence, c’est que le religieux se présente sur Internet sous des formes dispersées et d’abord sous la forme relativement neutre d’une esthétique visuelle renvoyant massivement à des traditions exotiques pour l’usager : les nombreux jeux en ligne empruntent à la magie offensive, au mana, à des entités surnaturelles venues d’inframondes, d’armées de démons, bref, de symboles « païens » ou de références explicites aux monothéismes dans les temps médiévaux et baroques, qui nourrissent un imaginaire gothique très en vogue sur la toile. Mais les dieux dans les jeux online ne sont qu’une forme métaphorisée des dieux sur le net, qui désignent cette fois l’engagement concret des groupes religieux dans le monde virtuel.

Accusées de participer d’une aliénation de l’homme par la machine, les Nouvelles Technologies ont fini par s’inscrire dans la culture et certains n’hésitent pas à comparer l’Internet à de la religion en vertu d’une identique capacité de création de virtualités qui sont pourtant plus réelles que la réalité : à l’image d’une noosphère moderne (après Teilhard de Chardin) ou d’une Gaïa technologique que n’aurait pas renié Lovelock, certains n’ont pas hésité à voir dans l’Internet bien plus qu’un réseau collectif, une entité supra-collective dotée de sa propre volonté, un deus in machinaen quelque sorte. Hypothèse hasardeuse, mais qui ne rend pas compte de la réalité : celle des appropriations de l’Internet par des groupes religieux.

D’abord et parce qu’elles ne sont neutres que d’un point de vue strictement matériel, les technologies de l’information électronique font l’objet d’une évaluation morale par les religions : sont-elles réellement adaptées aux messages religieux et symboles sacrés qui ont, durant des siècles, empruntés d’autres circuits et supports de communication ? Internet et les autres moyens d’information et de communication s’inscrivent, comme l’a montré Régis Debray dans un ouvrage très documenté mais parfois parsemé de jugements de valeurs (Dieu, un itinéraire, paru en 2001) dans une histoire longue, celle des médias qui, des peintures pariétales jusqu’à la connectivité électronique actuelle, en passant par l’écriture cursive, l’architecture ornementale, l’imprimerie, la télévision et le cinéma… dont la révolution digitale n’en figure qu’une étape finale, amenant ses propres mutations : la virtualité communicationnelle et l’ultra connectivité que les religions sont peu ou prou obligées d’adopter si elles veulent proliférer ou simplement survivre.

Ce qui amène à un premier – et pour le moins attendu – domaine de réflexion et d’investigation, en l’occurrence les manières dont les communautés religieuses s’approprient une technologie qui est en premier lieu susceptible de véhiculer des messages, symboles et images profanes, pour ne pas dire profanatrices. La pornographie emprunte en effet de mêmes réseaux électroniques que ceux des religions et outre ce danger de pollution symbolique, l’usage d’Internet est susceptible de détourner des normes morales et praxéologiques : il y a quinze ans, les moines chrétiens et bouddhistes doutaient de leur droit à « surfer » et si oui, devaient-il le faire à des fins privées ou institutionnelles ? Depuis, les cyber-temples et les sites officiels des grandes religions se sont multipliés, dont les grandes confessions du monde entendent désormais moraliser le monde grâce aux NTIC.

On se trouve ici dans le premier cas de figure de ce que le chercheur canadien Christopher Helland appelle des « religions online » : religions qui existent historiquement et ont intégré l’usage de l’Internet dans leurs stratégies de survie. Mais la religion sur Internet, c’est aussi tout un monde de créativité hors de ces cadres attendus : l’invention de cultes virtuels ou virtualisés, dont beaucoup participent de l’extension, sur la toile, de ces que les sciences sociales ont désigné comme des « cultes » ou des « sectes », c’est-à-dire des organisations parareligieuses (« spirituelles ») aux liens lâches et à la théologie fluctuante (mélangeant les références à la nébuleuse New Age, aux traditions ésotériques occidentales et aux « sagesses » orientales), alors que d’autres (moins nombreuses) sont de pures inventions, cultes parodiques qui miment les religions existantes (la Church of the Flying Spaghetti Monster apparait à ce titre comme un modèle-étalon de la religion virtuelle fictive). Il s’agit là des « online religions » dans l’acception de Helland, qui n’ont de principal régime d’existence que virtuel.

L’internet c’est enfin et surtout un foisonnement de rapports particuliers qui se tissent entre des individus (usagers) et des ressources religieuses, sans nécessairement passer par des institutions ni susciter aucune effusion ressemblant à de la croyance ou de la foi. Avec le développement des technologies de l’information et de la communication, le religieux se transforme aussi en ressource  informationnelle : une approche profane et souvent laïque qui passe par la consultation des nombreuses sources scripturaires en ligne (les textes sacrés des traditions de l’histoire), et quelques sites d’information sur le religieux (qui hiérarchisent un peu plus les données à disposition), les technologies « connectent » (« relient », donc, au sens du religio classique) les individus à des objets de croyance selon les modalités techniques variées (sites web, flux RSS, communication immédiate de type twitter©, réseaux sociaux de type facebook©) et des effets qui ne le sont pas moins.

La surprise vient de ce que ces connections (forcément) individuelles ne génèrent pas nécessairement ce qu’il est convenu de regrouper sous la tutelle conjointe de l’individualisation, de la déterritorialisation ou de la « détraditionalisation » (déculturation) des religions : si ces phénomènes sont bien sûr observables dans des segments d’usagers qui se constituent des « religions à la carte » (pour paraphraser le sociologue français Jean-Louis Schlegel) au gré du surf, en fonction du stock d’informations religieuses à disposition, et des intentions des usagers (qui « piochent » et « bricolent »), d’autres catégories de connectés se retrouvent quant à eux dans une quête (avouée ou pas) de liens communautaires (médiatisés par les techniques) qui les amènent intentionnellement à s’inscrire dans des « communautés », qui ne sont plus des paroisses, confréries, ou assemblées, mais des communautés virtuelles, aux normes souvent plus souples et à la participation plus sporadique que leurs modèles de références – et pour autant, ce sont là des communautés morales et sociales, un cadre presque traditionnel du sacré, s’il n’était médiatisé par la mise en abîme du virtuel et médiatisé par un écran…

Ainsi, à partir de ces courts mais significatifs exemples de religions métaphorisées par l’esthétique du jeu en ligne, grandes religions poussées à investir le web pour s’acclimater de l’ultramodernité et de la mondialisation, religions alternatives et minoritaires qui  s’approprient  à dessein des technologies d’information moins régulées que les grands médias classiques, religions inventées que le web fait exister comme une résistance parodique au pouvoir des cultes réels, et enfin relations au sacré et à ses formes sociales qui oscillent entre dissolution moderne et recomposition hypermoderne… se dessinent quelques-unes des formes émergées dans le vaste champ des possibles de la technologisation du religieux — et la « religionisation » des technologies informationnelles — qui reste encore à explorer.

Lionel Obadia (Université de Lyon 2 et Institut d’Etudes Avancées de Strasbourg).

Samedi 28 Mars 2015
Pour en savoir plus : http://www.o-re-la.org/

Akhenaton : « Il faut des artistes qui prennent des risques et ouvrent des portes »

Directeur artistique de l’exposition « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes » installée pour l’occasion à l’Institut du monde arabe jusqu’au 26 juillet, Akhenaton raconte à Saphirnews la genèse de ce projet et bien plus encore. Au-delà de la polémique autour de sa collaboration avec Coca-Cola, le rappeur star du groupe IAM nous confie ses envies de quitter la France.


Akhenaton, à la direction artistique de l’exposition « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes » à l'Institut du monde arabe (IMA). (Photo : © Saphirnews)

Akhenaton, à la direction artistique de l’exposition « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes » à l’Institut du monde arabe (IMA). (Photo : © Saphirnews)

Saphirnews : Vous êtes gâté ces derniers temps : entre l’Institut du monde arabe où vous assurez la direction artistique de « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes », les Victoires de la musique qui vous ont remis une récompense pour votre dernier album et Coca-Cola qui vous prend comme égérie…

Akhenaton : L’Institut du monde arabe est une vraie institution. Il y a 15 ans, je n’aurais pas fait une expo de hip-hop dans un musée, mais je pense que la période actuelle en a besoin. J’ai aussi réalisé avec le temps que l’institutionnel, ce sont nos impôts et qu’il y avait quelque chose de dramatique à ce que le hip-hop soit une culture ultra répandue mais qu’elle ne soit fixée dans aucun endroit de manière historique. Pour moi, c’était une négation de son existence.Cette expo est importante pour deux raisons : le public ne nous connaît pas, j’ai toujours eu espoir qu’on arriverait à changer les choses et à se faire accepter pour ce qu’on est, c’est-à-dire des créateurs, des gens qui font des morceaux, dansent, font des spectacles, des peintures ; mais cela ne marche pas, on est toujours vu comme des délinquants repentis, des assistés sociaux qui ont eu de la chance. L’idée ici est d’ancrer cette culture dans son existence et de mettre à l’honneur des pays arabes dans leur créativité malgré les difficultés vécues dans ces pays.

 

Akhenaton à l'IMA. © Saphirnews

Akhenaton à l’IMA. © Saphirnews

Qui a pris l’initiative de monter cette exposition ?

Akhenaton : Un ami libanais qui s’appelle Mario Choueiry. Il travaillait pour Emi Arabia quand nous (le groupe IAM, ndlr) étions des artistes signés chez Delabel. On préparait l’album Ombre est lumière (sorti en 1993, ndlr), on samplait beaucoup la musique arabe à l’époque et on cherchait à faire des collaborations avec des artistes du genre. Il nous a permis de collaborer avec un chanteur libyen, Cheb Jilani. C’est lui qui m’a contacté il y a deux ans pour me proposer de faire une expo sur le hip-hop. Pas très à l’aise avec les institutions, je n’étais pas très sûr de vouloir le faire, mais j’ai finalement accepté avec quelques conditions, celles d’éviter de faire quelque chose d’historique car cela demanderait plusieurs espaces d’expositions bien plus grands que l’Institut du monde arabe. Mon idée était de l’axer sur la transmission, car c’est une tradition très arabe et africaine. La transmission orale, la transmission de la culture… Ici, c’est une transmission du Bronx aux pays arabes. Les Français, très prétentieux, croient toujours que le hip-hop est passé par chez eux avant de venir aux pays arabes, mais il est bel et bien venu directement des Etats-Unis aux pays arabes. Au Liban, il y a des rappeurs aussi anciens que ceux du rap français.

Certaines personnes pensent aussi que le hip-hop est né dans les pays arabes avec les soulèvements révolutionnaires…

Akhenaton : Il y a des rappeurs comme Dam ou Gaza Team (des groupes palestiniens, ndlr) avec qui j’ai fait des morceaux qui n’ont pas attendu ces révolutions. Même dans l’engagement, certains rappeurs connaissaient des ennuis dans leurs pays respectifs. The Narcysist (un rappeur irakien, ndlr), par exemple, a dû quitter l’Irak pour aller au Canada. Pareil pour des groupes de métal qui passent leur vie en prison. Ils dérangeaient Saddam Hussein à l’époque, dérangent le gouvernement actuel en place et dérangent Daesh… Je suis très heureux de voir de nombreux graffeurs et artistes du monde arabe venir à l’expo.

 

Affiche « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes »

Affiche « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes »

Comment avez-vous sélectionné les artistes présents ? Il semble y avoir plus d’artistes occidentaux qu’arabes quand même…

Akhenaton : Dans la partie historique, il y a plus d’Américains tandis que la partie française est un peu plus petite que la partie arabe. Il était important de signaler que ceux qui ont créé cette culture dans le Bronx étaient tolérants et ouverts à toutes les cultures et aux femmes. C’est pour cette raison que j’ai volontairement choisi une femme dans l’affiche de l’exposition, une œuvre du graffeur Noe Two.

Vous avez donné un concert en Egypte pour les 20 ans d’IAM en 2008. Êtes-vous allé dans des pays arabes autres que ceux du Maghreb ?

Akhenaton : On devait faire le Liban en 1990 après la guerre, mais il y avait encore des soucis de sécurité. Le concert a été programmé, annulé et reprogrammé, mais il ne s’est jamais fait. A mon grand regret, je n’y suis jamais allé alors que c’est historiquement un pays important pour moi. J’espère que cette exposition pourra voyager dans les pays arabes et qu’on aura la possibilité de faire des performances avec des groupes locaux. Ce serait faisable au Liban, mais j’ai un petit souci avec les Emirats, car les rappeurs et les graffeurs y morflent beaucoup. Mais pourquoi pas à Abu Dhabi ou à Oman qui sont plus ouverts.

Quel est votre sentiment des événements qui ont suivi le Printemps arabe ?

Akhenaton : J’ai l’impression que le peuple s’est fait voler sa révolution. Il y a des forces obnubilées par le pouvoir qui sont beaucoup plus agressives que la personne lambda qui essaie de changer les choses. On le voit en Syrie : la révolution a été lancée pour espérer plus de liberté, une réelle égalité dans la société syrienne, mais, aujourd’hui, les acteurs d’un côté et de l’autre s’envoient des missiles et des armes dans la gueule. Les gens qui ont fait les premières manifestations sont chez eux enfermés, s’ils ne sont pas arrêtés ou tués.La Libye est une guerre coloniale de l’ère moderne. C’est un braquage des sociétés pétrolières appartenant aux Italiens et aux Allemands, par les Français, les Américains et les Anglais. On a enlevé les clés à certains, on les a données à d’autres. Maintenant, ceux qui ont les clés se les disputent. Le peuple perd au final.Ceux qui s’en sortent le mieux sont les Tunisiens, parce que le niveau d’éducation est beaucoup plus élevé que dans beaucoup de pays, ce qui fait qu’on ne peut pas les baratiner trop longtemps avec de la désinformation. Ils ne se laissent pas marcher sur les pieds. Ce sont ceux qui s’en sortiront le mieux et le plus vite.

Parlons religion. Les personnes que vous rencontrez vous font-elles souvent des allusions au sujet de votre foi ?

Akhenaton : Tout le temps. On me demande souvent : « Mais pourquoi tu t’es converti ? Parce que tu t’es marié à une musulmane ? » Je dis non, c’est parce que j’ai lu des livres et des gens admirables. Dieu merci, je me suis converti en 1992 ! Si je m’étais converti dans la période actuelle, on m’aurait dit que je suis un terroriste ! Le sujet islam n’est pas compris. C’est comme l’expo : il faut de la vulgarisation.Depuis le 11-Septembre, je dis qu’il faut que les chaînes françaises diffusent un film comme Le Message (célèbre œuvre de Moustapha Akkad sorti en 1976 qui relate la vie du Prophète Muhammad, ndlr) pour montrer aux habitants de ce pays que ce n’est pas une religion qui est tombée comme une météorite sur Terre, qu’elle s’inscrit dans une continuité monothéiste lisible par un peuple chrétien et juif. Lisible. Cela permettait de comprendre des tas de choses et de rapprocher du monde en instaurant un dialogue. J’en parlais avant dans ma musique, mais je n’en parle même plus. Les gens sont dans l’émotion et, quand c’est le cas, ils refusent le débat. La peur puis la haine s’installent.

Le climat post-Charlie est-il propice à ouvrir un dialogue, selon vous ?

Akhenaton : Non. Tout est fracturé. Tout est noir ou blanc, rien entre deux. J’ai donné une interview à Europe 1 à ce sujet (en mars, ndlr). Elle a été résumée par Le Figaro par : « Akhenaton dérape sur les caricatures de Mahomet » alors que je parlais de racisme et non de religion. Le Prophète est assez grand, dans mon esprit et dans mon cœur, pour se défendre tout seul. Il a été victime de calomnie mais il a toujours dit de laisser parler les gens car c’est le propre de l’homme de parler.J’ai parlé des caricatures danoises (lors de l’interview, ndlr). La caricature avec la bombe en guise de turban (sur la tête d’un homme présenté comme le Prophète, ndlr) est aussi raciste que les caricatures des juifs pendant l’entre-deux-guerres. Je ne vois pas où est le dérapage… Deux jours après, sur les portes de ma maison, (un domicile dans lequel est installé son studio en réalité après plus de précisions, ndlr) était inscrit « Adieu la France, les Bougnoules nous l’ont mises », accompagnée d’insignes nazis.

Vous avez décidé de ne pas porter plainte. Pourquoi ?

Akhenaton : Parce que je sais que cela n’aboutira pas.

 

Akhenaton : « Il faut des artistes qui prennent des risques et ouvrent des portes »

Pourtant, c’est aussi une façon de délivrer un message important (du fait de votre position)…

Akhenaton : A l’époque, je n’ai pas voulu faire de remous. (…) Mais je ne me prends pas pour un prophète, je fais des erreurs… C’était peut-être une erreur de ma part. Le temps le dira. Je suis cette somme de bons et de mauvais choix… Quand j’ai vu les tags le matin, j’étais sidéré, je n’arrivais plus à parler. Mon premier réflexe a été de me dire : « Je vais me casser, aller en Asie ou aux Etats-Unis. J’en ai assez. »

A propos de départ, n’avez-vous jamais eu envie de vraiment quitter la France ?

Akhenaton : Si, c’est permanent. J’ai habité à New York pendant deux ans, dans les années 1980. (…) Oui, j’ai envie de partir et, en même temps, j’ai envie de lutter. C’est confus dans ma tête.

Si vous deviez partir, où iriez-vous ?

Akhenaton : Je n’irais pas aux Etats-Unis, j’irais à New York (rires). J’ai mes arrières-grands-parents qui sont enterrés là-bas. J’ai aussi une grande partie de ma famille qui y vit, c’est donc la facilité pour moi. C’est un endroit où j’ai des attaches familiales et des amis.J’ai failli partir au Maroc aussi. Je m’y sens bien, j’y vais souvent (sa femme est d’origine marocaine, ndlr), j’y suis très bien avec mon petit port tranquille où je mange du poisson grillé… Casablanca est une ville qui explose, j’ai plein d’amis qui sont partis y vivre et travailler. Il y a plein de choses qui se font dans cette ville, des opportunités pour des gens qui ont envie de travailler. C’est ouvert d’esprit. Je trouve les peuples des pays arabes beaucoup plus accueillants, beaucoup plus ouverts et prêts à recevoir le monde, alors que, nous (en France, ndlr)…, nous sommes aigris.

 

Qu’est-ce qui vous retient en France ?

Akhenaton : Ma famille, mes enfants, leurs amours de jeunesse. Ils sont adolescents…

Vous dites songer à partir, est-ce un message que vous souhaitez délivrer à la jeunesse ?

Akhenaton : Non. Je ne suis pas un exemple. Si je pense à partir, c’est parce que la France m’a usé en 30 ans. Je suis usé de répéter les mêmes trucs et de voir les mêmes choses sans aucun changement. (…) Le message à délivrer aux jeunes générations est de se battre et de prendre le relais, de montrer qu’on peut faire des choses bien.(…) Quand on fait un sondage pour demander ce qu’est un Arabe bien intégré, on nous révèle que ce sont des personnes qui mangent du jambon et qui boivent de l’alcool, et non des gens qui ont un travail, vont à l’université, ont une famille et paient leurs impôts. Les critères d’intégration : le porc et le vin. C’est quand même des critères de surface ! On n’est pas dans une profondeur de réflexion. Je suis pour la laïcité, mais pas pour qu’elle tombe dans un fondamentalisme laïque car il peut être aussi dangereux que les autres formes de fondamentalisme. Je suis contre tous les radicalismes. Beaucoup d’hommes politiques auraient dû retourner à l’école et étudier l’Histoire, cela aurait évité à Nicolas Sarkozy de prononcer le discours de Dakar (en 2007 durant lequel il a affirmé que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », ndlr) s’il avait ouvert quelques livres.

Vous êtes au cœur d’une polémique, celle de votre collaboration avec Coca-Cola. On vous a reproché d’être en totale contradiction avec les valeurs que vous avez véhiculées à travers vos morceaux durant toute votre carrière.Votre réponse n’est-elle pas un peu légère ? Parce que vous êtes une personne publique qui a tenu beaucoup de propos moralisateurs, peu importe si tel fan est assis devant un PC « made in China » ou s’il boit du Coca dans sa voiture alimentée par Total, car c’est vous qui êtes un exemple et pas lui, c’est à vous qu’on reproche de ne pas être cohérent.

Akhenaton : Si un fan me reproche tout cela, c’est qu’il tient à certaines valeurs, non ? Il embrasse donc ces valeurs et se les applique. A partir du moment où tu ne les appliques pas, tu n’écris pas de lettre (allusion aux critiques pour dénoncer le choix d’Akhenaton, ndlr). Dans mon quotidien, dans tout ce que je consomme, j’ai conscience d’être en contradiction avec des choses que je peux dire, mais il y a des barrières que je ne franchirais pas comme travailler avec des laboratoires pharmaceutiques, des entreprises qui bossent dans l’énergie ou des firmes comme Monsanto (qui promeut les OGM, ndlr).(…) Si on pense que mener un combat frontal contre des multinationales peut aboutir à quelque chose, on se trompe. C’est ce qu’on a fait pendant 30 ans et cela n’a abouti à rien. Il n’y a jamais eu autant de milliardaires et de pauvres sur la planète. Le combat est perdu, il va falloir changer de stratégie. La première fois que les gens de Coca-Cola m’ont reçu, je leur ai parlé de l’aspartame. Je pense sincèrement et naïvement que c’est peut-être ainsi qu’on peut changer les choses.

Pourquoi avoir reversé à certaines associations plutôt qu’à d’autres, qui aident des enfants en Palestine par exemple ?

Akhenaton : J’ai reversé à quatre associations. Je fais depuis dix ans campagne avec la fondation Abbé Pierre, j’ai fait des morceaux, je leur ai donné des morceaux, des téléchargements gratuits. J’ai aussi fait des campagnes pour Action contre la faim, et j’estime normal de reverser à nouveau le cachet à des gens avec qui je travaille depuis des années. Et puis, il y a deux autres associations, celle de Pascal Olmeta dédiée aux enfants malades et Terre des Hommes Valais avec qui on fait des concerts depuis dix ans. Avec 1 000 et quelques euros, tu sauves la vie d’un enfant…Excusez-moi, mais pour tous ceux qui sont devant leur ordi, qui mettent leur petit déjeuner en photo sur Facebook et s’achètent un Coca pour le boire devant, je préfère avoir cela en moins sur la conscience, faire mon action dans le détail et travailler sur ce que je fais. Si je n’avais pas fait de collaboration, il n’y aurait jamais de partenaires qui financent des expos du genre hip-hop (Coca-Cola est un soutien financier de l’exposition à l’IMA, ndlr). Pour l’instant, toutes les portes sont fermées au hip-hop : il faut des artistes qui prennent des risques et ouvrent des portes.
Rédigé par Fatima Khaldi | Lundi 4 Mai 2015
Pour en savoir plus : http//www.saphirnews.com