Lettre ouverte à Mme Blain et aux phobiques du voile

AFFAIRE-DIANE-BLAIN

Le Québec a-t-il si peur de perdre son identité qu’il exige de ses immigrants une soumission immédiate, une allégeance rigoriste à ses valeurs? Faut-il que ses habitants manquent à ce point de confiance en leur Province pour renier les principes les plus élémentaires d’une démocratie occidentale (la tolérance, la raison et la mesure) ? La désormais célèbre affaire Diane Blain illustre ce malaise qui traverse la société québécoise depuis plusieurs années. Un malaise qu’il faut comprendre, mais aussi apaiser.

« Ton voile, il heurte mes valeurs »

Retour rapide sur les faits, tels qu’ils ont été rapportés par la principale intéressée sur la radio 98,5 dans l’émission Dutrizac. Diane Blain se rend à la clinique dentaire de Montréal pour y subir un soin. À son arrivée, elle est prise en charge par une étudiante de 3e année, comme c’est d’usage dans l’Université. Problème : ladite étudiante est voilée. « Est-ce que c’est toi qui vas me donner les soins? », lui demande alors Mme Blain. « Oui madame, mais nous serons deux », lui répond l’étudiante. Poliment, mais fermement, la patiente insiste: « Oui, mais toi, est-ce que tu vas me donner des soins? Écoute, je préfèrerais voir quelqu’un d’autre. Parce que toi, avec ton voile, je suis vraiment pas à l’aise. Ça brime mes valeurs d’égalité hommes-femmes.» Sans un mot, l’étudiante voilée tourne les talons et quitte la pièce. Deux de ses collègues la remplacent et commencent les examens. « Dont une musulmane non voilée qui était très gentille », s’empresse de préciser Mme Blain. Un Docteur débarque alors et demande des explications à la patiente quant à son attitude avec l’étudiante: « C’est contre mes valeurs, argumente-t-elle. Moi, jamais je n’affiche mes signes religieux ou politiques. Et je n’accepte pas d’être soignée par une femme qui porte ce voile symbole de soumission.» Face à sa position catégorique, l’hôpital n’aura d’autre solution que de la renvoyer chez elle sans lui prodiguer les soins demandés. À l’antenne, Mme Blain précise alors sa pensée: « Vous savez, moi je me suis battu toute ma vie pour les droits des femmes. J’ai 70 ans, mes valeurs sont profondément ancrées en moi. À 21 ans, moi j’étais mariée, j’avais un enfant et je n’avais pas le droit de signer un chèque, ou d’emprunter, ou d’avoir une auto à mon nom. Et là en 2015, on va me demander de régresser et d’accepter la soumission de la femme ? » Avant de conclure: « J’aurais du demander un accommodement raisonnable. (…) J’ai le droit d’avoir des soins par une personne que j’ai choisie. »

Soulevons le voile

Par quel bout prendre cette polémique? Attrapons d’abord ce bout de tissu qui pend et osons la question: de quoi le voile est-il le nom ? «De la soumission», répondent en chœur Mme Blain et ses soutiens. No pasaran, vade retro et tutti quanti, le refrain est connu. Sauf que faire cette réponse, c’est transformer un accessoire vestimentaire en barrière civilisationnelle.

Faire cette réponse, c’est donc indirectement donner raison aux intégristes musulmans, les laisser gagner sur le terrain du symbole. Autrement dit, faire cette réponse, c’est accepter ce choc des civilisations dans lequel les islamistes veulent nous entrainer. Or, le problème posé aux civilisations occidentales, ce n’est pas le voile, mais l’absolue liberté des femmes de le porter ou pas. Contrairement à ce que le marketing salafiste nous martèle, la femme voilée n’est pas nécessairement synonyme d’oppression masculine ou d’insultes aux valeurs occidentales. En tout cas pas plus que cette mère de famille qui fait la vaisselle et s’occupe des enfants pendant que son mari boit une bière devant la partie de hockey. Pas plus non plus que ces filles en mini-jupe, talons hauts et vêtements transparents qui ornent le bras de leurs chums à la sortie des boîtes de nuit. Pas plus enfin que ces strip-teaseuses qui paient leurs études en exhibant leurs corps aux touristes du Grand Prix. Le rôle de l’État, son devoir vis-à-vis de toutes ces femmes n’est pas de savoir si leurs accoutrements, leurs comportements ou leurs choix de vie contreviennent à une quelconque morale publique, mais de s’assurer qu’ils sont librement choisis et consentis.

Compte tenu de l’histoire du féminisme québécois, la question du voile est par définition sensible dans la Province.

La réaction épidermique et les justifications de Mme Blain sont à ce titre exemplaires. Mais faire du voile un champ de bataille, c’est se tromper de combat. Au même titre qu’une femme qui choisirait aujourd’hui de rester au foyer, de s’occuper des enfants et de faire le ménage ne serait pas nécessairement une héritière des grands-mères québécoises soumises à leur mari, une étudiante voilée n’est pas automatiquement un symptôme de la folie sanguinaire des salafistes de Daesh. Pour l’une comme pour l’autre, cela peut juste découler d’un choix personnel, d’une liberté qu’il revient à la société québécoise de garantir et de faire respecter. Mais ce choix, à partir du moment où il est fait en toute indépendance (on insiste), n’a pas à être soupçonné par principe. Le reste – les diktats sociétaux que ces femmes s’imposent à elles-mêmes, ce qu’elles renvoient comme symbole dans l’espace public, si elles se respectent ou pas – ça ne regarde personne. Une fois encore, on veut dicter aux femmes ce qu’elles doivent faire, la manière dont elles doivent s’habiller, la façon dont elles doivent se comporter. C’est ainsi qu’on les soumet, c’est ainsi qu’on régresse. En 2015, défendons les femmes de toutes nos forces, mais de grâce, laissons-les tranquilles.

Pompier pyromane

Le plus triste dans cette polémique, c’est que cette jeune fille voilée est justement un symbole d’intégration réussie. Le signe éclatant qu’on peut porter le hijab et travailler dans le domaine de la santé. Être musulmane pratiquante et soigner n’importe quel Québécois. Lorsque Mme Blain et d’autres réclament un accommodement raisonnable dans ce cas-ci, sous prétexte qu’une poignée d’obscurantistes musulmans exigent de leur côté que leur femme ne soit pas soignée par un homme, ils agissent en aveugles. Autrement dit en intégristes. Amalgamer cette étudiante voilée parfaitement intégrée avec ces extrémistes en butte avec les valeurs occidentales les plus élémentaires, c’est réduire à néant ses efforts, détruire le lent processus d’émancipation auquel elle participe. En un sens, c’est ce même amalgame larvé (femme voilée = terrorisme) qui est à l’oeuvre lorsque Mme Blain évoque cette autre étudiante «musulmane non voilée qui était très gentille». À moins que cette personne n’ait décliné sa confession de vive voix, comment Mme Blain a-t-elle deviné sa religion ? À quel signe ostentatoire l’a-t-elle identifiée ? On voit bien où se situe le problème : en rejetant une population entière au nom d’un voile porteur de tous les maux, en ostracisant de facto tout ce qui diffère de nous, en montrant aux intégrés qu’ils ne le seront jamais assez, on ne fait qu’aggraver la situation comme le ferait un pompier pyromane.

Dans cette histoire, on voit bien en filigrane que la question posée est celle des accommodements raisonnables. Pourquoi eux et pas nous? Pourquoi le musulman immigré peut-il réclamer un accommodement et pas moi le Québécois de souche? Il ne faut pas le nier: pour marginaux qu’ils soient, les rares cas de ces musulmans refusant tel ou tel praticien sous prétexte de dogmes religieux posent problème. On touche là à l’organisation même de la société, au lien social, à l’égalitarisme occidental le plus basique. Oui mais. Il faut dépasser ces cas-limites et revenir à la base: à quoi servent les accommodements raisonnables? Au-delà d’incarner le multiculturalisme canadien, au-delà du discours officiel à base de respect de toutes les communautés, ces dispositifs poursuivent en réalité le même but que toutes les politiques d’immigration: favoriser l’intégration d’une minorité à la majorité. L’idée-force cachée derrière consiste à pacifier l’espace public, à favoriser l’intégration d’une population allogène en faisant quelques concessions à la marge. Le pari en fin de compte c’est que cette relation pacifiée favorisera la transmission des valeurs de la culture d’accueil, donc conduira non pas à un renoncement, mais à une transformation progressive de la culture des arrivants. En terme religieux, on parlerait de sécularisation.

Pour le moment, si l’on s’en tient aux chiffres des pratiques religieuses, le pari paraît réussi du côté des musulmans (à peine 3% de la population québécoise, rappelons-le). De tous les groupes religieux au Québec, les musulmans immigrants semblent les moins nombreux en proportion à déclarer une forte religiosité et parmi les plus nombreux à déclarer une faible religiosité (voir graphiques ci-dessous ; indice calculé en fonction de l’assiduité dans les lieux de culte). Et même si la religion reste une part importante de leur identité (selon l’enquête d’Environics, 56% des musulmans canadiens se disent avant tout musulmans), le sentiment de fierté canadienne de cette population est dans la moyenne nationale (94%). Il n’y a qu’au Québec que ce sentiment de fierté canadienne est plus faible (89%), mais étant donné les velléités séparatistes de la province, on pourra aussi y voir un facteur supplémentaire d’intégration. Bref, on est loin des fantasmes véhiculés ici ou là. D’après la plupart des modèles prédictifs, les générations suivantes devraient même amplifier le mouvement actuellement à l’oeuvre. À moins que les attitudes ostracisantes et la vindicte médiatique ne viennent l’enrayer en créant une résurgence du sentiment identitaire.

religiosite forte

religiosite faible

Source: Étude du CDPDJ sur la ferveur religieuse (chiffres de 2007)

Keep calm and discutons

Revenons donc à la question initiale: s’il existe des accommodements raisonnables pour les immigrés les plus sourcilleux, pourquoi les plus inflexibles des Québécois n’en bénéficieraient pas? Tout simplement parce que ce serait un contre-sens. L’accommodement raisonnable n’est pas une faveur, ce n’est pas un privilège, c’est un lubrifiant dans les rouages de la société, un petit sacrifice au nom d’un idéal d’intégration beaucoup plus grand. Une manière, quelque part, d’affirmer haut et fort notre foi en la solidité du modèle occidental, en la suprématie de son pacte social : oui, on est capable de faire des concessions. Parce que notre société est forte. Parce que nous sommes sûrs de nous. Tout l’enjeu ici consiste à discerner ce qui est «raisonnable» de ce qui ne l’est pas, l’aménagement nécessaire du renoncement aux valeurs. C’est un art de la nuance, un arbitrage difficile qui peut conduire à des excès. C’est arrivé par le passé, alors gardons-nous en à l’avenir. En l’espèce, en quoi une Mme Blain n’est-elle pas intégrée à la société québécoise?

En quoi appartient-elle à une minorité nouvellement arrivée et vivant un choc culturel? En quoi, donc, sa demande d’accommodement paraît-elle « raisonnable »? En rien.

Ce débat est passionnant, essentiel en ce qu’il dit de l’état d’un Canada en profonde mutation, d’une société qui se transforme sous nos yeux. Parce que ce débat est l’un des garants du lien social, du vivre ensemble, il ne doit surtout pas être contourné. Mais qu’on soit multiculturaliste à la canadienne ou plutôt interculturaliste à la québécoise, n’oublions jamais que l’échange est la pièce maîtresse du système, et qu’il requiert des interactions répétées, un brassage entre les communautés pour fonctionner. C’est le pari de la laïcité ouverte. Pour déboucher sur quelque chose de constructif, il faut donc que ce débat soit mené par des interlocuteurs apaisés. Et raisonnables. Autrement, le Québec ne parviendra jamais à trouver de consensus sociétal, ce fragile équilibre démocratique qui a toujours été l’honneur des sociétés d’Amérique du Nord.

Publication: Mis à jour:
Pour en savoir plus : http://quebec.huffingtonpost.ca

Les origines de Pâques : un œuf décoré millénaire et un mystérieux lapin

sb10067828f-001

Pâques, ses œufs décorés et ses lapins à clochettes sont aujourd’hui avant tout une affaire de spiritualité pour les croyants et de chocolat pour les autres. Cette fête, dont les origines sont bien plus anciennes que la religion chrétienne, tire son origines dans les festivités de l’équinoxe du printemps, le renouveau de la nature après les rudesses de l’hiver.

Le HuffPost a remonté le temps pour pouvoir enfin répondre à la question qui animera votre repas de Pâques : qui de l’œuf ou du lapin est arrivé le premier?

Des œufs vieux comme le monde

Il y a 60.000 ans, l’homme décorait déjà des œufs. Il vivait alors en Afrique du Sud et sculptait des œufs d’autruche. Ces coquilles retrouvées en 2010 par des archéologues sont à ce jour la plus ancienne trace d’art et de communication. Mais revenons à notre omelette, les œufs qui nous intéressent proviennent plutôt du Moyen-Orient, de Perse et d’Égypte plus précisément.

oeufs chocolat
À gauche, les œufs gravés retrouvés en Afrique du Sud, à droite, des œufs de Pâques

Deux célébrations du printemps semblent particulièrement avoir influencé les premiers chrétiens. En Égypte, la fête de Shaam el-Nessimes qui signifie le renouveau de la vie et dont les plus anciennes traces de célébration datent d’il y a 2700 ans avant Jésus-Christ. Aujourd’hui, Sham el-Nessim est toujours célébré par les chrétiens et les musulmans, le lendemain de la Pâques copte. En Perse, la fête de Norouz marquait le début de la nouvelle année, le 21 mars. Elle est toujours célébrée en Iran avec la même signification. Au cours des célébrations de cette fête comme de Shaam el-Nessimes, il était d’usage de décorer des œufs.

Pourquoi des œufs ? En Égypte, comme en Perse, en Finlande, en Inde ou encore en Chine, l’œuf fait toujours partie des récits de la création. Il est le symbole de la vie et de la fertilité. Les Celtes, les Perses et les Égyptiens s’offraient des œufs pour fêter le début du printemps.

Un mystérieux lapin

Si le mystère des œufs a été percé, celui du lapin demeure bien plus mystérieux. Si vous faites quelques recherches sur Internet, vous lirez à coup sûr que la fête de Pâques, Easter en anglais, tire son nom d’une déesse anglo-saxone du printemps, Eostre, toujours accompagnée de son lièvre sacré. Un mythe qui pourrait avoir été fondé de toutes pièces au XIXe siècle. Alors en plein essor, le néo-paganisme anglais se cherche des racines dans la civilisation pré-chrétienne.

rabbit easter
Une illustration de la déesse Eostre accompagnée d’un lapin

Les néo-païens revendiquent entre autres la paternité du père noël et du lapin de pâques. Ce dernier est rattaché à la déesse Eostre, une déesse citée une seule fois dans un texte écrit par un clerc en 1682 et qui comporte de nombreuses erreurs.

C’est en Allemagne, en revanche, que le lapin de Pâques pourrait être né. L’Osterhase qui apporte les œufs de Pâques est décrit pour la première fois dans l’ouvrage De ovis paschalibus (Sur les œufs de Pâques) écrit en 1680. Le lapin joue le rôle d’un juge chargé de dire si les enfants étaient bons ou désobéissants au début du printemps.

Le lapin est comme l’œuf un symbole de fertilité. Dans l’Antiquité, certains auteurs tels que Plutarque l’imaginent hermaphrodite, capable de se reproduire sans coït. Très présent dans l’art sacré médiéval, la figure du lièvre rappelle donc la virginité de la Vierge et la conception du Christ sans péché.

Un lapin chrétien en somme.