Dans le Golfe, une diplomatie française sans états d’âme

François Hollande a été à Ryad, mardi 5 mai, en tant qu’invité exceptionnel du sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Hollande-ASaoudite

CHRISTOPHE ENA/AFP

François Hollande accueilli par l’émir du Qatar, le cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, à Doha, lundi 5 mai.

Lundi 4mai, le président français a assisté au Qatar à la signature d’un important contrat de vente de 24 avions de combat Rafale.

La coopération franco saoudienne ne s’est jamais aussi bien portée alors que Riyad se renforce militairement face à l’émergence de l’Iran chiite.

Les relations stratégiques entre la France et les pétromonarchies du Golfe ont toujours été bonnes, elles sont désormais excellentes. Comme en témoignent l’invitation saoudienne faite à François Hollande pour assister à la réunion du Conseil de coopération du Golfe (CCG), à Riyad et les contrats militaires successifs signés avec les monarchies du Golfe.

C’est un « tropisme français pour les pétromonarchies du Golfe qui dure depuis une dizaine d’années, explique David Rigoulet-Roze, chercheur rattaché à l’Institut français d’analyses stratégiques (IFAS) et rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques. Ce partenariat stratégique s’accompagne d’une diplomatie économique prônée par le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, qui se traduit par la signature de contrats militaires », poursuit le chercheur.

« Une nouvelle conception de la diplomatie pour la France qui essaie de s’affirmer sur le marché mondiale dans un contexte de mondialisation », analyse Beligh Nabli, directeur de recherches à l’IRIS.

Le Royaume saoudien premier importateur de matériel militaire dans le monde en 2014

Quelques chiffres suffisent à résumer cette nouvelle lune de miel : 24 avions Rafale vendus au Qatar, 24 Rafale vendus à l’Égypte mais payés par les Émirats du Golfe et l’Arabie saoudite. Et en 2014, la signature du très gros contrat franco saoudien de 3 milliards de dollars pour la livraison de matériels destinés à renforcer l’armée libanaise.

Le Royaume saoudien est le poids lourd de la région : premier importateur de matériel militaire dans le monde en 2014 avec 6,4 milliards de dollars (5,8 milliards d’euros) en hausse de 54 % et premier client de la France pour la défense et le nucléaire civil. Enfin, c’est le premier partenaire commercial français dans le Golfe et le second (derrière la Turquie) au Moyen-Orient.

Mardi 5 mai, François Hollande est l’invité exceptionnel à Riyad du sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui réunit l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les Émirats arabes unis, Oman, le Koweït et le Qatar.

La guerre au Yémen au cœur des discussions

À l’ordre du jour de cette réunion, la guerre au Yémen voisin où cinq des six monarchies du Golfe membres de cette instance font partie de la coalition arabe, dirigée par Riyad, pour empêcher une rébellion chiite, soutenue par l’Iran, de prendre le contrôle de l’ensemble du pays.

Une déclaration commune franco saoudienne portant sur une « feuille de route » politique, économique, stratégique et militaire devrait être signée à l’occasion de cette visite, a indiqué la présidence française.

Paris et Riyad sont sur la même position sur l’Iran comme sur la Syrie ou le Yémen et le roi Salman d’Arabie saoudite sait qu’il peut compter sur François Hollande. Car Riyad craint de se voir encercler par le croissant chiite.

Paris méfiant envers le régime iranien

Paris, lui, est méfiant envers le régime iranien, et réclame toujours plus d’exigences de son partenaire américain avant de signer un accord sur le nucléaire qui permettra à terme de lever les sanctions et de redonner du poids à Téhéran dans la région.

Paris a toujours nourri une grande méfiance vis-à-vis de l’Iran. Durant les huit ans de la guerre Iran-Irak, la France a soutenu sans failles Saddam Hussein, à qui elle a vendu des armes. La décennie 80 a également été marquée par les attentats du Drakkar (1983) à Beyrouth, qui a causé la mort de 58 soldats français, la prise en otages de Français au Liban (1985-1988) et des attentats meurtriers à Paris.

Dans les trois cas, l’Iran était impliquée par le biais du Hezbollah, mouvement chiite libanais qu’il a créé en 1982.

« François Hollande fait preuve d’opportunisme géopolitique »

Autre convergence entre Paris et Riyad, l’éviction du dictateur syrien Bachar al Assad. Riyad et les pays du Golfe ont financé activement l’opposition politique et militaire, alimentant de fait les djihadistes qui aujourd’hui menacent les capitales européennes.

Riyad n’a pas accepté la volte-face d’Obama en septembre 2013 alors que Paris demandait une intervention militaire pour faire cesser l’utilisation d’armes chimiques par Damas, et à l’inverse a apprécié la position très va-t’en guerre de François Hollande. Paris continue de soutenir de son côté, une opposition politique syrienne largement sous influence saoudienne.

Au niveau régional, Paris peut profiter de la crise de confiance qui altère les relations américano-saoudiennes. « François Hollande fait preuve d’opportunisme géopolitique, analyse David Rigoulet-Roze, pour valoriser l’image de la France et sa réputation de fiabilité. » L’Arabie saoudite a bien compris que son vieil allié américain s’intéresse désormais davantage à l’Asie qu’au Moyen-Orient d’autant qu’elle peut se passer du pétrole saoudien.

Le paradoxe français

Alors l’alliance entre Paris et Riyad paraît d’autant plus logique que la France a toujours mené une politique bienveillante vis-à-vis des monarchies du Golfe. Jacques Chirac était toujours bien accueilli à Riyad où se négociaient d’importants contrats militaires, Nicolas Sarkozy avait jeté son dévolu sur le petit émirat du Qatar et son carnet de chèque bien approvisionné pour s’en faire un allié dans sa politique étrangère.

Toutefois, Beligh Nabli, ne manque pas de noter « la contradiction française d’un pays qui d’un côté lutte contre le terrorisme et de l’autre noue des liens avec des pays, comme l’Arabie saoudite ou les émirats du Golfe, qui diffusent une idéologie wahhabite qui alimente ce terrorisme ».

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Le Conseil de coopération du Golfe

Le Conseil de coopération du Golfe arabique (CCG) a été créé en 1981. Cette organisation régionale regroupe six monarchies du Golfe persique : l’Arabie saoudite, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Qatar et Oman. L’idée émise début 2011 d’intégrer les royaumes du Maroc et de Jordanie n’a finalement pas été suivie d’effet.

Le CCG, qui réuni des pétromonarchies sunnites a avant tout pour but politique d’assurer leur sécurité face à l’Iran chiite ou aux guerres civiles voisines (Irak, Syrie). Il vise aussi une unification du système économique et financier des États membres.

Sous la houlette de l’Arabie saoudite, une coalition de neuf pays arabes regroupant l’ensemble des membres du CCG à l’exception d’Oman mène depuis cinq semaines des raids aériens pour empêcher une rébellion chiite, soutenue par l’Iran, de prendre le contrôle de l’ensemble du Yémen, pays pauvre de la péninsule arabique et frontalier de l’Arabie saoudite. Cette opération semble marquer le pas.

Agnès Rotivel

4/5/15 – 18 H 32

 

Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com

 

Laïcité, la France en plein doute

Une proposition de loi visant à étendre le devoir de neutralité des fonctionnaires aux éducateurs du secteur privé relance les polémiques sur le sens de la laïcité républicaine.

 TroisReligionsMono

Guillaume BONNEFONT/IP3/Julian Kumar/GODONG/Leemage/Philippe Lissac/Godong/Leemage

Dans une société marquée à la fois par une forte sécularisation et la présence nouvelle de l’islam, la laïcité est devenue une question identitaire.

L’opération déminage lancée le 9 mars par l’Élysée a provisoirement éloigné la menace. La proposition de loi des radicaux de gauche pour instaurer la neutralité religieuse dans les structures éducatives privées subventionnées ne sera pas débattue jeudi 11 mars. Le sujet, à la veille des élections départementales, était socialement explosif et risquait d’ébranler la majorité. Le chef des députés radicaux, Roger-Gérard Schwartzenberg, a in extremis accepté de retirer le texte. Mais il dit avoir obtenu en contrepartie l’engagement qu’il sera examiné en mai et que le groupe socialiste y apportera « un vote positif ».

La bataille est repoussée, elle n’en sera pas moins violente. Car cette proposition de loi, votée au Sénat en 2012 dans le contexte de l’affaire Baby-Loup, a provoqué une tempête de protestations. Mardi 10 mars au soir, Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France, a exprimé la « très vive inquiétude »de ses pairs, qui voient dans ce texte de loi « l’inspiration manifeste d’une méfiance vis-à-vis des religions dont il faudrait protéger les mineurs ». Reçus début mars par l’Observatoire de la laïcité, les cultes protestant et juif ont également critiqué l’initiative. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) fustige pour sa part une « politique d’intolérance ».

C’est surtout le coup de colère de Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité et proche du chef de l’État, qui révèle l’ampleur de la polémique. « Il s’agit d’un dévoiement de la laïcité dans une version intégriste, punitive et, même si ses promoteurs s’en défendent, anti-musulmane, anti-religions », assène l’ancien député socialiste, qui insiste sur la fragilité juridique de l’entreprise.

Le débat de la laïcité déporté vers les questions de l’expression religieuse

Comment expliquer qu’une fois encore se réveillent des passions françaises que l’on croyait apaisées ? Au fond, ce n’est plus vraiment la vieille question des cultes et de leurs relations avec les institutions républicaines qui nourrit le problème. Ces vingt dernières années, les choses se sont même plutôt arrangées. En 1995, arrivé à Matignon, Lionel Jospin avait instauré des rendez-vous réguliers avec les cultes, une pratique qui s’est, depuis, maintenue. Nicolas Sarkozy a installé le CFCM en 2003. Quant à la jurisprudence administrative, elle a livré ces dernières années une lecture accommodante du principe de séparation pour permettre le soutien des collectivités locales à des associations cultuelles.

Les polémiques sur la laïcité se sont en fait déportées sur un autre terrain, celui de l’expression religieuse. Un phénomène très bien analysé par le juriste Vincent Valentin (1) qui voit, derrière l’affaire Baby-Loup, la volonté de certains « d’imposer une nouvelle laïcité ».

Professeur à Sciences-Po Rennes, il observe chez nos contemporains – acteurs de terrain, élus politiques, intellectuels – « une déception face aux promesses de la modernité, qui signifiait pour eux l’effacement progressif du religieux. Son retour signe pour eux l’échec de la sécularisation. D’où la volonté d’étendre des obligations de neutralité aux personnes privées. »Mardi 10, dans son communiqué, Mgr Pontier ne faisait pas une autre analyse. Il dénonçait une entreprise visant à cacher les religions « en les faisant disparaître progressivement de tout lieu de vie sociale. » Alors que la loi de 1905 était un texte d’inspiration libérale, il s’agirait désormais de« promouvoir une société vidée de toute référence religieuse », insistait-il.

Une demande de neutralité religieuse de plus en plus extensive

Si l’ensemble des croyances peuvent se sentir concernées, il est clair que c’est l’islam qui fait l’actualité depuis vingt-cinq ans, depuis l’affaire des foulards de Creil en 1989. Le voile est devenu le symbole de la nouvelle question laïque. En 2003, rappelle Vincent Valentin, le député UMP François Baroin remettait à Jacques Chirac un rapport dans lequel « il opposait la logique de la laïcité à celle, individualiste, des droits de l’homme. La laïcité n’est alors plus seulement un principe juridique, mais une manière d’être de la société française. Elle est devenue un marqueur de l’identité française au nom duquel on peut imposer aux personnes d’être neutres ».

Certes, la loi sur les signes religieux de 2002 a été adoptée grâce à un consensus politique sur la nécessaire sanctuarisation de l’école, mais de multiples autres tentatives ont trouvé leurs limites. Fer de lance de cette « nouvelle laïcité », l’ancien Haut conseil à l’intégration avait ainsi proposé de limiter l’expression religieuse sur la voie publique !

Le Grand Orient de France a publié en décembre dernier 25 propositions, parmi lesquelles la prohibition des signes religieux dans l’enseignement supérieur. En mars 2013, le député UMP Éric Ciotti déposait une proposition de loi visant à limiter l’expression religieuse dans le monde de l’entreprise. D’autres encore veulent imposer un devoir de neutralité aux usagers des services publics…

Des familles politiques divisées sur la question

Toutes ces tentatives provoquent de fortes divisions. À droite, où des personnalités comme Alain Juppé s’y montrent très hostiles. Mais surtout à gauche, où s’opposent frontalement deux conceptions. Certains, comme Manuel Valls, donnent la priorité à la lutte contre les communautarismes dans les quartiers, le voile étant selon eux l’instrument d’un islam politique. À l’opposé, une autre partie de la gauche refuse toute stigmatisation des musulmans, quitte à nier la réalité des ratés de l’intégration.

 

Un débat qui a gagné en intensité depuis les attentats de janvier et les prétentions du Front national à se présenter, pour les élections, comme le héraut de la laïcité. « Il y a comme un vent de panique », observe Vincent Valentin. Tenter de faire retomber la tension sera certainement l’une priorité de l’Élysée après les départementales, François Hollande ayant toujours défendu une conception pragmatique de la place des religions dans une société devenue, que l’on s’en réjouisse ou non, multiculturelle.

BERNARD GORCE

(1) Auteur avec Stéphanie Hennette Vauchez de « l’affaire Baby Loup ou la nouvelle laïcité », Ed. LGDJ 2014. 115 p., 17 €
Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com