A la différence de ce que pensent certains, les débats qui agitent la société ou l’entreprise sont souvent similaires. Il est facile de renvoyer dos à dos ceux qui enjoignent avec prétention aux politiques de gérer un pays ou une collectivité comme une entreprise et les non moins orgueilleux pour qui la politique peut faire fi de quelques règles économiques de bon sens et façonner la création de richesse à leur idéologie.
Le débat sur le « vivre-ensemble » (pléonasme ?) dans notre société en est une nouvelle illustration. Il agite le débat public, même en dehors des périodes électorales, et il concerne tout autant les institutions où les personnes travaillent ensemble. Un des sujets majeurs de préoccupation aujourd’hui dans les entreprises est de chercher à améliorer la coopération entre leurs salariés, en un mot les faire mieux travailler ensemble. C’est dire qu’elles s’interrogent sur la nature même du travail – collectif – dans une institution.
Comme l’a récemment traité la revue des entrepreneurs et dirigeants chrétiens (1), la religion pose aujourd’hui sur les lieux de travail des problèmes qui ne tiennent plus seulement à la vie intérieure des dirigeants ou des salariés. Que dire du thème sempiternel des rapports entre les générations puisque les gourous du management sont aujourd’hui en voie d’imposer le cru de la Génération Z après la Y, imposant ainsi un vrai choc de créativité pour leurs successeurs dans cinq ans… Quant à tous les méfaits du travail, chacun s’accorde enfin à admettre que les méchantes organisations n’en sont pas la seule cause mais que l’état de notre société et le mal-vivre en dehors de l’entreprise pourraient aussi avoir un impact sur ce qui se vit à l’intérieur.
Si la question du vivre-ensemble se pose avec autant d’acuité dans les institutions de travail, c’est sans doute que l’on prend conscience des limites du discours du « à-moi-toute ! ». Il avait pris différentes formes complaisantes comme le salarié « acteur de sa carrière », responsable de son « personal branding », soumis à l’exigence de son développement personnel et du « c’est mon choix », etc.
Sans doute commence-t-on à revenir du vieux rêve selon lequel les structures, les règles et les lois devraient suffire à faire travailler ensemble efficacement, chacun se rendant compte enfin que ce n’est jamais le marteau qui enfonce le clou mais l’opérateur habile à s’en servir. Tout comme les lois nouvelles semblent à nos politiques le seul moyen d’agir et d’exister, la construction de systèmes sophistiqués sans aucune considération pour les personnes a souvent servi d’unique pratique managériale.
Dans un ouvrage récent sur la « Très Grande Entreprise », Olivier Basso (2) distingue très judicieusement les grandes et petites entreprises qui n’ont en commun que le nom. Il décrit ensuite les évolutions de ces dernières décennies qui ont obscurci le sens même de l’entreprise, sa« raison d’être » pour utiliser cette belle expression française qu’empruntent les auteurs anglo-saxons sans la traduire. En prenant de la distance vis-à-vis de tous les raisonnements économiques et financiers dominants, l’auteur s’interroge sur la nécessité de retrouver le sens même du projet collectif qui doit forcément fonder l’entreprise et ce qui s’y vit collectivement.
Il existe quelques lueurs dans cette quête du vivre-ensemble. Le mois dernier, le dirigeant d’une entreprise opérant dans le secteur du numérique ou du digital développait le bouleversement des modèles économiques, des nouveaux comportements de consommation et de travail, à savoir une véritable révolution par rapport au monde ancien. Après cette vision de la virtualité extrême, quelqu’un demanda au dirigeant comment il manageait ses équipes. Sa réponse fut immédiate : il avait institué des rencontres physiques obligatoires pour que les salariés, tout simplement, se rencontrent…
Maurice Thévenet,
professeur au Cnam et à l’Essec Business School
16/3/15
Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com/
(1) Dirigeants chrétiens, mars 2015.
(2) Politique de la Très Grande Entreprise, PUF, 2015.