MARINE QUENIN | LE 11.07.2014 À 10:47
Dernière semaine avant les vacances dans cette école parisienne. Difficile de capter l’attention des enfants qui ont déjà un pied dans l’été. Marine, l’animatrice, opte pour une séance un peu particulière. Après avoir testé leurs connaissances par des jeux lors des deux séances précédentes, elle souhaite s’assurer que les regard des enfants a changé au cours de l’année.
« Aujourd’hui, on va procéder de façon un peu nouvelle. On va commencer par une interview, et ensuite, si vous êtes sages, j’ai une surprise pour vous ». Ça ne manque pas, Nelson s’exclame : « C’est quoi la surprise ? Et si on n’est pas sages ? ». « Et si on s’occupait d’abord de la première partie ? Mettez vous par groupes de 2 ou 3 ». Marine répartit les enfants par petites équipes, dans un brouhaha maîtrisé. Elle donne à chacune une question sur laquelle réfléchir et donner son avis. « Vous avez cinq minutes pour réfléchir par groupe et nous expliquer ensuite si vous êtes d’accord ou non avec cette affirmation, et pourquoi ».
Les religions et les élastiques
Les enfants se prêtent au jeu. Même Lucas qui n’a pas lâché pour autant sa boîte à élastiques, le dernier jouet à la mode dans les cours d’école pour fabriquer des bracelets multicolores. Ses mains s’activent… ce qui ne l’empêche pas pour autant, aussi surprenant que cela paraisse, lui normalement si dissipé, de discuter avec ses camarades.
« Allez, on y va. Premier groupe, et les autres vous écoutez, n’est-ce pas ? Les musulmans, facile de les reconnaître dans la rue ! D’accord, pas d’accord ? ». Marwan, bavard, prend la parole sans laisser la chance à Wassim de s’exprimer : « Non, parce que des fois, des gens, dans la rue, ils sont musulmans, et les autres, ils croient qu’ils sont chrétiens ». Le reste de la classe semble d’accord, voilà un premier point traité : on ne peut présumer des convictions de chacun. « On continue, deuxième groupe. Lucas, Sara et Safiatou, que répondriez-vous à une personne qui vous dirait : tous les juifs, ils sont pareils ». Lucas n’a pas lâché ses élastiques, mais laisse Safiatou répondre de sa petite voix : «Ben non, y en a qui ne prennent pas leur religion au sérieux, ils vont pas tous les jours prier ». Marine les écoute, et cherche à nuancer en demandant s’il s’agit vraiment de prendre ou non sa religion ou sérieux. Marwan, toujours lui, remet en perspective avec ses mots : « En fait, chacun sa vie ». La classe semble d’accord ; au fond de la salle, Gabrielle, l’enseignante sourit, visiblement fière du chemin parcouru par ses élèves. Et de deux ! Ne pas essentialiser les religions, comprendre que le rapport aux croyances, aux pratiques, à la spiritualité sont extrêmement personnels. Peut-être n’ont-ils pas les mots pour l’exprimer, mais ils semblent l’avoir intégré.
Troisième groupe. « Français et chrétiens, ça veut dire la même chose ? » Inès hausse les épaules, comme si la question était idiote : « Non, bien sur, il y a aussi des musulmans qui sont nés en France. Les Français, c’est ceux qui sont nés en France. » Pas besoin de reprendre, cela leur semble évident. « Et alors, si je vous dis : l’athéisme c’est n’importe quoi ! ». Céline et Mohammed ont attrapé leur dictionnaire pour être surs de la définition du mot ; ils peuvent donc expliquer : « Ça veut dire ne pas croire en Dieu. Et comme personne ne sait s’il existe ou pas, y en a qui peuvent croire et d’autres qui peuvent ne pas croire. ». Lucas, décidément transformé, toujours des élastiques dans les mains, manifeste son accord.
« Même pas peur »
Pour ce qui est de « la religion des autres, ça me fait peur », Van Kévin fronce les sourcils et se lance : « Non, ça ne me fait pas peur, parce que chacun sa religion. On ne peut avoir peur parce que c’est pas méchant. Pourquoi on aurait peur ? » Marine se tait, pourquoi les reprendre, les messages sont passés. Groupe suivant : « Moi, je n’ai pas le droit de parler des autres religions que la mienne ». Oscar, toujours aussi sérieux derrière ses lunettes secoue la tête et prend la question, à son habitude, par un angle surprenant : « Non, parce que ça voudrait dire qu’on ne peut pas changer de religion, qu’on ne pourrait pas devenir athée si on est chrétien, ou musulman si on est athée ». Et voilà, le principe de liberté de conscience clairement acquis. Marine est fière.
« On arrive à l’avant dernier groupe : il faut absolument que tout le monde soit de la même religion ». Lucas est debout, mais silencieux, même s’il ne semble pas d’accord du tout. Marine lui demande de s’asseoir avant de passer la parole à Jerricah et Séréna « On n’est pas d’accord. Il existe les musulmans, les chrétiens, les juifs » « et les athées » ajoute bruyamment Marwan ; plus besoin de Marine pour animer. « Et les catholiques » murmure Jonathan sur le côté – ah, peut-être certains points seront à reprendre, mais elle laisse passer. Elles poursuivent : « On a le droit d’avoir notre religion, personne ne décide notre religion ». Si la grammaire est à revoir, le fond y est… « Dernière question, peut-être un peu compliquée… La laïcité, c’est juste pour l’école ? ». Jonathan se lance : « non, parce que les écoles laïques, y en a beaucoup ». Marine cherche à pousser un peu la réflexion, demandant si la laïcité se retrouve uniquement à l’école. « Ben aussi, dans les centres, dans les colonies ». Bien vu, elle cherche néanmoins à les sortir de leur environnement proche : « Et dans la rue, on la retrouve ? ». Marwan saute sur l’occasion :« Oui, oui, elle est partout. ». Dernier rappel avant la surprise pour évoquer encore liberté de conscience, liberté de culte, et séparation des Eglises et de l’Etat.
« Il me semble que vous avez mérité votre surprise… Allez, piochez un bonbon dans le sac » « Ils sont à la gélatine ? » On revient toujours à nos questions : « Non, pas de gélatine, aucun risque qu’il y ait du porc. Servez-vous. Et attention aux appareils, ça colle ! ».
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