Les attentats de Paris vus par les enfants

 

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Vendredi 9 janvier au soir, je suis venue à l’atelier affligée. L’après-midi, tous les quarts d’heure, une nouvelle alarme s’affichait sur mon téléphone. Entre les deux frères Kouachi retranchés dans une imprimerie en Seine-et-Marne, la prise d’otage en cours dans le supermarché casher Porte de Vincennes et la place Trocadéro évacuée, impossible de sortir de ma tête l’attentat qui s’est déroulé deux jours plus tôt dans la rédaction de Charlie Hebdo. Cette tragédie, pour sûr, il était essentiel d’en parler avec les CM, des enfants de 9-10 ans, qui participent depuis novembre aux ateliers Enquête au sein d’un centre social situé à Ménilmontant (Paris XXe). Mais comment faire au mieux vu les circonstances ? Avant la séance, Marine, notre coordinatrice, me conseille de partir de leurs connaissances et de travailler à partir de questionnements. Elle me rappelle aussi que leur enseignant à l’école a normalement déjà fait le point avec eux sur ces terribles événements. Ce qui me rassure un peu : je pourrai construire un dialogue à partir d’une réflexion déjà entamée.

« C’est la guerre ! »

Une fois arrivée, Laetitia qui supervise les ateliers au centre social, m’indique qu’aucune séance n’a été effectuée avec les enfants pour revenir sur l’attentat de Charlie Hebdo. Elle-même a néanmoins répondu aux questions des jeunes qui ont exprimé des réactions vives ces derniers jours, comme cette jeune fille qui a déclaré aux autres : « C’est la guerre ! »

Abou Bakr arrive, puis c’est au tour de Rama. Pendant que je termine mes préparatifs pour cette séance dédiée à Muhammad*,  le dernier prophète de l’islam – le hasard fait parfois bien les choses, c’est le thème du jour dans le programme des ateliers -, je leur propose de débuter par une discussion sur les événements de la semaine. Abou Bakr n’attend pas une seconde pour râler : « Oh non ! Notre maitresse nous a déjà parlé de Charlie Hebdo pendant deux heures ! » Je lui réponds que si tout est clair et bien en place dans sa tête, nous continuerons la suite du programme.


« J’ai rigolé pendant la minute de silence »

Une fois qu’ils sont assis, je leur demande de m’expliquer ce qui s’est passé cette semaine. En forme, Abou Bakr se lance dans un long récit un peu confus et désordonné qui raconte l’itinéraire de ces deux frères dont l’un a été en prison et qui ont tué 12 personnes à Charlie Hebdo. « Pour moi, c’est pas des musulmans ! ». C’est à ce moment-là que Rama intervient. Pas d’accord, elle pense de son côté que ce sont des musulmans. Je les laisse se disputer un peu avant de poursuivre ; je reviendrai ensuite sur ce point de mésentente. Tous les deux s’opposent aussi quant au nombre de morts. Sur ce sujet, je leur dit que ce nombre n’est pas l’objet de notre discussion mais que ce qui compte, c’est sa dimension dramatique et que les personnes décédées sont des journalistes, des policiers et un agent d’entretien. Je relance alors Rama pour qu’elle me donne sa version.

Ce qui lui importe surtout, c’est de me raconter qu’elle a rigolé pendant la minute de silence jeudi à son école : « Mais faut m’excuser, j’ai une copine qui rigolait aussi et j’ai pas pu m’empêcher ». Elle se répète, y revient à plusieurs reprises, comme si elle avait besoin qu’on lui pardonne. « Ok, je comprends, c’est dommage, ca arrive parfois quand on est mal à l’aise, mais ne t’inquiète pas. » Je complète cependant en insistant sur le fait que ce temps de silence était important et symbolique, « symbolique, comme la notion de symbole que nous avons vu récemment, vous vous souvenez ? Ca veut dire quelque chose de commun, de partagé, et qui a le même sens pour tous. Dans ce contexte, de dire que tous ensemble, on n’est pas d’accord ». Puis je reviens avec eux sur leurs désaccords, en leur expliquant qu’il s’agit en effet de musulmans mais que ces terroristes ne représentent qu’une partie des musulmans qui vivent leur foi de manière violente et radicale.

Pas le temps de développer car Abdel Rahim, plus âgé que les deux autres, débarque dans l’atelier. Je l’accueille et lui demande de me raconter également les événements. Il me parle alors des morts et m’affirme que l’attentat s’est déroulé à Pantin où apparemment sa sœur était présente aux moments des faits. Comme Abou Bakr, il est pris par le déroulé de l’actualité, déclinaison de l’actualité en continue, comme avalé par le défilé des images. Sans analyse…. Je précise que la tuerie a eu lieu dans la rédaction de Charlie Hebdo, située près de la place de la République.

 

Des stylos en l’air

Pour être sûre de leur compréhension, je les questionne : « Savez-vous ce que c’est, Charlie Hebdo ? » Je les aide un peu ; ils finissent par me répondre qu’il s’agit d’un journal. Ils semblent avoir des difficultés à comprendre ce qu’est une rédaction, notion que je m’attache à leur clarifier. Ils ont aussi du mal à définir la spécificité du journal ; ce qui explique, peut-être, qu’aucun d’entre eux n’ait évoqué les caricatures de Muhammad. « C’est quoi une caricature selon vous ? » Yeux ouverts mais muets, ils ont du mal à répondre. Je leur propose une définition : « Ce sont des dessins qui reprennent des faits d’actualité, souvent en se moquant ».

Je leur explique que Charlie Hebdo a publié, il y a quelques années, des caricatures du prophète de l’islam. Que celles-ci ont blessé de nombreux musulmans. Et je poursuis avec la liberté de la presse, la liberté d’expression : « Pour autant, il est important dans une démocratie, dans notre pays, de laisser la possibilité à chacun de s’exprimer, notamment la presse, tout en respectant les lois ». Pour leur donner une illustration concrète, qui les aide souvent à comprendre, je leur rappelle que je suis journaliste et que personne n’a le droit de me tuer pour un article publié. Cela irait, comme pour Charlie Hebdo, à l’encontre à la fois de l’interdit du meurtre mais aussi de la liberté de l’expression qui fait partie des valeurs républicaines. Ce qui explique que de nombreuses personnes, qui sont venus rendre hommage aux journalistes et aux policiers mercredi soir, brandissaient un stylo en l’air, « Encore un symbole ! La notion revient souvent ce soir… il s’agit du symbole de la liberté de pouvoir s’exprimer, de pouvoir se moquer ». Etant moi-même place de la République le 7 janvier au soir, je leur raconte comment cet hommage, très silencieux, s’est déroulé, tout en leur montrant des photos publiées dans Le Petit Quotidien des différentes manifestations organisées dans le monde.

 « Et que signifie « Je suis Charlie » qu’on voit partout ? ». Ils ne savent pas plus. Je reparle de symbole – décidément le fil conducteur de la séance -, pour montrer que cette petite phrase est un raccourci pour dire qu’on refuse ce qui s’est passé.
Il me semble que nous pouvons passer à la deuxième partie de l’atelier dédiée à Muhammad. Après un jeu de devinette sur ce nom, je demande à ces enfants, pourtant pour la plupart musulmans, ce qu’ils connaissent de ce personnage. Hormis qu’il s’agisse d’un prophète de l’islam, tous donnent leur langue au chat. Il ne s’agit pas ici d’aborder la transmission de la foi, mais bien la transmission laïque de connaissances sur les religions et la laïcité ; le travail en leur compagnie n’est pas terminé…

*L’association Enquête a fait le choix, dans ses différents outils,  d’évoquer le prophète musulman par la transcription « Muhammad », et non pas « Mahomet ». Celui-ci  se justifie à la fois par la plus grande proximité de cette forme avec sa forme arabe et d’autre part car l’utilisation de « Mahomet », transmise depuis au moins l’époque des croisades, souvent dans des ouvrages polémiques, renvoie à une connotation péjorative.

Alice Papin

le 27.01.2015 à 10:57

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« L’essentiel, c’est de participer ! »

DANIELLE ANDRÉ | LE 13.10.2014 À 12:12

Vendredi 29 septembre, 10 h, j’arrive «aux Minguettes». Plus précisément, au collège Paul Eluard à Vénissieux, dans la banlieue sud de Lyon. 24 paires d’yeux d’une classe de 6ème m’attendent, visiblement contents qu’une personne ait fait le déplacement rien que pour eux. Leur jeune professeure d’histoire-géographie fait les présentations. Elle a bien préparé ses élèves, car ils sont intéressés et attentifs. Je leur explique que je suis là pour cette première séance du jeu «l’Arbre à défis», pour les familiariser, eux et leur enseignante, à son fonctionnement, et qu’ils continueront à y jouer le reste de l’année. Voilà qui nous amène à définir le mot «défi» : pour eux, pas de doute, c’est «lancer un défi à quelqu’un». Je les questionne : «Ne peut-on pas aussi s’en lancer à soi-même, pour progresser ?».Pour jouer à « L’Arbre à Défis », il s’agira de se lancer des défis entre équipes d’élèves. Puis le verbe «collaborer». Et là, petit flottement ; un élève tente : «C’est faire quelque chose ensemble ?». «Bravo!», j’explique à tous que notre jeu permettra de construire un bel arbre tous ensemble, mais que l’équipe qui aura récolté le plus de points aura gagné. Dans mon élan, et pour pimenter cette notion, un peu trop sûre que je vais leur apprendre quelque chose, je leur demande s’ils connaissent la devise des jeux olympiques ; et là, une élève répond instantanément : «L’essentiel, c’est de participer !».

Arbreàdéfis
(photo DR)

Voyant l’impatience des enfants, on entre dans le vif du sujet, après avoir détaillé les règles des 4 défis.

1ère carte : Défi de la «Bonne définition» avec le mot «Laïcité»

Agitation momentanée au moment du choix de l’équipe qui va préparer ce défi : sur le modèle du jeu du dictionnaire, il s’agit de proposer plusieurs définitions pour une notion. Ils veulent évidemment tous y aller, d’autant plus qu’ils vont préparer ce défi en équipe, dans une petite pièce jouxtant leur salle d’histoire-géo. Enfin, en équipe, c’était l’idée de départ… Vu le bruit qui parvient de la petite salle, je décide d’y aller ! Grosse foire d’empoigne ! Pas pour rédiger la définition, non, mais pour savoir qui va la lire devant le reste de la classe. Je leur rappelle la devise de Pierre de Coubertin, bien lointaine à ce moment précis, puis les aide à rédiger la définition. C’est un exercice difficile, de réduire un texte de 10 lignes en une phrase… Il y a ceux qui n’ont retenu qu’une phrase et qui veulent absolument que ce soit celle-ci ; et ceux qui n’ont pas vraiment compris et qui continuent de se chamailler, ou encore ceux pour qui c’est vendredi et qui regardent un peu par la fenêtre, du côté du week-end… Ils réussissent à se mettre d’accord sur une phrase, «La laïcité, c’est la séparation des affaires des églises et de l’Etat», et une élève la recopie, très lentement et avec application. Ils désignent ensuite celui qui va lancer le défi devant les autres.

Arrivé devant la classe, deux petits «miracles» ! Dès qu’il prononce le mot «laïcité», une élève sort de son cartable ce qu’ils ont déjà travaillé avec leur professeure à ce sujet : à partir d’un conte de l’Observatoire de la laïcité, ils avaient abordé les notion de différences de calendrier, de monothéisme, polythéisme, athéisme et agnosticisme et des moyens pour permettre à ces différentes convictions de coexister. Elle est visiblement très contente de le faire et éveille la curiosité des autres élèves qui se sentent ainsi concernés. Elle fait sans le savoir ce qui est le plus important pour un élève ; elle réactive d’elle-même des connaissances passées, preuve qu’elle a bien compris et est capable de s’en servir à bon escient. Deuxième petit miracle : après le comptage des points, l’élève qui a lancé le défi lit le texte de la carte «Laïcité» d’une bonne voix et sans hésitation. «Félicitations ! Tu as lu très clairement». J’ajoute que c’est essentiel de savoir lire, parler, défendre des idées devant ses camarades. Encore une compétence que « L’Arbre à défis » permet facilement de développer.

2ème carte : Défi du « Mot inconnu » avec le lieu «  La Mecque ».

Ils adhèrent très vite à ce défi car tous ou presque connaissent les règles du jeu «Taboo» dont il s’inspire : il s’agit de faire deviner le plus vite possible aux autres équipes un mot, sans en utiliser certains. L’équipe choisie pour ce défi est très excitée du mystère qui plane autour du mot secret, et de partir en chuchotant vers la petite salle ! Cette fois-ci, je vais d’emblée avec eux. S’amorce une discussion pour le choix des 3 indices ; tous connaissent La Mecque, avec cependant pas mal d’approximations. Par exemple le mot «pèlerinage»ne sort qu’avec mon aide. Le mot « musulman » vient en premier, comme celui de «mosquée». Je les laisse faire le choix de l’ordre, et on retourne vers la classe. Le mot inconnu est très vite trouvé, puis une élève lit le texte correspondant à cette carte, devant ses camarades, sur l’estrade. Elle a une bonne diction et tout se passe bien, jusqu’à la lecture des mots, en arabe dans le texte, «Al Masjid Al Haram» ; elle a beaucoup de mal à s’empêcher de rire en le lisant car elle bute sur la langue. Mais en même temps, elle est très gênée, surtout quand une élève s’exclame : «C’est pas bien ! Il  faut pas rire quand on parle de ça !». Leur professeure intervient : «laisse la s’exprimer et ne lui fais pas la morale ». L’élève poursuit sa lecture, en s’appliquant pour les deux derniers mots en arabe:«Ka’ba» et «hadj». Ce petit incident souligne bien que pour ces 24 élèves, dont 21 sont musulmans, ce n’est pas si facile de faire référence à sa culture. S’ils en sont fiers, ils n’ont pas tous les éléments pour bien l’assimiler : ici la connaissance de la langue arabe. Il y a comme une gêne à en parler, comme si cela leur rappelait une fois de plus cette origine qu’ils ont parfois du mal à assumer. A ce moment me revient en mémoire une chanson du groupe Zebda  qui fait référence à cette double appartenance, parfois difficile à vivre. A-t-on vraiment réalisé ce que cela représente pour eux de vivre cette double culture ? Le chemin est long pour qu’elle signifie, pour eux, une richesse…

3ème carte : Défi «Vrai ou faux» avec le mot «mosquée»

Je présente ce défi, car ici toutes les équipes jouent. Je lis le texte et leur pose 6 questions «vrai» ou «faux». Un peu de brouhaha pour donner la réponse. Plutôt que de désigner un élève par équipe pour la dire, on décide ensemble de l’écrire sur un papier, ce qui évite d’entendre trop tôt la bonne réponse et de tricher. Comme les élèves connaissent tous bien ce mot, et qu’ils ont bien écouté le texte que j’ai lu, les bonnes réponses sont nombreuses ; les points  s’accumulent pour chaque équipe, l’arbre s’étoffe, et ils sont heureux !

4ème et dernière carte : Défi des «stéréotypes» avec la photo d’un visage d’homme au teint basané, portant un turban sur la tête et une chemise sans col

Avant de le lancer, il s’agit d’élucider le sens du mot «stéréotype». Dans un premier temps, aucun élève ne trouve. Quand je leur donne un synonyme, «préjugé», les langues se délient. L’un s’exclame : «C’est formé avec deux mots : « pré » (avant) et « jugé » (juger quelqu’un) : ça veut dire juger quelqu’un avant de le connaître». Je suis émerveillée de les voir faire des ponts aussi facilement avec d’autres matières. On revient au mot«collaborer» : il y a une «collaboration» des matières ! Mais revenons à notre défi ! Il s’agit de trouver la religion de cet homme, après leur avoir montré sa photo : est-il musulman, chrétien ou juif ? J’écoute leurs discussions. A aucun moment, une équipe n’imagine qu’il est chrétien, car l’élément déterminant pour eux, auquel je n’avais pas pensé, est la «gandoura», cette sorte de chemise longue sans col portée par cet homme. Les avis sont cependant partagés : trois équipes pensent qu’il est musulman, et une équipe, qui «sent» le piège, affirme qu’il est juif, «sinon ce serait trop facile !». Pas une n’a imaginé qu’il pouvait être chrétien : or cet homme est copte. Grosse déception : «Ben comment on pouvait savoir ?! Il avait l’air d’un arabe… ». Je les rassure «Effectivement, c’était dur de trouver, et de toutes façons aucune équipe n’a eu de point». J’enchaîne pour dénouer avec eux l’amalgame entre «arabe» et «musulman». L’un fait référence à une appartenance géographique, historique, l’autre à une appartenance religieuse. Ce n’est pas simple, et il faudra qu’ils le reprennent avec leur professeure, qui pourra s’aider des cartes «arabe» et «musulman» de notre jeu.

Danielle André, est experte associée à Enquête, dirigée par Marine Quenin

http://www.enquete.asso.fr/

La grammaire, les stéréotypes et les élastiques

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MARINE QUENIN | LE 11.07.2014 À 10:47

Dernière semaine avant les vacances dans cette école parisienne. Difficile de capter l’attention des enfants qui ont déjà un pied dans l’été. Marine, l’animatrice, opte pour une séance un peu particulière. Après avoir testé leurs connaissances par des jeux lors des deux séances précédentes, elle souhaite s’assurer que les regard des enfants a changé au cours de l’année.

« Aujourd’hui, on va procéder de façon un peu nouvelle. On va commencer par une interview, et ensuite, si vous êtes sages, j’ai une surprise pour vous ». Ça ne manque pas, Nelson s’exclame : « C’est quoi la surprise ? Et si on n’est pas sages ? ». « Et si on s’occupait d’abord de la première partie ? Mettez vous par groupes de 2 ou 3 ». Marine répartit les enfants par petites équipes, dans un brouhaha maîtrisé. Elle donne à chacune une question sur laquelle réfléchir et donner son avis. « Vous avez cinq minutes pour réfléchir par groupe et nous expliquer ensuite si vous êtes d’accord ou non avec cette affirmation, et pourquoi ».

Les religions et les élastiques

Les enfants se prêtent au jeu. Même Lucas qui n’a pas lâché pour autant sa boîte à élastiques, le dernier jouet à la mode dans les cours d’école pour fabriquer des bracelets multicolores. Ses mains s’activent… ce qui ne l’empêche pas pour autant, aussi surprenant que cela paraisse, lui normalement si dissipé, de discuter avec ses camarades.

« Allez, on y va. Premier groupe, et les autres vous écoutez, n’est-ce pas ? Les musulmans, facile de les reconnaître dans la rue ! D’accord, pas d’accord ? ». Marwan, bavard, prend la parole sans laisser la chance à Wassim de s’exprimer : « Non, parce que des fois, des gens, dans la rue, ils sont musulmans, et les autres, ils croient qu’ils sont chrétiens ». Le reste de la classe semble d’accord, voilà un premier point traité : on ne peut présumer des convictions de chacun. « On continue, deuxième groupe. Lucas, Sara et Safiatou, que répondriez-vous à une personne qui vous dirait : tous les juifs, ils sont pareils ». Lucas n’a pas lâché ses élastiques, mais laisse Safiatou répondre de sa petite voix : «Ben non, y en a qui ne prennent pas leur religion au sérieux, ils vont pas tous les jours prier ». Marine les écoute, et cherche à nuancer en demandant s’il s’agit vraiment de prendre ou non sa religion ou sérieux. Marwan, toujours lui, remet en perspective avec ses mots : « En fait, chacun sa vie ». La classe semble d’accord ; au fond de la salle, Gabrielle, l’enseignante sourit, visiblement fière du chemin parcouru par ses élèves. Et de deux ! Ne pas essentialiser les religions, comprendre que le rapport aux croyances, aux pratiques, à la spiritualité sont extrêmement personnels. Peut-être n’ont-ils pas les mots pour l’exprimer, mais ils semblent l’avoir intégré.

Troisième groupe. « Français et chrétiens, ça veut dire la même chose ? » Inès hausse les épaules, comme si la question était idiote : « Non, bien sur, il y a aussi des musulmans qui sont nés en France. Les Français, c’est ceux qui sont nés en France. » Pas besoin de reprendre, cela leur semble évident. « Et alors, si je vous dis : l’athéisme c’est n’importe quoi ! ». Céline et Mohammed ont attrapé leur dictionnaire pour être surs de la définition du mot ; ils peuvent donc expliquer : « Ça veut dire ne pas croire en Dieu. Et comme personne ne sait s’il existe ou pas, y en a qui peuvent croire et d’autres qui peuvent ne pas croire. ». Lucas, décidément transformé, toujours des élastiques dans les mains, manifeste son accord.

« Même pas peur »

Pour ce qui est de « la religion des autres, ça me fait peur », Van Kévin fronce les sourcils  et se lance : « Non, ça ne me fait pas peur, parce que chacun sa religion. On ne peut avoir peur parce que c’est pas méchant. Pourquoi on aurait peur ? » Marine se tait, pourquoi les reprendre, les messages sont passés. Groupe suivant : « Moi, je n’ai pas le droit de parler des autres religions que la mienne ». Oscar, toujours aussi sérieux derrière ses lunettes secoue la tête et prend la question, à son habitude, par un angle surprenant : « Non, parce que ça voudrait dire qu’on ne peut pas changer de religion, qu’on ne pourrait pas devenir athée si on est chrétien, ou musulman si on est athée ». Et voilà, le principe de liberté de conscience clairement acquis. Marine est fière.

« On arrive à l’avant dernier groupe : il faut absolument que tout le monde soit de la même religion ». Lucas est debout, mais silencieux, même s’il ne semble pas d’accord du tout. Marine lui demande de s’asseoir avant de passer la parole à Jerricah et Séréna « On n’est pas d’accord. Il existe les musulmans, les chrétiens, les juifs » « et les athées » ajoute bruyamment Marwan ; plus besoin de Marine pour animer. « Et les catholiques » murmure Jonathan sur le côté – ah, peut-être certains points seront à reprendre, mais elle laisse passer. Elles poursuivent : « On a le droit d’avoir notre religion, personne ne décide notre religion ». Si la grammaire est à revoir, le fond y est… « Dernière question, peut-être un peu compliquée… La laïcité, c’est juste pour l’école ? ». Jonathan se lance : « non, parce que les écoles laïques, y en a beaucoup ». Marine cherche à pousser un peu la réflexion, demandant si la laïcité se retrouve uniquement à l’école. « Ben aussi, dans les centres, dans les colonies ». Bien vu, elle cherche néanmoins à les sortir de leur environnement proche : « Et dans la rue, on la retrouve ? ». Marwan saute sur l’occasion :« Oui, oui, elle est partout. ». Dernier rappel avant la surprise pour évoquer encore liberté de conscience, liberté de culte, et séparation des Eglises et de l’Etat.

« Il me semble que vous avez mérité votre surprise… Allez, piochez un bonbon dans le sac » « Ils sont à la gélatine ? » On revient toujours à nos questions : « Non, pas de gélatine, aucun risque qu’il y ait du porc. Servez-vous. Et attention aux appareils, ça colle ! ».

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Pour plus d’information sur l’association : http://www.enquete.asso.fr/home