L’opportunité économique du marché multiculturel

Avec plus de 11 % de sa population d’origine étrangère, la France est la plus importante société multiculturelle d’Europe (1). Un monde métissé aux multiples habitudes de consommation auxquelles les marques globales ne parviennent pas toujours à répondre. Une niche de croissance encore trop souvent délaissée par les entreprises françaises qui y trouveraient pourtant là une opportunité de rebondir en cette période de crise.

Au nom de l’universalité du modèle français et de la crainte qu’inspire toujours le communautarisme, le marché « ethnique » peine à se développer dans notre pays, contrairement aux autres pays tels que les Etats-Unis ou l’Angleterre. En dehors de l’alimentaire, des cosmétiques et des télécommunications, les entreprises limitent leurs investissements dans ce secteur pourtant très prometteur. Le poids économique des consommateurs issus des différentes communautés est en effet estimé à plus de 10 milliards d’euros par l’agence Sopi. De ce fait, les entreprises françaises gagneraient donc à développer des stratégies marketing spécifiques correspondant à la communauté à qui elles s’adressent.

Sortir des réseaux spécialisés

De grands groupes tels que Nestlé ou l’Oréal se sont d’ailleurs positionnés en leaders sur ce marché en attente de réponses spécifiques. Les laits fermentés ou caillés, un produit consommé en général en accompagnement de plats orientaux traditionnels, ont fait leur apparition dans les gammes de produits laitiers, tandis que le numéro un mondial des cosmétiques, a développé une gamme de produits entièrement dédiée aux besoins spécifiques d’une population ethnique diverse. Un investissement gagnant puisque les femmes noires et métissées dépensent, en moyenne, 980 € par an pour les produits cosmétiques, contre 250 € pour les femmes dites caucasiennes. En volume, elles achètent neuf fois plus de produits (2). Une manne qui n’a pas échappé aux stratèges de la marque, d’autant qu’en mal de reconnaissance, ces consommateurs aspirent à sortir des réseaux de distribution spécialisés qui captent encore plus de 85 % de leurs achats, pour trouver dans la grande distribution les produits dont ils sont friands. Le développement des secteurs halal (5,5 milliards d’euros en 2011 selon Nielsen) dans les hypermarchés en témoigne.

Des marchés en croissance

À l’évidence, ces marchés constituent en effet de vrais relais de croissance en période de crise. Ils vont continuer à se développer et acquérir une maturité, sous l’impulsion d’offres qui vont s’étoffer, et de circuits de distribution qui vont s’organiser. Les marges de progression sont grandes. Aujourd’hui, plus de 70 % des achats de viandes halal, dont les ventes progressent de 15 % par an, se font encore auprès des boucheries spécialisées. Et au-delà des secteurs traditionnels, de nouveaux acteurs s’intéressent de plus en plus fortement à ces consommateurs jeunes et urbains concentrés principalement dans cinq régions et sensibles à la valorisation de leur groupe ethnique. Swiss Life a ainsi lancé la première assurance vie répondant aux valeurs de l’Islam. Le halal peut en effet s’inscrire dans les composantes transversales actuelles et aller vers la praticité, le nomadisme, la santé, le bien-être, comme le souligne Sébastien Monard, insight manager chez Nielsen.

S’ouvrir au marketing ethnique

Même si la République ne forme qu’une communauté indivisible, force est de constater que la diversité est bel et bien une réalité de notre société. Or les marques ont encore trop tendance à oublier les minorités ou à jouer sur les clichés réducteurs. 88 % des publicités ne font encore apparaître que des modèles de type caucasien. Pour capter l’attention de cette population dont le pouvoir d’achat ne cesse de progresser, les entreprises doivent plus largement s’ouvrir à leurs habitudes de consommation, proposer des gammes dédiées répondant à leurs attentes spécifiques et ne pas hésiter à construire un discours fondé sur leurs codes, comme c’est déjà le cas depuis plusieurs années aux Etats-Unis. Le marketing ethnique ciblé existe d’ailleurs déjà dans les réseaux de distribution spécialisés où les marques diffusent des publicités dédiées. Rien d’étonnant à cela. De même que les marques adaptent leur discours selon les tranches d’âge du consommateur, il apparaît logique de prendre en considération les attentes spécifiques d’un public en attente de réponses appropriées. Une prise de conscience objective des nouvelles réalités du marché devrait nous aider à faire tomber ce tabou très français.

(1) source INSEE
(2) source L’OREAL.

 

Sabrina Fodzo

 

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