Islam en France : ce que les musulmans veulent changer

Des dignitaires souhaitent faire évoluer l’organisation de l’islam en France. Ils demandent aussi un statut officiel pour les imams et un renforcement de la lutte contre les radicaux.

Bayonne-9Janvier2015

Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), le 9 janvier. Plusieurs tags ont été découverts sur le portail d’entrée de la mosquée. Les auteurs de ces inscriptions faisaient référence à l’attentat contre « Charlie Hebdo ».
(Photopqr/« Sud Ouest »/Jean-Daniel Chopin.)

Pour la grande majorité des 5 millions des musulmans de France, c’est une double peine, comme ils disent. Depuis mercredi, ils se sentent salis par des terroristes qui se réclament d’un islam qui n’est pas le leur, mais ils sont aussi devenus la cible de ceux qui les tiennent collectivement pour responsables.

Tags racistes et tête de cochon sur les lieux de culte, explosion dans un kebab… Depuis six jours, plus d’une cinquantaine d’actes islamophobes ont été recensés. Du jamais-vu. La communauté musulmane refuse d’autant plus les amalgames qu’elle souligne l’urgence de réformes en son sein.

Une représentation en phase avec les fidèles.
Depuis 2003, le Conseil français du culte musulman (CFCM), créé sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, est l’instance représentative de l’islam deFrance, notamment auprès de l’Etat. Toutefois, les fédérations qui la composent, proches du Maroc, de l’Algérie ou de la Turquie, n’ont jamais su dépasser leurs divisions. De nombreux fidèles ne se retrouvent pas dans cette institution. Faute d’autorité morale, le CFCM n’est jamais parvenu à légiférer sur des thèmes aussi divers que le halal, le calendrier lunaire ou le statut des imams. « Le CFCM est resté une structure légère. Les fédérations n’ont pas mutualisé leurs moyens et ont vu dans cette institution un simple guichet à travers lequel elles pouvaient dialoguer avec les pouvoirs publics », décrit Mohammed Moussaoui, qui en a été le président de 2008 à 2013. « Il faudrait la présence d’imams dans le bureau exécutif du CFCM, qui est très éloigné du terrain », suggère Ahmed Miktar, président des Imams de France et imam de Villeneuve-d’Asq.

Un statut officiel.Les quelque 2 400 imams en France ont des profils différents. Certains sont salariés de l’association gérant la mosquée et rémunérés très modestement, souvent à temps partiel. « La plupart du temps, ils sont déclarés en tant qu’animateur associatif », décrit l’imam Ahmed Miktar. Environ 15 % sont payés par les Etats marocain, algérien ou turc. D’autres sont entièrement bénévoles, les associations cultuelles n’ayant pas les moyen de leur verser un petit salaire. « Il faut leur donner un statut en terme social, de carrière. « La République leur demande de lutter contre le radicalisme religieux. Du moment que la mission n’est pas d’ordre cultuelle, je ne vois pas pourquoi la société ne pourrait pas financer ce type d’activités », insiste Moussaoui.

Ouvrir les mosquées.« Les musulmans doivent plus ouvrir leurs mosquées, être le plus transparent possible pour que leur message soit clair. Ils se doivent d’être des acteurs de la pédagogie, souligne Moussaoui. Il faut aussi aller vers les autres pour mieux les connaître. Les imams ne sont pas assez formés au catholicisme, et les prêtres ne sont pas formés à l’islam. » Les dignitaires catholiques et musulmans ont multiplié les rencontres ces dernières années. Cependant, le dialogue entre imams et rabbins reste rare. Il y a urgence à construire des ponts.

Lutter contre les radicaux.Les imams sont désemparés face à la montée des extrémistes. « Ils sont eux-mêmes visés nommément par les radicaux sur Internet. Ils le sont ainsi deux fois, par les racistes et les intégristes. Certains ont demandé une protection », explique Ahmed Miktar. A défaut, certains hésitent à condamner ouvertement les extrémistes, car ils craignent des représailles. Ils se sentent aussi impuissants face aux jihadistes qui transitent par les réseaux sociaux. « Il faut une loi pour lutter contre les dérives sur Internet », insiste-t-il. Il peut arriver néanmoins qu’une mosquée serve de tribune à des imams autoproclamés qui prônent la violence. « Il y a une centaine de lieux de culte entre les mains de salafistes en France qui ne sont pas tous radicaux, mais qui tiennent un discours rigoriste et de rupture avec la société », décrit Bernard Godard, ex-spécialiste de l’islam au ministère de l’Intérieur.

Eduquer les adolescents.« Faire en sorte que nos adolescents ne soient pas attirés par les interprétations les plus radicales des piliers de l’islam est capital », répète Azzedine Gaci, recteur de la mosquée Othmane à Villeurbane (Rhône). Les mosquées reçoivent et forment les jeunes de 6 à 13 ans, puis éventuellement à l’âge étudiant. Entre les deux, rien. « A 14 ans, à l’âge où ils ont le plus besoin de nous, nous les abandonnons. C’est là qu’ils se font happer par les forces obscures. » Gaci pointe un manque de moyens humains et financiers pour contrer ce risque. Selon lui, il « faut des éducateurs correctement formés ».

Plus d’aumôniers dans les prisons.Le contact avec le radicalisme extrémiste se joue souvent en prison, où le manque d’aumôniers musulmans est criant. « Il y a dix ans, j’en avais déjà fait part au ministère », s’agace Gaci, alors aumônier à la prison de Villefranche. Seul, dans un établissement de quelque 700 détenus dont plus de 70 % d’origine musulmane : « Comment travailler correctement en n’y passant qu’un jour par semaine ? » Directeur de l’institut Al-Ghazali, qui forme imams et aumôniers à la Grande Mosquée de Paris, Djelloul Seddiki évalue la carence d’aumôniers en centres pénitentiaires à 150 environ : « L’an dernier, 20 seulement ont été recrutés. »

Pour en savoir plus : http://www.leparisien.fr/

Le 4e Forum islamo-chrétien « pour proposer des formes nouvelles de vivre-ensemble »

ForumIslamo-ChrétienLyon2013

Le 4e Forum islamo-chrétien se déroulera les 28, 29 et 30 novembre à Lyon. Dans un contexte national et international particulièrement troublé, qui guidera leurs réflexions, les participants débattront pendant trois jours du mieux vivre-ensemble entre chrétiens et musulmans, mais aussi dans la société tout entière. Ils tenteront d’élaborer des solutions, notamment en réfléchissant à de nouvelles formes d’engagement.

 

La 4e édition du Forum islamo-chrétien (FIC) de Lyon se déroulera du vendredi 28 au dimanche 30 novembre dans la ville des Lumières, une place forte du dialogue interreligieux. Mis sur pied par Azzedine Gaci, le recteur de la mosquée Othmane de Villeurbanne, et Vincent Feroldi, délégué épiscopal au diocèse de Lyon, chargé des relations avec les musulmans, le FIC accueillera comme les années précédentes une cinquantaine de participants, à parité entre chrétiens et musulmans.Côté musulman, Anouar Kbibech, vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et président du Rassemblement des musulmans de France (RMF), Amar Lasfar, président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), Ahmed Jaballah, doyen de l’Institut européen des sciences humaines (IESH) de Paris, Ahmed Miktar, président des Imams de France, seront entre autres présents. Pour les catholiques, Christophe Roucou, directeur du Service des relations avec l’islam (SRI), Jean-Marc Aveline, évêque auxiliaire de Marseille et spécialiste du dialogue interreligieux, Bruno-Marie Duffé, théologien et fondateur la chaire des droits de l’homme à l’Université catholique de Lyon, ou encore des délégués des différentes régions compteront au nombre des participants. Des protestants seront aussi présents, notamment des personnes en responsabilité sur le dialogue interreligieux.

L’actualité à la base des réflexions à venir

Après une édition 2013 centrée autour de la foi des jeunes, ce 4e Forum islamo-chrétien lyonnais est organisé autour de trois axes : « Liberté de conscience, liberté religieuse et prosélytisme », « La violence et le statut de minorité dans nos sociétés », « Le respect de l’autre différent dans un monde pluriel ».« Le forum de cette année a vraiment été commandé par les événements internationaux et nationaux », explique à Saphirnews Vincent Feroldi, co-organisateur du FIC. Une matinée sera consacrée à l’analyse des événements de l’année 2014, et à « toutes les questions que cela pose ». Aussi bien à propos des « événements en Syrie et en Irak, avec l’Etat islamique, de ce qui s’est passé en Algérie au printemps à Ghardaïa, des tensions au sein même de la communauté musulmane, et des tensions entre les différentes communautés ».La question des jeunes Français qui partent combattre en Syrie ou en Irak a aussi retenu l’attention des organisateurs. « On est très marqué par ces jeunes qui partent au jihad », note Vincent Feroldi.« S’ils partent, c’est qu’ils n’ont pas trouvé en France de quoi donner sens à leur vie. Cela interroge. »

 

Azzedine Gaci avec Kamel Kabtane (à g.) et Khaled Bentounès (dr.).

Azzedine Gaci avec Kamel Kabtane (à g.) et Khaled Bentounès (dr.).

Violences de nos sociétés et liberté religieuse au cœur des débats

« La question de la violence qui monte dans nos sociétés » sera particulièrement débattue. La violence semble être devenue ces dernières années « un mode d’expression beaucoup plus prégnant », fait observer Vincent Feroldi. Chez les jeunes, mais pas seulement, elle s’impose aussi de plus en plus en lieu et place du dialogue social (bonnets rouges en Bretagne, barrage de Sivens…). Il s’agira de s’interroger sur l’origine de cette violence, de se demander pourquoi elle est utilisée par certains pour se faire entendre, et aussi de « s’interroger dans nos propres traditions religieuses », en se demandant notamment s’il y a « une violence inhérente ou pas dans les religions ».Les questions de liberté de conscience et de liberté religieuse seront un autre des grands axes de réflexion au cours de ces trois jours de forum. Avec, « en arrière-plan, la question des conversions, dans les deux sens ». Les couples mixtes, les difficultés et les incompréhensions auxquelles ils doivent faire face seront aussi au menu des discussions. Un sujet sur lesquels les responsables religieux des deux communautés ont de plus en plus de demandes, selon Vincent Feroldi, et qui doit les interpeller.

Réfléchir pour innover

Les contextes national et international particulièrement troublé, à la base des réflexions du 4e FIC, doit amener à s’interroger sur ce que « les religieux peuvent apporter comme éléments de réflexion, d’approfondissement, et surtout de propositions pour construire un monde plus serein et où la paix n’est pas une chimère. » « Il faut porter un autre regard sur le monde et sur l’évolution de la démocratie, de la manière de vivre ensemble », affirme Vincent Feroldi.« La montée de l’extrémisme – que l’on observe dans toutes les communautés, il est hors de question de prendre une communauté en bouc émissaire – montre bien qu’il y a un mal-être », estime-t-il. « Analyser ce mal-être pour pouvoir apporter des réponses pertinentes », c’est l’un des enjeux du Forum.« J’ai vraiment la conviction qu’il faut qu’on innove. Il faut trouver de nouveaux modes d’engagement », poursuit Vincent Feroldi. « On ne peut pas se contenter de dénoncer, de dire ce qui ne va pas, il faut proposer des formes nouvelles de vivre-ensemble, dans le respect mutuel », insiste-t-il. « Mais je ne peux pas encore dire lesquelles, c’est ce sur quoi il faut qu’on travaille ! ».

 

Le 4e Forum islamo-chrétien « pour proposer des formes nouvelles de vivre-ensemble »
L’Appel des 110 en arrière-fond
En plus d’avoir été commandé par l’actualité nationale et internationale, le Forum islamo-chrétien de Lyon s’inscrit cette année « dans le prolongement de l’Appel des 110 », formulé à travers le texte Nous nous engageons !, et de « l’extraordinaire dynamique qu’il a insufflé », précise Vincent Feroldi. Lu à l’occasion d’un rassemblement interreligieux tenu à Lyon le 1er octobre, le texte engage des responsables religieux, mais aussi des formateurs, des journalistes, des élus, des artistes à contribuer au mieux-vivre ensemble et à favoriser le dialogue et le respect de l’autre.« L’élément positif a été de découvrir que l’Appel des 110 est devenu aujourd’hui l’appel de 1 400 personnes », se félicite Vincent Feroldi. Surtout, les signataires sont d’« une extrême diversité », souligne-t-il. « C’est l’ensemble de la société française, des gens de toutes les conditions, de toutes les confessions, il y a même des athées » qui se sentent concernés. Autre « fruit » de l’Appel des 110, le lancement de forums régionaux islamo-chrétiens, qui doit en partie répondre à cette volonté des signataires de s’impliquer, et qui sera débattue au cours du 4e FIC.
Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com