Entreprise libérée : dérive symbolique et confusion des genres

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Les publications sur les entreprises libérées pullulent dans un contexte de réorganisation managériale des entreprises. Le point sur les dérives et confusions.

 

Il aura suffi d’un article de François Geuze « Entreprise libérée, entre imposture et communication » et surtout de la part de son auteur beaucoup de bon sens et le souci des Hommes pour faire passer l’entreprise libérée du statut de vague balayant nos organisations obsolètes, à un concept de « philosophie architecturale » dans un article écrit (en réponse ?) quelque temps après par Isaac Getz « L’entreprise libérée une question de philosophie ».

J’ai toujours considéré l’essai de Getz sur l’entreprise libérée comme une formidable attaque contre le taylorisme avec la particularité de parler d’Hommes et surtout de mettre en avant des PME apportant cette « performance de niveau mondial ». La symbolique est remarquable.

C’est là le grand paradoxe. Même si l’auteur additionne des réussites exemplaires de petites structures, voire de petites structures initiales devenues parfois des géants, son message s’adresse avant tout aux grands groupes. Les PME ne sont pas concernées par les descriptions d’Isaac Getz sur ces entreprises sclérosées par le tout contrôle, les empilements hiérarchiques les additions de procédures jusqu’aux réunions stériles.

Son dernier article paru en juin 2015 sur « Le Monde.fr » participe encore à cette confusion des genres. Il ne s’agit pas ici de l’analogie avec les architectes que les professionnels apprécieront, mais de ce dirigeant bureaucrate responsable de tous les maux de nos entreprises, auquel Getz oppose le dirigeant « libérateur ».

L’image peut paraître belle sauf que le dirigeant bureaucrate n’existe pas, en tout cas pas dans les PME, cible marketing privilégiée des promoteurs de l’entreprise libérée en France. Un entrepreneur bureaucrate disparaîtrait aussi vite que son entreprise serait créée. La seule bureaucratie dans les PME est celle imposée par l’Administration dont tout le monde est d’accord sur l’urgence de s’en libérer.

Par grand groupe, il ne faut pas comprendre une organisation supérieure à 250 personnes, taille à partir de laquelle, toujours suivant Isaac Getz, ne pouvant plus se rappeler du prénom de chacun, nous ne pourrions échanger oralement dans le respect et la confiance. Les contraintes du tout contrôle sont liées avant tout à la culture de ces géants et à leur mode d’organisation.
Les petites filiales des grands groupes ont les mêmes contraintes que leurs maisons mères. Ce n’est donc pas une question de taille, mais de culture. Plus que les paroles du dirigeant, ce sont ses actes vécus au quotidien qui déterminent la réalité de ce qu’est la culture de l’entreprise et de son impact sur les salariés. Peu importe la taille.

Isaac Getz n’est pas le seul à faire une confusion entre la gestion des grands groupes et celle des PME. L’immense majorité de ce que nous pouvons lire en provenance de consultants, experts et professeurs concernant le management fait référence aux modes d’organisations des Géants (si possible Anglo-saxons).

Nous sommes encore confrontés à un beau paradoxe, les salariés dans les PME en France y étant 4 fois plus nombreux, 7 fois si on ajoute les TPE. Serait-ce lié à l’adage :« qui peut le plus peut le moins ? » Encore faudrait-il que la tâche dans une PME y soit plus aisée ce qui est loin d’être prouvé. De toute façon, le débat ne se situe pas à ce niveau-là.

Hommes vs management

Les grands groupes ont abandonné les Hommes au nom du taylorisme ou plus proche de nous dans le temps du management par les process à travers les ERP (enterprise ressource planning) et les modes managériales plus ou moins bien mises en œuvre (cost killing, reegineering, lean…), tout ceci ayant conduit à l’exploit déplorable de mettre l’Homme au service d’un outil.

Ce mode de management et d’organisation, développé dans les années 1990, vendu par les consultants et les intégrateurs offrait l’avantage, quand bien géré, de générer un résultat prévisible en appliquant des standards efficaces, la prévisibilité du résultat d’une entreprise cotée en bourse étant plus importante que sa valeur absolue grâce au niveau de confiance apporté au marché.

La crise, les changements d’habitude de consommation, l’avènement du numérique font que ce mode d’organisation basé sur un budget à tenir ne fonctionne plus. Avant même d’être fini, le budget est déjà obsolète. En imposant à chacun des « meilleures façons de faire » via des procédures, en mettant le focus sur le contrôle des tâches, tuant la créativité et l’initiative, nous avons participé à la déresponsabilisation puis au désengagement des salariés.

Les Hommes dans les PME constituent un levier de performance clé ou dit autrement, les salariés sont source de valeur ajoutée potentielle. N’étant pas tenu par le tout contrôle et le reporting, cela se traduit par une capacité d’engagement plus forte. La responsabilisation, la confiance, le respect sont des atouts essentiels pour obtenir cet engagement supérieur, créer une énergie nouvelle.

Si le management de responsabilisation n’est pas nécessairement présent dans les PME, il leur est facilement et rapidement accessible, car il dépend essentiellement de la volonté du dirigeant, étant accepté par la grande majorité des salariés, surtout quand il s’accompagne de principes tels que le respect et la confiance. C’est non seulement une différenciation essentielle avec les grands groupes, mais surtout l’atout majeur dans la recherche d’agilité des PME.

Libérer les énergies sans exclure

Les fondements de l’entreprise libérée passent par la suppression du management intermédiaire et des fonctions support qui ne « servent à rien » et qui surtout empêcheraient les salariés de s’exprimer. L’autogestion de la libération est-elle le mode d’organisation apportant la meilleure valeur ajoutée des Hommes ?

Il serait intéressant de pouvoir en débattre. La responsabilisation est un acte inclusif. Partir du principe d’exclure une catégorie de salariés génère une contradiction qui au minimum créera un frein important jusqu’au risque de rejet et donc d’échec.

Si effectivement une organisation (petite ou grande) où l’Homme est responsabilisé implique une évolution du rôle du manager, pourquoi remettre en cause son existence dans l’entreprise dans la mesure où comme chaque collaborateur il apporterait sa propre valeur ajoutée, tournée vers la réussite de l’équipe ? Plutôt que de concentrer le potentiel des salariés responsabilisés à chercher comment se passer de leur manager, ne vaut-il pas mieux orienter cette énergie vers l’extérieur, apporter rapidement cette qualité et cette performance qui feront la différence sur le marché et les clients ?

Il n’est pas prouvé que l’autogestion des salariés de l’entreprise libérée offre au marché un meilleur potentiel de valeur qu’une organisation responsable avec un encadrement intermédiaire et des fonctions supports adaptés à cette logique de management. Le nombre de PME en France pratiquant ce management responsable et apportant une performance de niveau mondial est au moins aussi important que les quelques exemples d’entreprises libérées régulièrement cités.

Ce qui est par contre acté par les promoteurs de cette mode c’est qu’il faut beaucoup de temps pour faire évoluer la culture et l’organisation de l’entreprise libérée. Effectivement, la perte d’énergie est considérable. En se focalisant sur la suppression de son encadrement intermédiaire et la recherche d’un nouveau modèle, le dirigeant y concentre l’essentiel du  potentiel d’énergie libérée par l’acte de responsabilisation.

Défaire une organisation, compenser la perte de repère lié à la mise en place de l’autogestion, pour ensuite espérer trouver la solution, on peut comprendre que cela prenne plusieurs années avec des risques d’échec significatifs. Et pour quel gain ? Le lien entre l’autogestion et l’innovation vendu par les promoteurs de la libération n’étant pas démontré (lire : « Entreprises libérées et innovation » sur « Le Cercle Les Echos »), il reste dans cette affaire beaucoup de temps et d’énergies dépensés sur une opération qui risque de se résumer en définitive à un violent cost killing.

La performance des PME : une question d’énergie

Les PME n’ont rien à gagner à copier les grands groupes dans leur réduction de structure. Leur force réside dans leur capacité à libérer rapidement cette énergie nécessaire pour faire la différence.

Responsabiliser implique bien entendu des évolutions d’organisation, des remises en causes à tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise et en premier lieu chez le dirigeant. L’essentiel pourtant n’est pas là. Plus que la puissance de l’énergie libérée c’est sa direction qui importe et comment elle va toucher.

Où et comment diriger cette énergie afin qu’elle permette à l’entreprise de faire la différence dans un environnement devenu structurellement changeant ? Pour quel business model ? C’est à cette question que le dirigeant devra répondre. Nous connaissons déjà une partie de la réponse. Les Hommes y feront la différence.

Par Loïc Le Morlec,

spécialiste en organisation

En savoir plus sur http://www.lesechos.fr

Souad Massi : « La poésie arabe est aussi philosophique et politique »

SouadMassi

Après quelques années passées à écumer les scènes du monde au sein de la formation Les Chœurs de Cordoue, Souad Massi nous livre enfin un nouvel album qui fleure bon la musique arabo-andalouse. Bel hommage aux grands poètes arabes, « El Mutakallimûm » invite à plonger dans une culture à la richesse inestimable.

 

Saphirnews : « El Mutakallimûm », qui veut dire « les orateurs » en arabe, est votre 4e album studio. Pourquoi cet hommage aux poètes du monde arabe ?

Souad Massi : Quand je ne suis pas bien, je me réfugie dans la poésie. Cela me fait du bien de m’immerger dans une autre époque, de découvrir d’autres atmosphères. Cela me procure un sentiment d’apaisement : j’avais surtout envie de partager cela avec les gens. Je l’ai fait aussi parce que j’en avais assez que l’on nous associe à l’ignorance, à la sauvagerie et au terrorisme. Le plus grand médecins qui a inspiré tous les contemporains est Avicenne ; le plus grand mathématicien, qui a été l’inventeur de l’algorithme et de l’algèbre, est Al-Khârizmi. Les plus grands scientifiques d’Europe ont travaillé sur des œuvres de chercheurs arabes, idem pour les philosophes.

Contrairement à votre précédent album « Ô Houria », il n’y a pas de chansons en français dans celui-ci ?

Souad Massi : Au départ, je voulais travailler sur deux textes de Victor Hugo, j’avais aussi des poèmes kabyles. Puis j’ai décidé que je n’allais pas les mélanger, j’ai alors voulu faire un véritable album hommage à la poésie arabe et un album hommage à la poésie berbère. Ensuite je verrai…
Quand je compose, la musicalité me vient naturellement avec le texte, car je sais où je vais. Mais, pour El Mutakallimûm, cela n’a pas été le cas. Le plus difficile a été avec les anciens poèmes, car même si je lis l’arabe classique, je ne comprends pas l’arabe du VIIe siècle ! J’ai dû effectuer un travail de recherche (historique, linguistique) avec des spécialistes qui m’ont aidée à traduire ces textes et à les comprendre pour pouvoir ensuite faire le travail musical.

Vous êtes venue en France en 1999 pour un concert et y êtes restée…

Souad Massi : Oui, j’étais venue pour trois jours et on m’a fait une belle proposition. La plupart de jeunes rêvaient de ce pays ; moi, je ne pensais pas rester en France. Ce n’était pas un pays qui m’attirait, même si j’ai toujours adoré la langue française et sa culture. Je suis une grande fan de Victor Hugo, j’ai grandi avec ses textes. Mes parents francophones m’ont transmis cet amour de la poésie et de la culture française. Lorsqu’on m’a proposé de rester, j’en ai parlé avec ma famille, et ils m’ont dit : « Tente ta chance ! » car, à cette période, je pensais arrêter la chanson.

Vos parents étaient très attachés à la culture, à la musique. Pouvez-vous nous confier des souvenirs d’enfance ?

Souad Massi : J’ai grandi dans un quartier populaire d’Alger qui s’appelle Bologhine, sur les hauteurs d’Alger, en haut de Notre-Dame d’Afrique. Mes cousins jouaient tous les soirs des reprises d’El Hachemi Guerouabi, par exemple ; et moi, j’écoutais et j’ai grandi avec les sonorités des musiques chaabi. Mon père, lui, tous les soirs, faisait aussi tourner ses vinyles de musique chaabi ou de musique française. On écoutait beaucoup Jacques Brel.

C’est ce qui vous a donné envie de faire de la musique ?

Souad Massi : Non, pas du tout, cela m’est venu plus tard, vers 17 ou 18 ans. J’aimais la poésie, l’écriture, la lecture. Je rêvais de devenir metteur en scène ou réalisatrice, j’écrivais des scénarios. C’est seulement plus tard que je me suis mise à composer des chansons sans me rendre compte, puis j’ai commencé à chanter. J’ai fait une école technique, j’ai passé ma vie avec du ciment, du bâtiment, des calculs, des dosages… Lire et écrire étaient mon refuge. Je refusais tellement mon quotidien que j’avais besoin de m’évader.

C’est à cette période que vous avez intégré un groupe de hard rock. Un choix surprenant ?

Souad Massi : Je n’ai pas l’air comme ça, mais j’aimais bien [rires] ! J’ai fait partie du groupe Atakor, qui existe toujours, mais il y avait deux parties : l’une hard rock et l’autre rock, celle où j’intervenais. J’avoue avoir écouté un peu de hard rock, cela me faisait du bien. J’étais quelqu’un de très pudique, je n’osais pas m’exprimer, je n’osais pas dire non et c’est une musique qui m’a aidée. C’est sans doute pour cette raison que je comprends aujourd’hui certains jeunes qui ont choisi le gothique par exemple. Ce sont en réalité des jeunes qui sont gentils, instruits. Il ne faut pas cataloguer les gens ou avoir des a priori sur eux.

On trouve beaucoup de nostalgie dans votre musique, est-ce le mal du pays ?

Souad Massi : Je me sentais déjà décalée ou étrangère en Algérie. Quand je retournais à Alger, on m’appelait la Kabyle, on trouvait que j’étais démodée parce que je venais de Kabylie. Jeune, j’en ai souffert mais plus maintenant. Quand je suis venue en France, j’ai vécu doublement cette nostalgie. J’avais vécu dans une grande famille et je me retrouvais seule dans un studio. Cela me fait penser à mon grand-père qui était venu seul en France, a travaillé dans le bâtiment, dans les chemins de fer, a fait des petits boulots et est mort dans d’étranges circonstances. Il n’y a pas eu d’enquête. C’est source de traumatisme.
Quand j’ai fait Paris avec Marc Lavoine, je songeais à mon grand-père qui était perdu dans les rues de Paris et économisait pour envoyer au bled. Je pense aussi aux chibanis d’aujourd’hui qui vivent dans des chambres d’hôtel pourries qu’ils louent 500 € et d’où l’on veut les virer. Ils sont obligés de rester ici six mois de l’année pour toucher leurs retraites. Pourtant ils ont servi la France comme chair à canon : pourquoi n’y a-t-il pas de reconnaissance ? Ils méritent de vivre dignement.
Dans l’album El Mutakallimûm, je suis passée à autre chose, avec beaucoup moins de nostalgie. Les titres ici sont beaucoup plus philosophiques et plus politiques.
Souad Massi : « La poésie arabe est aussi philosophique et politique »
El Mutakallimûm, les plus beaux poèmes arabes chantés par Souad Massi

Née le 23 août 1972 à Alger, Souad Massi est issue d’une famille de six enfants où la musique a toujours occupé une place importante. Destinée à une carrière en urbanisme, elle entretient son amour pour la musique qui la pousse à arpenter les scènes algéroises jusqu’au jour où elle est invitée à se produire en France. Coup de foudre du public et des professionnels qui l’invitent à rester et à signer Raoui (2001), un premier album qui remporte un large succès. Souad Massi sortira par la suite Deb (2003), suivi de Mesk Elil (2005), qui remportera la Victoire du meilleur album de musiques du monde.
De retour avec El Mutakallimûm, la chanteuse nous offre aujourd’hui un véritable trésor musical, où elle nous invite à découvrir la grande poésie arabe à travers des œuvres d’Abou El Kacem El Chabi, d’Abou Madi et d’autres illustres poètes, sur des rythmes arabo-andalous, afro et flamenco.

Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com/

Visite-conférence : le Paris arabe historique


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Cette visite-conférence dans le Ve arrondissement permet de prendre la mesure des liens privilégiés entre le monde arabe et la France. L’IMA est le point de départ de la promenade qui s’achève à la mosquée de Paris.

Le parcours

Ce parcours-promenade est de quatre étapes, environ 2h de riches découvertes :

L’IMA, dont la mission est de faire connaître le monde arabe, en est le point de départ. Son bâtiment, à l’architecture contemporaine, contribue au dialogue entre les cultures occidentale et arabe.

La visite se poursuit devant le Collège de France et la Sorbonne, pour y évoquer les premiers enseignements de l’arabe sous François 1er, la curiosité française pour l’Orient au XVIIIe s. et sous l’Empire.

Puis, dans l’une des plus anciennes églises de Paris, Saint-Julien-le-Pauvre on parlera des lieux de cultes des chrétiens arabes de France.

On rappellera, l’attraction exercée par Paris sur le monde arabe. La présence de réformateurs et des érudits arabes au XIXe s dans le quartier, les débats d’idées qui les ont agités. C’est ici que sont nées les premières imprimeries, les premiers journaux en langue arabe en France. Les librairies arabes d’aujourd’hui, en sont les héritières.

La promenade s’achève par la visite de la Mosquée de Paris.

Quand ?
Tous les samedis du 9 mai 2015 au 26 septembre 2015 de 15h à 17h30, sur réservation.
Attention : la visite du samedi 8 août 2015 est annulée.
  Accueil général de l’Institut du monde arabe, entrée côté parvis
Durée  2h30
Combien  15€ tarif plein / 13€ tarif réduit* / 7€ enfant de moins de 12 ans / 20€ 1 Parent +1  Enfant
* Bénéficient du tarif réduit : les membres de la société des Amis de l’IMA, les adhérents IMA, les étudiants et les demandeurs d’emploi.

Les réfugiés et nous, les Européens

Geopolitique-BernardGuetta

Géopolitique, par Bernard Guetta
L’émission du jeudi 18 juin 2015

Les réfugiés et nous, les Européens

Voyons les chiffres. Le Liban et ses 6 millions d’habitants accueillent aujourd’hui plus d’un million deux cent mille réfugiés, essentiellement syriens. La Jordanie, 8 millions d’habitants, en accueille plus de 600 000. La Turquie, 77 millions d’habitants, en a déjà plus d’un million huit cent mille sur son territoire.

L’Union européenne compte, elle, 500 millions d’habitants et se considère en état de siège et menacée des pires maux car 100 000 réfugiés ont atteint ses côtes, dix-huit fois moins qu’en Turquie.

Alors que dire ?

Force est, d’abord, de constater que des pays de tradition chrétienne semblent avoir totalement oublié ce que sont la charité et la compassion, alors que des pays musulmans, et infiniment moins riches, font preuve de ces vertus. C’est là qu’il y a de quoi s’inquiéter sur notre identité car ces visages d’enfants hagards et de parents désespérés ont beau s’afficher en première page de nos journaux, le pape a beau s’époumoner à rappeler l’Europe – non pas l’Union européenne mais chacun de nous, les Européens – au devoir d’humanité, nous détournons nos regards, bouchons nos oreilles et fermons nos cœurs.

Oui, dira-t-on, mais la compassion ne peut pas commander la politique, exercice de réalisme qui a ses exigences propres, si dures soient-elles. Oui, c’est vrai, mais alors, parlons politique.

La France se rend-elle compte que son capital international, l’atout maître qui fait d’elle une nation singulière aux yeux du monde et lui procure, puisqu’il faut être réaliste, tant d’avantages économiques, est d’être la patrie des droits de l’homme, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité ? Si tant des plus éduqués de ces réfugiés fuyant égorgeurs et dictateurs rêvent de la France, c’est parce qu’elle a cette image, cet atout essentiel que nous sommes en train de gaspiller et bientôt perdre en ayant été les premiers à refuser la répartition des réfugiés entre les 28 que la Commission européenne avait tant raison de proposer.

Oui, oui dira-t-on, mais plus de générosité ferait le jeu du Front national en France et, partout ailleurs en Europe, des formations de ce type. Ah, oui ?

Eh bien non, au contraire, car c’est en adoptant l’attitude de ces partis et collant à eux qu’on laisse croire que ces réfugiés constitueraient un danger contre lequel il faudrait se prémunir et qu’on donne ainsi raison aux nouvelles extrêmes-droites.

Et puis enfin, soyons réalistes – soyons ne serait-ce qu’un peu politiques – qui sont ces réfugiés si ce n’est nos alliés ? Que dénonce leur fuite si ce n’est la barbarie de ces jihadistes que nous avons raison de craindre et de combattre ?

Ils sont nos alliés, et nous les rejetons. Nous les rejetons et permettons par-là aux jihadistes de moquer les démocrates arabes et leurs prétendus amis des démocraties européennes. Nous nous tirons, autrement dit, dans le pied parce que nous avons peur de malheureux dont toute l’ambition est d’échapper à la mort. Vous, je ne sais pas mais, moi, tant de stupidité me fait honte.

Pour en savoir plus : http://www.franceinter.fr/

Géopolitique des lieux saints

Un public de 800 personnes était rassemblé le 29 avril à Marseille à l’occasion d’une table ronde consacrée au rôle croissant que tiennent les lieux saints dans les conflits en Méditerranée. Elle faisait suite à l’inauguration de l’exposition « Lieux saints partagés » au MuCEM.

Conf-mucem

Jean-Paul Chagnollaud, Régis Debray, Jacques Huntzinger, Leïla Shahid, Elie Barnavi et Dionigi Albera

À quand une grande conférence mondiale sur les religions et leur rôle dans la politique internationale, à l’instar des rendez-vous sur le climat et l’avenir de notre planète ? L’irruption du religieux dans le discours politique, l’omniprésence du sacré, la question de la souveraineté sur les lieux saints, notamment au Moyen-Orient, sont un défi pour la géopolitique. En marge de l’exposition sur les lieux saints partagés présentée au MuCEM (1) de Marseille, avait lieu, le 29 avril dernier, une table ronde sur la géopolitique des lieux saints co-organisée avec la Villa Méditerranée (2). Animée par Jacques Huntzinger, ancien ambassadeur de France, elle réunissait notamment Leïla Shahid, ancienne ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, et Régis Debray, philosophe et écrivain.

« Les textes sacrés sont des auberges espagnoles »

Il existe une quarantaine de lieux saints pour les trois religions monothéistes dans le monde méditerranéen. Retenons Hébron et Bethléem pour le judaïsme, Bethléem, Nazareth, Rome ou le mont Athos pour le christianisme, La Mecque, Médine, Bagdad ou Tombouctou pour l’islam. Et, bien sûr, Jérusalem pour les trois religions. La plupart restent des lieux de partage apaisés : la synagogue de la Ghriba à Djerba (Tunisie), la basilique Notre-Dame d’Afrique à Alger… D’autres sont l’objet de divisions, à l’image du caveau des Patriarches à Hébron ou du tombeau de Rachel à Bethléem, tous deux en Palestine.

« Politique et lieux saints, c’est un cercle carré, défie d’emblée le philosophe Régis Debray. La politique, c’est le compromis ; le sacré est non marchandable, non négociable. Il est criminogène. » Un avis que partage Elie Barnavi. « Les religions monothéistes détiennent chacune une vérité, consignée dans un Livre. Tout compromis est impossible, car on n’altère pas la parole de Dieu. » Prenant l’exemple du conflit israélo-palestinien, le diplomate précise : « Pour les Juifs, on ne peut céder une parcelle du territoire d’Israël, parce qu’il appartient à Israël. La preuve, c’est écrit dans la Bible. Pour le Waqf (l’autorité qui gère les lieux saints musulmans), l’ensemble de la terre de Palestine n’appartient à personne, elle appartient à Dieu. Dès lors, personne n’a de droit sur elle. Les textes sacrés ne sont pour moi que des auberges espagnoles. »

« Il n’y a plus de partage à Jérusalem »

Alors qu’il est finalement peu question de Jérusalem dans l’exposition du MuCEM – qui propose une vision plus anthropologique que politique -, la Ville Sainte et le conflit israélo-palestinien occuperont de fait la majeure partie du débat. Une situation tragiquement symbolique et qui, depuis 48 ans, souffre de l’absence de réactions franches de la communauté internationale, déplore Leïla Shahid. L’ex-déléguée de l’Autorité palestinienne en France dénonce une instrumentalisation de la dimension religieuse. « Il ne s’agit pas d’un conflit sur les lieux saints ou sur la religion, explique Leïla Shahid. Nous sommes face à un conflit militaire, hérité d’un passé colonial. Aujourd’hui, il n’y a plus de lieux saints partagés à Jérusalem. Comment parler de partage sous occupation militaire ? La loi militaire, celle de l’occupant, prime sur tout le reste. »Officiellement, la gestion des lieux saints à Jérusalem est assurée par les autorités religieuses. Mais de fait, c’est l’armée israélienne qui intervient en cas d’incidents.

« Jérusalem est la rencontre dramatique d’une très vieille aspiration religieuse et de la notion contemporaine de souveraineté nationale », ajoute Elie Barnavi – qui corrige« occupation » par « annexion ». L’ancien ambassadeur d’Israël en France ne croit pas au« kidnapping » de la religion à des fins politiques. « Dans la plupart des cas, les fanatiques sont sincères et cette sincérité les rend dangereux. Ils se justifient par les textes sacrés. » « La montée des extrémismes religieux est la sanction de l’échec de la diplomatie dans la région, note Régis Debray. Quand les politiques ne font pas leur boulot, on se retourne vers les imams, les rabbins, les prêtres… »

Un rôle pour la France

Alors, une solution politique du partage des lieux saints est-elle envisageable ? Régis Debray imagine malicieusement l’installation du siège de l’Organisation des Nations Unies à Jérusalem. La construction de logements apporterait une solution au chômage en Palestine et la sécurité de la Ville Sainte serait logiquement assurée…

Plus réaliste, peut-être, le philosophe appelle de ses vœux un statut international des lieux saints, que pourrait présenter la France, nation des Lumières, fille aînée de l’Église. Mais de l’avis de tous les participants, seul le droit peut rassembler les opposés, la restauration d’un même droit pour tous, permettant à chacun de vivre sa foi en toute sécurité et dans le respect de l’autre.« L’exposition du MuCEM m’a réconciliée avec les fidèles, ceux qui pratiquent, confie Leïla Shahid. Elle montre que la religiosité est plus importante que la religion. Jérusalem n’est pas vouée à devenir la prochaine bombe. Mais l’enjeu n’est évidemment pas uniquement israélo-palestinien, il concerne toute la Méditerranée. Ce qui nous lie, ce sont les règles du vivre-ensemble. C’est la vocation du MuCEM et de la Villa Méditerranée. La seule solution est une séparation des Églises et de l’État. » « Il faut stériliser les religions, renchérit Elie Barnavi. C’est ce qu’on appelle la laïcité. »

Laurent Menu – publié le 20/05/2015

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr/

(1) Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée

(2) http://www.villa-mediterranee.org/

Olivier Roy : «La laïcité n’est pas une réponse au terrorisme»

Spécialiste de l’Islam et fin connaisseur du djihadisme, Olivier Roy revient sur la recomposition à l’œuvre au Proche-Orient. Concernant la France, il suggère de « réintroduire de la culture » à l’école et « d’assumer le débat dans les classes ».

 

OlivierRoy

Olivier Roy, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence. – Thierry Meneau/Les Echos

A quelques jours du déplacement du chef de l’Etat en Arabie saoudite et près de quatre mois après les attentats à Paris, le politologue et spécialiste de l’Islam Olivier Roy revient sur la recomposition à l’œuvre au Proche-Orient. En France, il convient, selon lui, de distinguer djihadistes et musulmans fondamentalistes. Face aux premiers, « il faut du bon renseignement », dit-il, réservé sur le projet de loi du gouvernement. S’agissant des seconds, il se défie d’une « lacïcité autoritaire ». «Il faut réïntroduire de la culture » à l’école et « assumer le débat dans les classes », souligne-t-il.

Son parcours

Passionné par l’Orient depuis son premier voyage en Afghanistan, en auto-stop en 1969, Olivier Roy est, à près de soixante-six ans, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence, où il dirige le Programme méditerranéen.
Spécialiste de l’Islam et fin connaisseur du djihadisme, cet agrégé de philosophie et docteur en sciences politiques a longtemps travaillé au CNRS.
Auteur, en 1992, de « l’Echec de l’islam politique », il a publié l’an dernier « En quête de l’Orient perdu » (Le Seuil, 2014).

 

Les attentats en France, Tunisie et Kenya indiquent-ils que les djihadistes sont devenus une menace mondiale ?

Mais c’est le cas depuis longtemps ! Depuis le 11 septembre 2001, qui marque leur irruption sur la scène médiatique. Ils peuvent frapper partout depuis les années 1990. On assiste, toutefois, à un changement qualitatif avec Daech, qui tient un territoire et ­constitue une force d’attraction considérable, par opposition à Al Qaida. Ben Laden voulait frapper dans le monde entier, mais sans chercher à tenir un pays, il n’était qu’hébergé par les talibans. Daech peut, en revanche, intégrer des milliers de volontaires de nos pays.

Daech est-il en train de réussir son projet de constitution d’un Etat islamique ?

Oui et non. Il dispose, effectivement, de certaines prérogatives étatiques, un système fiscal, judiciaire et administratif, une armée, un territoire, mais on ne sait pas très bien si cela fonctionne vraiment. Certains contacts à Raqqa affirment que Daech assure la distribution de pain, d’allocations, gère des hôpitaux, mais d’autres disent que ces derniers ne sont accessibles qu’aux combattants de Daech et leur famille, que l’électricité n’est disponible que deux heures par jour. En outre, pour Daech les frontières n’ont pas de sens : c’est un projet d’expansion illimitée ou, au minimum, de reconstitution de la communauté des croyants, la oumma, du Maroc à l’Inde, comme aux premiers siècles de l’islam. S’il ne s’étend pas continuellement, il est en échec, ce qui est le cas actuellement. En Jordanie, l’exécution d’un pilote l’a privé de toute complicité et à Damas il affronte les Palestiniens. Contrairement à ce que prétendent certains, aucun djihadiste n’est d’origine palestinienne.

Bref, l’implication de Daech dans les guerres civiles locales le gêne pour mener une guerre mondiale à l’Occident, à l’inverse de son rival nomade, Al Qaida. Daech n’a pas d’alliés et ne peut qu’échouer à terme. Ce qui ne l’empêchera pas de faire encore longtemps des dégâts.

Comment voyez-vous la recomposition en cours du Proche-Orient ?

Nous assistons au début d’une guerre de Trente Ans, par analogie à celle entre catholiques et protestants, qui a ensanglanté l’Europe au début du XVIIe siècle. L’islam est au confluent de trois crises majeures ; celle née du phénomène d’immigration massive en Occident (je ne crois pas à la thèse du « grand remplacement » mais il s’agit, quand même, d’un changement tectonique), celle née de la constitution d’Etats nations artificiels suite au démantèlement de l’empire ottoman après la Première Guerre mondiale et celle de la rivalité féroce entre l’Arabie saoudite, sunnite et arabe, et l’Iran, perse et chiite.

Une des conséquences est l’expansion du salafisme, interprétation littéraliste de la révélation, très adaptée à l’acculturation suscitée par la globalisation. On ne peut pas dire que les djihadistes, en Occident ou dans le monde arabe, n’ont « rien à voir avec l’islam », ne serait-ce que parce qu’ils s’en réclament. Mais ils ne sont ni des musulmans traditionnels ni des traditionalistes : ils se réclament d’un islam bricolé, totalement acculturé, qui rompt avec quinze siècles de tolérance. La preuve, c’est que Daech détruit des églises en Syrie et Irak : c’est donc que ces églises ont été respectées depuis la prédication de Mohamed.

Les pays occidentaux devraient-ils se résoudre à s’allier à Damas ou Téhéran face à Daech ?

Bachar al Assad n’est plus une carte, puisqu’il n’est plus en capacité d’agir. Ce n’est plus le chef d’un Etat fonctionnel, mais un seigneur de guerre parmi d’autres. L’Iran, c’est autre chose : c’est, quasiment, le seul Etat nation de la région. C’est un redoutable joueur de poker menteur, qui va encore gagner du temps et faire du chantage sur le nucléaire mais il est rationnel, il a le sens du temps long et du rapport de force. On peut discuter avec lui.

L’Arabie saoudite, elle, n’a qu’un seul ennemi : le chiisme. Ce qui la pousse à être complaisante avec les djihadistes sunnites. Elle est donc plus un problème qu’une solution.

Vous annonciez dès 1992 la mort de l’Islam politique, mais 23 ans plus tard ce cadavre a l’air encore bien actif…

En 1992 je faisais allusion seulement aux Frères Musulmans, c’est-à-dire à un projet de gestion d’un Etat nation au nom de l’islam, à l’inverse du projet djihadiste. Les Frères Musulmans ont été emportés par les suites du printemps arabe : ils ont perdu le pouvoir en Tunisie et en Egypte. On assiste en revanche à l’émergence d’un néo-fondamentalisme violent qui ne recrute pas parmi des Frères Musulmans réprimés. Ce djihadisme s’implante plutôt en zones tribales en crise (Yémen, Afghanistan, Pakistan) plutôt que dans les villes.

En Occident, les djihadistes sont aux marges des populations musulmanes. Les effectifs d’apprentis terroristes sont significatifs mais faibles rapportés à la population: la preuve c’est que chaque fois que l’un d’entre eux passe à l’acte on découvre qu’il était fiché par la police.

Vous insistez sur « la quête existentielle » des terroristes français. Est-ce une manière de dire qu’il n’y a pas chez eux de projet politique ou de structuration idéologique ?

L’un n’exclut pas l’autre. Il y a une quête existentielle de jeunes en recherche d’aventure – le syndrome : je veux être un super-héros – et puis il y a un référentiel islamique. Daech combine les deux. Un exemple : sur les pages Facebook de deux Portugais de Paris qui sont partis en Syrie il y a quelques mois, il y avait, chez l’un, Ray-Ban et boîte de nuit, et chez l’autre, une sourate du Coran. Mais ils sont partis ensemble. Leur point commun est une forme de marginalisation psychologique. Ils n’ont pas nécessairement de problèmes d’argent, mais ils se situent en rupture avec la société et s’enferment : ils découvrent ou redécouvrent l’islam sur Internet ou en prison et se fabriquent leurs propres croyances et pratiques. C’est ce que permet le salafisme.

Dans leur parcours, ils croisent quand même des imams…

Ils ont des figures tutélaires, des types qui s’autoproclament imams – il n’y a pas de clergé dans l’islam sunnite – et qui forment une sorte de secte. Mais il ne faut pas se tromper : il n’y a chez eux aucun pilier de mosquée ou membre d’une organisation musulmane telle l’UOIF. Ils ne s’inscrivent pas dans une pratique collective de la religion ; ils ne sont pas fascinés par les imams qu’ils considèrent être des ploucs ou des traîtres. Les grands prêcheurs radicaux qui servaient de recruteurs, c’étaient les années 1990 et c’est fini. Certains imams disent des choses horribles sur les femmes et les homosexuels, mais ce n’est pas un appel au terrorisme. La police a fait son travail. Les djihadistes d’aujourd’hui ont une structure de croyance comparable à la radicalité des « born again » protestants ou des convertis – qui représentent 22 % de ceux qui partent en Syrie.

La laïcité telle que la France la conçoit peut-elle être une réponse ?

La laïcité n’est pas une réponse au terrorisme. Beaucoup de gens pensent que la radicalisation djihadiste est une conséquence de la radicalisation religieuse. Mais ce n’est pas parce que vous êtes ultraorthodoxe que vous êtes violent. Chez les catholiques, les trappistes sont des fondamentalistes tout en étant les hommes les plus pacifiques du monde. Et vous avez des salafistes tout à fait paisibles. Contre le terrorisme, il faut du bon renseignement : il vaut mieux augmenter les effectifs de la DGSI, c’est-à-dire avoir des policiers formés à interpréter les écoutes, que multiplier ces mêmes écoutes – c’est le défaut du projet de loi sur le renseignement.

Quant au fondamentalisme religieux, la République n’a pas à l’interdire.

Pourquoi ?

C’est comme si on avait dit que pour répondre aux attentats d’Action directe, il fallait interdire les écrits de Karl Marx ou d’Alain Badiou. En démocratie, on ne condamne pas quelqu’un pour ses opinions, mais pour le passage à l’acte. La République française, à partir de 1881, part de la liberté individuelle et pas du contrôle étatique. Elle n’est pas robespierriste, il ne faudrait pas qu’elle le devienne. On oublie que la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’Etat garantit la liberté de pratique religieuse dans l’espace public. Elle impose la neutralité à l’Etat, pas à la société. Le débat a eu lieu à l’époque entre Aristide Briand et Emile Combes, entre l’anticlérical et l’antireligieux. Le premier l’a emporté mais ce débat renaît régulièrement. De nos jours, il n’y a plus de culture profane du religieux, donc le religieux fait peur et on veut le chasser dans la sphère privée. Mais la laïcité garantit la liberté, ce n’est pas une idéologie.

Donc vous êtes opposé à l’interdiction du voile à l’université…

Oui. Nous ne sommes pas dans le même cas que l’école, car les étudiantes sont adultes. Si on part du principe que la liberté religieuse est une liberté individuelle, il faut un principe aussi fort pour aller à son encontre. Cela peut-être un argument sanitaire, comme le vaccin chez les témoins de Jéhovah, ou la sécurité publique pour l’interdiction du voile intégral. Mais le fait qu’une femme porte un foulard n’empiète en rien sur la liberté, la santé ou la sécurité des autres.

Faut-il, à un moment, dire stop et selon quel principe ?

Pour moi, la liberté individuelle doit prévaloir, dans la mesure du bon fonctionnement des institutions. Le port du voile ne gêne pas le bon fonctionnement des institutions et ce n’est pas non plus du prosélytisme. En revanche, il n’y a pas à suspendre les examens pendant le ramadan car l’Etat n’a pas à s’adapter à la religion. Dans les cantines, il n’y a pas à mettre de menu halal mais on n’a pas à imposer à des enfants musulmans, juifs ou végétariens de manger du porc. Comme on ne va pas les priver de repas, pourquoi se priverait-on de menus de substitution végétariens ? Il faut être empirique et faire confiance aux acteurs.

L’association nationale des DRH souhaite, par exemple, que le port ou non du voile dans une entreprise relève du contrat de travail car chaque entreprise a sa culture et ses clients. Les hôpitaux ont aussi résolu le problème de la demande d’un médecin femme par des patientes femmes : s’il y a une femme médecin de disponible, elle vient, sinon – intérêt du service –, c’est un homme qui se présentera. Il n’y a pas besoin de loi pour tout cela.

Outre le renseignement, la réponse d’une démocratie au terrorisme doit-elle être sociale, culturelle… ?

Sur le social, je suis un peu sceptique. Le fait qu’une partie de la jeunesse – notamment les convertis – bascule dans le nihilisme pose un problème de société qui dépasse l’islam. Il faut opposer des contre-modèles. C’est le défi de l’école, mais elle me semble très mal partie pour le relever. La laïcité autoritaire ne sert à rien avec des adolescents qui, précisément, sont contestataires. Il faut faire de la morale sans faire de leçons. Il faut réintroduire de la culture. C’est pourquoi l’enseignement thématique de l’histoire est aberrant ! Traiter Moïse, Dreyfus et l’Holocauste dans le même cours, cela contribue à tout mélanger alors que ces jeunes sont déjà dans la confusion.L’école doit aussi assumer le débat dans les classes, quitte à entendre des horreurs. Gérer les conflits, c’est le boulot des enseignants à condition qu’ils soient soutenus par leur administration. Or, trop souvent, le mot d’ordre dans l’Education nationale, c’est : « pas d’emmerdes ».Il faut réintroduire de la responsabilité à tous les niveaux, plutôt que de demander des lois pour tout. Il faudrait aussi que l’on ne voit pas que les salafistes dans l’espace religieux. Il faut laisser émerger des modèles de musulmans modérés, mais pas en inventant une religion modérée.

A quoi attribuez-vous l’échec du CFCM ?

A l’impensé gallican de notre République qui ne rêve que d’une chose : régenter le religieux. Le but officiel du CFCM était de faire émerger un Islam de France. Or tous les ministres de l’Intérieur ont géré cela avec le Maroc, l’Algérie ou la Turquie. Toutes les questions sur l’Islam en France sont négociées avec trois Etats étrangers. Comment voulez-vous que le CFCM soit respecté par la nouvelle génération de musulmans qui eux sont Français ?

Elsa Freyssenet
/ Chef de service adjointe, Yves Bourdillon / Journaliste et Henri Gibier / Directeur des développement éditoriaux |
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr

Pour une grande politique de la diversité

Dans une thèse menée entre 2000 et 2005, nous avons montré que le rapport à l’islam d’enfants d’immigrés est lié à leurs trajectoires d’entrée dans la vie adulte, celles-ci s’allongeant désormais jusqu’au-delà de la trentaine. Ces jeunes estiment, non sans raison, que la couleur de leur peau, le fait d’être enfants de l’immigration postcoloniale et leur quartier d’habitation sont l’objet de jugements dépréciatifs qui contrarient leur accès aux opportunités sociales, à l’école, sur le marché du travail comme aux guichets des administrations.

Certains jeunes cherchent alors dans l’islam une inscription dans une généalogie prestigieuse. Se considérer comme descendant de Mahomet et se rapprocher de ses compagnons par l’habit et la piété est une quête de requalification. Celle-ci est façonnée par les offres religieuses salafistes dans lesquelles un islam dés-historicisé est censé gouverner la vie du croyant de la naissance à la mort. Cette identification à l’islam ne donne généralement pas lieu à une radicalisation violente, certains jeunes devenant simplement pieux. Dans d’autres situations, pourtant, la filiation s’éprouve au travers d’une inscription dans une communauté musulmane mondiale qu’il s’agit de défendre par les armes contre les attaques dont elle est l’objet.

Féminité islamique

En revanche, les identifications des jeunes femmes à l’islam relèvent d’autres logiques. Certaines d’entre elles s’attachent à un islam spirituel (plutôt que culturel) pour mettre à distance la religion parentale dominée par les obligations. Porter le foulard permet aussi, lors des premières années à l’université, de montrer sa fidélité à la famille pour accéder ensuite à une plus grande autonomie.

Ces artisanes de liberté tempérée considèrent que les discours qui articulent féminisme et dénonciation des inégalités des sexes au sein des populations immigrées sont une violence faite à leurs familles. Dans certains cas, afficher les signes d’une féminité islamique dans l’espace public est une protestation contre un type de féminisme qui stigmatise les populations. Ce fait protestataire n’est pas nouveau. Dans le contexte étatsunien, les Afro Américaines ont développé des mouvements autonomes de lutte contre le racisme et le sexisme parce que le féminisme des blanches mettait à l’écart les populations noires.

Les trajectoires de ces filles d’immigrées façonnent aussi leurs sensibilités, qui sont plutôt conservatrices, sur la famille et le couple. Ces positions ne relèvent pas d’un «défaut d’assimilation», qu’il faudrait corriger, et encore moins de radicalisation ; elles sont un point de vue, parmi d’autres, dans une société pluriculturelle.

Reconnaissance de la pluralité culturelle

En France, le développement du salariat et de l’État social, la scolarisation de masse dans une école laïque, publique et gratuite ont stabilisé un contrat social fondé sur l’égalité des individus en droit, la laïcité et la neutralisation des différences dans l’espace public. Ce républicanisme est mis à l’épreuve pour trois raisons. Tout d’abord, dans les sociétés européennes contemporaines se rencontrent des populations dont les croyances, les pratiques et les représentations du monde sont diverses. Ensuite, la globalisation modifie les cadres de référence de l’individu. Les mobilités, dans le cyberespace comme entre les régions du monde, facilitent la multiplicité des appartenances et des loyautés. Ce contexte de dés-imbrication de l’État, de la nation et de la société fragilise les logiques de reproduction et l’adhésion du plus grand nombre à des valeurs partagées héritées d’hier. Enfin, l’accroissement des inégalités socio-économiques depuis 1975, après une longue période de reflux de celles-ci, déstabilise la logique de réciprocité sur laquelle reposait le contrat social.

Le républicanisme reste un type d’organisation socio-politique valable mais son articulation avec l’expression des différences doit être revisitée. En premier lieu, la reconnaissance de la pluralité culturelle de notre pays est indispensable. Les élus devraient davantage rappeler que le port du foulard ou du qamis dans la rue exprime une religiosité, garantie par la liberté de conscience, pilier fondateur de la laïcité. En deuxième lieu, le débat public sur les migrations et la diversité, aujourd’hui monopolisé par quelques acteurs, devrait refléter les différences qui traversent la société française. De nombreuses voix y sont complètement absentes car elles n’ont pas accès aux grands médias et s’expriment alors sur le net, espace de liberté sans garde-fous. Enfin, une grande politique nationale visant les discriminations liées à l’origine, réelle ou supposée, est plus que jamais nécessaire. Son absence a nourri, pendant des décennies, la représentation selon laquelle le racisme et les épreuves liées à l’origine et à la couleur de peau n’étaient pas pris au sérieux par la puissance publique, alimentant un ressentiment qui s’exprime à son paroxysme dans les quartiers les plus ségrégués.

Nathalie Kakpo est auteure de L’islam, un recours pour les jeunes (Presses de Science Po).

Nathalie KAKPO docteure en sociologie
Pour en savoir plus : http://www.liberation.fr

 

Youssef Chiheb : La France a du mal à accepter la diversité culturelle pour cause d’égalité républicaine et de refus du communautarisme

La France est confrontée à ce que les sociologues appellent la transition identitaire.

YoussefChiheb

 

Youssef Chiheb est  professeur à l’Université Paris Nord XIII,
directeur du master ingénierie de  développement et expert en développement
territorial auprès  du Programme des Nations unies pour  le développement (PNUD). Il a publié « Le Manifeste de  l’indépendance du Maroc : Hommes,  destin, mémoire».
Il est aussi  l’auteur de «L’Atlas géopolitique du Maroc» et de «Islam, judaïsme et l’érosion du temps».
Dans son dernier livre, Youssef Chiheb raconte son parcours.
Entretien.

 

Youssef Chiheb : La France a du mal à accepter la diversité culturelle  pour cause d’égalité républicaine et de refus du communautarisme
Libé : Pourquoi ce livre en ce moment ?
Youssef Chiheb : Comme vous le savez, j’ai écrit plusieurs articles dans la presse traitant de la question de l’identité. Un sujet qui s’impose dans le débat, tant au Maroc qu’en France. Depuis quelques années, la société d’accueil est confrontée à un grand défi sociétal à travers des questions cruciales : quelle place pour les Français issus de l’immigration ? Quelle place pour la diversité culturelle ? Quelle équation pour l’islam et la laïcité ? Quelle relation au pays d’origine ? En toile de fond, quel pacte politique et social pour vivre ensemble ici ou là-bas ?
La mondialisation, le désastre du Printemps arabe, la montée du jihadisme radical au cœur de l’Europe, la banalisation de l’islamophobie… autant de bombes à retardement qui couvent sous les pieds des démocraties, sans oublier les attentats barbares perpétrés à Paris au nom d’une idéologie fasciste véhiculée par  l’islam radical, le jihad et le fanatisme dont l’épicentre se trouve en Syrie, en Irak et au Yémen. Une idéologie qui s’est transplantée au cœur des quartiers difficiles où un apartheid social, ethnique et territorial est profondément ancré. Dixit le Premier ministre Emmanuel Valls.
Pourquoi es-tu venu en France, papa ? Avez-vous trouvé une réponse convaincante pour votre fille ?
Nous sommes tous les deux, ma fille et moi, citoyens français, mais chacun s’inscrit dans un contexte particulier et est le fruit d’une trajectoire singulière. Dans mon précédent livre « Manifeste de l’indépendance du Maroc », j’ai rappelé, au sens biographique du terme, cette relation tragique que ma famille n’a cessé d’entretenir avec la France… Mes trois oncles, le premier mort en 1943 sur le champ de bataille pour libérer la France de l’Allemagne nazie, le deuxième grièvement blessé en Indochine en 1956, et le troisième abattu par la police française, en 1953 à Casablanca au Maroc, pour avoir brandi  le portrait de Sidi Mohamed Ben Youssef, suite à sa déposition et à sa déportation.
Une deuxième génération, dont je fais partie, est venue en France pour poursuivre des études universitaires et décrocher les diplômes les plus prestigieux (agrégation, doctorat d’Etat, doctorat d’Université), aujourd’hui soluble dans l’élite française et insérée socialement et visible culturellement en France. Cependant, elle a fait le choix douloureux d’y rester, car trop marquée par les années de plomb, par les brûlures de l’Histoire et par la déchirure identitaire.
Une troisième génération que représente ma fille, née française, de parents français et n’ayant que très peu de liens avec le pays de ses ancêtres. Elle est le fruit de ce long parcours dramatique qu’est l’immigration et son corolaire l’assimilation.
J’ai essayé de lui transmettre, autant que possible, un héritage, une mémoire, un patrimoine dont j’ai du mal à garder intacts et à les préserver de l’oubli et de l’extinction. C’est là tout  le défi auquel sont et seront confrontés les Marocains du monde et leurs descendances. Comment résister au rouleau compresseur de la rupture et au spectre de la pensée diasporique ? Ma fille n’aura d’armes que mes écrits et mes livres pour se protéger de la pensée unique et de la négation de l’Histoire, la sienne en l’occurrence.
Après le dernier attentat en France, est-ce que l’avenir des enfants franco-musulmans  est compromis ?
Au-delà de l’indignation, du traumatisme et de la réaction, c’est le temps de la réflexion et la nécessité de répondre aux questions de fond. Pourquoi est-on arrivé à ces extrémités ? Les enfants auxquels vous faites allusion sont des Français certes… mais sont-ils des Français à part entière ou des Français entièrement à part ? Quelle responsabilité de l’Etat, des élus de la République, des intellectuels dans ce repli identitaire, dans cette fracture sociale et dans cette islamophobie larvée qui se banalise dans le discours politique ? Quelle responsabilité des Etats du Maghreb et du Golfe dans l’instrumentalisation politique de la communauté musulmane de France ? Quelle responsabilité des parents dans la dérive de cette jeunesse victime d’un islam radical venu d’ailleurs ? Quelle est la part de responsabilité  de la communauté musulmane qui se laisse instrumentaliser par les organisations associatives salafistes, par les imams autoproclamés ou/et par un salafisme sociétal  du Moyen Age?… Autant de questions dont les réponses seront déterminantes pour l’avenir de ces enfants auxquels vous faites allusion.
Est-ce que la situation ne sera plus comme avant ?
C’est très difficile de répondre à cette question. Il est possible que l’onde de choc de cet attentat ait pu fissurer les grandes fondations de la devise républicaine «Liberté, Egalité, Fraternité».
Est-ce la liberté est d’offenser ce qui est de plus sacré ?
Est-ce la liberté est de stigmatiser la pensée de l’autre et de lui imposer la pensée unique ? Est-ce que la liberté est d’être Charlie ?
Est-ce l’égalité est de rappeler systématiquement aux Français, issus de l’immigration, qu’ils sont Français d’origine ?
Est-ce l’égalité est de confiner les déshérités, par des politiques de peuplement, dans des ghettos vétustes et peuplés entièrement par une mosaïque multiethnique ?
Est-ce l’égalité est de confiner les citoyens et les enfants de la République dans des périmètres institutionnalisés, portant officiellement des noms anxiogènes  de zones et non de territoires de la République : ZUS, ZEP, ZSP ?
Est-ce l’égalité est l’absence d’ascenseur social, frein à la mixité sociale et  maintien de l’entre soi ? Est-ce l’égalité est l’indifférence face aux formes les plus dangereuses du communautarisme ? Est-ce l’égalité est de laisser le Front national faire des étrangers le bouc émissaire d’une France  en déclin économique et sociétal depuis plus d’un quart de siècle ?
Mon livre ne prétend pas apporter la réponse à toutes ces interrogations. Il tente seulement, à travers ma trajectoire, mon enfance, ma jeunesse et ma réussite sociale, de donner à ma fille, et à d’autres, les éléments de réflexion et d’analyse sur ce que le choc des cultures et l’affrontement des idéologies peuvent provoquer comme dégâts et de déconstruction de la civilisation humaine. En définitive, chacun de nous doit sortir de la posture de victime et croire que l’Homme est capable d’orienter son destin aussi bien vers le bien que vers le pire.
Mon Livre « Pourquoi es-tu venu en France, papa ? Tu veux dire pourquoi j’ai quitté le Maroc »  résume ce destin tragique de l’immigration. «Venir en France, c’est aller vers le futur, quitter le pays d’origine, c’est tourner le dos à un passé qui nous hante ». La tragédie se trouve entre ces deux verbes : Quitter quoi et venir vers qui ? Telle est la déchirure vécue par ceux qui viennent d’ailleurs pour s’installer  ici. De ceux qu’ils croient à des valeurs et ceux qui les refusent obstinément.
Le Prophète n’a pas besoin de vengeurs. Son étendard est entaché de sang, d’abord par ceux qui prétendent le défendre. Qu’il repose en paix car il doit être triste, là où il est, de voir son œuvre de paix pervertie par les fanatiques des temps modernes de tous bords.
Si les musulmans de France et d’Europe ne se prennent pas en charge pour éradiquer ce fléau, leur avenir en Europe serait plus que sombre, et peuvent les conduire à la persécution, à la déportation, (dixit Eric Zemmour), voire à la solution finale comme ce fut le cas en Bosnie (épuration ethnique) ou comme il y a soixante dix ans aux camps d’extermination nazis.
Les principales victimes de l’islamisme radical sont en majorité des musulmans tués par d’autres musulmans. Depuis le déclenchement du maudit Printemps arabe et la multiplication des guerres confessionnelles en Afrique que mène Boko Haram, on déplore plus de 400.000 victimes et plus de quatre millions de déplacés. Qu’Allah, dans sa Miséricorde, nous vienne en aide !
Mon livre est un cri d’alarme, un testament pour les générations futures et une thérapie pour les milliers de déracinés, venus trouver refuge, fortune ou paix et lover leurs souffrances, faute d’avoir trouvé leur vocation et bonheur, là où ils sont nés.
La question de l’identité est posée ainsi que la relation à la culture du pays d’origine pour ces nouvelles générations : Est-ce que le système français, basé sur l’assimilation, tient compte de la société multiculturelle comme d’autre pays dans le monde ?
La France est confrontée à ce que les sociologues appellent la transition identitaire. Depuis le début de l’immigration durant le 19ème siècle, les migrants venaient de l’espace européen. Un espace culturellement et ethniquement « homogène ». L’inclusion des immigrés s’est, alors, effectuée en deux temps : d’abord une intégration économique, dans une France économiquement forte et en reconstruction. Est venue dans un deuxième temps une assimilation anthropologique, allant jusqu’à la négation de l’identité d’origine.
Pour l’immigration en provenance du Sud, elle a gardé, depuis son origine, les séquelles du contentieux colonial, du clivage culturel, qui sous-tend la différence spirituelle. La France  avait et aura du mal à accepter cette diversité culturelle au nom du refus du communautarisme et de l’égalité républicaine. Cela, par opposition au modèle anglo-saxon qui prévaut aux Etats-Unis et en Angleterre.
Mais en réalité, la France développe un discours ambigu vis-à-vis de la diversité culturelle. Quand la France a gagné la Coupe du monde, le « blanc, black, beur » était affiché, adulé et assumé… En revanche, quand l’islam et la culture arabo-africaine veulent exister et être visibles, la France s’enferme sur elle-même et dénonce l’intrusion des cultures et /ou religions étrangères à sa tradition judéo- chrétienne, européenne et gaullienne. Tel est le fond du problème et telle est la ligne de fracture du logiciel républicain.
Pour en savoir plus : http://www.libe.ma/

Le sens des mots

Je reconnais au Premier ministre le mérite d’avoir décrit une réalité de l’immigration souvent minorée ou même déniée. Manuel Valls a eu raison de parler de « misère sociale », de « ghetto », de « relégation périurbaine », de « misère sociale », auxquelles « s’additionnent les discriminations quotidiennes parce que l’on n’a pas le bon nom de famille, la bonne couleur de peau ». Tout ceci existe, c’est la réalité quotidienne de millions de Français, et même des « immigrés » les mieux intégrés.

Il fallait enfin poser le diagnostic et admettre la réalité. C’est un premier pas encourageant pour la classe politique française qui, depuis des décennies, a refusé d’admettre les immenses problèmes liés à l’intégration. Ce refus est d’autant plus scandaleux qu’il est le résultat, soit d’une naïveté méprisante, soit d’une mauvaise conscience ou encore d’une méconnaissance coupable. Espérons que ces déclarations soient une étape franchie, un acquis sans retour pour qu’enfin, les gouvernements puissent agir concrètement sans fausse pudeur ou mystifications paralysantes.

Pourtant, il faut reprocher au même Premier ministre l’emploi d’un mot qui se voulait fort pour décrire cette situation, « l’apartheid », mais c’est un mot faux. En effet, si la situation de certains « quartiers » est très inquiétante et que le sort réservé à une grande partie de la population issue de l’immigration est, à bien des égards, scandaleuse, la France ne connaît pas une situation d’apartheid. Le laisser penser est dangereux.

Dangereux pour la nécessaire sérénité et quiétude qui doit exister entre les Français, quelles que soient leurs origines. Dangereux pour les « minorités visibles » de se laisser cantonner à être perçues comme une population ségrégée. Dangereux car ceux qui dénoncent et luttent contre la société, en dévoyant une idéologie politico-religieuse pour provoquer des actes abjectes, pourraient croire qu’ils sont des héros en puissance. En effet, Nelson Mandela a été pendant des décennies considéré comme un « terroriste » par le pouvoir sud-africain. Ne donnons pas l’occasion à nos terroristes en puissance de croire à un destin de libérateur d’un « peuple ». Ce sont des fous ou des terroristes dangereux qui instrumentalisent la religion pour assouvir leurs pulsions meurtrières.

La France n’est pas une société qui organise et légitime la discrimination et le racisme. Les mots ont un sens. Dire « apartheid » voudrait dire aussi que toutes les personnes issues de l’immigration se retrouvent de l’autre côté d’un mur invisible les séparant des Français d’origine. Ce n’est pas vrai. De la même manière, le Premier Ministre ne peut pas dire que l’intégration n’est pas un « mot qui ne veut plus rien dire ». La France est le pays où les mariages mixtes sont les plus nombreux. L’immense majorité des Français d’origine sont totalement étrangers à l’idée de racisme et, encore plus, à ses pratiques. La France sait que la diversité est une chance pour elle. Et enfin, une grande majorité de Français issus de l’immigration sont la preuve vivante d’une intégration réussie. L’immigration ne se résume pas qu’aux échecs scolaires, à la violence, aux quartiers sensibles, au chômage ou à une pratique religieuse.

Plusieurs acteurs se mobilisent, comme Le club XXIe siècle, pour changer les représentations de la diversité dans la société française. En dix ans, beaucoup de choses ont changé. Certes, pas assez et pas assez vite. Mais les Français issus de la diversité qui sont « visibles » ne sont plus uniquement des sportifs et des rappeurs. Ces Français sont aussi ministres, entrepreneurs, médecins, chercheurs, journalistes, présentateurs à la télévision, élus, hauts fonctionnaires, cadres en entreprise, et tous ceux que l’on ne voit jamais mais qui sont des citoyens honnêtes, travailleurs, fiers.

La France « diversifiée » s’intègre et travaille. Les Français issus de la diversité sont fiers d’être Français à l’image du discours émouvant de Lassana Bathily prononcé lors de la cérémonie où il a été fait français. Les Français issus de l’immigration ont souffert, comme tous les Français, lors des attaques terroristes qui ont fait des victimes françaises comme nous. Nous souffrons aussi parce que nous savons le prix que nous en aurons à payer dans le regard des autres, nous craignons encore plus de préjugés, encore plus de défiance, encore moins d’avenir.

La perte d’espérance est le pire des horizons que l’on puisse imaginer pour un citoyen. Si l’on ajoute à cela les discriminations ethniques ou religieuses, la situation peut devenir hors de contrôle. Il est donc urgent de cesser d’opposer les Français, les uns aux autres. Il ne doit y avoir que des citoyens français, aspirant à vivre ensemble. Encore une fois, le sens des mots est important. Que l’on cesse de parler de musulmans de France ou de juifs de France, mais plutôt de citoyens français de confessions musulmane, juive ou catholique.

Aujourd’hui, le plus important serait de redonner l’espoir, à tout un peuple, d’un avenir meilleur. Dans la difficulté et sans espérance, un peuple se déchire, les tensions croissent, les incompréhensions et les haines surgissent et les violences deviennent possibles.

La France est malade et les Français de toute origine souffrent. La France est malade d’une éducation nationale défaillante pour tous les Français. La France est malade de ses institutions que tous les Français respectent de moins en moins. La France est malade d’un chômage structurel de masse qui touche tous les Français. La France est malade d’une urbanisation impensée et chaotique. La France est malade d’une violence non-maîtrisée.

C’est ensemble que tous les Français doivent construire leur avenir. Les responsables politiques doivent s’attacher à prendre en compte la réalité, rien que la réalité et toute la réalité, sans exagération, sans stigmatisation. Maintenant, ils doivent imaginer les solutions et penser le futur d’une France apaisée, forte et fière de ses valeurs.

Arnaud Dupui-Castérès, Président de Vae Solis Corporate, cabinet de conseil en statégie d’information et communication de crise

Publication: Mis à jour:

Pour en savoir plus : http://www.huffingtonpost.fr/

Islam en France : ce que les musulmans veulent changer

Des dignitaires souhaitent faire évoluer l’organisation de l’islam en France. Ils demandent aussi un statut officiel pour les imams et un renforcement de la lutte contre les radicaux.

Bayonne-9Janvier2015

Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), le 9 janvier. Plusieurs tags ont été découverts sur le portail d’entrée de la mosquée. Les auteurs de ces inscriptions faisaient référence à l’attentat contre « Charlie Hebdo ».
(Photopqr/« Sud Ouest »/Jean-Daniel Chopin.)

Pour la grande majorité des 5 millions des musulmans de France, c’est une double peine, comme ils disent. Depuis mercredi, ils se sentent salis par des terroristes qui se réclament d’un islam qui n’est pas le leur, mais ils sont aussi devenus la cible de ceux qui les tiennent collectivement pour responsables.

Tags racistes et tête de cochon sur les lieux de culte, explosion dans un kebab… Depuis six jours, plus d’une cinquantaine d’actes islamophobes ont été recensés. Du jamais-vu. La communauté musulmane refuse d’autant plus les amalgames qu’elle souligne l’urgence de réformes en son sein.

Une représentation en phase avec les fidèles.
Depuis 2003, le Conseil français du culte musulman (CFCM), créé sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, est l’instance représentative de l’islam deFrance, notamment auprès de l’Etat. Toutefois, les fédérations qui la composent, proches du Maroc, de l’Algérie ou de la Turquie, n’ont jamais su dépasser leurs divisions. De nombreux fidèles ne se retrouvent pas dans cette institution. Faute d’autorité morale, le CFCM n’est jamais parvenu à légiférer sur des thèmes aussi divers que le halal, le calendrier lunaire ou le statut des imams. « Le CFCM est resté une structure légère. Les fédérations n’ont pas mutualisé leurs moyens et ont vu dans cette institution un simple guichet à travers lequel elles pouvaient dialoguer avec les pouvoirs publics », décrit Mohammed Moussaoui, qui en a été le président de 2008 à 2013. « Il faudrait la présence d’imams dans le bureau exécutif du CFCM, qui est très éloigné du terrain », suggère Ahmed Miktar, président des Imams de France et imam de Villeneuve-d’Asq.

Un statut officiel.Les quelque 2 400 imams en France ont des profils différents. Certains sont salariés de l’association gérant la mosquée et rémunérés très modestement, souvent à temps partiel. « La plupart du temps, ils sont déclarés en tant qu’animateur associatif », décrit l’imam Ahmed Miktar. Environ 15 % sont payés par les Etats marocain, algérien ou turc. D’autres sont entièrement bénévoles, les associations cultuelles n’ayant pas les moyen de leur verser un petit salaire. « Il faut leur donner un statut en terme social, de carrière. « La République leur demande de lutter contre le radicalisme religieux. Du moment que la mission n’est pas d’ordre cultuelle, je ne vois pas pourquoi la société ne pourrait pas financer ce type d’activités », insiste Moussaoui.

Ouvrir les mosquées.« Les musulmans doivent plus ouvrir leurs mosquées, être le plus transparent possible pour que leur message soit clair. Ils se doivent d’être des acteurs de la pédagogie, souligne Moussaoui. Il faut aussi aller vers les autres pour mieux les connaître. Les imams ne sont pas assez formés au catholicisme, et les prêtres ne sont pas formés à l’islam. » Les dignitaires catholiques et musulmans ont multiplié les rencontres ces dernières années. Cependant, le dialogue entre imams et rabbins reste rare. Il y a urgence à construire des ponts.

Lutter contre les radicaux.Les imams sont désemparés face à la montée des extrémistes. « Ils sont eux-mêmes visés nommément par les radicaux sur Internet. Ils le sont ainsi deux fois, par les racistes et les intégristes. Certains ont demandé une protection », explique Ahmed Miktar. A défaut, certains hésitent à condamner ouvertement les extrémistes, car ils craignent des représailles. Ils se sentent aussi impuissants face aux jihadistes qui transitent par les réseaux sociaux. « Il faut une loi pour lutter contre les dérives sur Internet », insiste-t-il. Il peut arriver néanmoins qu’une mosquée serve de tribune à des imams autoproclamés qui prônent la violence. « Il y a une centaine de lieux de culte entre les mains de salafistes en France qui ne sont pas tous radicaux, mais qui tiennent un discours rigoriste et de rupture avec la société », décrit Bernard Godard, ex-spécialiste de l’islam au ministère de l’Intérieur.

Eduquer les adolescents.« Faire en sorte que nos adolescents ne soient pas attirés par les interprétations les plus radicales des piliers de l’islam est capital », répète Azzedine Gaci, recteur de la mosquée Othmane à Villeurbane (Rhône). Les mosquées reçoivent et forment les jeunes de 6 à 13 ans, puis éventuellement à l’âge étudiant. Entre les deux, rien. « A 14 ans, à l’âge où ils ont le plus besoin de nous, nous les abandonnons. C’est là qu’ils se font happer par les forces obscures. » Gaci pointe un manque de moyens humains et financiers pour contrer ce risque. Selon lui, il « faut des éducateurs correctement formés ».

Plus d’aumôniers dans les prisons.Le contact avec le radicalisme extrémiste se joue souvent en prison, où le manque d’aumôniers musulmans est criant. « Il y a dix ans, j’en avais déjà fait part au ministère », s’agace Gaci, alors aumônier à la prison de Villefranche. Seul, dans un établissement de quelque 700 détenus dont plus de 70 % d’origine musulmane : « Comment travailler correctement en n’y passant qu’un jour par semaine ? » Directeur de l’institut Al-Ghazali, qui forme imams et aumôniers à la Grande Mosquée de Paris, Djelloul Seddiki évalue la carence d’aumôniers en centres pénitentiaires à 150 environ : « L’an dernier, 20 seulement ont été recrutés. »

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