Les réfugiés et nous, les Européens

Geopolitique-BernardGuetta

Géopolitique, par Bernard Guetta
L’émission du jeudi 18 juin 2015

Les réfugiés et nous, les Européens

Voyons les chiffres. Le Liban et ses 6 millions d’habitants accueillent aujourd’hui plus d’un million deux cent mille réfugiés, essentiellement syriens. La Jordanie, 8 millions d’habitants, en accueille plus de 600 000. La Turquie, 77 millions d’habitants, en a déjà plus d’un million huit cent mille sur son territoire.

L’Union européenne compte, elle, 500 millions d’habitants et se considère en état de siège et menacée des pires maux car 100 000 réfugiés ont atteint ses côtes, dix-huit fois moins qu’en Turquie.

Alors que dire ?

Force est, d’abord, de constater que des pays de tradition chrétienne semblent avoir totalement oublié ce que sont la charité et la compassion, alors que des pays musulmans, et infiniment moins riches, font preuve de ces vertus. C’est là qu’il y a de quoi s’inquiéter sur notre identité car ces visages d’enfants hagards et de parents désespérés ont beau s’afficher en première page de nos journaux, le pape a beau s’époumoner à rappeler l’Europe – non pas l’Union européenne mais chacun de nous, les Européens – au devoir d’humanité, nous détournons nos regards, bouchons nos oreilles et fermons nos cœurs.

Oui, dira-t-on, mais la compassion ne peut pas commander la politique, exercice de réalisme qui a ses exigences propres, si dures soient-elles. Oui, c’est vrai, mais alors, parlons politique.

La France se rend-elle compte que son capital international, l’atout maître qui fait d’elle une nation singulière aux yeux du monde et lui procure, puisqu’il faut être réaliste, tant d’avantages économiques, est d’être la patrie des droits de l’homme, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité ? Si tant des plus éduqués de ces réfugiés fuyant égorgeurs et dictateurs rêvent de la France, c’est parce qu’elle a cette image, cet atout essentiel que nous sommes en train de gaspiller et bientôt perdre en ayant été les premiers à refuser la répartition des réfugiés entre les 28 que la Commission européenne avait tant raison de proposer.

Oui, oui dira-t-on, mais plus de générosité ferait le jeu du Front national en France et, partout ailleurs en Europe, des formations de ce type. Ah, oui ?

Eh bien non, au contraire, car c’est en adoptant l’attitude de ces partis et collant à eux qu’on laisse croire que ces réfugiés constitueraient un danger contre lequel il faudrait se prémunir et qu’on donne ainsi raison aux nouvelles extrêmes-droites.

Et puis enfin, soyons réalistes – soyons ne serait-ce qu’un peu politiques – qui sont ces réfugiés si ce n’est nos alliés ? Que dénonce leur fuite si ce n’est la barbarie de ces jihadistes que nous avons raison de craindre et de combattre ?

Ils sont nos alliés, et nous les rejetons. Nous les rejetons et permettons par-là aux jihadistes de moquer les démocrates arabes et leurs prétendus amis des démocraties européennes. Nous nous tirons, autrement dit, dans le pied parce que nous avons peur de malheureux dont toute l’ambition est d’échapper à la mort. Vous, je ne sais pas mais, moi, tant de stupidité me fait honte.

Pour en savoir plus : http://www.franceinter.fr/

Les religions, un bien pour la République

 SignesReligieux

L’école joue un rôle déterminant dans l’éducation au vivre-ensemble. Rien d’étonnant, donc, qu’après le temps de l’émotion suscitée par les attentats à Paris et à Montrouge du 7 au 9 janvier, elle fasse l’objet d’attention. Jeudi dernier, la ministre de l’éducation nationale a fourni les détails de la « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République » voulue par le président de la République : nouvel enseignement moral et civique, renforcement de l’éducation aux médias, renforcement de la formation des enseignants « à la laïcité et à l’enseignement moral et civique », célébration chaque 9 décembre de la Journée de la laïcité, participation des élèves à la semaine de lutte contre le racisme et l’antisémitisme…

Najat Vallaud-Belkacem a également demandé au Conseil supérieur des programmes de renforcer la place de l’enseignement du fait religieux dans le cursus scolaire. Depuis la remise du rapport Debray en 2002, la nécessité d’un tel parcours n’est plus discutée. Tout l’enjeu pour l’école publique est de savoir comment aborder le fait religieux et les textes fondateurs dans « un esprit de laïcité respectueux des consciences et des convictions », pour reprendre des termes officiels. D’où l’approche essentiellement historique, censée libérer les enseignants de leurs éventuelles préventions ou réticences.

Mais cette perspective n’est pas neutre. Elle cantonne le fait religieux au passé et tient implicitement l’expérience croyante comme quelque chose d’archaïque ou d’exotique, alors que celle-ci oriente la vie de nombreuses familles dans leur recherche du bien. La remise sur le chantier du programme d’enseignement sur le fait religieux gagnerait à dépasser ce jugement de valeur implicite. La République a besoin des religions parce que celles-ci animent et soutiennent des lieux concrets – à commencer par les familles – où s’incarnent et s’expérimentent les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. L’expérience et le fait religieux sont de bonnes choses pour l’unité républicaine. De cela un enseignement attaché à la laïcité doit aussi rendre compte.

Dominique Greiner

25/1/15 – 19 H 34

Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com