Halal, par-delà les fantasmes de la laïcité

LotfiBelHadj

« La question de la laïcité ne veut pas dire que tout le monde doit manger la même chose, mais qu’il faut respecter les orientations des uns et des autres. » C’est ainsi que Roland Ries, maire de Strasbourg, conçoit ce qui est propre à la laïcité sur la question des pratiques alimentaires. Après les événements tragiques du 7 au 9 janvier et les polémiques surmédiatisées sur l’islam, il est essentiel de faire un point sur cette prescription religieuse devenue un vrai phénomène de société et passée, en quelques années, de simple niche marketing à la caverne d’Ali Baba: le halal.

Le principe de la laïcité, avant de devenir cet outil politique alimentant de nombreuses polémiques, est un concept et une base juridique fondamentale dans notre République, qui implique l’impartialité et la neutralité de l’État à l’égard des confessions religieuses. Je persiste à dire que le halal, comme le casher, est compatible avec la laïcité. C’est une réalité que je m’attache à défendre en tant que républicain convaincu. L’idée est simple: il est possible de pratiquer sa religion sans nier ou biaiser son identité française et -plus important, même si cela m’attriste de constater que nous avons besoin de le mentionner- sans être en infraction avec les lois de notre pays.

Le halal, avant d’être « problématisé », voire même compris dans la perspective d’un enjeu sociétal, est sur le banc des accusés. Le sujet n’est pas maîtrisé. Preuve en est lors d’auditions sur le sujet au Sénat, où les élus confondent halal et casher et posent des questions qui attestent de leur méconnaissance totale du sujet. Mais peu importe, il demeure un instrument politique parfait. Connoté, sorti de son contexte, il suffit de l’agiter pour faire remonter les plus bas instincts et ainsi en jouer et faire valoir des intérêts qui dépassent ceux du simple citoyen.

Et pourtant, légitimer le halal, c’est en faire un allié de la laïcité. Sauf pour celles et ceux qui tentent d’emmener notre pays vers « une laïcité négative » au lieu de tendre vers « une laïcité d’intelligence » que Régis Debray appelle de ses vœux. Jean Baubérot, spécialiste de la sociologie des religions et fondateur de la sociologie de la laïcité, affirme qu’avec sa loi sur le port du voile, la France est « à la limite de ce qui est possible dans une société démocratique ». Légiférer sur le droit de manger ou non halal serait un dépassement de cette limite. « La laïcité, c’est, certes, la neutralité, mais c’est aussi la liberté », ajoute Thierry Rambaud, professeur agrégé de droit public à l’Université de Strasbourg et à Sciences Po Paris.

Accepter et légitimer le halal, aussi bien dans le discours que dans les actes, permettrait de sortir l’islam « des caves » pour qu’il se nourrisse et se pratique au grand jour, c’est-à-dire de manière transparente et sous un contrôle direct de la société civile (et non de celui du ministère de l’Intérieur, alimentant des craintes et remettant en question le pacte de confiance entre les Français de toute origine). Bâtir des lieux de culte appropriés, c’est donner un espace identifiable et identifié comme celui qui éduque les fidèles au grand jour. Contre l’islamisme radical, il faut une société qui puisse observer, juger, même s’indigner, mais dans le respect des règles démocratiques. Une mosquée financée avec les deniers du secteur d’activité lié au halal, c’est une mosquée dont le financement est tracé par l’Etat, et dont toutes les activités se pratiqueraient sans fantasmes quant à son opacité présumée.

Le halal doit devenir, au même titre que le casher, un des symboles de ce droit à l’indifférence que revendiquent nos compatriotes musulmans dans leur vie quotidienne comme dans l’exercice de leur culte. À ce titre, la normalisation du halal dans la société française témoignera d’une République apaisée, confiante en son avenir, en ses valeurs qui unissent tous nos compatriotes, et leur permettra de cultiver cet art français si singulier du vivre-ensemble. Et si, faute de halal, l’islam devait rester à la merci des discours islamophobes, comment pourrions-nous construire cette communauté de destins contre ce communautarisme qui bat son plein, de Neuilly-sur-Seine jusque dans le VIIe arrondissement? Oui, car c’est de là que part le communautarisme et non pas, comme on voudrait le faire croire, de ces « fameuses banlieues ».

Aussi, nous voyons beaucoup d’interrogations de la part de personnalités publiques comme de simples citoyens sur cette question: le halal financerait-il les djihadistes? Comme je l’écris dans mon dernier livre, La Bible du Halal (Editions du moment): « en réalité, les plus gros bénéficiaires de l’abattage rituel sont les industriels. (…) Des multinationales, de grandes sociétés ou simplement des PME, dont les profits sont traçables, généralement destinés à des actionnaires qui n’ont pas vraiment des têtes de djihadistes. Mieux, les sociétés, qui font leur beurre sur le halal, ont bien souvent pignon sur rue dans les marchés de l’agroalimentaire (Nestlé, Doux ou Labeyrie) et de la cosmétique (L’Oréal). Si l’argent du halal était destiné à la guerre sainte, les djihadistes d’aujourd’hui s’appelleraient Paul Bulcke, Liliane Bettencourt, Xavier Govare ou Charles Doux. »

Le secteur économique lié au halal est évalué au niveau mondial à 687 milliards de dollars, il connaît une croissance annuelle à deux chiffres et atteindra, selon les estimations, un montant de 2 000 milliards en 2023. La France, cinquième puissance économique mondiale, mais qui risque de se voir détrôner, empêtrée dans un chômage de masse et une croissance faible, devrait se saisir de ce secteur et y déployer toute son énergie, son ambition et ses compétences. Notre pays a une place à prendre et tout à gagner. Et le temps presse.

Le halal est une opportunité pour la France: générateur d’emplois et de clients à l’export. Un halal « made in France » implique des secteurs économiques déjà maîtrisés par les industriels de notre pays: agroalimentaire, cosmétique, tourisme et pharmaceutique pour ne citer que les principaux. Pour que notre pays puisse profiter davantage de cette opportunité, il ne faut pas l’opposer à la laïcité. On ne doit pas, comme le craignait déjà Jules Ferry, faire de cette dernière « une religion laïque ».

Publié par Lotfi Bel Hadj, essayiste, économiste de formation et entrepreneur

Pour en savoir plus : http://www.huffingtonpost.fr

L’opportunité économique du marché multiculturel

Avec plus de 11 % de sa population d’origine étrangère, la France est la plus importante société multiculturelle d’Europe (1). Un monde métissé aux multiples habitudes de consommation auxquelles les marques globales ne parviennent pas toujours à répondre. Une niche de croissance encore trop souvent délaissée par les entreprises françaises qui y trouveraient pourtant là une opportunité de rebondir en cette période de crise.

Au nom de l’universalité du modèle français et de la crainte qu’inspire toujours le communautarisme, le marché « ethnique » peine à se développer dans notre pays, contrairement aux autres pays tels que les Etats-Unis ou l’Angleterre. En dehors de l’alimentaire, des cosmétiques et des télécommunications, les entreprises limitent leurs investissements dans ce secteur pourtant très prometteur. Le poids économique des consommateurs issus des différentes communautés est en effet estimé à plus de 10 milliards d’euros par l’agence Sopi. De ce fait, les entreprises françaises gagneraient donc à développer des stratégies marketing spécifiques correspondant à la communauté à qui elles s’adressent.

Sortir des réseaux spécialisés

De grands groupes tels que Nestlé ou l’Oréal se sont d’ailleurs positionnés en leaders sur ce marché en attente de réponses spécifiques. Les laits fermentés ou caillés, un produit consommé en général en accompagnement de plats orientaux traditionnels, ont fait leur apparition dans les gammes de produits laitiers, tandis que le numéro un mondial des cosmétiques, a développé une gamme de produits entièrement dédiée aux besoins spécifiques d’une population ethnique diverse. Un investissement gagnant puisque les femmes noires et métissées dépensent, en moyenne, 980 € par an pour les produits cosmétiques, contre 250 € pour les femmes dites caucasiennes. En volume, elles achètent neuf fois plus de produits (2). Une manne qui n’a pas échappé aux stratèges de la marque, d’autant qu’en mal de reconnaissance, ces consommateurs aspirent à sortir des réseaux de distribution spécialisés qui captent encore plus de 85 % de leurs achats, pour trouver dans la grande distribution les produits dont ils sont friands. Le développement des secteurs halal (5,5 milliards d’euros en 2011 selon Nielsen) dans les hypermarchés en témoigne.

Des marchés en croissance

À l’évidence, ces marchés constituent en effet de vrais relais de croissance en période de crise. Ils vont continuer à se développer et acquérir une maturité, sous l’impulsion d’offres qui vont s’étoffer, et de circuits de distribution qui vont s’organiser. Les marges de progression sont grandes. Aujourd’hui, plus de 70 % des achats de viandes halal, dont les ventes progressent de 15 % par an, se font encore auprès des boucheries spécialisées. Et au-delà des secteurs traditionnels, de nouveaux acteurs s’intéressent de plus en plus fortement à ces consommateurs jeunes et urbains concentrés principalement dans cinq régions et sensibles à la valorisation de leur groupe ethnique. Swiss Life a ainsi lancé la première assurance vie répondant aux valeurs de l’Islam. Le halal peut en effet s’inscrire dans les composantes transversales actuelles et aller vers la praticité, le nomadisme, la santé, le bien-être, comme le souligne Sébastien Monard, insight manager chez Nielsen.

S’ouvrir au marketing ethnique

Même si la République ne forme qu’une communauté indivisible, force est de constater que la diversité est bel et bien une réalité de notre société. Or les marques ont encore trop tendance à oublier les minorités ou à jouer sur les clichés réducteurs. 88 % des publicités ne font encore apparaître que des modèles de type caucasien. Pour capter l’attention de cette population dont le pouvoir d’achat ne cesse de progresser, les entreprises doivent plus largement s’ouvrir à leurs habitudes de consommation, proposer des gammes dédiées répondant à leurs attentes spécifiques et ne pas hésiter à construire un discours fondé sur leurs codes, comme c’est déjà le cas depuis plusieurs années aux Etats-Unis. Le marketing ethnique ciblé existe d’ailleurs déjà dans les réseaux de distribution spécialisés où les marques diffusent des publicités dédiées. Rien d’étonnant à cela. De même que les marques adaptent leur discours selon les tranches d’âge du consommateur, il apparaît logique de prendre en considération les attentes spécifiques d’un public en attente de réponses appropriées. Une prise de conscience objective des nouvelles réalités du marché devrait nous aider à faire tomber ce tabou très français.

(1) source INSEE
(2) source L’OREAL.

 

Sabrina Fodzo

 

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