À l’école, de grandes disparités dans l’enseignement des religions

Religionàl'Ecole

Le «fait religieux» est abordé en cours d’histoire-géographie ou de français. Il sera renforcé en 2016 dans les programmes, a promis François Hollande.

À la suite des attentats de Paris, François Hollande a affirmé qu’il porterait «une attention particulière» à l’enseignement du «fait religieux» à l’école. La place de cet enseignement qui s’affiche «laïc» devra être renforcée en 2016 dans les programmes du primaire et du collège. L’Observatoire de la laïcité recommandait, à son tour, quelques jours plus tard, d’étendre «l’enseignement laïc du fait religieux dès l’école primaire».

Depuis les rapports du recteur Philippe Joutard en 1991 et celui du philosophe Régis Debray, qui plaidait en 2002 pour le développement d’un enseignement du «fait religieux», ce dernier, certes, a progressé.

Il est inclus dans les programmes d’histoire-géographie essentiellement, mais aussi de français et d’histoire des arts depuis 2005. Essentiellement au collège mais aussi à l’école primaire. Contrairement à d’autres pays, ce n’est toutefois pas une matière à part.

Dans une France où l’école publique s’est construite sur la séparation de l’Église et de l’État, le sujet reste très sensible. La sénatrice Esther Benbassa en a fait les frais, elle qui proposait au détour d’un rapport, en novembre dernier, un horaire «dédié» pour cet enseignement dès le plus jeune âge. Le Sénat s’est offusqué. La méfiance reste vive du côté de ceux qui craignent le retour de cours de «catéchisme» et une forme de prosélytisme religieux. Et les croyants sont prompts à craindre une déformation de leur religion par l’État laïc.

On peut certes considérer que passer, comme aujourd’hui, par plusieurs disciplines complémentaires pour «contextualiser» les faits religieux est riche de points de vue et de complexité. On peut aussi considérer qu’il s’agit de saupoudrage, d’une façon de noyer le poisson. Mais il est vrai que créer une nouvelle matière est difficile sur un plan administratif et pédagogique…

Surtout tourné vers le passé, l’enseignement des religions est en partie déconnecté de ce que vivent les élèves. S’il est abondamment question, essentiellement dans les programmes d’histoire du collège, de la naissance des grandes traditions religieuses ou des guerres de religions, il n’est quasiment pas fait référence au monde contemporain. «À croire que les religions sont figées dans le passé», critique Isabelle Saint-Martin, la directrice de l’Institut européen en sciences des religions. «Pallier cet éclatement serait positif. Il manque un fil directeur, une cohérence entre les contenus et une visibilité», estime-t-elle. Cette disparité est une «faiblesse si cela conduit à ne voir les faits religieux que du point de vue de l’histoire par exemple et à ne les voir que par la lunette étroite de tel programme qui fait l’impasse sur telle religion ou telle période. Le traitement des faits religieux dans les disciplines montre clairement qu’il est inégal et irrégulier», estime Philippe Gaudin, responsable de formations sur cette question.

Du pain sur la planche

Autant de critiques qui exaspèrent Hubert Tison, secrétaire général de l’Association des professeurs d’histoire-géographie: «Le fait religieux ? Mais c’est très présent dans les programmes! Les professeurs ne cessent d’en parler. Ils notent des devoirs sur la naissance de l’Islam par exemple.» Beaucoup évoquent aussi au détour d’un chapitre historique, la façon dont les religions se pratiquent aujourd’hui. Des visites de lieux de culte sont souvent organisées…

Hubert Tison reconnaît que «dans certaines écoles», «on rencontre des réflexions d’élèves qui demandent pourquoi il faut étudier le christianisme. À l’inverse, d’autres demandent pourquoi il faut étudier l’islam. On a aussi des élèves juifs, ulcérés que l’on puisse parler de la Palestine. Très bien informés, voire déformés, certains cherchent à faire passer leurs idées.»Un professeur d’histoire doit être «très solide en ce qui concerne l’histoire des religions et afficher une attitude honnête et neutre», insiste-t-il.

Les stratégies d’évitement des enseignants sont pourtant une réalité. Pour évacuer de possibles tensions religieuses dans les classes, certains évitent tout sujet portant sur la religion. «J’essaie de me former mais je suis mal à l’aise avec l’islam surtout quand les élèves commencent à citer telle ou telle sourate, indique ainsi une professeur de lettres dans les Hauts-de-Seine, je manque de culture religieuse, y compris concernant le christianisme.»

Conscient du problème, le gouvernement a annoncé qu’un module spécifique serait intégré à la formation initiale dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espé). Du pain sur la planche, car la disparité d’enseignement est aujourd’hui la règle, d’une discipline et d’une région à l’autre.

Marie-Estelle Pech

Pour en savoir plus : http://www.lefigaro.fr

Former les profs à la laïcité : d’accord, mais comment ?

 Philippe Gaudin, directeur adjoint à l’Institut européen en sciences des religions, a été désigné avec d’autres pour concevoir les contenus, méthodes et priorités de la formation à la laïcité.
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(Photo d’illustration) (Jean-Pierre Clatot/AFP PHOTO)
Le 21 janvier dernier, François Hollande donnait le coup d’envoi d’une mobilisation générale de la communauté éducative autour des valeurs de la République. Au premier rang desquelles la laïcité. Le lendemain, c’était au tour de la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem d’annoncer une série de mesures, pas tout à fait neuves pour la plupart.

On retiendra toutefois la volonté de généraliser l’enseignement de la laïcité. Ce qui existe déjà mais dans une toute petite proportion. L’idée, cette fois, est de créer un effet domino de grande ampleur : former des formateurs qui formeront les professeurs qui formeront les élèves. Pas simple à mettre en oeuvre. Et pour l’heure, rien n’a été tranché sur le fond.

Tout au plus sait-on que les programmes des cours d' »Enseignement moral et civique », mis sur les rails par l’ancien ministre Vincent Peillon, qui entreront en vigueur à la rentrée 2015, vont être réécrits. Mais après ? Philippe Gaudin, responsable des formations recherche à l’Institut européen en sciences des religions (IESR) et ancien professeur de philosophie (1), a été choisi avec d’autres pour mettre en œuvre ce projet. Il définit pour « l’Obs », les contenus, méthodes et priorités de ce nouvel enseignement.

Enseigner les faits religieux

« A l’IESR, nous ne dissocions pas la nécessité d’une formation sur la laïcité d’une formation sur les faits religieux, qui ont tendance à disparaître des programmes d’Histoire ou de Français. Exemple : l’étude de la religion aux Etats-Unis au XXe siècle par exemple a disparu, alors qu’on ne peut comprendre Martin Luther King sans connaître son contexte religieux. L’effort n’a pas été soutenu depuis 1995, car c’est un enseignement transversal. Difficile d’entretenir la flamme !

Qu’on se comprenne bien. Enseigner le fait religieux, comme l’a recommandé le rapport de l’historien Philippe Joutard dès 1989, n’est pas faire entorse à la laïcité. Il s’agit plutôt d’une maturation, d’une extension de la laïcité, dans un monde qui ne ressemble plus à la France de 1905. Nous vivons dans une société à la fois très sécularisée, et dans laquelle les identités religieuses peuvent se manifester, pour le meilleur et pour le pire. Face à cela, l’école ne peut rester muette.

Je vois deux grandes justifications à l’enseignement des faits religieux :

– Intellectuelle : on ne peut pas bien comprendre le passé, ni le présent, si on n’a pas une bonne connaissance des faits religieux ; et on ne peut pas non plus comprendre le patrimoine artistique.

– Politique : pour faire société dans un monde marqué par une nouvelle pluralité religieuse, il faut une culture commune. D’où l’expression de Régis Debray, d’une « laïcité d’intelligence ».

La laïcité ainsi entendue n’est pas ouverte à tous les vents, ni une sorte de libre-service où toutes les religions s’exprimeraient n’importe comment. Elle reste fidèle à l’esprit de l’école, celui de la connaissance et du savoir.

Apprendre à penser

« Pour la rentrée 2015, il n’est pas prévu de faire un cours de laïcité spécifique. Cette notion sera intégrée à l’enseignement moral et civique, prodigué de l’école maternelle à la terminale, environ une heure par semaine, mais sous la forme d’ateliers par exemple, à l’image des TPE. Toute la communauté éducative sera concernée.

On pourrait y discuter des questions autour de la cantine, par exemple. L’idée est de proposer un enseignement laïc de la morale et non d’enseigner « la morale laïque », qui était l’expression initiale de Vincent Peillon quand il a lancé le projet. Autrement, il ne s’agit pas d’enseigner une morale toute faite – à part les règles de droit fondamental – mais d’apprendre le questionnement éthique et de le traduire dans son comportement. C’est peut-être une façon d’apprendre à agir avec sagesse avant la classe de philosophie !

Ce qui n’exclut pas pour autant que les questions de laïcité soient présentes dans tous les autres enseignements. A l’issue de la formation, il y aura une forme d’évaluation, mais certainement pas telle qu’elle est pratiquée habituellement, avec copies et notes. Elle reste à définir. »

Démultiplier les référents laïcités

« Notre institut participera à la formation des formateurs. Sur les 1.000 formateurs annoncés, nous allons d’ores et déjà nous appuyer sur les « référents laïcité » des académies créés en 2014, en général composés d’inspecteurs ou de professeurs d’Espé (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation). Eux-mêmes, devront trouver d’autres formateurs et toucher ainsi le plus grand nombre de professeurs possible. Ce processus commence à peine, la tâche sera rude.

Former les futurs professeurs d’abord

La priorité, c’est la formation initiale des jeunes générations d’enseignants, de façon à toucher tous les futurs professeurs à partir de maintenant. Il doivent recevoir une formation dans trois domaines : la laïcité, les faits religieux et une préparation à enseigner cette nouvelle discipline qui sera dans les programmes dès la rentrée 2015.

En revanche, impossible de former tous les professeurs en poste à court et moyen terme. Si les modules de formations ne peuvent s’adresser à 50 personnes à la fois et s’il y a 100.000 professeurs (sur environ 800.000) à former, cela fait un très grand nombre de modules de formation ! »

Cibler les établissements en difficulté

« Est-ce qu’il ne faudrait pas une étude sérieuse sur ce qui se passe dans les établissements de l’ensemble du territoire du point de vue de la laïcité ? Avec une équipe de chercheurs indépendants, une méthodologie scientifique, une déontologie transparente et, pourquoi pas, un conseil de surveillance scientifique et politique.

Y-a-t-il des difficultés ? Y-a-t-il des élèves qui refusent d’écouter leurs professeurs sur telle partie du programme ? Sans doute observerait-on que la situation est bonne dans de nombreux établissements. Cela contribuerait à rasséréner le climat moral, social et politique en France. Il apparaîtrait – dans quelle proportion je ne sais pas – qu’une minorité d’établissements posent problème. Il faudrait alors clairement les identifier et connaître précisément  leurs difficultés.

A partir de là, on peut avoir une vraie politique volontariste avec de gros moyens -pas seulement au sens financier mais aussi ‘moral’ justement !-pour y apporter un remède. L’école porte toutes les misères du monde et elle n’a pas le pouvoir de les supprimer. Mais on y verrait plus clair. L’école est l’âme de la République et sur le plan de notre pacte politique, la République est l’âme de la France. Si notre école va mal, c’est l’ensemble de la communauté nationale qui va mal. Ce ne serait donc pas une dépense mal placée. »

Propos recueillis par Sarah Diffalah

(1) « Vers une laïcité d’intelligence en France ? L’enseignement des faits religieux en France comme politique publique d’éducation depuis les années 1980 », Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2014.

« Double défi pour l’école laïque : enseigner la morale et les faits religieux », Riveneuve éditions, 2014.

L’Institut européen en sciences des religions est une composante de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il a été créé après le rapport de Régis Debray en 2002 qui préconisait un pont entre le monde de la recherche universitaire et tous ceux qui ont besoin de formation sur le fait religieux, notamment dans l’administration publique. Ses fonctionnaires travaillent pour l’Education nationale, et sont donc en concertation avec le ministère, ainsi qu’avec la Direction générale de l’Enseignement scolaire, mais apportent la plus-value et l’indépendance universitaire et scientifique. L’Institut a été nommé par la ministre de l’Education pour participer à la formation des formateurs à la laïcité.

Publié le 04-02-2015 à 11h03

Pour en savoir plus : http://tempsreel.nouvelobs.com/

Ecole : la guerre des laïques

Après les attentats, l’enseignement laïque du fait religieux est avancé comme une nécessité. Un débat qui déchire l’école depuis trente ans.

NajatVallaudBelkacem
Najat Vallaud-Belkacem se heurte à son tour à la mise en oeuvre d’un enseignement du fait religieux au service de la laïcité. © Etienne Laurent / AFP
Il a été question de « sursaut collectif » dans le discours de Najat Vallaud-Belkacem, de « réponses nouvelles » à des « circonstances exceptionnelles ». Après les attentats, la ministre de l’Éducation nationale s’est lancée dans un marathon consultatif destiné à forger la riposte de l’école à la menace intégriste. Les conclusions sont attendues cette semaine, mais les pistes sont connues : développer la « pédagogie de la laïcité » (via l' »instruction civique et morale » que la rentrée 2015 doit étrenner), renforcer l’enseignement laïque du fait religieux, réduire les inégalités scolaires. Des « réponses nouvelles » ? La réouverture, plutôt, de débats déjà anciens : vieux d’une trentaine d’années, au moins.

« L’éducation à la citoyenneté, abandonnée dans les années 60 et 70, est réapparue dans les années 80 face à la crise économique et à la crainte des communautarismes », explique Philippe Portier, directeur d’études à l’École pratique des hautes études en sciences sociales. Comment éduquer à la laïcité ? Comment former des citoyens en tenant compte des différences culturelles et religieuses ? La question, constamment posée depuis lors, dépasse les clivages politiques : l’apprentissage de la Marseillaise, évoquée par Najat Vallaud-Belkacem, a été rendu obligatoire en 2005 par François Fillon. Le fait religieux a été, dans le même temps, intégré au « socle commun » des connaissances. Sans succès, faute d’un consensus sur ce que devrait être cet enseignement. En effet, à gauche comme à droite, les tenants d’une laïcité stricte s’empaillent avec les partisans d’une laïcité plus accommodante, ou « inclusive ».

Désarroi

La « morale laïque », ardemment défendue par Vincent Peillon à son arrivée en fonction, a payé le prix de ces tiraillements. Devenue « enseignement laïque de la morale » en avril 2013 dans un rapport préliminaire, elle s’est transformée en « enseignement civique et moral » sous la plume du Conseil supérieur des programmes (CSP), chargé d’en déterminer le contenu. Évacuée la laïcité, au moins de l’intitulé. « Sans doute s’agissait-il de détendre l’atmosphère autour de ces questions, mais je ne peux m’empêcher d’y voir aussi une manière de contourner l’importance du fait religieux », commente Philippe Gaudin, responsable des programmes de formation à l’Institut européen en sciences des religions (IERS).

Résultat : l’accent a été mis sur l’interdisciplinarité et le débat afin de développer chez les élèves « une aptitude à vivre ensemble dans une société démocratique ». Un projet louable, sans doute, mais sur lequel les équipes pédagogiques restent pour le moins circonspectes. L' »échec » dont on accuse de nouveau l’école depuis les attaques est « celui de la société française dans son ensemble », affirme dans les Échos Philippe Tournier, secrétaire général du syndicat des chefs d’établissement SNPDEN-Unsa. « Il y a des quartiers dans lesquels les valeurs de la République ne sont d’évidence pas en oeuvre et où les jeunes pensent que la société ne leur laisse aucune place. » Créer les conditions d’un débat en classe n’a rien d’aisé. Témoin, le désarroi des enseignants face à la réaction de certains élèves aux attentats.

« Secouer la tutelle d’autorités fanatisantes »

Là non plus, l’affaire n’est pas neuve. Le 11 Septembre avait même contribué à ce que soit commandé au philosophe Régis Debray un rapport sur l’enseignement du fait religieux, remis en 2002, qui continue de faire foi aujourd’hui. Le philosophe estimait alors que, sans qu’il faille faire entrer les curés dans les écoles (pas plus que les rabbins ou les imams), la relégation des cultes hors des espaces de « transmission rationnelle des savoirs » n’était pas tenable. À l’inverse, écrivait-il, « une connaissance objective et circonstanciée des textes saints comme de leurs propres traditions conduit nombre de jeunes intégristes à secouer la tutelle d’autorités fanatisantes, parfois ignares ou incompétentes ».

Régis Debray demandait, notamment, une formation continue des agents de la fonction publique en général, et des enseignants en particulier. L’IERS a été créé à cet effet, mais la suppression des IUFM et la valse des ministres Rue de Grenelle ont laissé la préconisation à l’état de voeu pieux. « On peut espérer toutefois que les choses se stabilisent aujourd’hui avec les nouvelles Espé (écoles supérieures du professorat et de l’éducation) », note Philippe Gaudin. « L’ensemble de la communauté éducative a besoin d’être formé », sur la question religieuse comme sur la laïcité elle-même, entendue parfois comme une forme d’athéisme public.

La guerre des laïcs

Près de quinze ans après, les mêmes polémiques minent toute action. L’Observatoire de la laïcité s’est ainsi déchiré sur un avis remis après les attentats. Il plaidait pour le « développement effectif de l’enseignement laïque du fait religieux » et demandait, en outre, que « toutes les cultures convictionnelles et confessionnelles présentes sur le territoire de la République » soient prises en compte dans les programmes scolaires. Des propositions jugées « angéliques », « pusillanimes » et même « anti-laïques » par trois des membres de l’institution (le député socialiste Jean Glavany, la sénatrice radicale de gauche Françoise Laborde et Patrick Kessel, ancien grand maître du Grand-Orient de France), qui ont aussitôt menacé de démissionner.

« La laïcité, la laïcité, voilà ce que droite et gauche nous ont répondu lorsque nous avons plaidé pour un enseignement du religieux ! Mais c’est dans notre pays laïque que des personnes en assassinent d’autres en prenant prétexte de leur foi ! » s’insurge de son côté Esther Benbassa, sénatrice EELV du Val-de-Marne, directrice d’études à l’École pratique des hautes études et auteur, avec l’UMP Jean-René Lecerf, d’un rapport sur la lutte contre les discriminations qui ‘a enflammé le Palais du Luxembourg en novembre dernier. « Les professeurs d’histoire, de lettres ou de philosophie continueraient comme ils le font d’aborder les religions en fonction des programmes, avance-t-elle. Mais un enseignement spécifique et laïque permettrait de développer chez les élèves un esprit critique et une connaissance de leurs différentes cultures qui, sans doute, aideraient à tempérer la force des radicalismes. On ne peut pas laisser la question religieuse à Internet. »

Sanctuaire

Le 12 janvier, le président du Conseil supérieur des programmes, Michel Lussault, soutenait dans un entretien que, sans « remettre en cause la laïcité à l’ancienne », il fallait « dire que la société et les élèves ont changé au point que le corpus des enseignants doit lui aussi évoluer ». Soit, pour le nouvel enseignement de « l’instruction civique et morale », atteindre « une forme de consensus par recoupement, forger une morale commune à partir de la diversité sociale, culturelle, religieuse des élèves », explique Philippe Portier, plutôt que chercher à renouer avec le modèle de la IIIe République en administrant d’en haut un dogme laïque. Soit l’exact opposé, par exemple, des déclarations d’un André Gerin, l’ancien maire (PCF) de Vénissieux, qui, en 2009, avait été à l’origine de la loi interdisant le port du voile intégral dans l’espace public : « L’école doit redevenir un sanctuaire, déclare-t-il au Point.fr. Il faut sortir de l’illusion de l’école portes ouvertes, comme on le fait depuis quarante ans. Il faut désormais que la laïcité soit totalement respectée, qu’il y ait une séparation entre l’école et la société, et un retour à l’autorité. » Retour à la case départ.

Dans la même interview, Michel Lussault parlait de la laïcité comme d’un « savoir chaud ». Sur ce point du moins, les enseignants ne le contrediront pas.

Par Marion Cocquet

Pour en savoir plus : http://www.lepoint.fr/

Le Point – Publié le – Modifié le

 

Laïcité et enseignement des faits religieux : où en est-on ?

Deux spécialistes font le point avec nous sur cette question, plus que jamais d’actualité.

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L’attentat contre Charlie Hebdo et les quelques cas de perturbations de la minute de silence par des élèves ont soulevé beaucoup de questions sur la laïcité et ravivent le débat sur l’enseignement des faits religieux à l’école. Alors que la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, « mobilise » l’école autour des valeurs républicaines et cherche à revaloriser les cours d’éducation morale et civique, un rapport des sénateurs Esther Benbassa (EELV) et Jean-René Lecerf (UMP), adopté en novembre 2014 par le Sénat, soulevait déjà la question de cet enseignement pour lutter contre les discriminations. L’une des mesures était l’enseignement du fait religieux au cours de la scolarité, en dispensant la formation nécessaire aux enseignants. « On voit ici poindre deux questions distinctes quoique complémentaires, explique Philippe Gaudin, directeur adjoint de l’Institut européen en sciences des religions (IESR) : la formation autour de la laïcité et l’enseignement des faits religieux. »

La laïcité aujourd’hui à l’école

« Jusqu’à présent, poursuit Philippe Gaudin, la formation sur la laïcité à l’école se faisait dans le cadre de l’éducation civique au collège, et de l’ECJS (éducation civique juridique et sociale) au lycée. Le grand projet de réforme en cours sur la laïcité propose, à terme, un enseignement moral et civique, de la Primaire à la Terminale. » Une pédagogie autour de la laïcité est aussi mise en place par le ministère de l’Education nationale, coordonnée par Abdenmour Bidar, chargé de mission et membre de l’Observatoire national de la laïcité . Cette pédagogie s’appuie notamment sur la Charte de la laïcité  : « C’est une bonne chose mais cette charte n’a pas de valeur juridique ou contraignante, il est donc nécessaire de former les enseignants pour mieux transmettre ses messages », souligne Charles Coutel, directeur de l’Institut d’étude des faits religieux (IEFR), rattaché à l’université d’Artois et travaillant en collaboration étroite avec l’IESR.

 

L’enseignement des faits religieux

En France, contrairement aux autres pays européens,« l’enseignement des faits religieux se fait dans le cadre des disciplines existantes : l’Histoire, les Lettres, la Philosophie… »,reprend Charles Coutel. Le rapport du philosophe Régis Debray, en 2002, sur l’enseignement du fait religieux à l’école a jeté les bases d’un redéploiement de cet enseignement. Le philosophe en précisait le but : non pas « remettre Dieu à l’école » mais « décrisper, dépassionner, et même (…) banaliser le sujet, sans lui enlever, tout au contraire, sa dignité intrinsèque ».

Une formation continue peut exister dans le plan de formation des enseignants, ainsi qu’une formation initiale sur ces questions dans les ESPE, mais « c’est encore trop peu car l’enseignement civique et moral et celui sur les faits religieux sont interdépendants,poursuit Charles Coutel. Le combat laïc n’est pas un combat contre les religions mais contre les fanatismes. Il faudrait donc, en formation initiale, deux modules de 15 heures : l’un sur la pédagogie de la laïcité, l’autre sur une initiation à l’éducation aux faits religieux. »

Philippe Gaudin explique d’ailleurs que l’IESR a été créé en 2003, à la suite du rapport Debray, pour participer à la formation initiale et continue des enseignants et des formateurs, et réfléchir au contenu des enseignements.

La laïcité n’est pas une démarche antireligieuse

Beaucoup de choses ont donc été faites jusqu’ici, mais « de façon discontinue, avec un certain manque d’homogénéité sur le territoire et peut-être aussi d’intensité dans les programmes », souligne Philippe Gaudin. Le temps de l’action est venu et on peut parler de façon laïque de la « matière » religieuse. « On vit dans une société sécularisée et laïcisée, mais où les religions s’expriment de plus en plus et avec un pluralisme religieux qui n’existait pas en 1905 (date de la séparation de l’Eglise et de l’État.) », rappelle-t-il. Ce à quoi souscrit Charles Coutel : « L’enseignement des faits religieux peut se faire par la controverse : parler des guerres de religions pour évoquer le catholicisme et le protestantisme, évoquer l’islam en expliquant la différence entre chiisme et sunnisme, ne pas parler de taoïsme sans évoquer le confucianisme… » Les événements de ces derniers jours pourraient marquer une prise de conscience sur ces questions.

Aurélien Coustillac

 

Pour en savoir plus : http://www.vousnousils.fr

  • Le défi de l’enseignement des faits religieux à l’école, réponses européennes et québécoises, Jean-Paul Willaime. Riveneuve éditions, 2014, 358 p.
  • Double défi pour l’école laïque : enseigner la morale et les faits religieux, Isabelle Saint-Martin et Philippe Gaudin, avec la participation notamment de Charles Coutel. Riveneuve éditions, 2013, 204 p.
  • L’enseignement des faits religieux France – Espagne – Irlande – Écosse.Préface et conclusion par Charles Coutel. Artois Presses Université, 2014, 157 p.
  • Vers une laïcité d’intelligence en France ? L’enseignement des faits religieux en France comme politique publique d’éducation depuis les années 1980, Philippe Gaudin, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2014.