À l’école, de grandes disparités dans l’enseignement des religions

Religionàl'Ecole

Le «fait religieux» est abordé en cours d’histoire-géographie ou de français. Il sera renforcé en 2016 dans les programmes, a promis François Hollande.

À la suite des attentats de Paris, François Hollande a affirmé qu’il porterait «une attention particulière» à l’enseignement du «fait religieux» à l’école. La place de cet enseignement qui s’affiche «laïc» devra être renforcée en 2016 dans les programmes du primaire et du collège. L’Observatoire de la laïcité recommandait, à son tour, quelques jours plus tard, d’étendre «l’enseignement laïc du fait religieux dès l’école primaire».

Depuis les rapports du recteur Philippe Joutard en 1991 et celui du philosophe Régis Debray, qui plaidait en 2002 pour le développement d’un enseignement du «fait religieux», ce dernier, certes, a progressé.

Il est inclus dans les programmes d’histoire-géographie essentiellement, mais aussi de français et d’histoire des arts depuis 2005. Essentiellement au collège mais aussi à l’école primaire. Contrairement à d’autres pays, ce n’est toutefois pas une matière à part.

Dans une France où l’école publique s’est construite sur la séparation de l’Église et de l’État, le sujet reste très sensible. La sénatrice Esther Benbassa en a fait les frais, elle qui proposait au détour d’un rapport, en novembre dernier, un horaire «dédié» pour cet enseignement dès le plus jeune âge. Le Sénat s’est offusqué. La méfiance reste vive du côté de ceux qui craignent le retour de cours de «catéchisme» et une forme de prosélytisme religieux. Et les croyants sont prompts à craindre une déformation de leur religion par l’État laïc.

On peut certes considérer que passer, comme aujourd’hui, par plusieurs disciplines complémentaires pour «contextualiser» les faits religieux est riche de points de vue et de complexité. On peut aussi considérer qu’il s’agit de saupoudrage, d’une façon de noyer le poisson. Mais il est vrai que créer une nouvelle matière est difficile sur un plan administratif et pédagogique…

Surtout tourné vers le passé, l’enseignement des religions est en partie déconnecté de ce que vivent les élèves. S’il est abondamment question, essentiellement dans les programmes d’histoire du collège, de la naissance des grandes traditions religieuses ou des guerres de religions, il n’est quasiment pas fait référence au monde contemporain. «À croire que les religions sont figées dans le passé», critique Isabelle Saint-Martin, la directrice de l’Institut européen en sciences des religions. «Pallier cet éclatement serait positif. Il manque un fil directeur, une cohérence entre les contenus et une visibilité», estime-t-elle. Cette disparité est une «faiblesse si cela conduit à ne voir les faits religieux que du point de vue de l’histoire par exemple et à ne les voir que par la lunette étroite de tel programme qui fait l’impasse sur telle religion ou telle période. Le traitement des faits religieux dans les disciplines montre clairement qu’il est inégal et irrégulier», estime Philippe Gaudin, responsable de formations sur cette question.

Du pain sur la planche

Autant de critiques qui exaspèrent Hubert Tison, secrétaire général de l’Association des professeurs d’histoire-géographie: «Le fait religieux ? Mais c’est très présent dans les programmes! Les professeurs ne cessent d’en parler. Ils notent des devoirs sur la naissance de l’Islam par exemple.» Beaucoup évoquent aussi au détour d’un chapitre historique, la façon dont les religions se pratiquent aujourd’hui. Des visites de lieux de culte sont souvent organisées…

Hubert Tison reconnaît que «dans certaines écoles», «on rencontre des réflexions d’élèves qui demandent pourquoi il faut étudier le christianisme. À l’inverse, d’autres demandent pourquoi il faut étudier l’islam. On a aussi des élèves juifs, ulcérés que l’on puisse parler de la Palestine. Très bien informés, voire déformés, certains cherchent à faire passer leurs idées.»Un professeur d’histoire doit être «très solide en ce qui concerne l’histoire des religions et afficher une attitude honnête et neutre», insiste-t-il.

Les stratégies d’évitement des enseignants sont pourtant une réalité. Pour évacuer de possibles tensions religieuses dans les classes, certains évitent tout sujet portant sur la religion. «J’essaie de me former mais je suis mal à l’aise avec l’islam surtout quand les élèves commencent à citer telle ou telle sourate, indique ainsi une professeur de lettres dans les Hauts-de-Seine, je manque de culture religieuse, y compris concernant le christianisme.»

Conscient du problème, le gouvernement a annoncé qu’un module spécifique serait intégré à la formation initiale dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espé). Du pain sur la planche, car la disparité d’enseignement est aujourd’hui la règle, d’une discipline et d’une région à l’autre.

Marie-Estelle Pech

Pour en savoir plus : http://www.lefigaro.fr

Former les profs à la laïcité : d’accord, mais comment ?

 Philippe Gaudin, directeur adjoint à l’Institut européen en sciences des religions, a été désigné avec d’autres pour concevoir les contenus, méthodes et priorités de la formation à la laïcité.
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(Photo d’illustration) (Jean-Pierre Clatot/AFP PHOTO)
Le 21 janvier dernier, François Hollande donnait le coup d’envoi d’une mobilisation générale de la communauté éducative autour des valeurs de la République. Au premier rang desquelles la laïcité. Le lendemain, c’était au tour de la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem d’annoncer une série de mesures, pas tout à fait neuves pour la plupart.

On retiendra toutefois la volonté de généraliser l’enseignement de la laïcité. Ce qui existe déjà mais dans une toute petite proportion. L’idée, cette fois, est de créer un effet domino de grande ampleur : former des formateurs qui formeront les professeurs qui formeront les élèves. Pas simple à mettre en oeuvre. Et pour l’heure, rien n’a été tranché sur le fond.

Tout au plus sait-on que les programmes des cours d' »Enseignement moral et civique », mis sur les rails par l’ancien ministre Vincent Peillon, qui entreront en vigueur à la rentrée 2015, vont être réécrits. Mais après ? Philippe Gaudin, responsable des formations recherche à l’Institut européen en sciences des religions (IESR) et ancien professeur de philosophie (1), a été choisi avec d’autres pour mettre en œuvre ce projet. Il définit pour « l’Obs », les contenus, méthodes et priorités de ce nouvel enseignement.

Enseigner les faits religieux

« A l’IESR, nous ne dissocions pas la nécessité d’une formation sur la laïcité d’une formation sur les faits religieux, qui ont tendance à disparaître des programmes d’Histoire ou de Français. Exemple : l’étude de la religion aux Etats-Unis au XXe siècle par exemple a disparu, alors qu’on ne peut comprendre Martin Luther King sans connaître son contexte religieux. L’effort n’a pas été soutenu depuis 1995, car c’est un enseignement transversal. Difficile d’entretenir la flamme !

Qu’on se comprenne bien. Enseigner le fait religieux, comme l’a recommandé le rapport de l’historien Philippe Joutard dès 1989, n’est pas faire entorse à la laïcité. Il s’agit plutôt d’une maturation, d’une extension de la laïcité, dans un monde qui ne ressemble plus à la France de 1905. Nous vivons dans une société à la fois très sécularisée, et dans laquelle les identités religieuses peuvent se manifester, pour le meilleur et pour le pire. Face à cela, l’école ne peut rester muette.

Je vois deux grandes justifications à l’enseignement des faits religieux :

– Intellectuelle : on ne peut pas bien comprendre le passé, ni le présent, si on n’a pas une bonne connaissance des faits religieux ; et on ne peut pas non plus comprendre le patrimoine artistique.

– Politique : pour faire société dans un monde marqué par une nouvelle pluralité religieuse, il faut une culture commune. D’où l’expression de Régis Debray, d’une « laïcité d’intelligence ».

La laïcité ainsi entendue n’est pas ouverte à tous les vents, ni une sorte de libre-service où toutes les religions s’exprimeraient n’importe comment. Elle reste fidèle à l’esprit de l’école, celui de la connaissance et du savoir.

Apprendre à penser

« Pour la rentrée 2015, il n’est pas prévu de faire un cours de laïcité spécifique. Cette notion sera intégrée à l’enseignement moral et civique, prodigué de l’école maternelle à la terminale, environ une heure par semaine, mais sous la forme d’ateliers par exemple, à l’image des TPE. Toute la communauté éducative sera concernée.

On pourrait y discuter des questions autour de la cantine, par exemple. L’idée est de proposer un enseignement laïc de la morale et non d’enseigner « la morale laïque », qui était l’expression initiale de Vincent Peillon quand il a lancé le projet. Autrement, il ne s’agit pas d’enseigner une morale toute faite – à part les règles de droit fondamental – mais d’apprendre le questionnement éthique et de le traduire dans son comportement. C’est peut-être une façon d’apprendre à agir avec sagesse avant la classe de philosophie !

Ce qui n’exclut pas pour autant que les questions de laïcité soient présentes dans tous les autres enseignements. A l’issue de la formation, il y aura une forme d’évaluation, mais certainement pas telle qu’elle est pratiquée habituellement, avec copies et notes. Elle reste à définir. »

Démultiplier les référents laïcités

« Notre institut participera à la formation des formateurs. Sur les 1.000 formateurs annoncés, nous allons d’ores et déjà nous appuyer sur les « référents laïcité » des académies créés en 2014, en général composés d’inspecteurs ou de professeurs d’Espé (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation). Eux-mêmes, devront trouver d’autres formateurs et toucher ainsi le plus grand nombre de professeurs possible. Ce processus commence à peine, la tâche sera rude.

Former les futurs professeurs d’abord

La priorité, c’est la formation initiale des jeunes générations d’enseignants, de façon à toucher tous les futurs professeurs à partir de maintenant. Il doivent recevoir une formation dans trois domaines : la laïcité, les faits religieux et une préparation à enseigner cette nouvelle discipline qui sera dans les programmes dès la rentrée 2015.

En revanche, impossible de former tous les professeurs en poste à court et moyen terme. Si les modules de formations ne peuvent s’adresser à 50 personnes à la fois et s’il y a 100.000 professeurs (sur environ 800.000) à former, cela fait un très grand nombre de modules de formation ! »

Cibler les établissements en difficulté

« Est-ce qu’il ne faudrait pas une étude sérieuse sur ce qui se passe dans les établissements de l’ensemble du territoire du point de vue de la laïcité ? Avec une équipe de chercheurs indépendants, une méthodologie scientifique, une déontologie transparente et, pourquoi pas, un conseil de surveillance scientifique et politique.

Y-a-t-il des difficultés ? Y-a-t-il des élèves qui refusent d’écouter leurs professeurs sur telle partie du programme ? Sans doute observerait-on que la situation est bonne dans de nombreux établissements. Cela contribuerait à rasséréner le climat moral, social et politique en France. Il apparaîtrait – dans quelle proportion je ne sais pas – qu’une minorité d’établissements posent problème. Il faudrait alors clairement les identifier et connaître précisément  leurs difficultés.

A partir de là, on peut avoir une vraie politique volontariste avec de gros moyens -pas seulement au sens financier mais aussi ‘moral’ justement !-pour y apporter un remède. L’école porte toutes les misères du monde et elle n’a pas le pouvoir de les supprimer. Mais on y verrait plus clair. L’école est l’âme de la République et sur le plan de notre pacte politique, la République est l’âme de la France. Si notre école va mal, c’est l’ensemble de la communauté nationale qui va mal. Ce ne serait donc pas une dépense mal placée. »

Propos recueillis par Sarah Diffalah

(1) « Vers une laïcité d’intelligence en France ? L’enseignement des faits religieux en France comme politique publique d’éducation depuis les années 1980 », Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2014.

« Double défi pour l’école laïque : enseigner la morale et les faits religieux », Riveneuve éditions, 2014.

L’Institut européen en sciences des religions est une composante de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il a été créé après le rapport de Régis Debray en 2002 qui préconisait un pont entre le monde de la recherche universitaire et tous ceux qui ont besoin de formation sur le fait religieux, notamment dans l’administration publique. Ses fonctionnaires travaillent pour l’Education nationale, et sont donc en concertation avec le ministère, ainsi qu’avec la Direction générale de l’Enseignement scolaire, mais apportent la plus-value et l’indépendance universitaire et scientifique. L’Institut a été nommé par la ministre de l’Education pour participer à la formation des formateurs à la laïcité.

Publié le 04-02-2015 à 11h03

Pour en savoir plus : http://tempsreel.nouvelobs.com/