Pas de laïcité sans humanité, pas d’humanité sans raison

Laurent Stalla-Bourdillon
Directeur du Service Pastoral d’Etudes Politiques – Aumônier des parlementaires

PUBLIÉ LE 04/08/2014 À 17:16

Il n’y aura pas de paix sans un retour à la raison

Qu’il s’agisse du conflit israélo-arabe, de l’exode ou des massacres des chrétiens d’Orient, ou des violences urbaines en France sur fond de malaise identitaire, il n’y aura pas de paix sans un retour à la raison. C’est elle qui détient la capacité de discerner à la fois les errances historiques et les apports spécifiques au bénéfice de tous, des différentes traditions religieuses. «Derrière toute activité humaine, se tient un logos qui l’oriente» écrivait Edith Stein. Au delà du seul fait religieux historique, il faudrait s’intéresser aux pensées religieuses actuelles. Il faudrait clarifier les différentes représentations du sens de la vie, non pour les superposer, ni pour les imposer, mais pour identifier ce que chacune contient de questions essentielles. Ainsi du judaïsme et de l’identité juive comme signe pour la famille humaine de la permanence de la présence d’un Dieu unique et Créateur à qui la louange est due. Ainsi du christianisme et de l’annonce du pouvoir rédempteur de l’amour en la personne du Christ. Ainsi de l’islam qui renvoie l’humanité à la question de la source de la loi à travers l’affirmation de la Parole incréée du Coran. Si nul n’est obligé de croire la doctrine d’une de ces familles religieuses, nul ne peut se dispenser de les connaître, d’interroger la rationalité de leurs fondements et de se laisser interroger par elles.

Contrairement à ce que l’on a voulu faire croire pour les écarter, les religions ne sont pas sans fondements rationnels. La cohérence du sens de la vie humaine qu’elles véhiculent doit d’ailleurs pouvoir être confrontée au questionnement de la raison commune. Ce n’est pas faire œuvre de condescendance à l’égard des religions que d’interroger les principes de la foi qu’elles professent. Le citoyen républicain ne peut se satisfaire d’ignorer la réalité des courants spirituels qui ont façonné l’histoire de son pays et qui aujourd’hui encore, animent tant d’hommes et de femmes à travers le monde. N’y aura-t-il bientôt plus que la France pour ne plus rien comprendre à la religion, parce qu’on y aurait décrété que le sujet ne méritait pas qu’on y applique son intelligence ? Quelle erreur ! Ce n’est pas en négligeant l’apport des religions qu’on neutralise leurs possibles déviances, c’est au contraire en leur imposant l’exigent effort de la raison. Qui mieux que la France aurait pu être en pointe dans ce domaine ? Hélas, la paresse ou le mépris ont conduit à laisser ce terrain en déshérence. Le législateur doit se contorsionner pour gérer au plus prêt sans paraître y toucher. Pouvons-nous avec respect revenir aux grandes questions essentielles auxquelles les religions proposent des réponses ? La vie humaine n’est-elle pas une question ouverte ? Allons-nous réveiller l’esprit ou bien avons-nous déjà cédé à l’absurdité de l’existence qui ne laisse que le vaste champ de l’émotion pour pleurer nos morts ? Non la vie n’est pas absurde, simplement elle ne se réduit pas au seul vivant que nous pensons pouvoir bientôt maitriser. «L’homme passe l’homme» disait Blaise Pascal.

La cohérence des doctrines religieuses doit donc pouvoir être rationnellement mise en débat par tout un chacun, et passer le critère de leur admissibilité dans l’espace commun. Il n’y a de laïcité qu’à condition de cet effort. Mieux, il n’y aura de parade à la dérive essentialiste des religions auquel nous assistons qu’à la condition d’une réappropriation collective des débats théologiques. Ce sera à partir de respectueuses confrontations initiées dès l’école, que les représentations du sens de la vie pourront émerger dans le cœur des jeunes et se préciser au fil de leur vie. Il n’y a de laïcité qu’à condition d’écoute de notre commune humanité en quête. Avec l’audacieuse expression de « la transsubstantiation des religions en race », le philosophe Pascal Bruckner évoquait récemment (Revue des deux mondes, juin 2014) le grave danger qui guette la société française. Un refus de considérer le chemin spirituel de l’humain l’oblige à s’inventer une identité plus religieuse qu’humaine. Tandis que reviennent de plus en plus les mots d’antisémitisme, d’islamophobie, de christianophobie, nous comprenons que seul ce que nous ne connaissons pas fait peur. Dès lors, que faisons-nous pour nous rendre audibles auprès de ceux qui ne connaissent pas nos traditions religieuses ? Quels efforts faisons-nous pour connaître la pensée des autres ? La société française doit apprendre à mieux différencier les éléments qu’elle unit et pour cela accepter de saisir la pensée qui suscite ces différences. Elle doit pouvoir entendre les points de vue de l’autre sur ses propres options collectives et entendre sa critique pourvu qu’elle ne soit pas un vain mépris. L’unité d’une famille ne se fera jamais au dépend des différences de ses membres comme semble le suggérer le succès du film « Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? » Ce film ne sonne-t-il pas comme un appel à expliquer le sens de rites et des cultures religieuses ?

C’est par le travail de la raison que nous redécouvrirons qu’avant d’être de confessions religieuses différentes ou sans religion, nous sommes tous faits de la même pâte humaine. L’homme développe un sens de son existence à partir des représentations qui lui sont transmises par sa communauté. Une société sans transcendance génère une culture du consommable et du jetable à laquelle l’homme n’échappe pas. Aujourd’hui revient le besoin de la quête du sens ultime de nos vies. Ce sens se cache dans ces intimes convictions que nous devons réapprendre à partager. Il y a plus à perdre en taisant les questions essentielles, qu’en les posant. Tout chemin d’intégration qu’il soit personnel ou en société, passe toujours par l’intérieur. L’intérieur d’un « dia-logos » avec sa conscience ou avec les autres, par lequel la vérité d’un sens peut émerger. Notre avenir repose donc sur l’accompagnement des familles et notre paix sur un meilleur usage de la raison dans la formation des plus jeunes.

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