Comment prévenir la radicalisation des plus jeunes ?

Ils seraient quelques 70 mineurs à être concernés, en France, par le phénomène croissant de la radicalisation djihadiste selon les estimations des autorités. Un chiffre certainement inférieur à la réalité. « Nous voulons mieux connaître et mieux repérer les jeunes en situation de risque vis à vis de la radicalisation et adapter notre prise en charge », admet Catherine Sultan, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, lors d’une journée nationale de formation, organisée le 14 avril à l’Ecole nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) à Roubaix.

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 Un enfant dans un reportage vidéo de Vice News sur Daech. (Photo : D.R.)

Dans la cadre du plan de lutte gouvernemental, la PJJ bénéficie d’une enveloppe de 11 millions d’euros pour recruter 170 agents supplémentaires à temps plein : 70 référents laïcité et citoyenneté, 82 nouveaux postes de psychologues qui doivent permettre selon Catherine Sultan une « meilleure appréhension du phénomène » et 18 éducateurs « en soutien dans les lieux où la problématique est la plus forte ». Ces 82 embauches sont très significatives car il y a aujourd’hui 377 psychologues en poste.

Cette administration qui compte 9.000 agents (dont 6.000 éducateurs) est donc en train de constituer un réseau de 70 référents « laïcité et citoyenneté », originaires pour moitié de la PJJ et venus pour moitié de l’extérieur. Pilotés par Delphine Bergere-Ducote, référente nationale citoyenneté et laïcité, ils ont une double tâche. Ils doivent tout d’abord lutter contre la radicalisation en faisant remonter toutes les informations au niveau de la mission nationale de veille et d’information (MNVI) rattachée directement au cabinet de la directrice de la PJJ. Et en soutenant les professionnels sur le terrain pour traiter les cas les plus complexes.

Aujourd’hui sur les 70 mineurs en France qui ont été repérés en situation de radicalisation la moitié était déjà pris en charge par la PJJ et l’autre moitié sont des primo-délinquants.« Nous avons les mêmes chiffres qu’au niveau national, c’est à dire beaucoup de convertis et nous voyons aussi une proportion croissante de filles, souligne Delphine Bergere-Ducote . Face à ce phénomène nous devons avoir un contre discours préventif et nous avons de gros besoins en formation ». La journée de formation qui s’est tenue à Roubaix s’intègre dans un plan national de sensibilisation à la lutte contre la radicalisation qui va se mettre en oeuvre sur trois ans et concerner tout les agents de la PJJ, qu’ils soient dans des structures de service public ou du secteur associatif habilité.

Conception protéiforme de la laïcité

Les 70 référents seront aussi concernés directement par un plan d’action sur la laïcité et les pratiques religieuses des mineurs. Cette question, en chantier depuis trois ans, a bien sûr pris une importance toute particulière à la suite des attentats de janvier. Dans une note publiée le 25 février, a reconnu la « conception protéiforme de la notion de neutralité » qui prévalait jusqu’à présent dans ses établissements. Certains refusaient de traiter toute question de pratique religieuse. Il y a eu, aussi,  des cas de d’incitation à la prière ou d’actions de prosélytisme qui ont d’ailleurs fait l’objet de sanctions administratives. Et entre les deux, le personnel est souvent dérouté par les différentes conceptions de la laïcité.

La direction de la protection judiciaire de la jeunesse va donc préciser ses règles sur la laïcité au travers de deux notes spécifiques. La première donnera plus de consistance au volet laïcité des règlements de fonctionnement des établissements prenant en charge des mineurs afin de baliser les pratiques religieuses de ces jeunes. L’autre va clarifier les règles de neutralité auxquelles sont tenus les agents publics et les personnels des associations privées intervenant dans les établissements.

A la croisée entre lutte contre la radicalité et laïcité, la PJJ dispose aussi d’un budget de 900.000 euros pour développer pour ses jeunes des actions dites de « citoyenneté et de laïcité ». Elle compte s’appuyer sur des partenaires extérieurs habitués notamment aux problématiques de lutte contre le racisme. En ce qui concerne la lutte contre la radicalisation, « nous pouvons nous appuyer sur des structures comme le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI). Mais leurs intervenants sont très sollicités », explique Delphine Bergere-Ducote. « Sans aborder frontalement les questions religieuses, on peut aussi aller vers le culturel et l’histoire avec l’Institut du monde arabe ou l’Institut des cultures d’islam ».

Alix de Vogüé | le 28.04.2015 à 15:00

Pour en savoir plus : http://www.fait-religieux.com/

Former les profs à la laïcité : d’accord, mais comment ?

 Philippe Gaudin, directeur adjoint à l’Institut européen en sciences des religions, a été désigné avec d’autres pour concevoir les contenus, méthodes et priorités de la formation à la laïcité.
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(Photo d’illustration) (Jean-Pierre Clatot/AFP PHOTO)
Le 21 janvier dernier, François Hollande donnait le coup d’envoi d’une mobilisation générale de la communauté éducative autour des valeurs de la République. Au premier rang desquelles la laïcité. Le lendemain, c’était au tour de la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem d’annoncer une série de mesures, pas tout à fait neuves pour la plupart.

On retiendra toutefois la volonté de généraliser l’enseignement de la laïcité. Ce qui existe déjà mais dans une toute petite proportion. L’idée, cette fois, est de créer un effet domino de grande ampleur : former des formateurs qui formeront les professeurs qui formeront les élèves. Pas simple à mettre en oeuvre. Et pour l’heure, rien n’a été tranché sur le fond.

Tout au plus sait-on que les programmes des cours d' »Enseignement moral et civique », mis sur les rails par l’ancien ministre Vincent Peillon, qui entreront en vigueur à la rentrée 2015, vont être réécrits. Mais après ? Philippe Gaudin, responsable des formations recherche à l’Institut européen en sciences des religions (IESR) et ancien professeur de philosophie (1), a été choisi avec d’autres pour mettre en œuvre ce projet. Il définit pour « l’Obs », les contenus, méthodes et priorités de ce nouvel enseignement.

Enseigner les faits religieux

« A l’IESR, nous ne dissocions pas la nécessité d’une formation sur la laïcité d’une formation sur les faits religieux, qui ont tendance à disparaître des programmes d’Histoire ou de Français. Exemple : l’étude de la religion aux Etats-Unis au XXe siècle par exemple a disparu, alors qu’on ne peut comprendre Martin Luther King sans connaître son contexte religieux. L’effort n’a pas été soutenu depuis 1995, car c’est un enseignement transversal. Difficile d’entretenir la flamme !

Qu’on se comprenne bien. Enseigner le fait religieux, comme l’a recommandé le rapport de l’historien Philippe Joutard dès 1989, n’est pas faire entorse à la laïcité. Il s’agit plutôt d’une maturation, d’une extension de la laïcité, dans un monde qui ne ressemble plus à la France de 1905. Nous vivons dans une société à la fois très sécularisée, et dans laquelle les identités religieuses peuvent se manifester, pour le meilleur et pour le pire. Face à cela, l’école ne peut rester muette.

Je vois deux grandes justifications à l’enseignement des faits religieux :

– Intellectuelle : on ne peut pas bien comprendre le passé, ni le présent, si on n’a pas une bonne connaissance des faits religieux ; et on ne peut pas non plus comprendre le patrimoine artistique.

– Politique : pour faire société dans un monde marqué par une nouvelle pluralité religieuse, il faut une culture commune. D’où l’expression de Régis Debray, d’une « laïcité d’intelligence ».

La laïcité ainsi entendue n’est pas ouverte à tous les vents, ni une sorte de libre-service où toutes les religions s’exprimeraient n’importe comment. Elle reste fidèle à l’esprit de l’école, celui de la connaissance et du savoir.

Apprendre à penser

« Pour la rentrée 2015, il n’est pas prévu de faire un cours de laïcité spécifique. Cette notion sera intégrée à l’enseignement moral et civique, prodigué de l’école maternelle à la terminale, environ une heure par semaine, mais sous la forme d’ateliers par exemple, à l’image des TPE. Toute la communauté éducative sera concernée.

On pourrait y discuter des questions autour de la cantine, par exemple. L’idée est de proposer un enseignement laïc de la morale et non d’enseigner « la morale laïque », qui était l’expression initiale de Vincent Peillon quand il a lancé le projet. Autrement, il ne s’agit pas d’enseigner une morale toute faite – à part les règles de droit fondamental – mais d’apprendre le questionnement éthique et de le traduire dans son comportement. C’est peut-être une façon d’apprendre à agir avec sagesse avant la classe de philosophie !

Ce qui n’exclut pas pour autant que les questions de laïcité soient présentes dans tous les autres enseignements. A l’issue de la formation, il y aura une forme d’évaluation, mais certainement pas telle qu’elle est pratiquée habituellement, avec copies et notes. Elle reste à définir. »

Démultiplier les référents laïcités

« Notre institut participera à la formation des formateurs. Sur les 1.000 formateurs annoncés, nous allons d’ores et déjà nous appuyer sur les « référents laïcité » des académies créés en 2014, en général composés d’inspecteurs ou de professeurs d’Espé (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation). Eux-mêmes, devront trouver d’autres formateurs et toucher ainsi le plus grand nombre de professeurs possible. Ce processus commence à peine, la tâche sera rude.

Former les futurs professeurs d’abord

La priorité, c’est la formation initiale des jeunes générations d’enseignants, de façon à toucher tous les futurs professeurs à partir de maintenant. Il doivent recevoir une formation dans trois domaines : la laïcité, les faits religieux et une préparation à enseigner cette nouvelle discipline qui sera dans les programmes dès la rentrée 2015.

En revanche, impossible de former tous les professeurs en poste à court et moyen terme. Si les modules de formations ne peuvent s’adresser à 50 personnes à la fois et s’il y a 100.000 professeurs (sur environ 800.000) à former, cela fait un très grand nombre de modules de formation ! »

Cibler les établissements en difficulté

« Est-ce qu’il ne faudrait pas une étude sérieuse sur ce qui se passe dans les établissements de l’ensemble du territoire du point de vue de la laïcité ? Avec une équipe de chercheurs indépendants, une méthodologie scientifique, une déontologie transparente et, pourquoi pas, un conseil de surveillance scientifique et politique.

Y-a-t-il des difficultés ? Y-a-t-il des élèves qui refusent d’écouter leurs professeurs sur telle partie du programme ? Sans doute observerait-on que la situation est bonne dans de nombreux établissements. Cela contribuerait à rasséréner le climat moral, social et politique en France. Il apparaîtrait – dans quelle proportion je ne sais pas – qu’une minorité d’établissements posent problème. Il faudrait alors clairement les identifier et connaître précisément  leurs difficultés.

A partir de là, on peut avoir une vraie politique volontariste avec de gros moyens -pas seulement au sens financier mais aussi ‘moral’ justement !-pour y apporter un remède. L’école porte toutes les misères du monde et elle n’a pas le pouvoir de les supprimer. Mais on y verrait plus clair. L’école est l’âme de la République et sur le plan de notre pacte politique, la République est l’âme de la France. Si notre école va mal, c’est l’ensemble de la communauté nationale qui va mal. Ce ne serait donc pas une dépense mal placée. »

Propos recueillis par Sarah Diffalah

(1) « Vers une laïcité d’intelligence en France ? L’enseignement des faits religieux en France comme politique publique d’éducation depuis les années 1980 », Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2014.

« Double défi pour l’école laïque : enseigner la morale et les faits religieux », Riveneuve éditions, 2014.

L’Institut européen en sciences des religions est une composante de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il a été créé après le rapport de Régis Debray en 2002 qui préconisait un pont entre le monde de la recherche universitaire et tous ceux qui ont besoin de formation sur le fait religieux, notamment dans l’administration publique. Ses fonctionnaires travaillent pour l’Education nationale, et sont donc en concertation avec le ministère, ainsi qu’avec la Direction générale de l’Enseignement scolaire, mais apportent la plus-value et l’indépendance universitaire et scientifique. L’Institut a été nommé par la ministre de l’Education pour participer à la formation des formateurs à la laïcité.

Publié le 04-02-2015 à 11h03

Pour en savoir plus : http://tempsreel.nouvelobs.com/