Après quelques années passées à écumer les scènes du monde au sein de la formation Les Chœurs de Cordoue, Souad Massi nous livre enfin un nouvel album qui fleure bon la musique arabo-andalouse. Bel hommage aux grands poètes arabes, « El Mutakallimûm » invite à plonger dans une culture à la richesse inestimable.
Saphirnews : « El Mutakallimûm », qui veut dire « les orateurs » en arabe, est votre 4e album studio. Pourquoi cet hommage aux poètes du monde arabe ?
Souad Massi : Quand je ne suis pas bien, je me réfugie dans la poésie. Cela me fait du bien de m’immerger dans une autre époque, de découvrir d’autres atmosphères. Cela me procure un sentiment d’apaisement : j’avais surtout envie de partager cela avec les gens. Je l’ai fait aussi parce que j’en avais assez que l’on nous associe à l’ignorance, à la sauvagerie et au terrorisme. Le plus grand médecins qui a inspiré tous les contemporains est Avicenne ; le plus grand mathématicien, qui a été l’inventeur de l’algorithme et de l’algèbre, est Al-Khârizmi. Les plus grands scientifiques d’Europe ont travaillé sur des œuvres de chercheurs arabes, idem pour les philosophes.
Contrairement à votre précédent album « Ô Houria », il n’y a pas de chansons en français dans celui-ci ?
Souad Massi : Au départ, je voulais travailler sur deux textes de Victor Hugo, j’avais aussi des poèmes kabyles. Puis j’ai décidé que je n’allais pas les mélanger, j’ai alors voulu faire un véritable album hommage à la poésie arabe et un album hommage à la poésie berbère. Ensuite je verrai…
Quand je compose, la musicalité me vient naturellement avec le texte, car je sais où je vais. Mais, pour El Mutakallimûm, cela n’a pas été le cas. Le plus difficile a été avec les anciens poèmes, car même si je lis l’arabe classique, je ne comprends pas l’arabe du VIIe siècle ! J’ai dû effectuer un travail de recherche (historique, linguistique) avec des spécialistes qui m’ont aidée à traduire ces textes et à les comprendre pour pouvoir ensuite faire le travail musical.
Vous êtes venue en France en 1999 pour un concert et y êtes restée…
Souad Massi : Oui, j’étais venue pour trois jours et on m’a fait une belle proposition. La plupart de jeunes rêvaient de ce pays ; moi, je ne pensais pas rester en France. Ce n’était pas un pays qui m’attirait, même si j’ai toujours adoré la langue française et sa culture. Je suis une grande fan de Victor Hugo, j’ai grandi avec ses textes. Mes parents francophones m’ont transmis cet amour de la poésie et de la culture française. Lorsqu’on m’a proposé de rester, j’en ai parlé avec ma famille, et ils m’ont dit : « Tente ta chance ! » car, à cette période, je pensais arrêter la chanson.
Vos parents étaient très attachés à la culture, à la musique. Pouvez-vous nous confier des souvenirs d’enfance ?
Souad Massi : J’ai grandi dans un quartier populaire d’Alger qui s’appelle Bologhine, sur les hauteurs d’Alger, en haut de Notre-Dame d’Afrique. Mes cousins jouaient tous les soirs des reprises d’El Hachemi Guerouabi, par exemple ; et moi, j’écoutais et j’ai grandi avec les sonorités des musiques chaabi. Mon père, lui, tous les soirs, faisait aussi tourner ses vinyles de musique chaabi ou de musique française. On écoutait beaucoup Jacques Brel.
C’est ce qui vous a donné envie de faire de la musique ?
Souad Massi : Non, pas du tout, cela m’est venu plus tard, vers 17 ou 18 ans. J’aimais la poésie, l’écriture, la lecture. Je rêvais de devenir metteur en scène ou réalisatrice, j’écrivais des scénarios. C’est seulement plus tard que je me suis mise à composer des chansons sans me rendre compte, puis j’ai commencé à chanter. J’ai fait une école technique, j’ai passé ma vie avec du ciment, du bâtiment, des calculs, des dosages… Lire et écrire étaient mon refuge. Je refusais tellement mon quotidien que j’avais besoin de m’évader.
C’est à cette période que vous avez intégré un groupe de hard rock. Un choix surprenant ?
Souad Massi : Je n’ai pas l’air comme ça, mais j’aimais bien [rires] ! J’ai fait partie du groupe Atakor, qui existe toujours, mais il y avait deux parties : l’une hard rock et l’autre rock, celle où j’intervenais. J’avoue avoir écouté un peu de hard rock, cela me faisait du bien. J’étais quelqu’un de très pudique, je n’osais pas m’exprimer, je n’osais pas dire non et c’est une musique qui m’a aidée. C’est sans doute pour cette raison que je comprends aujourd’hui certains jeunes qui ont choisi le gothique par exemple. Ce sont en réalité des jeunes qui sont gentils, instruits. Il ne faut pas cataloguer les gens ou avoir des a priori sur eux.
On trouve beaucoup de nostalgie dans votre musique, est-ce le mal du pays ?
Souad Massi : Je me sentais déjà décalée ou étrangère en Algérie. Quand je retournais à Alger, on m’appelait la Kabyle, on trouvait que j’étais démodée parce que je venais de Kabylie. Jeune, j’en ai souffert mais plus maintenant. Quand je suis venue en France, j’ai vécu doublement cette nostalgie. J’avais vécu dans une grande famille et je me retrouvais seule dans un studio. Cela me fait penser à mon grand-père qui était venu seul en France, a travaillé dans le bâtiment, dans les chemins de fer, a fait des petits boulots et est mort dans d’étranges circonstances. Il n’y a pas eu d’enquête. C’est source de traumatisme.
Quand j’ai fait Paris avec Marc Lavoine, je songeais à mon grand-père qui était perdu dans les rues de Paris et économisait pour envoyer au bled. Je pense aussi aux chibanis d’aujourd’hui qui vivent dans des chambres d’hôtel pourries qu’ils louent 500 € et d’où l’on veut les virer. Ils sont obligés de rester ici six mois de l’année pour toucher leurs retraites. Pourtant ils ont servi la France comme chair à canon : pourquoi n’y a-t-il pas de reconnaissance ? Ils méritent de vivre dignement.
Dans l’album El Mutakallimûm, je suis passée à autre chose, avec beaucoup moins de nostalgie. Les titres ici sont beaucoup plus philosophiques et plus politiques.
El Mutakallimûm, les plus beaux poèmes arabes chantés par Souad Massi
Née le 23 août 1972 à Alger, Souad Massi est issue d’une famille de six enfants où la musique a toujours occupé une place importante. Destinée à une carrière en urbanisme, elle entretient son amour pour la musique qui la pousse à arpenter les scènes algéroises jusqu’au jour où elle est invitée à se produire en France. Coup de foudre du public et des professionnels qui l’invitent à rester et à signer Raoui (2001), un premier album qui remporte un large succès. Souad Massi sortira par la suite Deb (2003), suivi de Mesk Elil (2005), qui remportera la Victoire du meilleur album de musiques du monde.
De retour avec El Mutakallimûm, la chanteuse nous offre aujourd’hui un véritable trésor musical, où elle nous invite à découvrir la grande poésie arabe à travers des œuvres d’Abou El Kacem El Chabi, d’Abou Madi et d’autres illustres poètes, sur des rythmes arabo-andalous, afro et flamenco.
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