Education : le long chemin de l’école musulmane

Encore très peu nombreux, ces établissements ont le vent en poupe. Ils rassurent une communauté en quête d’affirmation identitaire mais aussi de bons résultats scolaires. L’Etat doit-il les prendre dans son giron pour mieux les contrôler ?

Ecole-musulmane

Ouvert depuis 2009, le collège-lycée Ibn-Khaldoun, à Marseille, espère passer sous contrat à la rentrée. Ici, une classe de cinquième. France Keyser/Myop pour L’Express

Le silence règne dans la vaste salle ripolinée de blanc où l’odeur de peinture est encore prégnante. Les étagères parsemées de livres aux couvertures plastifiées sont prêtes à accueillir les ouvrages que le documentaliste déballe des cartons. « Ça commence à bien se remplir », se réjouit-il à voix basse, pour ne pas déranger la jeune fille qui révise ses leçons dans un coin de la salle.

« Ce qui marche le mieux, ce sont les mangas et la science-fiction. Mais nous avons aussi des livres sur l’islam et des contes en arabe d’un niveau accessible. » A l’heure du déjeuner, dans cet établissement privé musulman des quartiers nord de Marseille, les élèves se précipitent pour emprunter ou dévorer sur place les livres mis à leur disposition.

Embauché à mi-temps en septembre, le responsable du centre de documentation et d’information (CDI) constitue petit à petit une bibliothèque où se côtoient littératures contemporaine et classique. « Je ne m’interdis rien, même si certains parents ont été un peu choqués par L’Attrape-coeurs ou L’Herbe bleue. »

Orchestrée dans l’urgence, en deux mois, pendant l’été 2014, la création du CDI a été exigée par le rectorat, dans la foulée de son inspection. Supprimer l’issue de secours de la mosquée donnant sur le réfectoire, installer un point d’eau dans le laboratoire, réunir le conseil d’établissement trois fois par an et réorganiser l’emploi du temps en plaçant les cours optionnels – éducation musulmane – en début ou fin de journée…

Mohsen Ngazou, le directeur d’Ibn-Khaldoun, a appliqué ces recommandations à la lettre. Ces jours-ci, il attend avec fébrilité le verdict du ministère. Il espère décrocher enfin le fameux contrat. Une reconnaissance du travail accompli depuis 2009 et une bouffée d’oxygène pour le compte en banque d’Ibn-Khaldoun, dont une partie des professeurs seraient, dès lors, payés par l’Etat. Les pieds dans la glaise, il arpente avec enthousiasme le chantier inachevé de l’établissement et rêve aux futurs bâtiments, qui pourraient accueillir, à terme, près de 500 élèves.

7600 institutions catholiques et 250 écoles juives

S’il obtient le contrat d’association, Ibn-Khaldoun sera le quatrième établissement musulman de France à bénéficier du soutien de l’Etat. Un score sans comparaison avec les 7600 institutions catholiques et les 250 écoles juives. Pour être placé « sous contrat », un établissement doit se prévaloir d’une ancienneté de cinq ans et être jugé conforme par le rectorat. Il existerait actuellement en France une petite quarantaine d’écoles musulmanes et une cinquantaine en projet, dont une dizaine ouvriront dans deux ou trois ans.

A l’oeuvre depuis une dizaine d’années pour sortir l’enseignement musulman de la marginalité, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) passe aujourd’hui à la vitesse supérieure. Création de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (Fnem), lancement de formations, organisation, le 23 mai, des premières assises.

Faute de moyens, l'établissement marseillais n'est pas certain de pouvoir terminer ses travaux prochainement.
Faute de moyens, l’établissement marseillais n’est pas certain de pouvoir terminer ses travaux prochainement. France Keyser/Myop pour L’Express

« Nous souhaitons mutualiser nos expériences et accompagner les initiateurs de projets pour faciliter leurs démarches », expose Makhlouf Mamèche, qui cumule la présidence de la Fnem avec ses responsabilités de viceprésident de l’UOIF et de directeur adjoint du lycée Averroès (Nord). Pour Amar Lasfar, président de l’UOIF, après la focalisation sur la construction des mosquées, « l’ère de l’école est venue ». Plusieurs cadres de l’UOIF se trouvent aujourd’hui à la tête d’écoles musulmanes.

La tentation du privé

Au cours des deux dernières années, de nombreuses initiatives locales ont fleuri, à Carpentras, Nanterre, Toulouse, Halluin, Argenteuil, Nice ou Toulon, encouragées par une communauté inquiète et soucieuse de donner le meilleur à ses enfants. « Longtemps, les musulmans ont préféré fréquenter l’école publique, pour être dans la République. Les imams eux-mêmes les y encourageaient, analyse Bernard Godard, spécialiste de l’islam et auteur de La Question musulmane en France (1). Aujourd’hui, les aspirations de la classe moyenne ont évolué. »

La loi du 15 mars 2004 sur le port de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, puis la défiance générale à l’égard de l’école ont gonflé les départs des enfants de la communauté musulmane vers le privé. A Marseille, dans certains établissements catholiques, ils représenteraient 50% des effectifs. La demande d’ouverture d’écoles confessionnelles se fait plus pressante. Les polémiques sur l' »ABCD de l’égalité », l’an dernier, et les surenchères récentes du FN et de Nicolas Sarkozy sur la laïcité ou les « repas de substitution » font monter la tension d’un cran.

A Nanterre, l’association Orientation, qui ouvrira à la rentrée la première école musulmane des Hauts-de-Seine, a reçu 50 demandes d’inscription pour 20 places disponibles. A Grenoble, à la Plume, l’une des premières écoles élémentaires privées de confession musulmane, apparue en France il y a quatorze ans, la directrice a refusé 60 dossiers pour la rentrée de 2015. A Averroès, le célèbre établissement lillois, classé meilleur lycée de France en 2013 avec 100% de réussite au bac, les inscriptions sont closes depuis décembre.

Dans son bureau donnant sur le parking du RER, entre deux vrombissements de train, Mahmoud Awad, président du collège-lycée Education et savoir, situé à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et créé en 2008, se confie. Lui aussi attend avec impatience, pour ces jours-ci, la réponse du rectorat à sa demande de passage sous contrat. Surtout pour soulager la situation financière ultratendue de l’association.

« Une équipe d’inspecteurs de l’Education nationale a passé deux jours chez nous l’an dernier et elle est revenue cette année. Comme demandé, nous avons loué une salle supplémentaire pour le réfectoire, afin d’y faire déjeuner nos 117 élèves », rapporte, dans un soupir, cet ingénieur, délégué régional de l’UOIF, en désignant le tableau de financement de l’établissement affiché sur le mur.

Leurs cartes maîtresses : élitisme et excellence

Visage ouvert et attitude bon enfant, les élèves de seconde de ce lycée, réquisitionnés par la direction pour répondre à nos questions, expriment leur satisfaction. Sonia (2), 17 ans, se destine aux études de médecine : « J’aurais pu aller chez les cathos. Mais ici, à 13 par classe, on apprend vraiment bien. En prime, on peut faire nos prières. » Sidi (2) fréquente Education et savoir depuis la classe de sixième et supporte une heure de trajet pour venir jusqu’à Vitry : « Plusieurs amis m’en avaient parlé. J’ai essayé et je n’ai plus voulu changer. Les profs nous encouragent beaucoup. Et ils nous apportent une aide individuelle. On peut même leur envoyer des e-mails. »

Amelle Bekri enseigne le français à Vitry depuis deux ans à raison de dix-sept heures par semaine. Cette jeune femme, qui porte le voile, suit scrupuleusement le programme de l’Education nationale. « Les enfants bénéficient d’un soutien scolaire en maths et en français, précise-t-elle. Les résultats sont excellents. Bon nombre de nos anciens élèves sont aujourd’hui dans des grandes écoles. »

Comme Ibn-Khaldoun ou Education et savoir, les établissements désireux de passer au plus vite sous contrat évitent de trop mettre en avant les salles de prière à la disposition des élèves ou les cours d’éthique musulmane. Lesquels, généralement optionnels, sont cependant la plupart du temps suivis avec assiduité. Vis-à-vis de l’Etat comme des parents, ces écoles brandissent une carte maîtresse : élitisme et excellence. Mais… la recette ne fonctionne pas si facilement.

A Décines, dans la banlieue lyonnaise, le groupe scolaire Al Kindi, devenu le plus grand établissement musulman de France, a longuement bataillé avec le rectorat, il y a quelques années, lorsque celui-ci s’est opposé à trois reprises à son ouverture, invoquant des raisons d’hygiène et de sécurité. Perçue comme une croisade anti-islam, l’opposition du recteur de l’époque, Alain Morvan, avait mobilisé la communauté musulmane. Si la médiatisation du conflit a finalement levé les obstacles, Al Kindi n’a toujours pas obtenu la possibilité de passer toutes ses classes sous contrat.

A Montigny-le-Bretonneux, dans les Yvelines, Slimane Bousanna peine, lui aussi, à décrocher le contrat d’association. « Je comprends que l’émergence de ces écoles puisse crisper. Mais, contrairement à d’autres, nous ne sommes pas l’émanation d’une mosquée. De plus, nous avons fait revenir sur les bancs de l’école des enfants scola risés à la maison ! »

A Halluin (Nord), à la même adresse que la mosquée, un projet d’école élémentaire qui prévoit d’accueillir 110 élèves suscite l’inquiétude du maire, Gustave Dassonville (UMP). Pour l’heure, l’élu refuse de délivrer une autorisation d’ouverture, signalant l’absence de cour de récréation et de signa létique pour les sanitaires. Un prétexte ? « C’est un dossier complexe qui pourrait devenir explosif si l’on n’y prend pas garde », s’alarme-t-il. Lors des journées portes ouvertes, l’école aurait recueilli près de 90 inscriptions. « Mais la plupart ne viennent pas d’Halluin et 95% des habitants sont vent debout contre ce projet », assure le premier magistrat de la ville, qui craint, sans en avoir la preuve, un entrisme de l’islam radical.

L’origine des fonds suscite la méfiance

« Il existe une forme de suspicion à l’égard des établissements musulmans, constate l’ancien recteur Bernard Toulemonde. Mais ceux qui demandent à passer sous contrat ne sont pas tenus par des salafistes ! » « L’attitude de certaines écoles nous cause du tort », reconnaît le président de la Fnem, offusqué, par exemple, qu’à l’école primaire Hanned, à Argenteuil, les petites filles portent le foulard. « A Roubaix, à l’école Arc-en-ciel, ils ont refusé de nous recevoir car nous sommes des hommes », explique-t-il encore.

Autre sujet qui suscite la méfiance : l’origine des fonds. Officiellement, ils proviennent uniquement de collectes dans les mosquées ou de dons. Mais l’opacité due à l’anonymat – justifié au nom du Coran – ne permet pas de vérifier si les écoles ne sont pas en partie financées par des pays étrangers.

En cet après-midi ensoleillé d’avril, Mme S., professeur de français au collège Ibn-Khaldoun, a tiré les rideaux pour passer des diapositives. Après avoir travaillé dans un établissement privé de confession juive, cette jeune femme en jean enseigne ici depuis deux ans. Au programme de ce lundi, pour cette classe de seconde, l’étude des figures de style. Anaphore, litote, gradation, hyperbole… chacune est illustrée par une photo projetée sur le mur. Assis côte à côte, les jeunes filles (voilées ou pas) et les garçons tentent de trouver les définitions correspondantes.

La classe est calme, les élèves chuchotent pour communiquer entre eux. L’ambiance est studieuse. Lorsque apparaît, seins nus, le personnage principal du tableau d’Eugène Delacroix La Liberté guidant le peuple, la classe ne moufte pas. Ailleurs, l’image aurait immanquablement provoqué quelques ricanements, travers d’adolescents en pleine puberté. « La rigueur et la discipline sont les marques de fabrique d’Ibn-Khaldoun, relève Abdallah Tizeggaghin, père d’un garçon en classe de seconde. En plus d’assurer la scolarité, on y forme de bons citoyens qui connaîtront leur culture d’origine. Des enfants qui ne seront pas récupérés par des manipulateurs », assure-t-il.

L’accusation de communautarisme menace

Quête de sécurité ou repli identitaire ? Selon le chercheur Samir Amghar, coordonnateur d’une étude sur l’enseignement musulman (3), l’ambition de l’UOIF relève du prosélytisme : le mouvement souhaite « mettre en oeuvre les moyens en vue de faire perdurer l’identité religieuse dans les communautés immigrées musulmanes ». D’après cette enquête, l’objectif de ces écoles est aussi de former une élite susceptible de fournir des cadres à la communauté musulmane. D’où une sélection drastique fondée sur les résultats scolaires et le comportement.

La polémique qui, en début d’année, a ébranlé le lycée Averroès, mis en accusation par un professeur de philosophie stigmatisant des dérives antisémites de certains élèves, a souligné les lignes de faille d’un modèle encore fragile. « Il faut clarifier la place du religieux dans l’établissement », exigent les inspecteurs de l’Education nationale qui n’ont pas trouvé d’autres reproches à formuler à l’issue de leur mission effectuée en février. « Nous allons réactiver le conseil pédagogique, mettre en place plusieurs instances, comme une commission ‘Vie citoyenne’ et une cellule de veille », détaille le directeur d’Averroès, Hassan Oufker.

Le travail déjà entamé a permis de faire remonter des informations utiles : « Nous avons appris que certains professeurs félicitaient les élèves en arabe sur leur copie ou acceptaient de séparer les filles et les garçons lorsque ceux-ci en faisaient la demande. Or c’est totalement étranger à nos principes », assure-t-il, reconnaissant tout de même que la mixité n’est pas pratiquée lors des cours de gymnastique.

Faut-il donc encourager l’essor des écoles musulmanes ? Le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem s’interroge. Passer un contrat avec les établissements est clairement la meilleure façon de contrôler leur fonctionnement. Mais l’accusation de communautarisme menace et n’épargne pas une ministre souvent attaquée sur ses origines par les extrémistes. A l’heure où la République peine à panser ses plaies de l’après-Charlie, le gouvernement marche sur une ligne de crête. D’autant que, au sein du PS, le sujet fait des vagues. Alors, tandis qu’ils attendent la décision du ministère concernant leur passage ou non sous contrat, les dirigeants des écoles musulmanes n’ont d’autre solution que de multiplier les collectes auprès des mosquées et des mystérieux bienfaiteurs anonymes.

De la gauche à la droite, l’embarras

« C’est la seule communauté qui ne soit pas représentée à sa juste valeur »: Samia Ghali, sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône, est à fond pour le développement des écoles privées musulmanes. « Plus on frustre les gens, plus on encourage la radicalité », avance-t-elle.

Au PS, le sujet est explosif. Les divergences sont apparues lors d’un communiqué de presse du secrétaire national à la laïcité et aux institutions, publié en février et prenant position en faveur du développement d’écoles musulmanes. Plusieurs membres de cette commission se sont aussitôt désolidarisés du secrétaire national : encourager ces écoles constituerait un coup de canif au principe de laïcité.

Lors d’un bureau national, le 21 avril, la question de l’enseignement confessionnel musulman a été soigneusement évitée afin de refermer le couvercle sur les dissensions. A l’UMP, en attendant la journée de réflexion consacrée à l’islam au mois de juin, on se tient à un silence prudent. Pas question, surtout, de rappeler cette phrase récente de Nicolas Sarkozy sur TF 1 : « Si vous voulez que vos enfants aient des habitudes alimentaires confessionnelles, allez dans un établissement privé. »

(1) La Question musulmane en France, par Bernard Godard (éd. Fayard).

(2) Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat.

 (3) « L’enseignement de l’islam dans les écoles coraniques, les institutions de formation islamique et les écoles privées », IISMM-EHESS, juillet 2010.

Pour en savoir plus : http://www.lexpress.fr

Laïcité, la France en plein doute

Une proposition de loi visant à étendre le devoir de neutralité des fonctionnaires aux éducateurs du secteur privé relance les polémiques sur le sens de la laïcité républicaine.

 TroisReligionsMono

Guillaume BONNEFONT/IP3/Julian Kumar/GODONG/Leemage/Philippe Lissac/Godong/Leemage

Dans une société marquée à la fois par une forte sécularisation et la présence nouvelle de l’islam, la laïcité est devenue une question identitaire.

L’opération déminage lancée le 9 mars par l’Élysée a provisoirement éloigné la menace. La proposition de loi des radicaux de gauche pour instaurer la neutralité religieuse dans les structures éducatives privées subventionnées ne sera pas débattue jeudi 11 mars. Le sujet, à la veille des élections départementales, était socialement explosif et risquait d’ébranler la majorité. Le chef des députés radicaux, Roger-Gérard Schwartzenberg, a in extremis accepté de retirer le texte. Mais il dit avoir obtenu en contrepartie l’engagement qu’il sera examiné en mai et que le groupe socialiste y apportera « un vote positif ».

La bataille est repoussée, elle n’en sera pas moins violente. Car cette proposition de loi, votée au Sénat en 2012 dans le contexte de l’affaire Baby-Loup, a provoqué une tempête de protestations. Mardi 10 mars au soir, Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France, a exprimé la « très vive inquiétude »de ses pairs, qui voient dans ce texte de loi « l’inspiration manifeste d’une méfiance vis-à-vis des religions dont il faudrait protéger les mineurs ». Reçus début mars par l’Observatoire de la laïcité, les cultes protestant et juif ont également critiqué l’initiative. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) fustige pour sa part une « politique d’intolérance ».

C’est surtout le coup de colère de Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité et proche du chef de l’État, qui révèle l’ampleur de la polémique. « Il s’agit d’un dévoiement de la laïcité dans une version intégriste, punitive et, même si ses promoteurs s’en défendent, anti-musulmane, anti-religions », assène l’ancien député socialiste, qui insiste sur la fragilité juridique de l’entreprise.

Le débat de la laïcité déporté vers les questions de l’expression religieuse

Comment expliquer qu’une fois encore se réveillent des passions françaises que l’on croyait apaisées ? Au fond, ce n’est plus vraiment la vieille question des cultes et de leurs relations avec les institutions républicaines qui nourrit le problème. Ces vingt dernières années, les choses se sont même plutôt arrangées. En 1995, arrivé à Matignon, Lionel Jospin avait instauré des rendez-vous réguliers avec les cultes, une pratique qui s’est, depuis, maintenue. Nicolas Sarkozy a installé le CFCM en 2003. Quant à la jurisprudence administrative, elle a livré ces dernières années une lecture accommodante du principe de séparation pour permettre le soutien des collectivités locales à des associations cultuelles.

Les polémiques sur la laïcité se sont en fait déportées sur un autre terrain, celui de l’expression religieuse. Un phénomène très bien analysé par le juriste Vincent Valentin (1) qui voit, derrière l’affaire Baby-Loup, la volonté de certains « d’imposer une nouvelle laïcité ».

Professeur à Sciences-Po Rennes, il observe chez nos contemporains – acteurs de terrain, élus politiques, intellectuels – « une déception face aux promesses de la modernité, qui signifiait pour eux l’effacement progressif du religieux. Son retour signe pour eux l’échec de la sécularisation. D’où la volonté d’étendre des obligations de neutralité aux personnes privées. »Mardi 10, dans son communiqué, Mgr Pontier ne faisait pas une autre analyse. Il dénonçait une entreprise visant à cacher les religions « en les faisant disparaître progressivement de tout lieu de vie sociale. » Alors que la loi de 1905 était un texte d’inspiration libérale, il s’agirait désormais de« promouvoir une société vidée de toute référence religieuse », insistait-il.

Une demande de neutralité religieuse de plus en plus extensive

Si l’ensemble des croyances peuvent se sentir concernées, il est clair que c’est l’islam qui fait l’actualité depuis vingt-cinq ans, depuis l’affaire des foulards de Creil en 1989. Le voile est devenu le symbole de la nouvelle question laïque. En 2003, rappelle Vincent Valentin, le député UMP François Baroin remettait à Jacques Chirac un rapport dans lequel « il opposait la logique de la laïcité à celle, individualiste, des droits de l’homme. La laïcité n’est alors plus seulement un principe juridique, mais une manière d’être de la société française. Elle est devenue un marqueur de l’identité française au nom duquel on peut imposer aux personnes d’être neutres ».

Certes, la loi sur les signes religieux de 2002 a été adoptée grâce à un consensus politique sur la nécessaire sanctuarisation de l’école, mais de multiples autres tentatives ont trouvé leurs limites. Fer de lance de cette « nouvelle laïcité », l’ancien Haut conseil à l’intégration avait ainsi proposé de limiter l’expression religieuse sur la voie publique !

Le Grand Orient de France a publié en décembre dernier 25 propositions, parmi lesquelles la prohibition des signes religieux dans l’enseignement supérieur. En mars 2013, le député UMP Éric Ciotti déposait une proposition de loi visant à limiter l’expression religieuse dans le monde de l’entreprise. D’autres encore veulent imposer un devoir de neutralité aux usagers des services publics…

Des familles politiques divisées sur la question

Toutes ces tentatives provoquent de fortes divisions. À droite, où des personnalités comme Alain Juppé s’y montrent très hostiles. Mais surtout à gauche, où s’opposent frontalement deux conceptions. Certains, comme Manuel Valls, donnent la priorité à la lutte contre les communautarismes dans les quartiers, le voile étant selon eux l’instrument d’un islam politique. À l’opposé, une autre partie de la gauche refuse toute stigmatisation des musulmans, quitte à nier la réalité des ratés de l’intégration.

 

Un débat qui a gagné en intensité depuis les attentats de janvier et les prétentions du Front national à se présenter, pour les élections, comme le héraut de la laïcité. « Il y a comme un vent de panique », observe Vincent Valentin. Tenter de faire retomber la tension sera certainement l’une priorité de l’Élysée après les départementales, François Hollande ayant toujours défendu une conception pragmatique de la place des religions dans une société devenue, que l’on s’en réjouisse ou non, multiculturelle.

BERNARD GORCE

(1) Auteur avec Stéphanie Hennette Vauchez de « l’affaire Baby Loup ou la nouvelle laïcité », Ed. LGDJ 2014. 115 p., 17 €
Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com

Laïcité et enseignement des faits religieux : où en est-on ?

Deux spécialistes font le point avec nous sur cette question, plus que jamais d’actualité.

Fotolia

L’attentat contre Charlie Hebdo et les quelques cas de perturbations de la minute de silence par des élèves ont soulevé beaucoup de questions sur la laïcité et ravivent le débat sur l’enseignement des faits religieux à l’école. Alors que la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, « mobilise » l’école autour des valeurs républicaines et cherche à revaloriser les cours d’éducation morale et civique, un rapport des sénateurs Esther Benbassa (EELV) et Jean-René Lecerf (UMP), adopté en novembre 2014 par le Sénat, soulevait déjà la question de cet enseignement pour lutter contre les discriminations. L’une des mesures était l’enseignement du fait religieux au cours de la scolarité, en dispensant la formation nécessaire aux enseignants. « On voit ici poindre deux questions distinctes quoique complémentaires, explique Philippe Gaudin, directeur adjoint de l’Institut européen en sciences des religions (IESR) : la formation autour de la laïcité et l’enseignement des faits religieux. »

La laïcité aujourd’hui à l’école

« Jusqu’à présent, poursuit Philippe Gaudin, la formation sur la laïcité à l’école se faisait dans le cadre de l’éducation civique au collège, et de l’ECJS (éducation civique juridique et sociale) au lycée. Le grand projet de réforme en cours sur la laïcité propose, à terme, un enseignement moral et civique, de la Primaire à la Terminale. » Une pédagogie autour de la laïcité est aussi mise en place par le ministère de l’Education nationale, coordonnée par Abdenmour Bidar, chargé de mission et membre de l’Observatoire national de la laïcité . Cette pédagogie s’appuie notamment sur la Charte de la laïcité  : « C’est une bonne chose mais cette charte n’a pas de valeur juridique ou contraignante, il est donc nécessaire de former les enseignants pour mieux transmettre ses messages », souligne Charles Coutel, directeur de l’Institut d’étude des faits religieux (IEFR), rattaché à l’université d’Artois et travaillant en collaboration étroite avec l’IESR.

 

L’enseignement des faits religieux

En France, contrairement aux autres pays européens,« l’enseignement des faits religieux se fait dans le cadre des disciplines existantes : l’Histoire, les Lettres, la Philosophie… »,reprend Charles Coutel. Le rapport du philosophe Régis Debray, en 2002, sur l’enseignement du fait religieux à l’école a jeté les bases d’un redéploiement de cet enseignement. Le philosophe en précisait le but : non pas « remettre Dieu à l’école » mais « décrisper, dépassionner, et même (…) banaliser le sujet, sans lui enlever, tout au contraire, sa dignité intrinsèque ».

Une formation continue peut exister dans le plan de formation des enseignants, ainsi qu’une formation initiale sur ces questions dans les ESPE, mais « c’est encore trop peu car l’enseignement civique et moral et celui sur les faits religieux sont interdépendants,poursuit Charles Coutel. Le combat laïc n’est pas un combat contre les religions mais contre les fanatismes. Il faudrait donc, en formation initiale, deux modules de 15 heures : l’un sur la pédagogie de la laïcité, l’autre sur une initiation à l’éducation aux faits religieux. »

Philippe Gaudin explique d’ailleurs que l’IESR a été créé en 2003, à la suite du rapport Debray, pour participer à la formation initiale et continue des enseignants et des formateurs, et réfléchir au contenu des enseignements.

La laïcité n’est pas une démarche antireligieuse

Beaucoup de choses ont donc été faites jusqu’ici, mais « de façon discontinue, avec un certain manque d’homogénéité sur le territoire et peut-être aussi d’intensité dans les programmes », souligne Philippe Gaudin. Le temps de l’action est venu et on peut parler de façon laïque de la « matière » religieuse. « On vit dans une société sécularisée et laïcisée, mais où les religions s’expriment de plus en plus et avec un pluralisme religieux qui n’existait pas en 1905 (date de la séparation de l’Eglise et de l’État.) », rappelle-t-il. Ce à quoi souscrit Charles Coutel : « L’enseignement des faits religieux peut se faire par la controverse : parler des guerres de religions pour évoquer le catholicisme et le protestantisme, évoquer l’islam en expliquant la différence entre chiisme et sunnisme, ne pas parler de taoïsme sans évoquer le confucianisme… » Les événements de ces derniers jours pourraient marquer une prise de conscience sur ces questions.

Aurélien Coustillac

 

Pour en savoir plus : http://www.vousnousils.fr

  • Le défi de l’enseignement des faits religieux à l’école, réponses européennes et québécoises, Jean-Paul Willaime. Riveneuve éditions, 2014, 358 p.
  • Double défi pour l’école laïque : enseigner la morale et les faits religieux, Isabelle Saint-Martin et Philippe Gaudin, avec la participation notamment de Charles Coutel. Riveneuve éditions, 2013, 204 p.
  • L’enseignement des faits religieux France – Espagne – Irlande – Écosse.Préface et conclusion par Charles Coutel. Artois Presses Université, 2014, 157 p.
  • Vers une laïcité d’intelligence en France ? L’enseignement des faits religieux en France comme politique publique d’éducation depuis les années 1980, Philippe Gaudin, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2014.

Religion vs laïcité : la guerre des crèches n’aura pas lieu à Aix

Crèche-Mairie

Si les crèches sont bannies de certains lieux publics, certains santonniers aixois ne rechignent pas à proposer une mairie à côté de la grotte ou de l’étable. Photo Edouard Coulot

Attention, sujet explosif juste avant la trêve des confiseurs : faut-il faire une croix sur les crèches dans les lieux publics ? La libre-pensée s’est lancée dans une croisade rejaillissant sur le front politique. Gauche et droite, y compris dans le même camp, s’écharpent sur l’autel de la laïcité.

Et même l’Église de France, face à l’ampleur de la polémique, a dû prôner l’apaisement en affirmant que la crèche touche « la population d’un point de vue affectif bien plus large que sa signification religieuse ». « Le jour où notre société n’aura plus que la crèche à craindre est loin de se lever », a ironisé son porte-parole, Mgr Bernard Podvin. Société, d’ailleurs, qui fête de plus en plus ostensiblement Halloween, y compris dans les édifices publics…

Jusqu’ici, à Aix, on ne s’était pas vraiment posé la question de savoir si « la dimension culturelle et universelle des crèches transcendait ses origines chrétiennes ». Économie, patrimoine et tradition, sur fond de religion, cohabitent sans heurt. Et les élus aixois sont au côté des hommes d’église lors de la bénédiction des calissons, ainsi que de la foire aux santons, sans que la libre-pensée y voie de mauvaises intentions…

« La France est un pays judéo-chrétien »

Mais face à la menace qui guette le santon depuis la décision du tribunal administratif de Nantes, ordonnant le retrait d’une crèche installée dans le conseil général de Vendée, les santonniers sont montés au front.

Avec en chef de file, la Maison Fouque appelant « au soutien et à la défense de la tradition provençale », dans un communiqué. « Le respect de la laïcité n’est pas l’abandon de toutes nos traditions et la coupure avec nos racines culturelles, s’insurge la Maison Fouque. L’argument culturel de la crèche est particulièrement valide pour la crèche provençale, car celle-ci ne se limite pas à une pratique religieuse mais beaucoup plus généralement à une tradition provençale. »

« La France est un pays judéo-chrétien, martèle, à son tour, le maire UMP, Maryse Joissains qui arbore, n’en déplaise, une croix autour du cou « depuis toujours ». « Donc, nous avons des traditions et une histoire. Et la crèche fait partie de l’Histoire de France. Quant à moi, je suis catholique et je l’assume. » D’ailleurs, si le Petit Jésus n’a jamais été installé en mairie, il a toujours eu droit à l’office de tourisme. Sauf cette année pour cause de déménagement. « Mais j’y veillerai pour l’an prochain », affirme-t-elle.

Christian Kert dénonce « les Ayatollahs de la laïcité » 

Sur son blog, le député UMP Christian Kert dénonce « les Ayatollahs de la laïcité » et Bruno Genzana, conseiller général UDI, rappelle obtenir « depuis vingt ans des concerts de Noël dans son canton ». Cette année, l’élu invitait même les adeptes à venir écouter « Minuit chrétien » ou « Il est né le divin enfant » en l’église Saint-Jean-de-Malte, le 7 décembre dernier…

La libre-pensée a-t-elle fermé les yeux ou est-elle mal informée ? Quand se penchera-t-elle sur le décolleté de Maryse Joissains, les calissons bénis à Aix (et les navettes à Marseille), la messe des gendarmes pour honorer « leur patronne » Geneviève, les 15 août et 25 décembre notamment imposés en jours fériés aux agents publics, la messe du dimanche diffusée sur le service public… ? Peut-être même que les libres-penseurs vont désormais imposer une nouvelle façon de compter le temps…

Prendre la naissance de Jésus-Christ comme point de départ ne va-t-il pas à l’encontre du « sacro-saint principe de laïcité » ? Qui sait si un jour le Conseil d’État ne sera pas saisi de cette question cruciale…

Pour en savoir plus : http://www.laprovence.com

Vivre dans une société plurielle

EstherBenbassa

Le titre de cette table ronde interroge l’universitaire que je suis restée et la politicienne que je suis devenue. Ainsi suis-je entrée de plain pied dans un univers où les mots semblent changer de connotations en fonction de la perception qu’en ont les différentes sensibilités politiques. En France, où on a l’habitude depuis l’affaire Dreyfus de diviser l’espace politique entre droite et gauche, ces connotations varient à l’intérieur même de la gauche, qui ne donne d’ailleurs pas le même sens à ces concepts quand elle est au pouvoir ou dans l’opposition. Et il suffit bien souvent de dire « minorités » et « diversité » religieuse pour que de vagues slogans républicains soient immédiatement brandis pour occulter ce que ces mots veulent dire. Puisque la République est égalitaire, il n’y aurait pas, à ses yeux, de minorités, et la diversité religieuse n’y serait éventuellement tolérée que tant qu’elle reste confinée à l’espace privé, la « laïcité », dernière valeur rassembleuse encore en vie, étant mise en exergue pour verrouiller le débat public.

Les discriminations perdurent

Certes, la société française est une société plurielle, ne serait-ce que par sa composition, comme bien d’autres sociétés démocratiques. Est-elle pour autant pluraliste? Cette question reste au cœur du débat, surtout en cette période de grandes turbulences économiques et de chômage, qui porte les politiciens, à défaut de programme susceptible d’endiguer ces maux, à se focaliser sur « la question des minorités ». Des minorités qui, en fait, la plupart du temps, ne devraient pas être réduites à ce statut, puisque désormais constituées de personnes nées en France et parfaitement françaises, mais qui, en raison des discriminations qu’elles subissent à cause de leur prénoms, patronymes, couleur de peau, religion (islam) et/ou adresse, dans maints domaines, de l’école jusqu’à l’emploi, en passant par le logement ou le contrôle d’identité au faciès, se considèrent elles-mêmes comme « minoritaires ». Les pouvoirs publics, de leur côté, tendent à valider et à renforcer ce statut de « minoritaires ».

Le vrai problème des « minorités » est d’être perçues comme non « autochtones ». Le nationalisme exacerbé qui se développe, dans un contexte socio-économique dur, renforce le rejet. Et il encourage les politiciens à faire mine de ne pas voir que ce rejet est lourd de conséquences. On ne commence à en prendre conscience que lorsque de jeunes musulmans s’enrôlent dans le djihadisme. Mais même dans ce cas, on préfère produire des lois exclusivement répressives, sans se donner la peine de travailler en amont, pour éviter à ces jeunes de devenir étrangers à une République dont les valeurs leur parlent de moins en moins.

Notre pays rechigne à mesurer les discriminations par crainte d' »assigner » les individus à une identité de groupe et de favoriser le « communautarisme », cet épouvantail ressorti régulièrement de sa boîte pour faire peur. Ce faisant, il s’évite de reconnaître que l’absence d’efforts consentis pour faire émerger une société réellement inclusive a déjà encouragé le repli des musulmans, notamment, sur leur groupe religieux, et ouvert la voie à l’endoctrinement de certains par des éléments qu’on n’a pas su repérer à temps. Que dire des dégâts observés dès l’école, où l’échec des enfants de minoritaires paraît programmé? Ou encore du chômage, de la précarité et de la pauvreté qui frappent tant d’entre eux, à un niveau évidemment supérieur aux Français dits « autochtones »?

Les solutions de la discrimination positive

Il est plus urgent que jamais de se résoudre à obtenir une radiographie de ces discriminations, pour tenter de mettre en œuvre les moyens d’en amortir les effets. Mesurer les obstacles, préciser leur nature permettra de déployer des mesures pour les combattre efficacement. Y compris la « discrimination positive », laquelle suscite immédiatement des débats virulents, à tort, et à laquelle on oppose trop facilement le principe républicain d’égalité. Comme si la réaffirmation incantatoire de ce principe était un remède miraculeux, alors qu’il n’est qu’un principe, justement, dont ne se prévalent, justement, que ceux qui ne subissent pas les discriminations. Si la discrimination positive n’est pas une panacée, ne peut-on au moins admettre qu’elle est en mesure de débloquer, dans un premier temps, pour certains, l’ascenseur social ? La discrimination positive, légalement décrétée pour bousculer l’inégalité dont pâtissent les femmes, n’a-t-elle pas permis d’obtenir quelques résultats appréciables ?

Statistiques ethniques, discrimination positive, on dirait que la polémique ne sert qu’à empêcher le débat. J’en ai encore récemment fait l’expérience en rédigeant, pour la Commission des Lois du Sénat, avec mon collègue UMP Jean-René Lecerf, après une quarantaine d’heures d’auditions dont celles de 14 universitaires, un rapport relatif à la lutte contre les discriminations qui, parmi une bonne dizaine d’autres, formulait une proposition pourtant bien modeste: la création, tous les cinq ans, dans le recensement, d’une case permettant d’indiquer le lieu de naissance des ascendants et la nationalité antérieure. Le but? Non seulement mesurer la diversité de la société française, mais aussi mesurer indirectement les discriminations dont pâtissent certains de nos concitoyens, tout en encadrant avec soin le recueil et l’utilisation les données.

Nous avons également appelé à la création de carrés musulmans dans les cimetières à l’instar des carrés juifs déjà existants pour éviter aux familles de défunts musulmans d’avoir à procéder à des dépenses importantes pour inhumer leurs proches dans le pays d’origine. L’opposition qu’a soulevée cette préconisation a une fois de plus montré combien notre corps politique reste réticent au pluralisme religieux, et à l’inclusion des musulmans, même morts. Seule notre proposition d’un approfondissement et d’une réorganisation de l’enseignement laïc du fait religieux a suscité une polémique comparable au Sénat. Et pourtant, l’apprentissage de la diversité, à travers l’acquisition, dans un cadre républicain, d’un vrai savoir, n’ouvre-t-il pas la voie à un réel vivre-ensemble ? Notre rapport a finalement été voté, mais après un long et houleux débat, et après, dans un premier temps, un report du vote, ce qui est tout à fait exceptionnel à la Haute Assemblée.

L’urgence du pluralisme

En cette période de radicalisation des positions exclusivistes, l’Etat doit donner l’exemple, appeler à l’inclusion, sans exiger a priori l’effacement pur et simple des différences et spécificités. Dès lors que nous vivons déjà dans une société plurielle, lancer une dynamique pluraliste volontariste, contre le rejet de l’autre que fabriquent certaines forces politiques, qui ont de surcroît le vent en poupe, aiderait sans nul doute à créer les conditions d’une plus grande solidarité et fraternité entre les Français.

Notons à ce propos qu’aujourd’hui, dans certaines strates de la société, ainsi parmi les jeunes, la question du pluralisme se pose avec beaucoup moins d’acuité que chez les aînés, simplement parce que celui-ci fait très tôt partie de leur vécu, grâce à une proximité bien plus grande dans leur quotidien avec les minorités dites « visibles ». Le pluralisme comme projet politique ne se décrète pas du jour au lendemain. Il demande de la volonté et du temps. Et une préparation du terrain à laquelle, hélas, ni notre exécutif ni les politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, ne paraissent prêts, tant la hantise des progrès de l’extrême droite paralyse leur action.

 

Pour en savoir plus : http://www.huffingtonpost.fr

 

Bibl. : E. Benbassa, La République face à ses minorités. Les Juifs hier, les Musulmans aujourd’hui, Paris, Mille et Une Nuits / Fayard, 2004 ; E. Benbassa (dir.), Minorités visibles en politique, Paris, CNRS Editions, 2011 ; J.-C. Attias & E. Benbassa (dir.), Encyclopédie des religions, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 2012.

Esther Benbassa est intervenu mardi 25 novembre dans le cadre de la conférence intitulée « Vivre dans une société plurielle : politique, minorités et diversité religieuse. »

Découvrir l’ensemble des textes du festival Mode d’emploi déjà publiés sur le Huffington Post.

Deux semaines de rencontres et de spectacles ouverts à tous, dans toute la Région Rhône-Alpes: interroger le monde d’aujourd’hui avec des penseurs, des chercheurs, des acteurs de la vie publique et des artistes.

– Prendre le temps des questions
– Accepter la confrontation
– Imaginer des solutions
– Trouver le mode d’emploi

Mode d’emploi, un festival des idées, est organisé par la Villa Gillet en coréalisation avec les Subsistances, avec le soutien du Centre national du livre, de la Région Rhône-Alpes et du Grand Lyon.

2014-10-14-<br /><br /><br /><br />
villagilletbanniere2.jpg

 

Faut-il renforcer l’enseignement du fait religieux à l’école ?

ecole-salle-de-classe-1280

POLÉMIQUE – C’est ce que proposent les deux sénateurs Esther Benbassa et Jean-René Lecerf.

A peine dévoilé, le rapport fait déjà couler beaucoup d’encre. La sénatrice EELV Esther Benbassa et son collègue de l’UMP Jean-René Lecerf préconisent plusieurs mesures pour renforcer la lutte contre les discriminations. Parmi elles, deux propositions sont particulièrement controversées : le renforcement de l’enseignement du fait religieux à l’école et la mise en place de statistiques ethniques. Le texte a été adoptée mercredi par la commission des lois du Sénat.

Renforcer l’enseignement du fait religieux à l’école

Le rapport préconise de renforcer l’enseignement du fait religieux à l’école. Une proposition qui a donné lieu à de rudes débats au Sénat », confie Esther Benbassa au Figaro. Aujourd’hui, l’enseignement du fait religieux est inscrit dans les programmes de sixième et de cinquième, en histoire. Les deux sénateurs proposent que le fait religieux soit enseigné dès l’école primaire. « On ne voulait pas un enseignement sur la spiritualité, mais, simplement, que dès le primaire, on apprenne ce qu’est le judaïsme, le nom des saints, ce qu’ont dit les prophètes, etc. Sinon des jeunes peuvent faire leurs propres recherches sur Internet. Moi qui fais partie d’une commission d’enquête sur le djihadisme, je préférerais que l’on traite le problème en amont… », souligne la sénatrice écologiste.

L’autorisation de statistiques ethniques

Les deux sénateurs proposent que, lors d’un recensement, « tous les cinq ans, une question sur le pays de naissance des ascendants et la nationalité antérieure » soit posée, afin de mieux mesurer l’ampleur des discriminations. « Cela permettrait, par exemple, à ces employeurs qui ont embauché 99 % de Blancs, de se rendre compte qu’il y a 15 % de Maghrébins dans leur bassin d’emploi », assure au Figaro le parlementaire Jean-René Lecerf, qui se dit même « d’accord pour aller au-delà, dès lors que cela ne débouche pas sur un fichage ethnique ».

Des carrés musulmans dans les cimetières

Enfin, les parlementaires recommandent de développer les carrés musulmans dans les cimetières. Aujourd’hui, « 80 % de nos compatriotes musulmans font en sorte que leur dépouille mortelle soit renvoyée dans leur pays d’origine, pour qu’ils soient enterrés selon les rites de leur religion », indique Jean-René Lecerf.

Par Fabienne Cosnay

Pour en savoir plus : http://www.europe1.fr