La religion s’invite (un peu trop) dans l’entreprise: comment réagir ?

Religon-lentreprise

Un salarié ne laisse pas ses convictions au vestiaire: elles font partie de son identité et, de plus, le principe est la liberté religieuse dans l’entreprise.

Le cabinet d’avocats August & Debouzy organisait récemment une formation autour du fait religieux. L’occasion de donner des conseils aux employeurs et managers de plus en plus confrontés à la problématique.

Une salariée d’un cabinet de conseil licenciée car elle avait refusé d’ôter son voile islamique alors qu’un client l’exigeait et alors qu’elle avait pourtant, lors de son entretien d’embauche, accepté le principe d’un éventuel retrait. C’est l’affaire que vient de refuser de juger la cour de cassation, renvoyant la patate chaude à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Le climat sociétal hyper-sensible depuis les attentats parisiens de janvier aurait-il eu raison de la capacité des hauts magistrats à se prononcer, alors qu’ils auraient pu réitérer la célèbre « jurisprudence Baby-Loup » ? C’est en tout cas l’avis d’Eric Manca, associé chez August&Debouzy. Le cabinet d’avocats organisait ce 4 juin une formation à destination des employeurs désireux de connaître plus globalement leur marge d’action autour des faits religieux dans l’entreprise. La question est épineuse. N’en déplaise aux partisans de la neutralité, tous les employeurs ne peuvent pas, comme la société Paprec, évacuer la question en instaurant une charte de la laïcité. Même avec l’accord des salariés et des institutions représentatives du personnel, cela reste illégal. Dans le privé, la liberté religieuse est de mise en effet. Dès lors, savoir comment bien gérer ces problématiques s’avère crucial. L’Entreprise a glané lors de la conférence quelques recommandations pratiques aux employeurs:

1. S’emparer du sujet

La question du fait religieux a beau être délicate, mieux vaut ne pas faire l’autruche et gérer immédiatement les problèmes qui se présentent, sans laisser certaines situations se dégrader. D’abord sous peine de ruiner la réputation de l’entreprise : aujourd’hui il suffit de deux tweets pour lancer une polémique. Ensuite et surtout, parce que l’entreprise a une obligation de résultat en la matière. Elle doit aborder ces questions au même titre qu’elle gère les risques psycho-sociaux. Par ailleurs, les managers, parfois un peu perdus ou démunis, sont fortement demandeurs d’un cadre précis venant de leur hiérarchie. Publiée en avril dernier, une étude de Randstad et de l’Observatoire du fait religieux en entreprise* interrogeait des cadres. Près d’un quart d’entre eux déclaraient être confrontés régulièrement au port de signes « ostentatoires », à des demandes d’absence pour fête religieuse, d’aménagement du temps de travail pour la prière, à des discriminations, etc. Ils n’étaient que 12% en 2014.

2. Toujours réfléchir en fonction de l’intérêt de l’entreprise

Le principe est la liberté religieuse dans l’entreprise. Toute décision prise par l’employeur pour le restreindre doit être proportionnée et se faire au regard de l’intérêt légitime de l’entreprise : organisation, bonne marche de l’entreprise, respect des règles d’hygiène et de sécurité, préservation des intérêts commerciaux. Exemple : un salarié souhaite s’absenter pour une fête religieuse. Il convient d’analyser cette requête comme toute autre demande de congé payé : l’accorder si cela ne vient pas désorganiser le service, la refuser dans le cas contraire. Même ligne de conduite pour le port de signes ostentatoires. L’employeur n’a pas intérêt à demander le retrait d’un voile ou d’une kippa, si aucun collaborateur ni aucun client ne se plaint, et qu’aucune question de sécurité ou d’hygiène n’entre en jeu.

3. Poser les règles en entretien d’embauche

Toutes les questions posées à un candidat en entretien d’embauche doivent être en relation avec ses aptitudes professionnelles et l’emploi proposé. Il est donc clairement interdit de l’interroger sur ses pratiques et convictions religieuses. « Toutefois, s’il porte un signe ostentatoire, vous pouvez aborder la question avec lui en lui précisant que, si l’intérêt de l’entreprise ou les besoins du poste le justifiaient, par exemple la plainte d’un client, il pourrait être amené à le retirer, suggère Eric Manca. Veillez à ce que votre règlement intérieur indique que l’entreprise préserve la liberté religieuse, sous réserve du caractère ostentatoire de l’expression de cette opinion ». Le règlement intérieur protège l’employeur dans ses futurs rapports conflictuels, car il est homologué par la Direccte. Dans la fameuse affaire Baby-Loup, il a servi les arguments de l’entreprise.

4. S’appuyer sur le contrat de travail

Lorsqu’un salarié refuse soudainement d’exécuter des tâches en rapport avec ses fonctions, pour des motifs religieux, il convient de s’appuyer sur le contrat de travail pour gérer la situation. Si celui-ci ne prévoit pas de clause expresse pour que le salarié bénéficie d’un régime particulier, alors le salarié a l’obligation d’écarter ses convictions religieuses, pour exécuter sa mission. Un refus peut engendrer une procédure disciplinaire. Même si en théorie cette obligation n’incombe pas à l’entreprise, il convient d’envisager, avant son licenciement, son reclassement sur un autre poste, où rien ne vient heurter ses convictions.

*étude Institut Randstad/OFRE,réalisée entre février et mars 2015 sur la base d’un questionnaire en ligne conduit auprès de 1 296 salariés exerçant pour la plupart des fonctions d’encadrement.

Par Marianne Rey, publié le , mis à jour à
Pour en savoir plus : http://lentreprise.lexpress.fr

Laïcité : une proposition de loi qui heurte les religions

CrècheBabyLoup

Le texte veut imposer la neutralité dans les structures éducatives accueillant des mineurs.

«Imposer la neutralité religieuse dans les crèches privées.»Une proposition de loi, perçue par certains comme une offensive «antivoile», qui finalement s’est attirée les foudres des religions dans leur ensemble… Un épisode qui en dit long sur cette France en quête tout à la fois de laïcité et de religieux, dans un contexte post-attentats de janvier.

Portée par les radicaux de gauche, la proposition de loi entend imposer la neutralité religieuse dans les structures éducatives privées subventionnées par l’État, qui accueillent des mineurs. Un vaste univers fait de crèches mais aussi de centres de vacances et de mouvements de scoutisme. Prévus jeudi à l’agenda de l’Assemblée, les débats ont été repoussés à la semaine du 11 mai, après les élections départementales. Il faut dire que les critiques ont fusé.

«En minant ainsi peu à peu, insidieusement, notre modèle de laïcité, ce n’est pas un État laïque qu’on veut garantir, mais promouvoir une société vidée de toute référence religieuse. Nous ne pouvons l’accepter», s’est indigné Mgr Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France, qui perçoit dans ce texte «l’inspiration manifeste d’une méfiance vis-à-vis des religions dont il faudrait protéger les mineurs». L’ambition de la proposition est d’étendre le cadre fixé dans les établissements scolaires, et notamment la loi de 2004 sur le port de signes religieux, à l’éducation de la jeunesse au sens large. Le Conseil supérieur du culte musulman (CFCM) dénonce une «politique d’intolérance». La Fédération du scoutisme français, qui demande le retrait du texte, estime que «la concorde nationale» est menacée.

Face à cette levée de boucliers, dans un débat où pointe aussi la «stigmatisation» des musulmans, le président du groupe PS, Bruno Le Roux, a joué l’apaisement. «La période me semble mal adaptée pour un examen serein», a-t-il indiqué le 10 mars. Le texte reviendra à l’Assemblée la semaine du 11 mai, avec une possibilité d’amendements qu’il reste à confirmer. «J’ai un accord écrit de Bruno Le Roux et un vote positif de son groupe sur la proposition votée en commission», a fait savoir le chef de file des radicaux de gauche, Roger-Gérard Schwartzenberg, qui réfute toute idée d’«enterrement» de la proposition.

Le 5 mars, c’est à la quasi-unanimité que ce texte a été adopté par la commission des lois de l’Assemblée – les Verts et le socialiste Patrick Menucci se sont prononcés contre. Déposé à l’origine par la sénatrice radicale Françoise Laborde, il a été adopté en première lecture au Sénat il y a plus de trois ans, en pleine affaire Baby-Loup. La crèche privée avait défrayé la chronique médiatico-judiciaire pendant quatre ans, avant de voir confirmer le licenciement d’une salariée voilée, par la Cour de cassation en juin 2014. Mais aujourd’hui, deux mois après les attentats de janvier, la donne a apparemment changé.

La proposition de loi pose que les structures accueillant les enfants de moins de 6 ans et les mineurs ont une «obligation de neutralité en matière religieuse», dès lors qu’ils «bénéficient d’une aide financière publique». Le texte ajoute cependant que ces dispositions ne sont pas applicables aux structures se prévalant d’un «caractère propre». Des termes empruntés à l’Éducation nationale qui, conformément à la loi Debré, finance les établissements privés sous contrat et reconnaît leur caractère propre – cet aspect «confessionnel», présent dans la vie scolaire – en échange du respect des programmes et de l’ouverture à tous.

Dans le camp laïque, l’idée d’étendre ce «caractère propre» ne séduit pas forcément, certains arguant qu’il serait possible alors de reconnaître officiellement les crèches coraniques ou «loubavitch», d’obédience juive. Et l’on hésite à légiférer. D’autant que ce «camp» laïque n’en est pas vraiment un. Président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco a fustigé la proposition de loi, jugeant «paradoxal» que des radicaux de gauche puissent «envisager d’adopter cette proposition alors qu’elle figure dans le programme du Front national pour les départementales». Mais, dans les rangs de l’Observatoire, certains, comme Jean Glavany, Patrick Kessel et Françoise Laborde, n’ont pas hésité à dénoncer, après les attentats, l’«angélisme» de leur président.

Caroline Beyer

Pour en savoir plus : http://www.lefigaro.fr/