Et si on filmait la laïcité ?

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Depuis mars 2015, ENQUÊTE anime un atelier dans un centre social à Vaulx-en-Velin, en banlieue lyonnaise. Le centre Georges Levy a demandé à l’association d’entreprendre un travail de réflexion citoyenne avec les enfant, de 9-11 ans, sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Décidée à élargir les perspectives à des réalités plus positives, ENQUÊTE propose aux enfants de créer un glossaire filmé qui parlerait aussi de la laïcité, des faits religieux et de vivre ensemble.

Mercredi 6 mai, c’est la première séance de tournage. Seules cinq filles sont présentes mais elles sont très motivées, même les plus timides qui avaient initialement refusées d’être filmées. Mélissa, une animatrice du centre social nous apporte son soutien, c’est elle qui tiendra la caméra, le moment venu. La « réunion de pré-tournage » peut commencer ! Comme chaque semaine, en début de séance, le tour de table du cahier des chercheurs permet de reprendre la liste des termes à définir. Les filles sont toutes d’accord pour insister sur les définitions des termes de « laïcité » et de « religions en France ». La compétition est intense pour savoir qui sera filmé !

Les filles expliquent à Mélissa « On va faire un film ! ». Je leur demande de présenter plus en détail le contenu de l’atelier et le projet du glossaire « Et si vous commenciez par les définitions ? ». Elles se lancent à deux voix. Mélia commence « la laïcité, c’est comme la cour de récré, y’a ceux qui jouent au foot et ceux qui jouent au ballon autour des tables de ping-pong, tu sais ? » et Faustine poursuit « Et bien, ils doivent jouer chacun à leur jeu, sans gêner les autres, sans leur jeter le ballon dessus. C’est pareil pour les religions, tu dois faire ta religion de ton côté sans gêner les autres ». L’animatrice, Mélissa leur répond avec ses propres mots pour dire que la laïcité se fonde sur le respect et permet de vivre ensemble. Les discussions engagées aux séances précédentes continuent. Elles ne cessent de s’enrichir. Les filles approuvent les propos de Mélissa, elles en feront des mots-clés pour le glossaire !

Nous continuons la discussion avec les « dix minutes du chercheur », pour apprendre à se poser des questions, à partir du quotidien. Esma nous parle d’un reportage qu’elle a vu à la télévision et qui semble l’avoir perturbée : « un père, il dit à sa fille qu’elle n’est plus de sa famille… ». Je lui demande si le mot qu’elle cherche est « répudiée ?», elle acquiesce et continue : « pourquoi des gens n’aiment pas leur famille ? Ce n’est pas normal ! ». Camélia lui demande  « Pourquoi ce père a répudié sa fille ? à cause du mariage ? de la religion ? ». Esma lui répond « je sais pas trop… oui c’est un mariage avec une autre religion, je crois ». Cela nous permet de parler des couples mixtes. Faustine évoque sa famille : « ma tata, elle est mariée avec mon tonton marocain et on est même allé au Maroc en vacances. Pourtant ma maman et moi on va au catéchisme, mais je suis quand même à moitié marocaine ». Camélia la reprend « mais non, tu n’es pas marocaine si c’est ton oncle qui est marocain ! » « oui, mais ma tata, elle est un peu marocaine, alors nous aussi ». C’est bien parce qu’ils vivent la diversité des origines et des appartenances géographiques, nationales et religieuses au quotidien, que les enfants en parlent si naturellement et se questionnent sur ces sujets. A nous, éducateurs – parents, animateurs, professeurs – de leur apporter des connaissances et de préciser certaines notions…

« Tu réponds à nos questions ? »

La séance se poursuit, le tournage est sur le point de commencer : « quand une personne accepte d’être filmée, vous lui posez la question à haute voix et lentement. C’est quoi le modèle de  question déjà ? » Elles répondent du tac au tac : « selon vous, quelle est la définition de … ? » Nous voilà partis dans les couloirs du centre social à la rencontre de potentiels « interviewés ». Nous avons décidé de débuter en terrain connu pour que les enfants s’entrainent. « Hamida ! tu réponds à nos questions ? » demande Mélia à la responsable du bureau des jeunes. Cette dernière refuse, mais Mélia ne lâchera pas le morceau ! Tout au long de la séance elle me répétera : « Tu verras, si le directeur nous répond, je pourrai convaincre Hamida ! » ou encore  « on a eu plein de refus : Hamida va être obligé de me dire oui ! ». Mais malgré leurs efforts, Hamida tiendra bon, elle ne veut pas être filmée…

Nous sollicitons les employés des bureaux administratifs ; certains acceptent, d’autres refusent. D’autres encore tergiversent ou négocient «  Oui mais à condition de connaître les questions à l’avance pour pouvoir y réfléchir. » L’ambiance est détendue ; mais les enfants, qui connaissent bien leurs interlocuteurs, gardent leur sérieux. Ils restent concentrés pour réaliser au mieux ce projet qui leur tient à cœur. Ils sont fiers de ce « véritable tournage !»

Pour terminer, nous filmons une animatrice et certains enfants de son groupe qui rangent et nettoient la cour, au pied des immeubles. Cette animatrice porte le voile en dehors du centre. Elle nous demande que son visage ne soit pas filmé mais accepte, avec grand plaisir semble-t-il, de répondre aux questions des petits enquêteurs. Cela ne pose aucun problème aux enfants qui optent pour un plan serré sur ses mains. Une fillette d’environ 6 ans prend ensuite la parole : « Dieu il est tout en haut et tout le monde l’aime ! ». Les cinq filles s’exclament: « Ho, elle est trop mignonne !! ». Elles sont ravies de cette intervention « les Musulmans ne parlent que des Musulmans et les Chrétiens des Chrétiens ! Elle, elle a parlé de tout le monde ! ».

Tournage en extérieur

Deux semaines ont passées, nous sommes le 20 mai, tous les enfants sont là pour cette deuxième séance de tournage ! Le centre social relaie la demande de la mairie de Vaulx-en-Velin. Il souhaite avoir un petit topo pour présenter notre atelier et notre projet. Ravis, nous décidons avec les enfants qu’il faudra intégrer ce passage comme une introduction à notre glossaire filmé. Faustine, Souleymane et Camélia, les moins timides, s’en chargent, la première prise est la bonne : « Cette deuxième séance de tournage commence très bien ! ».

S’ensuit notre briefing de « pré-tournage ». Deux nouvelles personnes acceptent d’être filmées : un employé de mairie de passage au centre et un visiteur. Forts de cette confiance, les petits enquêteurs sont prêts à sortir du centre. Une passante répond favorablement à leur demande, mais son amie refuse malgré l’insistance de Mélia, décidément tenace : « Allez, ça ne durera pas longtemps ! ». Nous continuons notre chemin jusqu’à la zone commerciale du quartier de la Grappinière. Accueil chaleureux dans le snack où nous filmons le patron et un client au son des steaks sur le grill. L’un des clients plaisante : « dis donc, ta femme sait que tu ne travailles pas ?! Ce film il va passer ce soir à BFM ! ». Les enfants sont très fiers. Je dois néanmoins rester vigilante et ne pas hésiter à les recadrer. Tourner à l’extérieur du centre, près de commerces qu’ils fréquentent régulièrement, les déconcentre facilement. Sur le chemin, ils saluent leurs camarades de classe, leurs voisins…

Nous essuyons plusieurs refus au salon de coiffure, au taxiphone et dans une brasserie. Camélia me fait très justement remarquer : « tu as vu ici, la caméra bloque les gens ». Mélissa, l’animatrice, me rappelle le propos d’une coiffeuse « ici à Vaulx, on ne peut pas parler de religion devant une caméra » . Je propose alors que nous fassions une prise de Mélia qui en guise de conclusion explique face caméra les conditions de réalisation du tournage : beaucoup de réponses positives mais aussi quelques refus. Ces derniers sont-ils dus à la caméra ou à la nature du sujet abordé ? Quoi qu’il en soit nous sommes tous d’accord pour dire que cela est révélateur de nos questionnements. Et de mon côté « et bien voici un bon sujet d’enquête pour un prochain atelier : les religions et les médias ! »

Pour en savoir plus : http://www.enquete.asso.fr/ 

Conseils, formations… Des outils de réflexion et d’action pour promouvoir la laïcité

Elus, enseignants et territoriaux sont souvent démunis face aux demandes liées à des prescriptions religieuses. L’installation d’un comité consultatif laïcité peut les aider.

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Avec les enseignants, les élus sont en première ligne face aux sollicitations fondées sur des prescriptions ou des interdits religieux. Ils sont également confrontés à la montée du radicalisme chez certains musulmans. Pour y répondre, plusieurs communes se sont dotées d’outils permettant de mieux former leurs personnels au principe de laïcité.

A l’intention des professionnels

En 2012, la Métro (communauté d’agglomération Grenoble-Alpes métropole) a mis en place un dispositif de « formation-action » à l’égalité et à la laïcité à l’intention des professionnels des communes, associations et institutions (lire ci-dessous). Le 5 février, Rennes a lancé son « comité consultatif laïcité ».

« Aujourd’hui – cela remonte de manière régulière des différentes rencontres – des entreprises, des associations, y compris cultuelles, des administrations même, dont la ville de Rennes, manquent de repères sur la portée concrète et pratique du principe de laïcité. Sa mise en œuvre se heurte au brouillage des lignes entre les sphères privées et publiques », explique Nathalie Appéré, maire de Rennes.

Le comité consultatif laïcité pourra « émettre des avis et se saisir de toute question locale, dans une perspective de conseil, de soutien et d’aiguillon à l’action municipale », et devra rédiger d’ici fin 2015 une « Charte du vivre ensemble ».

Avec la montée de la radicalisation chez certains jeunes musulmans, ces outils sont-ils suffisants ? « Je pense qu’on irrigue, on instille, et on permet que la discussion s’ouvre. Nous sommes sollicités un peu partout dans le département (de l’Isère) », assure Michel Baffert, ancien vice-président de la Métro.

De la laïcité aux valeurs

Pourtant, depuis 2012, la situation sur le terrain a changé. « Les outils du type guides de la laïcité ne permettent pas de prévenir la radicalisation de certains jeunes. Les recruteurs ont affiné leurs techniques et il ne suffit pas de ne pas être discriminant pour les contrer, prévient Dounia Bouzar, anthropologue qui a participé à la conception du dispositif de la Métro. Grenoble est pour moi un exemple de bonne gestion, or c’est aussi une ville où il y a de la radicalité. »

Pour Myriam El Khomri, secrétaire d’Etat à la Ville, « la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, et la lutte contre le racisme, les stigmatisations et l’antisémitisme » doivent pourtant aller de pair. Pour elle, les contrats de ville, qui rassemblent tous les acteurs, collectivités, tissu associatif et habitants des quartiers sensibles, pourraient être un levier d’action. A condition toutefois que soit ajouté aux trois volets existants, la cohésion sociale, l’emploi et le cadre de vie, un quatrième sur les valeurs de la République.

Trois conseils

Former élus et administration

Un personnel mieux formé est plus à même d’apprécier les situations et de savoir comment réagir à des sollicitations fondées sur des prescriptions ou des interdits religieux. Depuis 2013, l’université Lyon 3 et l’université catholique de Lyon, en lien avec l’Institut français de civilisation musulmane et le conseil régional du culte musulman Rhône-Alpes, et avec le soutien de la préfecture du Rhône, proposent un DU (diplôme universitaire) « Religion, liberté religieuse et laïcité ». Le public ciblé comprend agents des administrations (hospitalière, pénitentiaire, éducative, territoriale…), élus, etc. Des cadres managers de la ville de Lyon ont suivi cette formation. Selon Marylise Lebranchu, ce programme devrait inspirer celui que suivront les élèves des instituts régionaux d’administration (IRA).

Organiser le dialogue entre toutes les composantes de la société

Discussion et échanges favorisent des solutions consensuelles aux problèmes que posent parfois les religions. Le 6 février, Rennes a ainsi lancé un « comité consultatif laïcité ». Objectif : « Rendre accessible, lisible, compréhensible » par tous la laïcité et « se saisir de toute question locale, dans une perspective de conseil, de soutien et d’aiguillon à l’action municipale ». « Je pense à la question de l’occupation du domaine public », précise la maire, Nathalie Appéré, qui présidera cette instance. Composé d’élus de toutes les sensibilités du conseil municipal, de représentants des cultes et des mouvements de pensée, d’experts et d’acteurs de terrain, ce comité devrait se réunir à un rythme mensuel et rédiger, d’ici la fin de l’année, une Charte du vivre ensemble qui sera soumise au vote du conseil municipal au premier semestre 2016.

Trouver aide et conseil

Pour aider les familles confrontées à la crainte du départ d’un mineur pour la Syrie, le ministère de l’Intérieur a mis en place un numéro vert, le 0800.005.696. Les élus peuvent également contacter le « référent laïcité » dont sont dotées toutes les préfectures de France. Dans la plupart des cas, il s’agit du directeur de cabinet du préfet. En liaison avec le bureau des cultes du ministère de l’Intérieur, qui dispose d’une base de données juridiques, celui-ci renseignera les élus sur ce que prévoit la loi face à des situations comme une fonctionnaire décidant de porter le voile, une famille exigeant de la viande hallal ou casher à la cantine, etc. Ce référent laïcité est également référent pour la protection des lieux de cultes.

 

Ce que dit la loi.

Jusqu’à maintenant l’obligation de réserve – et de neutralité – à laquelle les fonctionnaires sont soumis est d’origine jurisprudentielle.
Marylise Lebranchu, la ministre de la Réforme de l’Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique entend la fixer dans la loi. Son projet de loi « relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires » consacre ainsi, « pour la première fois dans le droit de la fonction publique, les valeurs fondamentales communes aux agents publics ».
Ainsi des « obligations de neutralité et de réserve » et du « respect du principe de laïcité ». En déplacement le 26 février à Lyon pour présenter ce texte, Marylise Lebranchu a précisé que l’ensemble des élèves des instituts régionaux d’administration (IRA) seront formés à la laïcité dès la rentrée prochaine. Reconnaissant que l’application concrète de ce principe peut poser des difficultés à certains agents, notamment ceux qui sont au contact direct des usagers, la ministre a ajouté qu’elle souhaitait, avant la rédaction définitive de son texte « organiser des rencontres avec les fonctionnaires (…) pour pouvoir répondre à ces difficultés ».
Voir notre cahier « 50 questions sur la laïcité ».

 

Sur le terrain

CA Grenoble-Alpes Métropole : une « formation-action » adaptée
L’idée de proposer une « formation-action » à l’égalité et à la laïcité à l’intention des professionnels des communes, associations et institutions de l’agglomération grenobloise est née d’une demande du terrain.

« Nous avons été sollicités vers 2008 par des animateurs socioculturels. Etant en contact direct avec des populations de quartiers fragilisés, ils ont exprimé le besoin de mieux connaître le principe de laïcité et d’être formés à l’appliquer », rappelle Michel Baffert, ancien vice-président de la Métro(1), et président du GIP « Objectif réussite éducative ».

Les Grenoblois précurseurs
Cette initiative faisait suite à une précédente session de formation, organisée avec la ville de Grenoble en 2010-2011, et intitulée « Gérer le fait religieux sans discriminer ». A l’époque, « les Grenoblois ont été vraiment précurseurs. Depuis d’autres villes ont suivi », assure Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux à laquelle la mise en place de la démarche de la Métro a été confiée.

Concrètement, cette formation-action a pris deux formes : une trentaine de professionnels issus de diverses communes de l’agglomération ont été formés à ces questions au cours de cinq ou six journées réparties sur l’année 2012. Parallèlement, trois séminaires ont été organisés à l’automne 2012. Enfin, un guide pratique censé aider les personnels à répondre aux difficultés d’application du principe de laïcité a été rédigé, qui est toujours en ligne(2).

Directeur de l’association sociosportive grenobloise Kiap, Brahim Wazizi a suivi la formation. « C’était très bien, on a abordé beaucoup de sujets : les repas scolaires, le ramadan, la mixité dans le domaine sportif », rappelle-t-il. Depuis, la formation n’a pas été reconduite, or « beaucoup d’acteurs ont changé », souligne-t-il. Résultat : « Dans des gymnases, certains créneaux mixtes ont été donnés à des femmes ». Preuve que rien n’est jamais acquis.

Par Catherine Corroller

Pour en savoir plus : http://www.courrierdesmaires.fr/