Ce week-end, les vacanciers vont se croiser : certains débutent leurs vacances, les autres les terminent. Historiquement, prendre ses vacances le septième ou le huitième mois de l’année était révélateur d’un certain style de vie.
Atlantico : Les juillettistes et les aoûtiens ont souvent été présentés comme deux tribus irréconciliables. Qu’en est-il réellement ? Qui sont les juillettistes et qui sont les aoûtiens ? Existe-t-il de réels différences sociologiques entre ces deux catégories de vacanciers ?
Pierre Perrier : Historiquement, dans les grandes entreprises publiques, comme les travaux publics, et le secteur industriel (industrie automobile notamment), par le jeu des conventions salariales, les congés étaient établis plutôt sur la période d’août. Le huitième mois de l’année est traditionnellement celui des classes populaires et de la classe ouvrière.
Cela reste en partie vrai aujourd’hui pour la main-d’œuvre industrielle ou des travaux publics, même si la classe ouvrière est moins importante aujourd’hui. La manière de prendre des vacances diffère en fonction de l’appartenance socio-professionnelle. Un cadre a une plus grande liberté pour décider des moments de vacances tandis que l’ouvrier ou le salarié des travaux publics va avoir des périodes de congés imposées.
Les juillettistes et les aoûtiens partent-ils aux mêmes endroits ?
Le bord de mer reste la destination la plus attractive au mois d’août qui est aussi le mois des vacances en famille. En août, les vacances sont davantage pensées pour les enfants, ce qui explique que la plage est souvent la destination privilégiée. Au mois de juillet, il y a traditionnellement plus de diversité des lieux de vacances.
La séparation nette juillettistes/aoûtiens est-elle toujours aussi pertinente aujourd’hui ?
Non, aujourd’hui, la distinction entre juillettistes et aoûtiens est plus difficile à établir et pas forcément pertinente. D’abord, il faut souligner que nous sommes dans une tendance « baissière » du nombre de départs, y compris pour les cadres et les urbains qui partent moins en vacances. Seulement 53% des Français partent en vacances en 2013 contre 57% au début de la crise en 2008. La seule catégorie épargnée est celle des seniors. Cette population, qui est la niche du tourisme aujourd’hui, part à d’autre moment que l’été, de façon plus étalée dans l’année. La bonne santé des seniors, leur pouvoir d’achat et les nouvelles valeurs du voyage et de la découverte qui se sont diffusées dans le corps social jusque dans cette génération plus âgées, expliquent cette évolution. Les étudiants partent également en dehors des mois d’été. Cela s’explique par le changement de calendrier universitaire qui leur permet d’être libre dès juin.
De manière générale, la période historique des congés payés, durant laquelle les gens prenaient un mois de vacances, est terminée. Les séjours sont désormais plus courts : en moyenne, une dizaine de jours aujourd’hui et cela tend à se réduire encore. Les vacances sont plus courtes, mais aussi plus fractionnées, y compris sur la période d’été. Les gens partent moins longtemps, mais plus souvent dans l’année.
Par ailleurs, les gens anticipent moins les départs pour pouvoir bénéficier d’opportunités de dernière minute. Il y a aussi moins de fidélité des vacanciers par rapport aux lieux de vacances. Les gens partent moins sur le même lieu de vacances d’une année sur l’autre. Les pratiques et les destinations de vacances sont moins ritualisées que par le passé.
Quelles sont les nouvelles tendances ?
Il y a notamment un tourisme émergent qui est le tourisme urbain. Ce tourisme se développe auprès des classes moyennes dans les grandes villes particulièrement attractives : 12-14% des destinations sont désormais urbaines.
Le juillettiste fait ses valises lorsque ses collègues sont au travail et revient au bureau au moment où l’activité économique tourne au ralenti. Mérite-t-il sa réputation de « fainéant » ? L’aoûtien est-il vraiment plus studieux ?
Encore une fois, cette distinction n’est plus vraiment pertinente car les cartes sont brouillées. Là encore, on observe de nouvelles tendances. De plus en plus gens ne partent pas en vacances pour travailler davantage les mois d’été. Les salariés à revenus modestes ont ainsi un double-emploi sur la période de juillet/août. Il y a aussi les gens qui continuent à travailler tout en étant en vacances. Les technologies, notamment les outils informatiques, permettent aujourd’hui de travailler à distance. Un entre-deux où on est jamais pleinement en vacances est aujourd’hui en train de se dessiner.
Pierre PERIER
Pierre Perier est sociologue, professeur en Sciences de l’éducation à l’université de Haute-Bretagne. Il est membre du Centre de Recherche sur l’Education les Apprentissages et la Didactique (CREAD). Il est notamment l’auteur de L’ordre scolaire négocié. Parents, élèves, professeurs dans les contextes difficiles (Presses universitaires de Rennes (PUR), 2010) et de Vacances populaires. Images, pratiques, mémoire (PUR, 2000).
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