Ces intellectuels qui tissent un islam progressiste

Mahomet et Gabriel

 

La confusion entre islam et islamisme n’a jamais totalement cessé de sévir. Plusieurs spécialistes de l’islam agissent, à différents niveaux, pour sortir des lectures orthodoxes ou tronquées du Coran. Faire triompher de nouvelles interprétations ne peut faire selon eux l’économie d’une réforme.

« J’ai une maison fissurée, que j’ai cru être une belle demeure, mais elle commence à prendre l’eau, le vent de partout et menace de s’écrouler. Les pierres de taille de départ me plaisent, donc je la déconstruis au sens où je prends pierre par pierre et je la rebâtis pour en faire un beau palais.» C’est par le recours à une métaphore que Ghaleb Bencheickh, physicien et islamologue érudit, empoigne son sujet. La figure de style n’est pas neutre. Elle vise, en bravant les tensions du présent, à tisser de manière positive l’avenir de l’islam. Dans le déluge médiatique qui a suivi l’assassinat de nos confrères de Charlie Hebdo le 7 janvier, blessure aussitôt ravivée par l’attentat antisémite ignoble survenu dans un Hyper Cacher, on ne compte plus les fois où il a été affirmé que ces meurtres ont été perpétrés «au nom de l’islam».

Ne convient-il donc pas d’interroger les penseurs de cette religion ? En particulier les voix qui s’élèvent, dans différentes régions du savoir, contre l’orthodoxie.

 

« Il est aisé de profiter du choc pour réactiver des antagonismes en assimilant l’islam et l’islamisme»

Cette entreprise oblige au préalable, selon Tareq Oubrou, imam de Bordeaux, «à ne pas tomber dans l’erreur de la généralisation ou le piège de l’essentialisation d’un sujet, l’islam, qui est très complexe». Aussi invite-il à se déprendre d’une méprise : «Quand on parle de l’islam, on confond souvent deux choses : l’islam en tant que religion, laquelle se réfère à des textes qui ont toujours obéi au processus d’une interprétation, à ce titre il est pluriel ; et l’islam en tant que culture, civilisation bâtie à travers les mathématiques, la médecine, la physique, Averroès…» L’incompatibilité entre l’islam et la laïcité, critique assénée dans les franges les plus réactionnaires de la sphère politique, est renvoyée dans les cordes par le responsable de culte. «La laïcité est un contexte politique et l’islam est une spiritualité qui circule dans le monde. Dans le corps sociétal et politique, il s’adapte à ce corps en prenant la forme de son contexte.» Si la religion musulmane, comme tout monothéisme, unit ses croyants par des pratiques cultuelles, «dès qu’on passe à l’aspect horizontal des pratiques de l’islam, à savoir le droit et la morale, les variables sociologiques entrent en jeu parce qu’il n’y a pas de pratiques morales ou juridiques sans le substrat culturel», insiste-t-il.

Aux tentatives de figer l’islam dans une culture monochrome, à la peur, à la surenchère sécuritaire, à la nuit de l’ignorance dans laquelle les haines se retranchent… des intellectuels opposent les armes du débat. Le terrain n’est pas vierge, ni même homogène. À y regarder de près, il montre des signes de fertilité. Les études contemporaines portant sur l’islam ont ceci en commun qu’elles refusent simultanément le déni, les amalgames ravageurs et les confiscations autoritaires du dogme. Face à l’ampleur de la tâche, certains, à l’instar du philosophe Abdennour Bidar, estiment qu’il «est temps que l’islam enfante lui-même sa Réforme». Dans des termes plus tranchants encore, Ghaleb Bencheickh considère qu’«un sursaut ou un réveil ne suffiront pas, le temps d’un éboulement des consciences est venu. Il faut sortir des simples toilettages, des réformettes, du rafistolage, du bricolage ou même d’un simple aggiornamento : tous s’apparentent à une cautérisation d’une jambe en bois».

Celui qui prône une refondation théologique juge ainsi qu’«on ne peut prétendre réformer tout en restant au sein des clôtures et des enfermements doctrinaux, car alors on ne libère pas l’esprit de sa prison». L’approche critique n’est pas nouvelle. En 2004, Abdelwahab Meddeb rappelait dans Face à l’islam (Éditions Textuel), s’agissant des sourates polémiques du Coran, que «cette violence n’est pas propre à l’islam, lequel, sur cette question, se révèle mimétique de la Bible». Comme de nombreux textes sacrés, le Coran est ambivalent. Si le «verset de l’épée» commande de combattre ceux qui ne croient pas à la « religion vraie », le verset 256 de la deuxième sourate souscrit qu’il n’y a « point de contrainte en religion ». Meddeb fait donc observer que «l’interprétation du sens donné à la lettre dépend de la lecture qu’on en fait et des priorités accordées à des prescriptions émanant de domaines divers. De nos jours, nous nous affrontons à des littéralistes aveuglés.» Comme un signe annonciateur de l’obscurantisme et du mur d’incompréhension qui s’érigent, le producteur historique de Cultures d’islam (France Culture) mettait déjà en garde contre l’imprudence méthodologique qui «abroge plus de cent autres (versets) doux et tolérants à l’égard de ceux qu’on voue ici à la mort». Et d’avertir : «Les malveillants qui ne veulent considérer qu’une face d’une réalité polymorphe, l’action spectaculaire et hideuse des terroristes leur rend la tâche facile : alors, dans le feu d’un événement sanglant et spectaculaire, il est aisé de profiter du choc produit pour réactiver des antagonismes élémentaires en assimilant l’islam et l’islamisme.»

« Ce mouvement qu’on appelle islamisme s’est présenté comme celui qui pourrait être le porte-parole des masses pauvres. » Fethi Benslama, psychanalyste

Michel Onfray est resté sourd à cet appel. Dans l’émission On n’est pas couché du 17 janvier, il saisissait une énième tribune pour brandir des passages belligènes du Coran. Contrecarré par le journaliste Aymeric Caron, le polémiste s’adonnait à une forme très actuelle d’«exégèse sauvage». «Le type de raisonnement qui vise à extraire hors contexte tel ou tel passage qui est en tension linguistique avec ce qui précède et ce qui suit est inepte de la part d’un prétendu philosophe. Nous n’avons pas attendu Michel Onfray pour nous rendre compte qu’il y a des versets de facture martiale dans le Coran. Cette compréhension radicale a été réactivée par certains dans une idéologie de combat», réagit Ghaleb Bencheikh. Ces discussions à l’emporte-pièce relèvent de «la crampe mentale», ironise-t-il. Elles détournent aussi le regard d’un modernisme en construction : «Comment être moderne, au sens étymologique du terme (suivre son mode, se hisser aux exigences de son temps), sans évolution, sans réflexion, sans intelligence, sans intelligibilité de la foi ?» «Il faut rouvrir la pluralité des approches de l’islam et cesser de prétendre qu’il y a un islam un, uni, c’est un fantasme, au même titre que perdure le fantasme d’une Europe unie ! Cela exige un travail de relativisation et d’historicisation des textes coraniques», abonde le psychanalyste Fethi Benslama.

Ce devoir de contextualisation n’est pas moins essentiel aux yeux de Rachid Benzine, chercheur sur la pensée musulmane. «Si l’histoire est fondamentale, c’est qu’elle prémunit des légitimations qui exonèrent la responsabilité des actes du présent. Or l’histoire peut combattre les folies de l’idéologie en montrant par exemple la diversité des manières d’être musulman. Ce sont les hommes de chaque époque qui reconstruisent le sens et font évoluer la lecture en fonction des crises et des drames de leurs temps.» L’histoire, poursuit-il, doit également libérer des «représentations délirantes que nous avons et qui sont dangereuses car elles couvent à bas bruit et entretiennent des fantasmes qui vont nourrir des interdits». L’interdit conjoncturel relatif à la représentation du Prophète a conduit récemment au pire. Rarement la citation de Georges Bataille, supposant que «l’apparente immobilité d’un livre nous leurre : chaque livre est aussi la somme des malentendus dont il est l’occasion», n’aura trouvé un si terrible écho. Plusieurs spécialistes ont ainsi relevé le caractère changeant et infondé de cet interdit qui émanerait du Coran. Dans les pas de l’historienne de l’art Christiane Gruber, qui a étudié les reflets de Mohamed aussi bien dans l’iconographie persane que dans des livres récents d’éducation religieuse, François Boespflug recense dans son ouvrage documenté le Prophète de l’islam en images (Bayard) «les représentations du Prophète produites en pays d’islam à partir du XIIIe siècle avant le raidissement contemporain travesti en loi de toujours». «Il n’y a pas de textes qui interdisent la représentation du Prophète, corrobore Tareq Oubrou. Si l’islam est une religion a-iconique, c’est par précaution préventive, mais le non-musulman n’est pas concerné par les injonctions de l’islam.»

« Les monarchies pétrolières ont voulu protéger leur existence en finançant des mouvements radicaux »

Quant aux conduites violentes qui naissent à la marge, elles sont le produit de plusieurs variables. Parmi ces raisons, analyse Fethi Benslama, «la première est sociale : face à l’impossibilité pour des masses pauvres de se faire entendre, ce mouvement qu’on appelle islamisme s’est présenté comme celui qui pourrait être leur porte-parole. La seconde est géopolitique : les monarchies pétrolières ont voulu protéger leur existence en finançant des mouvements radicaux, sous le regard et l’approbation de leurs alliés que sont les grandes puissances européennes et américaine. La troisième est civilisationnelle : la modernité a ébranlé et décomposé toutes les religions». Le facteur psychologique ne semble pas non plus étranger à ces processus : «Ces jeunes n’ont plus l’idéalité de la religion, mais ils n’ont pas non plus les moyens de l’idéalité moderne. À un certain niveau de détresse, la sortie peut se faire par la radicalisation. On retrouve ces formes de désespoir dans les banlieues des pays riches européens, et pas seulement chez les Européens musulmans. Parmi ceux qui ont recours à l’islamisme, 50% sont des convertis.»

Entre les militants d’une lecture progressiste et ouverte d’un côté et l’archaïsme qui entrave cette réflexion de l’autre – au milieu se trouve une majorité silencieuse qui vit paisiblement sa foi –, les possibles de l’islam sont tiraillés par des vents contraires. Pour conjurer le brouillard, plusieurs attitudes sont prescrites. Pour Tareq Oubrou, il ne s’agit pas tant de changer la référence que «l’interprétation des références. Décongelons ce qui a été fait pour le mettre à la couleur de notre époque !». Tandis que Rachid Benzine invite au dépassement du «rapport brouillé que l’homme entretient avec l’image qu’il se fait de la sacralité absolue de la religion», Fethi Benslama avance l’idée d’insoumission «non pas pour tout rejeter, mais pour y substituer une religion réflexive. Les mouvements qu’on appelle radicaux ou islamistes ont fondé leur doctrine sur l’idée que l’islam signifie soumission. On oublie que ce mot est polysémique : il peut signifier tout autant paix ou salut». «Dans la maison islam il y a le feu et le désordre, il faut donc éteindre le feu et mettre de l’ordre», renchérit Ghaleb Bencheickh. «Défaite de la pensée, abrasement de la réflexion, abdication de la raison, démission de l’esprit…», l’islamologue n’a pas de mots assez forts pour qualifier le règne d’un «fracas intellectuel». Tout en déplorant le fait «que sur deux décennies, il n’y a pas eu de colloque d’envergure pour dirimer les thèses islamistes ni de travail suivi ou ponctuel pour fondre le radicalisme», l’intellectuel estime qu’un islam moderne ne peut faire l’économie d’une « mise en débat du statut même de la révélation ». «Si la révélation coranique peut être pourvoyeuse de sens spirituel pour ceux qui croient, elle ne peut être la source première de la production du droit», argumente-t-il. Outre que l’enseignement de la langue arabe et l’apport culturel de la civilisation arabo-musulmane mériteraient d’être considérés, le besoin d’essaimer des réponses culturelles se fait pressant. «L’enjeu est d’abord culturel. Pour gagner la guerre, il faut d’abord mener la bataille culturelle», déclarait récemment le romancier Kamel Daoud dans le Figaro. Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe, fait sienne l’urgence d’apporter «une connaissance, une découverte, des informations, un savoir sur le monde arabe. Les forums, les rencontres, les débats, les expositions… font reculer les préjugés. Ce sont des hymnes au respect et à la tolérance. On ne parle du monde arabe qu’à travers les violences, on oublie l’effervescence intellectuelle et artistique de ces pays, les réalités de changement et d’ouverture qui l’animent ». Tout pèlerin ambitieux intègre la difficulté de la traversée. Mais, assure Ghaleb Bencheikh, «le plus grand voyage commence par un pas».

Quand des femmes décryptent le Coran. Outre l’Utopie de l’islam (Armand Colin), le Voile démystifié (Bayard), 
la sociologue Leïla Babès propose dans Loi d’Allah, loi des hommes (Albin Michel) un échange fructueux avec Tareq Oubrou qui illustre 
deux visions de l’islam : «celle d’une intellectuelle attachée à la critique scientifique des textes et à une conception moderne de la liberté, 
et celle d’un chef spirituel ouvert 
aux adaptations nécessaires, mais dans le cadre de la loi islamique classique». Quant à l’historienne Jacqueline Chabbi, après être revenue aux origines du Coran 
dans le Seigneur des tribus (CNRS éditions), elle publie aux éditions du Cerf un remarquable Coran décrypté qui traque, derrière les mots du texte sacré, «d’autres sens possibles 
que la tradition islamique rejette 
ou néglige». Dans l’actualité la plus immédiate, les éditions Textuel font paraître deux ouvrages attendus : Lettre ouverte au monde musulman, d’Abdennour Bidar, et Face à l’islam (réédition), entretien passionnant entre le regretté Abdelwahab Meddeb et Philippe Petit.

 Pour en savoir plus : http://www.humanite.fr/

Eloge du Maroc de la diversité

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Mardi 14 octobre 2014 – 10H35

L’Occident regarderait-elle trop du côté du Moyen-Orient lorsqu’elle se penche sur l’Islam alors que, si près de nous, l’Occident musulman offre un autre modèle, vivant, rayonnant… et majoritaire pour nous en France ? C’est l’un des enseignements majeurs de ces deux expositions qui ouvrent leurs portes (d’art marocain évidemment) à Paris : le Maroc médiéval au Louvre, le Maroc contemporain à l’Institut du Monde arabe.

Deux événements pour un seul message de modernité, de dialogue et d’ouverture au monde. Une expérience unique qui rompt avec cet air ambiant qui voudrait opposer des identités et raviver une guerre de civilisation dépassée.

Ce qui fascine, c’est la résonance de ces deux expositions : un millénaire les sépare pourtant. Le Moyen-Age rive droite, l’époque contemporaine rive gauche. Et pourtant, toutes deux dévoilent une étrange continuité, un goût du Maroc pour la diversité des influences artistiques et culturelles, une interaction fusionnelle du Maroc et du monde : Afrique et Europe ont façonné le Maroc comme le Maroc a irrigué et irrigue encore ces deux continents de ses valeurs et de ses créations.

Le Maroc, les deux expositions le montrent, repose sur un islam du juste milieu – que nous avions analysé en son temps, dont le rite malekite, la doctrine ash’arite et le soufisme sont les piliers. Le Maroc a su construire un équilibre séculaire réfléchi entre temporel et intemporel, permettant au Moyen-Age le dialogue de l’Islam avec d’autres spiritualités, et, à l’époque actuelle – et l’exposition de l’IMA en témoigne – les expressions sécularisées d’artistes libérés des carcans religieux. Le Maroc est resté traditionnel mais il est rentré de plain pied dans la modernité. Un Islam du contexte plus que des dogmes.

Organisées par le Louvre, l’Institut du Monde arabe présidé par Jack Lang, et la Fondation nationale des musées marocains présidée par Mehdi Qotbi, cette alliance bienvenue a accouché de deux expositions monde à Paris.

Le moment Louvre

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Madrasa El Attarine, Fès, Maroc. © Fondation nationale des musées marocains.

Commençons au Moyen-Age… L’histoire n’en a retenu que les croisades alors qu’un véritable siècle des Lumières, fait de dialogue et de tolérance, irradiait au même moment le sud de l’Europe et le nord de la Méditerranée occidentale. Le Louvre restitue cette histoire presque oubliée à travers les œuvres exposées : que ce soit le lustre de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès ou les commentaires de la Michna par Maïmonide, la redécouverte d’Arisote pat Averroès (non exposé ici mais pourtant pleinement présent), le Louvre fait revivre cet âge d’or où les musulmans, les chrétiens et les juifs cohabitaient et imaginaient le monde de demain.

La visite de cette exposition est d’autant plus nécessaire à qui veut découvrir le Maroc que ce dernier est peu présent dans les collections du nouveau département d’art islamique du Louvre (pourtant le plus fourni au monde). Car le Maroc a su conserver ses trésors en créant ses propres musées lorsque l’Europe vit éclore au XIXème siècle des centaines de musées à la faveur de ses conquêtes coloniales. Des œuvres conservées dans les musées, bibliothèques et mosquées du Maroc sortent donc pour la première fois pour le Louvre et ses visiteurs.

Le Maroc de l’époque médiévale, c’était un Maroc africain avec des œuvres venues du Mali et de la Mauritanie d’aujourd’hui. C’était aussi un Maroc européen avec de nombreuses œuvres espagnoles et même françaises (comme le suaire de Saint Exupère provenant probablement d’Almeria en Espagne et conservé à la Basilique Saint-Sernin de Toulouse). La position pivot du Maroc, entre Afrique et Europe, s’illustra donc dès le Moyen-Age.

Bahija Simou, directrice des Archives royales du Maroc, et commissaire générale de l’exposition avec son homologue française Yannick Lintz, explique les valeurs de cet empire qui rayonna de l’Afrique à l’Espagne :« Le Maroc devient ainsi une terre de rencontres et de civilisations et un espace d’échanges où se mêlaient et interagissaient plusieurs influences, celles de l’Afrique sub-saharienne, des Etats italiens, des royaumes espagnols ou encore de l’Egypte des Mamelouks. L’acmé atteint en cette période par l’Occident musulman a permis l’intégration des apports culturels arabes, amazighs, juifs, andalous et africains, contribuant à l’épanouissement d’une civilisation alimentée par de multiples affluents, et, comme telle, génératrice de créativité et d’innovations. »

L’exposition témoigne de ce foyer de civilisation exceptionnel, de ce carrefour des influences qui irradia les deux rives de la Méditerranée, entre le Maroc et l’Espagne d’aujourd’hui, sous le règne de grandes dynasties berbéro-andalouses ou amazighes qui surent unifier l’Occident islamique : les Idrissides autour du Xème siècle, les Almoravides (du milieu du XIème au milieu du XIIème) les Almohades (jusq’au milieu XIIIème, les Mérinides (jusqu’au début du XVème).

Le Maroc Contemporain à Paris

Retour dans le présent. Direction l’Institut du Monde Arabe.

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Passage protégé 1, Nour Eddine Tilsaghani, 2014, © Nour Eddine Tilsaghani

Aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers le Golfe persique alors qu’un Islam du juste milieu, solide, habite l’esprit d’une majorité trop silencieuse. Pendant que la fureur et la cruauté des « jihadistes » de l’Etat du Levant hante l’espace médiatique, les Marocains forment en silence des milliers d’imams africains à cet Islam du juste milieu, de la responsabilité et du respect. Trop en silence ? Pendant que des fous brûlent les œuvres d’art (rappelons nous les talibans détruisant les Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan), le Maroc contemporain construit une scène artistique libre et libérée.

L’exposition de l’IMA dessine un Maroc de la modernité, de la diversité, des couleurs, de l’art de vivre et du vivre-ensemble. Les oeuvres de plus de quatre-vingt artistes vivants, y compris des plasticiens, vidéastes, designers, architectes et même des créateurs de mode s’entrelacent pour esquisser une polyphonie, une unité de l’art marocain. Cette exposition est un des plus grands évènements jamais consacrés en France à la scène artistique contemporaine d’un pays étranger.

Sur le parvis de l’IMA, c’est un des articles du préambule de la nouvelle Constitution Marocaine de 2011 qui vous accueille : « son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen. » Le ton est donné. Le voyage va être pluriel dans la diversité culturelle, linguistique et religieuse du royaume chérifien.

L’Islam est loin d’occuper l’essentiel des œuvres marocaines exposées. Et l’exposition n’ignore pas les troubles et les soubresauts de la société marocaine. Les artistes ont traduit dans leurs œuvres ici exposées les aspirations du printemps arabe. Le corps sous toutes ses formes a fait irruption dans l’art contemporain marocain.

Comme le dit Jean-Hubert Martin, commissaire général de l’exposition avec Moulim El Aroussi et Mohamed Metalsi, « l’effervescence » caractérise la scène artistique contemporaine du Maroc. L’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun ajoute : « l’ensemble est hétérogène, riche, fulgurant de découvertes, échappant à l’ordre attendu, prenant des chemins de traverse, escaladant des montagnes où le réel est abandonné à son sort et la vie prend toute sa verve, ses sources, ses folies et ses passions. »

Une des fulgurances de cette exposition est de donner à voir dans le même espace une table à déjeuner richement décorée, bref l’art de la table, avec des peintures sublimes (comme les Anamorphoses d’André Elbaz qui nous ont subjugué) : il n’y a plus de frontière dans l’art entre la peinture, l’art de vivre, le design, les métiers d’art, l’artisanat et les arts de la table. L’art est partout, dans les ateliers autant que dans le quotidien des Marocains. Un art aussi élitiste que populaire. Bravo !

Un Maroc universaliste comme la France, à sa manière… 

Redonnons la parole à Bahija Simou : « Toute l’histoire du Maroc est empreinte d’une espérance. Elle est animée par un principe de sagesse millénaire, celui de la symbiose entre deux volontés solidaires, celle de l’unité et celle de la diversité. La première garantit l’intégrité identitaire de notre pays en préservant et revivifiant la mémoire de nos pères. La seconde lui assure l’exigence d’une ouverture qu’impose la marche de l’histoire.

« Ces deux volontés n’ont cessé de participer à la construction d’une humanité universelle, inclusive et non-exclusive, ouverte à l’autre et non repliée sur elle-même. C’est cette dynamique, qui traverse l’histoire du Maroc par-delà les vicissitudes […]. »

On croirait entendre parler de la France qu’on aime. Car, telle est notre conviction : Maroc, France et Europe partagent une même vision universaliste : l’union dans la diversité.

L’Islam des Lumières a existé au Moyen-Age. Le Maroc des Lumières vit toujours. Il est en train de revivre ! Sachons lui donner des ailes comme le Louvre et l’Institut du Monde Arabe osent le faire aujourd’hui.

Michel Taube
avec Ramin Namvari et Cécile Michiardi

http://www.opinion-internationale.com