Fait religieux : « pas de neutralité en entreprise »

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En 2015, près d’un quart des managers (23%) ont déclaré faire face à la question du fait religieux dans l’entreprise, contre 12 % seulement en 2014. Ceci est le résultat d’une étude menée par l’Institut Randstad et l’Observatoire du Fait Religieux en Entreprise (OFRE) en avril 2015 sur l’expression du fait religieux en entreprise.

L’occasion, pour nous, de faire un point sur ce sujet avec Hicham Benaïssa, chercheur au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités du CNRS depuis 2010. Chargé d’études et de recherche « Diversité et fait religieux en entreprise » chez FACE de septembre 2010 à avril 2014, il a mené une recherche-action sur le thème de la gestion du fait religieux en entreprise.

« Une problématique qui commence à émerger publiquement »

Poser ses congés pour célébrer une fête religieuse, prier pendant ses pauses, porter un signe religieux devant ses collègues. Le fait religieux fait son entrée dans le monde de l’entreprise depuis quelques années. « L’entreprise est l’un des principaux lieux de socialisation dans notre société », Hicham nous explique ainsi l’intérêt d’étudier l’articulation du fait religieux en entreprise. Penser à l’entreprise comme une organisation à finalité économique est une limite. Il continue : « La fonction d’une entreprise dépasse ses fonctions premières. Améliorer les liens au sein d’une entreprise, c’est aussi améliorer les liens au sein de la société ».

Connaître, s’engager et agir

Pour ce jeune chercheur il s’avère donc fondamental entamer des recherches afin de proposer des formations et des sensibilisations dédiées aux entreprises qui souhaitent mieux s’outiller sur ce sujet. « Jusqu’à aujourd’hui j’ai dispensé une trentaine de formations et sensibilisé plus de 600 personnes. La demande ne cesse  d’augmenter », souligne Hicham. L’expertise sur le sujet est le résultat de recherches qui confrontent les analyses juridiques et sociologiques existantes avec une série d’entretiens avec les acteurs directement concernés par cette problématique (salariés, managers, DRH, chefs d’entreprises…).

L’entreprise. Un lieu laïque ?

« Si nous entendons un lieu laïque par un lieu neutre, alors non. » précise Hicham Benaïssa. D’où naissent alors les problématiques liées au fait religieux en entreprise ? La réponse, d’après le chercheur, est à chercher dans l’assimilation de la laïcité à son principe de neutralité. « Nous oublions souvent qu’avant d’être une restriction, la laïcité est une liberté » continue-t-il. « Ceux à qui la loi commande la neutralité sont l’ensemble des personnes travaillant pour et au nom de l’Etat. L’entreprise n’est pas dans ce cas-là, elle reste régie par le droit privé. Par conséquent, en l’état actuel des choses, c’est le principe de liberté religieuse qui prévaut ». Néanmoins l’entreprise demeure un lieu régulé ou conditionné par des principes juridiques. Le droit du travail et la doctrine jurisprudentielle encadrent l’expression religieuse en entreprise. Ce qui explique pourquoi il est urgent d’en prendre connaissance et ne pas hésiter à interdire certains comportements dès lors que le droit le permet.

Comment manager le fait religieux en entreprise ?

Matthieu Stricot et Fabien Leone – publié le 18/04/2014

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Des congés pour motifs religieux sont-ils vraiment des congés comme les autres ? Les managers peuvent-ils traiter la religion comme tout autre sujet ? Lors du colloque sur la laïcité organisé par le Centre d’étude du fait religieux contemporain (Cefrelco), à Paris début avril, des professionnels ont témoigné sur leur gestion du fait religieux en entreprise. Compte-rendu.

La neutralité religieuse n’existe pas dans le droit du travail qui régit les entreprises privées. Par conséquent, la liberté religieuse doit prévaloir. Mais comment concilier travail et religion ? De nombreux professionnels préfèrent apporter des réponses au cas par cas.

«Nous étions d’abord favorables à la création de salles de prières. Nous avons changé d’avis après consultation des délégués du personnel. Les 480 votants ont tous voté pour l’application de la laïcité», assure Jean-Luc Petithuguenin, P-DG de Paprec Group.

Pourtant, l’entreprise leader du recyclage en France se veut championne de la diversité. «Dès le premier jour, nous avons décidé que nous lutterions contre le racisme et l’antisémitisme», déclare le P-DG. Paprec Group emploie 4 000 employés de 56 nationalités différentes, diplômés comme non-diplômés.

Pourquoi appliquer une laïcité stricte dans ce cas ? «Nous ne sommes ni antireligieux ni contre l’islam. Par mes origines huguenotes, je suis attaché à la liberté religieuse. Mais je considère que la laïcité est la protection des croyants modérés. Par exemple, j’ai 200 employées musulmanes d’origine maghrébine. Plusieurs m’ont dit qu’elles étaient contre le port du voile dans l’entreprise, car elle n’en portent pas personnellement et n’ont pas envie d’être discriminée en tant que mauvaise musulmane».

« Le voile n’est pas un problème »

Cette vision est loin d’être partagée par Francine Blanche, membre de la direction confédérale de la CGT : «Il ne faut pas créer un problème là où il n’y en a pas. Il y a quelques dizaines d’années, les femmes se baladaient avec un couvre-chef dans la rue et des religieuses en tenue couverte exerçaient dans les hôpitaux sans que cela ne perturbe l’équilibre psychologique des patients. Dans l’affaire de Baby Loup, on en a fait toute une histoire. On sait pourtant que la majorité des femmes exerçant dans l’aide à la personne en Ile-de-France sont d’origine musulmane. Qu’elles soient voilées ou pas, le travail est un moyen d’émancipation.» La syndicaliste reste très dubitative sur la conception d’une charte dans une entreprise : «Il faut appliquer le droit existant et examiner les situations au cas par cas», estime-t-elle.

« Il y a toujours eu des méchouis partagés »

C’est ce que tente d’accomplir Pierre Coppey, président de Vinci Autoroute. «Un jour, je venais de faire signer un contrat à une femme. Elle m’a tout de suite dit qu’elle viendrait avec son voile. Je ne pouvais pas m’y opposer. Ça s’est très bien passé ». Chez Vinci Autoroutes, de nombreux salariés sont musulmans. La pratique religieuse et la tradition ne posent pas de problèmes sur les chantiers : « Il y a toujours eu des méchouis et des festins partagés. La pratique religieuse se régule à la base.»

Les seuls problèmes relèvent du prosélytisme : «Si dans les vestiaires d’un chantier, cinq salafistes font du prosélytisme dans un groupe de quinze ouvriers, c’est la révolution. Là, le chef d’équipe doit intervenir.»

De manière générale, Pierre Coppey estime qu’ «on fait porter aux entreprises beaucoup de responsabilités en matière d’intégration».

La liberté religieuse d’abord

Ces questions relevant du domaine politique ne sont pas faciles à appliquer pour les managers. «Il y a une confusion entre laïcité et sécularisation. Le principe de neutralité n’existe pas dans le droit du travail. C’est la liberté religieuse qui prévaut», estime Hicham Benaïssa, consultant Diversité à la fondation Agir contre l’exclusion. Le doctorant à l’École pratique des hautes études dans le groupe Sociétés religions, laïcités a mené pendant quatre ans une enquête auprès de managers et de salariés. Il a remarqué que certaines entreprises ne veulent pas entendre parler de diversité religieuse.

Pourtant, la Charte de la diversité de 2004 contient 18 critères dont l’appartenance religieuse. Hicham Benaïssa pointe des effets secondaires dans la promotion de la diversité : «J’ai rencontré Samir, un jeune employé recruté grâce aux critères de diversité. Il ne comprenait pas pourquoi il devrait gommer ce pour quoi il avait été recruté. » Pour le chercheur, «les entreprises sont coincées entre deux discours : la diversité et la laïcité ».

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr