Depuis trois ans, l’Observatoire du fait religieux en entreprise – développé en partenariat avec SciencesPo Rennes, l’Institut sur l’égalité des chances de Ranstad et le Centre de recherche de l’action politique en Europe – interroge près de 1500 personnes sur la question du fait religieux dans le monde du travail. Trois populations sont visées : les cadres des ressources humaines, les managers et des salariés sans responsabilité.
Est-ce que la question du fait religieux est très présente dans l’entreprise ?
Oui, elle fait partie du quotidien de nombreuses entreprises. Nous le voyons dans les enquêtes réalisées par l’observatoire ces deux dernières années. Près de 12% des personnes interrogées en 2014 sont confrontées de manière quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle au fait religieux au travail. Près de 32% le sont de manière régulière, et presque 56% ne le sont jamais ou moins d’une fois par an. Il n’y a pas d’augmentation globale. La différence est que nous constatons une augmentation du nombre de cas bloquants et conflictuels. En 2013, le nombre de cas aboutissant à un blocage était de 6%, en 2014, il atteint 10%. Mais, il faut être vigilant. Derrière ces données se cachent de grandes disparités : dans certaines zones, par exemple en Seine-Saint-Denis, certaines entreprises et certains managers sont confrontés de manière quotidienne à des faits religieux qu’ils ont de plus en plus de mal à gérer ; en Vendée, c’est beaucoup moins le cas.
Comment se manifestent les démonstrations religieuses en entreprise ?
Les plus courantes correspondent à des demandes personnelles et isolées du type «Comment puis-je articuler ma pratique professionnelle et ma pratique religieuse?». En général, il s’agit de demandes ponctuelles d’absence pour participer à une cérémonie, le port d’un signe, etc. Cela représentent 94 % des faits recensés ; ils sont gérés par le management de proximité sans trop de difficultés. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a jamais de conflits, mais ces cas n’appellent pas un management spécifique. Ils sont réglés par la discussion, surtout lorsque les encadrants ne se focalisent pas sur la dimension religieuse et arrivent à les traiter comme des comportements individuels. Plus rares, en revanche, sont les faits qui ont une dimension politique. Le salarié demande alors à l’entreprise d’organiser le travail en prenant explicitement en compte sa pratique. Il cherche à imposer au fonctionnement de l’organisation et/ou aux comportements de ses collègues, la contrainte religieuse. Exemple: il peut faire pression sur le management pour que le ramadan soit officiellement pris en compte, pour que la direction accepte que des salariés puissent refuser des tâches ou de travailler avec ou sous les ordres d’une femme pour des motifs religieux, que les plannings soient adaptés aux contraintes de prière. Ce peut être aussi d’imposer des menus confessionnels au restaurant d’entreprise, de demander la mise en place d’un lieu de prière ou de faire pression sur des personnes pour qu’elles adoptent un comportement religieux, par exemple en participant à une prière collective. Ces derniers faits restent très minoritaires, mais nous constatons une augmentation. Le port de signes ostentatoires ne caractérise que 10 % des situations.
Comment les entreprises répondent-elles à ces demandes ?
Dans la plupart des cas, le management fait face à des salariés qui ne sont pas revendicatifs, mais simplement demandeurs de solutions. L’acceptabilité des demandes n’est pas la même. Par exemple, il est largement admis (82% des réponses positives) et légitime aux yeux de la majorité qu’un salarié fasse une demande d’absence pour assister à une fête religieuse. En revanche, pour 89% des personnes interrogées, il est inacceptable de refuser de réaliser des tâches pour motifs religieux, et pour la très grande majorité des répondants, on ne peut pas prier pendant le temps de travail. Parfois le management est confronté à des comportements plus radicaux. Il convient de noter que ces comportements radicaux se concentrent dans quelques entreprises. Dans ces sites, la situation s’est très fortement dégradée et les managers sont souvent en grande difficulté, faute de soutien de leur direction générale, de politique claire de l’entreprise et surtout de cadre juridique clair. C’est bien là, le problème.
Par Fanny Guinochet, Journaliste
Pour en savoir plus : http://www.lopinion.fr