Cessons de faire la com de l’Etat islamique !

EtatIslamique

Un polémiste britannique, ardent défenseur de la liberté d’expression, appelle ses confrères occidentaux à ne plus diffuser les images sordides du groupe terroriste.

J’ai une question pour les médias occi­dentaux : si vous êtes si convaincu que l’Etat islamique est barbare, monstrueux, l’un des pires mouvements de notre histoire récente, pourquoi donc assurez-vous sa com ?

Pourquoi diffu­sez-vous sa propagande, et avec elle la « marque » EI, vous comportant de facto comme autant d’attachés de presse offi­cieux ?

Car ne vous y trompez pas. Quand des organes de presse occidentaux éta­lent en première page les sordides snuff movies de l’Etat islamique, assortis d’al­léchantes captures d’écran des quelques secondes précédant l’horreur absolue, c’est précisément ce qu’ils font : c’est presque de la complicité avec les terroristes, et c’est sans conteste les aider à parachever ces actes de terreur en en faisant la publicité auprès d’opinions occidentales sidérées. Le terroriste à lui seul n’a pas les moyens de faire connaître aussi largement ses actes, mais les médias sont là pour interpréter et semer tous azimuts cette terreur qu’il veut jeter dans nos cœurs.

Le 3 février, le groupe Etat islamique a de nouveau publié la vidéo d’une exé­cution, la pire à ce jour. Nul besoin ici d’en détailler le contenu, puisqu’il vous suffit de prendre n’importe quel journal britannique, n’importe quel journal au monde, d’ailleurs, pour obtenir dès la une de macabres et terrifiantes informations sur ce qu’a fait l’El et peut-être, en prime, des photos du mort-vivant. Certains journaux publient des images prises quelques milli­secondes avant l’horreur, à la façon d’une foire aux monstres digne de l’Angleterre victorienne. Et vous, naturellement, vous vous demandez ce qui s’est passé ensuite, à quel point cela a été atroce – a-t-il hurlé ? S’est-il tordu de douleur ?

Le traitement de ces vidéos par les médias est au fond une invite à googliser, à aller chercher le film d’horreur authentique en ligne – car évi­demment il y est [la chaîne américaine Fox News est allée jusqu’à publier l’inté­gralité de la vidéo sur son site]. C’est du racolage moderne: « Approchez, approchez, mesdames et messieurs! Venez voir ce qu’il advient de l’homme en cage !

La pornographie de l’horreur

Certains organes de presse justifieront le récit éprou­vant qu’ils font de la vidéo et l’usage abon­dant d’extraits par le devoir d’informer, voire de défendre la liberté de la presse. Spiked est loin d’être le dernier en la matière, mais je ne peux pas adhérer à ces justifications. Naturellement, l’exécution de ce citoyen jordanien par l’Etat islamique est une information d’intérêt public. Mais la description façon exercice d’écriture de toutes les plaies sur le visage de l’otage… La représentation image par image, façon Wes Craven [réalisateur de films d’hor­reur], de l’instant fatal… Le récit pénible du moindre mouvement de l’agonisant… Tout cela est-il vraiment nécessaire ? De mon point de vue, pour l’essentiel, la cou­verture médiatique des pratiques meur­trières perverses de l’El a moins pour but d’informer que d’aguicher, de provoquer, d’offrir aux lecteurs une pornographie de l’horreur dont ils peuvent jouir tout en gar­dant la conscience tranquille. Nombre de journaux ressemblent aujourd’hui à ces feuilles de choux bon marché qu’on trou­vait à l’époque victorienne, qui préten­daient sensibiliser l’opinion au fléau de la prostitution enfantine en déversant des tombereaux de détails racoleurs sur les il outrages infligés à ces enfants : aujourd’hui comme hier, le devoir d’informer sert de prétexte douteux à la publication de contenus voyeurs complaisants.

Et le pire, c’est que c’est précisément ce que cherche l’Etat islamique terr: qu’on parle aussi loin et aussi fréquemment que possible de ses pratiques volontairement le archaïques et ultraviolentes. Et le groupe a particulièrement besoin de ce genre d’opé­ration de communication aujourd’hui, après la défaite que lui ont infligée les Kurdes à Kobané et étant donné son isolement à Mossoul, qui serait assiégée par des forces irakiennes et étrangères.

Les médias encouragent l’El

Ebranlé, l’El a besoin de rappeler aux Occidentaux qu’il reste une menace, et quoi de mieux pour cela que de diffuser une vidéo vraiment choquante, sachant que des médias occi­dentaux assoiffés de gore vont immédiate­ment s’en emparer ? Certains se demandent pourquoi l’El réalise des vidéos si atroces. C’est en partie parce que cette organisation est manifestement à des années-lumière de l’univers moral et politique dans lequel évoluent la plupart des groupes politiques, même les plus violents. Mais c’est aussi parce qu’il sait que ses vidéos vont faire réagir, qu’elles vont générer des « pages vues », susciter l’obsession des médias occi­dentaux. Il est donc vraisemblable que la presse occidentale encourage l’El à conti­nuer ses exécutions filmées.

Nos sociétés occidentales apeurées ampli­fient les actes de terrorisme en réagissant de façon excessive au terrorisme. On l’a vu ces dix dernières années, les acteurs poli­tiques ont réagi aux attentats islamistes dans les grandes villes occidentales : ils ont réé­crit les lois, restreint les libertés et instauré une culture de la peur. Le retentissement du terrorisme est très souvent déterminé.

Au bout du compte, ce sont les ressources morales (ou leur absence) d’une société prise pour cible qui déterminent si le ter­rorisme aura un retentissement sanglant mais temporaire ou un retentissement durable sur les plans politique, juridique et moral. Et aujourd’hui encore face à l’Etat islamique: si « John le djihadiste » et ses acolytes hantent nos cauchemars, c’est à cause de ce que les médias ont fait d’eux, c’est parce que nos sociétés elles­-mêmes ont érigé en monstres ces meurtriers pathétiques.

Par : Brendan O’Neill (Spiked – Londres)

Pour en savoir plus : http://article19.ma/

La radicalisation religieuse, exutoire des frustrations arabes et occidentales

Beyrouth – L’irruption spectaculaire du groupe État islamique et l’incroyable attrait que représente la cause jihadiste dans un Occident désabusé illustrent la place centrale qu’occupent les religions dans la géopolitique mondiale.
 Combattants-kurdes-se-rassemblent-dans-une-rue-de-la-ville-de-kobane-assiegee-par-des-membres-du-groupe-etat-islamique-le-7-novembre-2014
Des combattants kurdes se rassemblent dans une rue de la ville de Kobané, assiégée par des membres du groupe Etat islamique, le 7 novembre 2014 – afp.com/Ahmed Deeb

 

Après des décennies de dictatures paralysantes, le Moyen-Orient, berceau des trois religions monothéistes, a vécu de nouveaux bouleversements stupéfiants en 2014, mais les résultats du Printemps arabe restent maigres.

S’ajoutant aux énormes frustrations nées de l’impasse sur la question palestinienne, du développement économique anémique et de la corruption endémique, les espoirs déçus du nationalisme arabe ont favorisé dans la région l’incroyable montée d’un projet islamiste qui affirme être capable d’offrir une autre voie.

Le vrai tournant a été l’invasion américaine de l’Irak en 2003. « Elle a exacerbé la ligne de fracture confessionnelle (entre chiites et sunnites), placé l’Iran comme acteur majeur dans le monde arabe et suscité un fort sentiment de vulnérabilité chez les sunnites au Levant« , estime Raphaël Lefèvre, chercheur au Carnegie Middle East Center.

« La montée de l’EI, du Front al-Nosra et d’autres groupes extrémistes sunnites ne peut être perçue qu’à la lumière de cette vulnérabilité« , dit-il, en citant le poids militaire du chiite Hezbollah au Liban et en Syrie, la répression d’une révolte largement sunnite en Syrie par un régime dominé par les Alaouites, et le comportement discriminatoire en Irak du pouvoir chiite.

L’ascension fulgurante de l’islamisme a été favorisée par l’échec du nationalisme arabe, qui voulait transcender les religions mais qui s’est incarné dans des régimes laïques autoritaires. L’échec des guerres contre Israël ainsi qu’une situation économique désastreuse ont finalement eu raison de cette idéologie.

« Ensuite, les accords (de paix) d’Oslo en 1993 (signés entre l’OLP et Israël) ont causé un choc car on ne pouvait plus combattre pour la cause palestinienne. Il n’y avait plus de cause, ce qui explique cet attrait pour l’islamisme« , explique Nayla Tabbara, professeur de sciences des religions à l’Université Saint Joseph de Beyrouth.

– Fuite des chrétiens d’Orient –

La radicalisation islamique a eu des conséquences désastreuses sur la présence deux fois millénaire des chrétiens en Orient, notamment après la prise par l’EI de la ville irakienne de Mossoul, où ils vivaient depuis l’Antiquité.

« Il y a une grande peur et une grande incompréhension des chrétiens au Liban et dans les pays alentours. Ceci les pousse à la fuite« , assure Mme Tabbara.

Selon l’expert français Fabrice Balanche, au moins 700.000 à 800.000 chrétiens ont quitté l’Égypte, la Syrie et l’Irak depuis 2011.

La religion, qui a toujours été une importante force socio-culturelle au Moyen-Orient, a également gagné du terrain en Israël et chez les Palestiniens.

« Il y a incontestablement une radicalisation et un durcissement, mais qui sont moins religieux à proprement parler que nationalistes« , assure à l’AFP l’historien israélien Zeev Sternhell.

« La religion est au service d’un nationalisme dur et colonisateur à outrance; elle a aujourd’hui un caractère fanatique inconnu dans le passé. Religion et nationalisme vont de pair« , précise-t-il.

Quant à la cause palestinienne, assure Mme Tabbara, qui préside également Adyan, une plate-forme de dialogue interreligieux basée au Liban, « l’islam politique l’a récupérée en insistant sur le sentiment d’injustice généralisée non seulement de la part d’Israël mais de la communauté internationale« .

– Besoin du sacré –

Mais la nouveauté radicale est la force d’attraction que représente l’organisation Etat islamique en Occident. Selon une étude récente, près de 15.000 combattants étrangers ont rejoint ce groupe en Syrie, dont 20% d’Occidentaux.

« Parce que ces jeunes y trouvent ce que nos sociétés n’offrent plus, le frisson lié au combat pour une cause qui leur fait croire qu’ils ont un pouvoir sans limite, un pouvoir divin« , explique à l’AFP l’anthropologue et psychologue Scott Atran, directeur de recherche au CNRS français et professeur adjoint à l’université du Michigan (Etats-Unis). « C’est glorieux et aventureux. Le sentiment de pouvoir changer le monde est très attirant« .

« Il faut donner un sens à sa vie, on a besoin du sacré. Comme cela n’existe plus en Occident, on va le chercher là où il est très apparent. Il y a aussi une quête de communauté et de fraternité. C’est ce sentiment qui pousse les jeunes à entrer dans ces mouvements« , précise Nayla Tabbara.

Par AFP, publié le

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