Education : le long chemin de l’école musulmane

Encore très peu nombreux, ces établissements ont le vent en poupe. Ils rassurent une communauté en quête d’affirmation identitaire mais aussi de bons résultats scolaires. L’Etat doit-il les prendre dans son giron pour mieux les contrôler ?

Ecole-musulmane

Ouvert depuis 2009, le collège-lycée Ibn-Khaldoun, à Marseille, espère passer sous contrat à la rentrée. Ici, une classe de cinquième. France Keyser/Myop pour L’Express

Le silence règne dans la vaste salle ripolinée de blanc où l’odeur de peinture est encore prégnante. Les étagères parsemées de livres aux couvertures plastifiées sont prêtes à accueillir les ouvrages que le documentaliste déballe des cartons. « Ça commence à bien se remplir », se réjouit-il à voix basse, pour ne pas déranger la jeune fille qui révise ses leçons dans un coin de la salle.

« Ce qui marche le mieux, ce sont les mangas et la science-fiction. Mais nous avons aussi des livres sur l’islam et des contes en arabe d’un niveau accessible. » A l’heure du déjeuner, dans cet établissement privé musulman des quartiers nord de Marseille, les élèves se précipitent pour emprunter ou dévorer sur place les livres mis à leur disposition.

Embauché à mi-temps en septembre, le responsable du centre de documentation et d’information (CDI) constitue petit à petit une bibliothèque où se côtoient littératures contemporaine et classique. « Je ne m’interdis rien, même si certains parents ont été un peu choqués par L’Attrape-coeurs ou L’Herbe bleue. »

Orchestrée dans l’urgence, en deux mois, pendant l’été 2014, la création du CDI a été exigée par le rectorat, dans la foulée de son inspection. Supprimer l’issue de secours de la mosquée donnant sur le réfectoire, installer un point d’eau dans le laboratoire, réunir le conseil d’établissement trois fois par an et réorganiser l’emploi du temps en plaçant les cours optionnels – éducation musulmane – en début ou fin de journée…

Mohsen Ngazou, le directeur d’Ibn-Khaldoun, a appliqué ces recommandations à la lettre. Ces jours-ci, il attend avec fébrilité le verdict du ministère. Il espère décrocher enfin le fameux contrat. Une reconnaissance du travail accompli depuis 2009 et une bouffée d’oxygène pour le compte en banque d’Ibn-Khaldoun, dont une partie des professeurs seraient, dès lors, payés par l’Etat. Les pieds dans la glaise, il arpente avec enthousiasme le chantier inachevé de l’établissement et rêve aux futurs bâtiments, qui pourraient accueillir, à terme, près de 500 élèves.

7600 institutions catholiques et 250 écoles juives

S’il obtient le contrat d’association, Ibn-Khaldoun sera le quatrième établissement musulman de France à bénéficier du soutien de l’Etat. Un score sans comparaison avec les 7600 institutions catholiques et les 250 écoles juives. Pour être placé « sous contrat », un établissement doit se prévaloir d’une ancienneté de cinq ans et être jugé conforme par le rectorat. Il existerait actuellement en France une petite quarantaine d’écoles musulmanes et une cinquantaine en projet, dont une dizaine ouvriront dans deux ou trois ans.

A l’oeuvre depuis une dizaine d’années pour sortir l’enseignement musulman de la marginalité, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) passe aujourd’hui à la vitesse supérieure. Création de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (Fnem), lancement de formations, organisation, le 23 mai, des premières assises.

Faute de moyens, l'établissement marseillais n'est pas certain de pouvoir terminer ses travaux prochainement.
Faute de moyens, l’établissement marseillais n’est pas certain de pouvoir terminer ses travaux prochainement. France Keyser/Myop pour L’Express

« Nous souhaitons mutualiser nos expériences et accompagner les initiateurs de projets pour faciliter leurs démarches », expose Makhlouf Mamèche, qui cumule la présidence de la Fnem avec ses responsabilités de viceprésident de l’UOIF et de directeur adjoint du lycée Averroès (Nord). Pour Amar Lasfar, président de l’UOIF, après la focalisation sur la construction des mosquées, « l’ère de l’école est venue ». Plusieurs cadres de l’UOIF se trouvent aujourd’hui à la tête d’écoles musulmanes.

La tentation du privé

Au cours des deux dernières années, de nombreuses initiatives locales ont fleuri, à Carpentras, Nanterre, Toulouse, Halluin, Argenteuil, Nice ou Toulon, encouragées par une communauté inquiète et soucieuse de donner le meilleur à ses enfants. « Longtemps, les musulmans ont préféré fréquenter l’école publique, pour être dans la République. Les imams eux-mêmes les y encourageaient, analyse Bernard Godard, spécialiste de l’islam et auteur de La Question musulmane en France (1). Aujourd’hui, les aspirations de la classe moyenne ont évolué. »

La loi du 15 mars 2004 sur le port de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, puis la défiance générale à l’égard de l’école ont gonflé les départs des enfants de la communauté musulmane vers le privé. A Marseille, dans certains établissements catholiques, ils représenteraient 50% des effectifs. La demande d’ouverture d’écoles confessionnelles se fait plus pressante. Les polémiques sur l' »ABCD de l’égalité », l’an dernier, et les surenchères récentes du FN et de Nicolas Sarkozy sur la laïcité ou les « repas de substitution » font monter la tension d’un cran.

A Nanterre, l’association Orientation, qui ouvrira à la rentrée la première école musulmane des Hauts-de-Seine, a reçu 50 demandes d’inscription pour 20 places disponibles. A Grenoble, à la Plume, l’une des premières écoles élémentaires privées de confession musulmane, apparue en France il y a quatorze ans, la directrice a refusé 60 dossiers pour la rentrée de 2015. A Averroès, le célèbre établissement lillois, classé meilleur lycée de France en 2013 avec 100% de réussite au bac, les inscriptions sont closes depuis décembre.

Dans son bureau donnant sur le parking du RER, entre deux vrombissements de train, Mahmoud Awad, président du collège-lycée Education et savoir, situé à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et créé en 2008, se confie. Lui aussi attend avec impatience, pour ces jours-ci, la réponse du rectorat à sa demande de passage sous contrat. Surtout pour soulager la situation financière ultratendue de l’association.

« Une équipe d’inspecteurs de l’Education nationale a passé deux jours chez nous l’an dernier et elle est revenue cette année. Comme demandé, nous avons loué une salle supplémentaire pour le réfectoire, afin d’y faire déjeuner nos 117 élèves », rapporte, dans un soupir, cet ingénieur, délégué régional de l’UOIF, en désignant le tableau de financement de l’établissement affiché sur le mur.

Leurs cartes maîtresses : élitisme et excellence

Visage ouvert et attitude bon enfant, les élèves de seconde de ce lycée, réquisitionnés par la direction pour répondre à nos questions, expriment leur satisfaction. Sonia (2), 17 ans, se destine aux études de médecine : « J’aurais pu aller chez les cathos. Mais ici, à 13 par classe, on apprend vraiment bien. En prime, on peut faire nos prières. » Sidi (2) fréquente Education et savoir depuis la classe de sixième et supporte une heure de trajet pour venir jusqu’à Vitry : « Plusieurs amis m’en avaient parlé. J’ai essayé et je n’ai plus voulu changer. Les profs nous encouragent beaucoup. Et ils nous apportent une aide individuelle. On peut même leur envoyer des e-mails. »

Amelle Bekri enseigne le français à Vitry depuis deux ans à raison de dix-sept heures par semaine. Cette jeune femme, qui porte le voile, suit scrupuleusement le programme de l’Education nationale. « Les enfants bénéficient d’un soutien scolaire en maths et en français, précise-t-elle. Les résultats sont excellents. Bon nombre de nos anciens élèves sont aujourd’hui dans des grandes écoles. »

Comme Ibn-Khaldoun ou Education et savoir, les établissements désireux de passer au plus vite sous contrat évitent de trop mettre en avant les salles de prière à la disposition des élèves ou les cours d’éthique musulmane. Lesquels, généralement optionnels, sont cependant la plupart du temps suivis avec assiduité. Vis-à-vis de l’Etat comme des parents, ces écoles brandissent une carte maîtresse : élitisme et excellence. Mais… la recette ne fonctionne pas si facilement.

A Décines, dans la banlieue lyonnaise, le groupe scolaire Al Kindi, devenu le plus grand établissement musulman de France, a longuement bataillé avec le rectorat, il y a quelques années, lorsque celui-ci s’est opposé à trois reprises à son ouverture, invoquant des raisons d’hygiène et de sécurité. Perçue comme une croisade anti-islam, l’opposition du recteur de l’époque, Alain Morvan, avait mobilisé la communauté musulmane. Si la médiatisation du conflit a finalement levé les obstacles, Al Kindi n’a toujours pas obtenu la possibilité de passer toutes ses classes sous contrat.

A Montigny-le-Bretonneux, dans les Yvelines, Slimane Bousanna peine, lui aussi, à décrocher le contrat d’association. « Je comprends que l’émergence de ces écoles puisse crisper. Mais, contrairement à d’autres, nous ne sommes pas l’émanation d’une mosquée. De plus, nous avons fait revenir sur les bancs de l’école des enfants scola risés à la maison ! »

A Halluin (Nord), à la même adresse que la mosquée, un projet d’école élémentaire qui prévoit d’accueillir 110 élèves suscite l’inquiétude du maire, Gustave Dassonville (UMP). Pour l’heure, l’élu refuse de délivrer une autorisation d’ouverture, signalant l’absence de cour de récréation et de signa létique pour les sanitaires. Un prétexte ? « C’est un dossier complexe qui pourrait devenir explosif si l’on n’y prend pas garde », s’alarme-t-il. Lors des journées portes ouvertes, l’école aurait recueilli près de 90 inscriptions. « Mais la plupart ne viennent pas d’Halluin et 95% des habitants sont vent debout contre ce projet », assure le premier magistrat de la ville, qui craint, sans en avoir la preuve, un entrisme de l’islam radical.

L’origine des fonds suscite la méfiance

« Il existe une forme de suspicion à l’égard des établissements musulmans, constate l’ancien recteur Bernard Toulemonde. Mais ceux qui demandent à passer sous contrat ne sont pas tenus par des salafistes ! » « L’attitude de certaines écoles nous cause du tort », reconnaît le président de la Fnem, offusqué, par exemple, qu’à l’école primaire Hanned, à Argenteuil, les petites filles portent le foulard. « A Roubaix, à l’école Arc-en-ciel, ils ont refusé de nous recevoir car nous sommes des hommes », explique-t-il encore.

Autre sujet qui suscite la méfiance : l’origine des fonds. Officiellement, ils proviennent uniquement de collectes dans les mosquées ou de dons. Mais l’opacité due à l’anonymat – justifié au nom du Coran – ne permet pas de vérifier si les écoles ne sont pas en partie financées par des pays étrangers.

En cet après-midi ensoleillé d’avril, Mme S., professeur de français au collège Ibn-Khaldoun, a tiré les rideaux pour passer des diapositives. Après avoir travaillé dans un établissement privé de confession juive, cette jeune femme en jean enseigne ici depuis deux ans. Au programme de ce lundi, pour cette classe de seconde, l’étude des figures de style. Anaphore, litote, gradation, hyperbole… chacune est illustrée par une photo projetée sur le mur. Assis côte à côte, les jeunes filles (voilées ou pas) et les garçons tentent de trouver les définitions correspondantes.

La classe est calme, les élèves chuchotent pour communiquer entre eux. L’ambiance est studieuse. Lorsque apparaît, seins nus, le personnage principal du tableau d’Eugène Delacroix La Liberté guidant le peuple, la classe ne moufte pas. Ailleurs, l’image aurait immanquablement provoqué quelques ricanements, travers d’adolescents en pleine puberté. « La rigueur et la discipline sont les marques de fabrique d’Ibn-Khaldoun, relève Abdallah Tizeggaghin, père d’un garçon en classe de seconde. En plus d’assurer la scolarité, on y forme de bons citoyens qui connaîtront leur culture d’origine. Des enfants qui ne seront pas récupérés par des manipulateurs », assure-t-il.

L’accusation de communautarisme menace

Quête de sécurité ou repli identitaire ? Selon le chercheur Samir Amghar, coordonnateur d’une étude sur l’enseignement musulman (3), l’ambition de l’UOIF relève du prosélytisme : le mouvement souhaite « mettre en oeuvre les moyens en vue de faire perdurer l’identité religieuse dans les communautés immigrées musulmanes ». D’après cette enquête, l’objectif de ces écoles est aussi de former une élite susceptible de fournir des cadres à la communauté musulmane. D’où une sélection drastique fondée sur les résultats scolaires et le comportement.

La polémique qui, en début d’année, a ébranlé le lycée Averroès, mis en accusation par un professeur de philosophie stigmatisant des dérives antisémites de certains élèves, a souligné les lignes de faille d’un modèle encore fragile. « Il faut clarifier la place du religieux dans l’établissement », exigent les inspecteurs de l’Education nationale qui n’ont pas trouvé d’autres reproches à formuler à l’issue de leur mission effectuée en février. « Nous allons réactiver le conseil pédagogique, mettre en place plusieurs instances, comme une commission ‘Vie citoyenne’ et une cellule de veille », détaille le directeur d’Averroès, Hassan Oufker.

Le travail déjà entamé a permis de faire remonter des informations utiles : « Nous avons appris que certains professeurs félicitaient les élèves en arabe sur leur copie ou acceptaient de séparer les filles et les garçons lorsque ceux-ci en faisaient la demande. Or c’est totalement étranger à nos principes », assure-t-il, reconnaissant tout de même que la mixité n’est pas pratiquée lors des cours de gymnastique.

Faut-il donc encourager l’essor des écoles musulmanes ? Le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem s’interroge. Passer un contrat avec les établissements est clairement la meilleure façon de contrôler leur fonctionnement. Mais l’accusation de communautarisme menace et n’épargne pas une ministre souvent attaquée sur ses origines par les extrémistes. A l’heure où la République peine à panser ses plaies de l’après-Charlie, le gouvernement marche sur une ligne de crête. D’autant que, au sein du PS, le sujet fait des vagues. Alors, tandis qu’ils attendent la décision du ministère concernant leur passage ou non sous contrat, les dirigeants des écoles musulmanes n’ont d’autre solution que de multiplier les collectes auprès des mosquées et des mystérieux bienfaiteurs anonymes.

De la gauche à la droite, l’embarras

« C’est la seule communauté qui ne soit pas représentée à sa juste valeur »: Samia Ghali, sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône, est à fond pour le développement des écoles privées musulmanes. « Plus on frustre les gens, plus on encourage la radicalité », avance-t-elle.

Au PS, le sujet est explosif. Les divergences sont apparues lors d’un communiqué de presse du secrétaire national à la laïcité et aux institutions, publié en février et prenant position en faveur du développement d’écoles musulmanes. Plusieurs membres de cette commission se sont aussitôt désolidarisés du secrétaire national : encourager ces écoles constituerait un coup de canif au principe de laïcité.

Lors d’un bureau national, le 21 avril, la question de l’enseignement confessionnel musulman a été soigneusement évitée afin de refermer le couvercle sur les dissensions. A l’UMP, en attendant la journée de réflexion consacrée à l’islam au mois de juin, on se tient à un silence prudent. Pas question, surtout, de rappeler cette phrase récente de Nicolas Sarkozy sur TF 1 : « Si vous voulez que vos enfants aient des habitudes alimentaires confessionnelles, allez dans un établissement privé. »

(1) La Question musulmane en France, par Bernard Godard (éd. Fayard).

(2) Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat.

 (3) « L’enseignement de l’islam dans les écoles coraniques, les institutions de formation islamique et les écoles privées », IISMM-EHESS, juillet 2010.

Pour en savoir plus : http://www.lexpress.fr

LAÏCITÉ – Les intellectuels anglo-saxons sévères avec la France

La laïcité a suscité et connu bien des crispations en France depuis les attentats parisiens. Vu de l’étranger, le constat est sévère. Le New York Times juge que la France se ridiculise avec l’exclusion de Sarah de son collège pour sa longue jupe noire. Par ailleurs, six auteurs du Pen Club international ont décidé de ne pas assister à la remise du prix du courage décerné à Charlie Hebdo le 5 mai aux Etats-Unis.

Soccer match day after

Les supporters de Guingamp rendent hommage aux victimes des attentats, en arborant des panneaux « Je suis Charlie », quelques jours après le 11 janvier (AFP).

Comment entretenir « l’esprit du 11 janvier »? En défendant la « laïcité à la française », entend-on de toutes parts. Problème: il n’y a pas de consensus en la matière. Après l’affaire de l’affiche annonçant un concert des Prêtres au profit des chrétiens d’Orient, mention religieuse refusée par la RATP dans un premier temps, vous avez peut-être suivi, perplexe, l’”affaire de la jupe” qui a agité la France la semaine dernière. Sarah, une collégienne de 15 ans, dans les Ardennes a été sommée de rentrer chez elle pour changer de tenue. Selon sa version et celle de sa famille, l’établissement lui aurait reproché de porter une jupe « trop longue ».

C’est la circulaire du 15 mai 2004 sur le « port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » adressée aux personnels de l’éducation qui a permis une telle situation. L’inspecteur académique des Ardennes, Patrice Dutot l’a expliqué : il n’a « rien contre une jupe évidemment, quelle que soit sa longueur ». Ce qu’il dénonce, c’est l' »action concertée avec une tenue qui en l’occurrence relève symboliquement de l’ostentatoire ». La ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem a soutenu l’équipe pédagogique qui « a fait preuve de discernement pour juger du caractère prosélyte non pas de la tenue mais de l’attitude de l’élève. »
Le journal Le Monde a lancé le débat en titrant en Une sur l’affaire. Et le web a très vite réagi, les interrogations et la colère ont débordé sur Twitter où le hashtag #JePorteMaJupeCommeJeVeux rassemblait de très nombreux messages.

Ridicule
Dans son édition du premier mai, le New York Times est revenu sur ce sujet, avec virulence. « En France, la conception de la laïcité y est si sévère qu’il ne s’agit plus de protéger les croyances de chacun, mais d’imposer un style de vie défini comme laïc – et le plus souvent ce sont les nombreux musulmans du pays qui sont visés », indique le journal. Pour le quotidien américain, la loi de 2004, »devient ridicule quand les professeurs se permettent d’émettre un jugement en considérant que tel ou tel habit est une prise de position religieuse ». Selon le New York Times, « les officiels français doivent cesser de se cacher derrière la laïcité quand leur unique but est en réalité d’imposer leur identité et leurs codes à des personnes aux racines différentes des leurs. (…) Aucune religion ne menace sérieusement la laïcité en France aujourd’hui, et invoquer un principe aussi noble contre une jeune fille portant simplement une jupe ne fait que le dévoyer ».

Liberté d’expression
Au delà de cette tribune, dans le monde anglo-saxon, c’est la laïcité et une certaine conception de la liberté d’expression qui restent incomprises. La controverse fait rage dans les medias américains autour de la remise à Charlie Hebdo du “Prix du Courage”. Le Pen Club international est une organisation d’écrivains internationale attachée aux valeurs « de paix, de tolérance et de liberté sans lesquelles la création devient impossible ». Pourtant, six de ses auteurs, dont Joyce Carol Oates ou Michael Ondaatje ont décidé de boycotter la remise du prixle 5 mai à New York. Au départ, six auteurs ont dit défendre une liberté d’expression «sans limitation» et déplorer la tuerie du 7 janvier, mais refusent d’accorder à la ligne éditoriale du journal «admiration et respect». Chaque jour de nouvelles voix dans les medias ont dénoncé «Charlie Hebdo» un journal venimeux et islamophobe. Dans un communiqué, 145 auteurs accusent eux aussi le journal satirique de ridiculiser «une partie de la population française déjà marginalisée et rendue victime». S’ils admettent que «Charlie» affiche un mépris semblable pour toutes les religions, ils considèrent que, «dans une société inégalitaire, une offense ‘‘équitable’’ n’a pas les mêmes effets».

Salman Rushdie, qui a fait l’objet d’une fatwa pour son livre Les versets sataniques, a lui soutenu ce prix: « Si PEN, en tant qu’organisation défendant la liberté d’expression, ne sait ni défendre ni soutenir les personnes qui ont été assassinées pour un dessin, et bien l’organisation ne mérite pas son nom.« 

La confusion autour de ce concept bien français semble donc toujours aussi grande. Il n’est donc pas étonnant que la laïcité soit si difficile à comprendre et à appliquer, en France comme à l’étranger.

Pour en savoir plus : MPP (www.lepetitjournal.com)

mardi 5 mai 2015

Enseigner les religions à l’école

À de rares exceptions près, l’enseignement du fait religieux se heurte au manque de formation et de temps, au peu d’enthousiasme des élèves et des enseignants et à une approche biaisée de la laïcité.

 

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Le fait religieux ne fait l’objet d’aucune discipline © PHOTOPQR/L’EST REPUBLICAIN
 Les attentats de Charlie Hebdo – suivis par ceux de Copenhague et de Tunis – ont rappelé que le consensus du vivre ensemble était une construction permanente. En France, l’école est considérée comme l’un des principaux maîtres d’œuvre de ce chantier, notamment au travers de l’enseignement laïque du fait religieux. Ce qui pose, au-delà de la question des moyens, celles de la formation des professeurs et du contenu des enseignements.

L’Institut européen en sciences des religions (IESR) a été placé en première ligne du plan de formation des 1 000 formateurs proposé, entre autres mesures postCharlie, par la ministre de l’Éducation. Sa directrice, Isabelle Saint-Martin, part cependant d’un état des lieux lucide : « La formation initiale en ce qui concerne les faits religieux est insuffisante. Quant à la formation continue, elle est trop faible rapportée à la masse d’enseignants. Il y a un effort énorme à fournir. Or, cela demande de l’argent. » En conséquence, il est presque impossible de mesurer dans quelle proportion les enseignants du public sont formés à aborder le sujet en classe.

Le rapport Debray

Le rapport Debray sur « L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque », publié en 2002, proposait un module systématique pour les professeurs du premier et du second degrés. Cela n’a jamais été mis en place jusqu’au bout, si bien que la formation des enseignants reste pour le moins inégale et difficile à évaluer. Une lacune que la réforme des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) n’a pas contribué à combler. Désormais, un « renforcement » de la formation des enseignants figure parmi les mesures annoncées par Najat Vallaud-Belkacem. « Renforcer, cela signifie que nous ne partons pas de rien », insiste Isabelle Saint-Martin, qui rappelle que le rapport Debray a tout de même donné une première impulsion. « C’est une marque de confiance et de respect envers le corps enseignant que de considérer que la solution n’est pas sécuritaire mais passe d’abord par la mobilisation de l’école », ajoute-t-elle.

Pour corser la situation, le fait religieux – et c’est une spécificité française – ne fait l’objet d’aucune discipline. Il est abordé au collège et au lycée de manière transversale, notamment en cours d’histoire et de français et, depuis deux ans, d’histoire des arts au niveau du brevet. Un choix perçu par la plupart des professeurs comme la garantie de ne pas laisser la religion entrer dans l’école tel un cheval de Troie. Est-ce la panacée pour autant ? Sans doute pas, d’autres obstacles surgissant en chemin.

Des programmes ultrachargés, variant au gré des réformes, et la difficulté des professeurs à cerner les enjeux avec justesse constituent autant de freins à l’enseignement du fait religieux à l’école. Derrière les témoignages recueillis se profile cependant le spectre de raisons plus profondes. Face aux réticences croissantes des familles, élèves comme parents, la mollesse du soutien institutionnel ne rassure pas les professeurs, qui se retrouvent ainsi une grenade dégoupillée entre les mains. Combien sont-ils à renoncer à aborder le fait religieux avec leur classe ?

Dans le privé

La vie difficile de cette enseignante de primaire dans une ZEP de Nîmes, où le public est en très forte majorité musulman, l’illustre. En 2008, des ateliers permettant d’aborder fait religieux et laïcité avaient été organisés avec succès mais aucun collègue n’a voulu poursuivre cette activité chronophage, avec à la clé le risque de se heurter à de pénibles résistances. Devant le nombre d’incidents – une petite fille refuse de poser pour la photo de classe, des parents envoient leur fils en sortie scolaire mais pas leur fille… –, cette jeune enseignante dit gérer le « fait religieux » au cas par cas, en comptant sur la relation personnelle établie avec les familles. On déplorera que l’équipe pédagogique de l’établissement ait refusé de nous rencontrer au motif qu’un établissement laïque ne pouvait recevoir un journal protestant. Mésinterprétation de la laïcité hélas courante !

De rares initiatives éclairent le tableau, à l’image des ateliers conduits par Céline Spery dans un collège rural aisé du Rhône. Cette dynamique professeur de français a choisi de faire réfléchir ses élèves sur la laïcité, la caricature, la défense d’une cause… « Les jeunes deviennent acteurs. Il y a de l’émulation, de l’enthousiasme dans la recherche et le travail en autonomie », se réjouit-elle.

Catholiques et protestants

Le versant privé de l’enseignement en France sous contrat avec l’État est lui aussi interpellé par les questions de formation. Pour des raisons historiques, les réponses apportées sont en majorité catholiques. Les cinq universités catholiques présentes sur le territoire français constituent, avec les ISFEC (instituts supérieurs de formation de l’enseignement catholique) et les différents instituts qui dépendent d’elles, un réseau hyperstructuré. Le cadrage national de l’enseignement catholique comprend des modules sur l’enseignement du fait religieux, jusqu’à des éléments de catéchèse. Ces orientations sont déclinées localement par les ISFEC tandis que l’organisme chargé de coordonner la formation continue, Formiris, affirme toucher près de 1 000 enseignants par an et par action de formation continue prenant en compte le fait religieux.

La formation de ses enseignants mais aussi son approche du fait religieux et, disons-le, de la religion, va contribuer à démarquer l’enseignement privé, catholique et protestant, de l’enseignement public. Dans les établissements sous contrat, le fait religieux sera bien sûr abordé de manière transversale mais aussi au travers d’un cours dédié. Dans chaque cas, le grand atout des professeurs sera leur forte conscience des enjeux sociétaux qu’implique leur cours et leur absence de complexes. En effet, ils n’ont à s’interroger ni sur leur légitimité ni sur l’intérêt d’aborder le fait religieux. « Pour atteindre une meilleure compréhension du monde qui nous entoure, chaque religion est un pont au-dessus du précipice du doute et aucune ne s’impose par rapport à une autre », résume Guy Mielcarek, proviseur du gymnase Jean-Sturm (collège et lycée à Strasbourg).

Cet horaire spécifique dédié aux questions religieuses soulève cependant la question de la frontière entre transmission d’une connaissance et transmission d’une religion. Parfois présenté comme non catéchétique – c’est notamment le cas dans les établissements protestants interrogés –, comment imaginer qu’il ne soit pas marqué par la confession affichée par l’établissement ? Dans la sphère éducative protestante, ce sont d’ailleurs des pasteurs et des théologiens – ou des intervenants recrutés et formés par l’UEPAL en Alsace-Lorraine – qui en sont chargés. C’est le cas, par exemple, d’Isabelle et Stéphane Hervé au cours Bernard-Palissy (collège et lycée en région parisienne). Tous deux pasteurs, ils ont la responsabilité d’un cours qui tient plus de l’histoire que de la religion mais qui accorde une importance centrale à la Réforme. Leur programme fait aussi la part belle à l’œuvre de Khalil Gibran, sans oublier des personnalités telles qu’Anne Frank ou Nelson Mandela. L’important est d’apprendre à penser. « On construit un meuble à tiroirs qui permettra aux élèves de classer les informations qu’ils recevront au cours de leur vie », explique Isabelle Hervé. La démarche, ainsi expliquée aux parents, bénéficie de l’adhésion d’un public en majorité très éloigné de la culture protestante. Au-delà de toute étiquette, c’est surtout la capacité au dialogue de l’intervenant comme de l’enseignant qui fera la différence.

Alors quand les jeunes se mettent à prendre la parole et à poser des questions, comme le rapporte Isabelle Hervé, c’est bon signe.

Jouer pour découvrir la laïcité et les faits religieux

« Enquête » (www.enquete.asso.fr) vient de recevoir l’agrément du ministère de l’Éducation nationale. L’association, qui propose des outils ludiques de découverte de la laïcité et des faits religieux destinés aux élèves, a pour vocation de permettre aux enfants de mieux comprendre le monde dans lequel ils évoluent et de favoriser une coexistence apaisée des différentes convictions religieuses ou areligieuses.

Violaine Laprononcière, enseignante en histoire-géographie dans un collège de Vénissieux, a fait appel à l’un de ces nouveaux matériels, « L’arbre à défis », pour introduire le cours sur la naissance des premiers monothéismes dispensé en 6e. Le jeu, « à la fois compétitif et collaboratif », lui a permis de parler des objets religieux, des lieux de culte, de leurs adeptes et de ce qu’est la laïcité. Au fil des réponses aux questions vrai/faux, des définitions à trouver et autres devinettes, le tronc de l’arbre se garnit de feuilles.

Aux côtés de différents travaux sur la tolérance et la laïcité, ce jeu a contribué à faire vivre la charte de la laïcité affichée dans l’école, dont les termes étaient restés abstraits pour les élèves.

« Ils ont acquis une méthodologie. Nous y avons consacré une heure une semaine sur deux, mais c’est autant de temps gagné lorsque nous aborderons le cours sur les monothéismes », explique la jeune enseignante. Et d’insister : « Les enfants sont demandeurs et, en 6e, ils sont encore à un âge où ils prennent ce que le professeur leur dit. En plus, ils sont enthousiastes ! »

Claire Bernole

25 mars 2015

Pour en savoir plus : http://reforme.net

Former les profs à la laïcité : d’accord, mais comment ?

 Philippe Gaudin, directeur adjoint à l’Institut européen en sciences des religions, a été désigné avec d’autres pour concevoir les contenus, méthodes et priorités de la formation à la laïcité.
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(Photo d’illustration) (Jean-Pierre Clatot/AFP PHOTO)
Le 21 janvier dernier, François Hollande donnait le coup d’envoi d’une mobilisation générale de la communauté éducative autour des valeurs de la République. Au premier rang desquelles la laïcité. Le lendemain, c’était au tour de la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem d’annoncer une série de mesures, pas tout à fait neuves pour la plupart.

On retiendra toutefois la volonté de généraliser l’enseignement de la laïcité. Ce qui existe déjà mais dans une toute petite proportion. L’idée, cette fois, est de créer un effet domino de grande ampleur : former des formateurs qui formeront les professeurs qui formeront les élèves. Pas simple à mettre en oeuvre. Et pour l’heure, rien n’a été tranché sur le fond.

Tout au plus sait-on que les programmes des cours d' »Enseignement moral et civique », mis sur les rails par l’ancien ministre Vincent Peillon, qui entreront en vigueur à la rentrée 2015, vont être réécrits. Mais après ? Philippe Gaudin, responsable des formations recherche à l’Institut européen en sciences des religions (IESR) et ancien professeur de philosophie (1), a été choisi avec d’autres pour mettre en œuvre ce projet. Il définit pour « l’Obs », les contenus, méthodes et priorités de ce nouvel enseignement.

Enseigner les faits religieux

« A l’IESR, nous ne dissocions pas la nécessité d’une formation sur la laïcité d’une formation sur les faits religieux, qui ont tendance à disparaître des programmes d’Histoire ou de Français. Exemple : l’étude de la religion aux Etats-Unis au XXe siècle par exemple a disparu, alors qu’on ne peut comprendre Martin Luther King sans connaître son contexte religieux. L’effort n’a pas été soutenu depuis 1995, car c’est un enseignement transversal. Difficile d’entretenir la flamme !

Qu’on se comprenne bien. Enseigner le fait religieux, comme l’a recommandé le rapport de l’historien Philippe Joutard dès 1989, n’est pas faire entorse à la laïcité. Il s’agit plutôt d’une maturation, d’une extension de la laïcité, dans un monde qui ne ressemble plus à la France de 1905. Nous vivons dans une société à la fois très sécularisée, et dans laquelle les identités religieuses peuvent se manifester, pour le meilleur et pour le pire. Face à cela, l’école ne peut rester muette.

Je vois deux grandes justifications à l’enseignement des faits religieux :

– Intellectuelle : on ne peut pas bien comprendre le passé, ni le présent, si on n’a pas une bonne connaissance des faits religieux ; et on ne peut pas non plus comprendre le patrimoine artistique.

– Politique : pour faire société dans un monde marqué par une nouvelle pluralité religieuse, il faut une culture commune. D’où l’expression de Régis Debray, d’une « laïcité d’intelligence ».

La laïcité ainsi entendue n’est pas ouverte à tous les vents, ni une sorte de libre-service où toutes les religions s’exprimeraient n’importe comment. Elle reste fidèle à l’esprit de l’école, celui de la connaissance et du savoir.

Apprendre à penser

« Pour la rentrée 2015, il n’est pas prévu de faire un cours de laïcité spécifique. Cette notion sera intégrée à l’enseignement moral et civique, prodigué de l’école maternelle à la terminale, environ une heure par semaine, mais sous la forme d’ateliers par exemple, à l’image des TPE. Toute la communauté éducative sera concernée.

On pourrait y discuter des questions autour de la cantine, par exemple. L’idée est de proposer un enseignement laïc de la morale et non d’enseigner « la morale laïque », qui était l’expression initiale de Vincent Peillon quand il a lancé le projet. Autrement, il ne s’agit pas d’enseigner une morale toute faite – à part les règles de droit fondamental – mais d’apprendre le questionnement éthique et de le traduire dans son comportement. C’est peut-être une façon d’apprendre à agir avec sagesse avant la classe de philosophie !

Ce qui n’exclut pas pour autant que les questions de laïcité soient présentes dans tous les autres enseignements. A l’issue de la formation, il y aura une forme d’évaluation, mais certainement pas telle qu’elle est pratiquée habituellement, avec copies et notes. Elle reste à définir. »

Démultiplier les référents laïcités

« Notre institut participera à la formation des formateurs. Sur les 1.000 formateurs annoncés, nous allons d’ores et déjà nous appuyer sur les « référents laïcité » des académies créés en 2014, en général composés d’inspecteurs ou de professeurs d’Espé (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation). Eux-mêmes, devront trouver d’autres formateurs et toucher ainsi le plus grand nombre de professeurs possible. Ce processus commence à peine, la tâche sera rude.

Former les futurs professeurs d’abord

La priorité, c’est la formation initiale des jeunes générations d’enseignants, de façon à toucher tous les futurs professeurs à partir de maintenant. Il doivent recevoir une formation dans trois domaines : la laïcité, les faits religieux et une préparation à enseigner cette nouvelle discipline qui sera dans les programmes dès la rentrée 2015.

En revanche, impossible de former tous les professeurs en poste à court et moyen terme. Si les modules de formations ne peuvent s’adresser à 50 personnes à la fois et s’il y a 100.000 professeurs (sur environ 800.000) à former, cela fait un très grand nombre de modules de formation ! »

Cibler les établissements en difficulté

« Est-ce qu’il ne faudrait pas une étude sérieuse sur ce qui se passe dans les établissements de l’ensemble du territoire du point de vue de la laïcité ? Avec une équipe de chercheurs indépendants, une méthodologie scientifique, une déontologie transparente et, pourquoi pas, un conseil de surveillance scientifique et politique.

Y-a-t-il des difficultés ? Y-a-t-il des élèves qui refusent d’écouter leurs professeurs sur telle partie du programme ? Sans doute observerait-on que la situation est bonne dans de nombreux établissements. Cela contribuerait à rasséréner le climat moral, social et politique en France. Il apparaîtrait – dans quelle proportion je ne sais pas – qu’une minorité d’établissements posent problème. Il faudrait alors clairement les identifier et connaître précisément  leurs difficultés.

A partir de là, on peut avoir une vraie politique volontariste avec de gros moyens -pas seulement au sens financier mais aussi ‘moral’ justement !-pour y apporter un remède. L’école porte toutes les misères du monde et elle n’a pas le pouvoir de les supprimer. Mais on y verrait plus clair. L’école est l’âme de la République et sur le plan de notre pacte politique, la République est l’âme de la France. Si notre école va mal, c’est l’ensemble de la communauté nationale qui va mal. Ce ne serait donc pas une dépense mal placée. »

Propos recueillis par Sarah Diffalah

(1) « Vers une laïcité d’intelligence en France ? L’enseignement des faits religieux en France comme politique publique d’éducation depuis les années 1980 », Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2014.

« Double défi pour l’école laïque : enseigner la morale et les faits religieux », Riveneuve éditions, 2014.

L’Institut européen en sciences des religions est une composante de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il a été créé après le rapport de Régis Debray en 2002 qui préconisait un pont entre le monde de la recherche universitaire et tous ceux qui ont besoin de formation sur le fait religieux, notamment dans l’administration publique. Ses fonctionnaires travaillent pour l’Education nationale, et sont donc en concertation avec le ministère, ainsi qu’avec la Direction générale de l’Enseignement scolaire, mais apportent la plus-value et l’indépendance universitaire et scientifique. L’Institut a été nommé par la ministre de l’Education pour participer à la formation des formateurs à la laïcité.

Publié le 04-02-2015 à 11h03

Pour en savoir plus : http://tempsreel.nouvelobs.com/

Les religions, un bien pour la République

 SignesReligieux

L’école joue un rôle déterminant dans l’éducation au vivre-ensemble. Rien d’étonnant, donc, qu’après le temps de l’émotion suscitée par les attentats à Paris et à Montrouge du 7 au 9 janvier, elle fasse l’objet d’attention. Jeudi dernier, la ministre de l’éducation nationale a fourni les détails de la « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République » voulue par le président de la République : nouvel enseignement moral et civique, renforcement de l’éducation aux médias, renforcement de la formation des enseignants « à la laïcité et à l’enseignement moral et civique », célébration chaque 9 décembre de la Journée de la laïcité, participation des élèves à la semaine de lutte contre le racisme et l’antisémitisme…

Najat Vallaud-Belkacem a également demandé au Conseil supérieur des programmes de renforcer la place de l’enseignement du fait religieux dans le cursus scolaire. Depuis la remise du rapport Debray en 2002, la nécessité d’un tel parcours n’est plus discutée. Tout l’enjeu pour l’école publique est de savoir comment aborder le fait religieux et les textes fondateurs dans « un esprit de laïcité respectueux des consciences et des convictions », pour reprendre des termes officiels. D’où l’approche essentiellement historique, censée libérer les enseignants de leurs éventuelles préventions ou réticences.

Mais cette perspective n’est pas neutre. Elle cantonne le fait religieux au passé et tient implicitement l’expérience croyante comme quelque chose d’archaïque ou d’exotique, alors que celle-ci oriente la vie de nombreuses familles dans leur recherche du bien. La remise sur le chantier du programme d’enseignement sur le fait religieux gagnerait à dépasser ce jugement de valeur implicite. La République a besoin des religions parce que celles-ci animent et soutiennent des lieux concrets – à commencer par les familles – où s’incarnent et s’expérimentent les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. L’expérience et le fait religieux sont de bonnes choses pour l’unité républicaine. De cela un enseignement attaché à la laïcité doit aussi rendre compte.

Dominique Greiner

25/1/15 – 19 H 34

Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com

Ecole : la guerre des laïques

Après les attentats, l’enseignement laïque du fait religieux est avancé comme une nécessité. Un débat qui déchire l’école depuis trente ans.

NajatVallaudBelkacem
Najat Vallaud-Belkacem se heurte à son tour à la mise en oeuvre d’un enseignement du fait religieux au service de la laïcité. © Etienne Laurent / AFP
Il a été question de « sursaut collectif » dans le discours de Najat Vallaud-Belkacem, de « réponses nouvelles » à des « circonstances exceptionnelles ». Après les attentats, la ministre de l’Éducation nationale s’est lancée dans un marathon consultatif destiné à forger la riposte de l’école à la menace intégriste. Les conclusions sont attendues cette semaine, mais les pistes sont connues : développer la « pédagogie de la laïcité » (via l' »instruction civique et morale » que la rentrée 2015 doit étrenner), renforcer l’enseignement laïque du fait religieux, réduire les inégalités scolaires. Des « réponses nouvelles » ? La réouverture, plutôt, de débats déjà anciens : vieux d’une trentaine d’années, au moins.

« L’éducation à la citoyenneté, abandonnée dans les années 60 et 70, est réapparue dans les années 80 face à la crise économique et à la crainte des communautarismes », explique Philippe Portier, directeur d’études à l’École pratique des hautes études en sciences sociales. Comment éduquer à la laïcité ? Comment former des citoyens en tenant compte des différences culturelles et religieuses ? La question, constamment posée depuis lors, dépasse les clivages politiques : l’apprentissage de la Marseillaise, évoquée par Najat Vallaud-Belkacem, a été rendu obligatoire en 2005 par François Fillon. Le fait religieux a été, dans le même temps, intégré au « socle commun » des connaissances. Sans succès, faute d’un consensus sur ce que devrait être cet enseignement. En effet, à gauche comme à droite, les tenants d’une laïcité stricte s’empaillent avec les partisans d’une laïcité plus accommodante, ou « inclusive ».

Désarroi

La « morale laïque », ardemment défendue par Vincent Peillon à son arrivée en fonction, a payé le prix de ces tiraillements. Devenue « enseignement laïque de la morale » en avril 2013 dans un rapport préliminaire, elle s’est transformée en « enseignement civique et moral » sous la plume du Conseil supérieur des programmes (CSP), chargé d’en déterminer le contenu. Évacuée la laïcité, au moins de l’intitulé. « Sans doute s’agissait-il de détendre l’atmosphère autour de ces questions, mais je ne peux m’empêcher d’y voir aussi une manière de contourner l’importance du fait religieux », commente Philippe Gaudin, responsable des programmes de formation à l’Institut européen en sciences des religions (IERS).

Résultat : l’accent a été mis sur l’interdisciplinarité et le débat afin de développer chez les élèves « une aptitude à vivre ensemble dans une société démocratique ». Un projet louable, sans doute, mais sur lequel les équipes pédagogiques restent pour le moins circonspectes. L' »échec » dont on accuse de nouveau l’école depuis les attaques est « celui de la société française dans son ensemble », affirme dans les Échos Philippe Tournier, secrétaire général du syndicat des chefs d’établissement SNPDEN-Unsa. « Il y a des quartiers dans lesquels les valeurs de la République ne sont d’évidence pas en oeuvre et où les jeunes pensent que la société ne leur laisse aucune place. » Créer les conditions d’un débat en classe n’a rien d’aisé. Témoin, le désarroi des enseignants face à la réaction de certains élèves aux attentats.

« Secouer la tutelle d’autorités fanatisantes »

Là non plus, l’affaire n’est pas neuve. Le 11 Septembre avait même contribué à ce que soit commandé au philosophe Régis Debray un rapport sur l’enseignement du fait religieux, remis en 2002, qui continue de faire foi aujourd’hui. Le philosophe estimait alors que, sans qu’il faille faire entrer les curés dans les écoles (pas plus que les rabbins ou les imams), la relégation des cultes hors des espaces de « transmission rationnelle des savoirs » n’était pas tenable. À l’inverse, écrivait-il, « une connaissance objective et circonstanciée des textes saints comme de leurs propres traditions conduit nombre de jeunes intégristes à secouer la tutelle d’autorités fanatisantes, parfois ignares ou incompétentes ».

Régis Debray demandait, notamment, une formation continue des agents de la fonction publique en général, et des enseignants en particulier. L’IERS a été créé à cet effet, mais la suppression des IUFM et la valse des ministres Rue de Grenelle ont laissé la préconisation à l’état de voeu pieux. « On peut espérer toutefois que les choses se stabilisent aujourd’hui avec les nouvelles Espé (écoles supérieures du professorat et de l’éducation) », note Philippe Gaudin. « L’ensemble de la communauté éducative a besoin d’être formé », sur la question religieuse comme sur la laïcité elle-même, entendue parfois comme une forme d’athéisme public.

La guerre des laïcs

Près de quinze ans après, les mêmes polémiques minent toute action. L’Observatoire de la laïcité s’est ainsi déchiré sur un avis remis après les attentats. Il plaidait pour le « développement effectif de l’enseignement laïque du fait religieux » et demandait, en outre, que « toutes les cultures convictionnelles et confessionnelles présentes sur le territoire de la République » soient prises en compte dans les programmes scolaires. Des propositions jugées « angéliques », « pusillanimes » et même « anti-laïques » par trois des membres de l’institution (le député socialiste Jean Glavany, la sénatrice radicale de gauche Françoise Laborde et Patrick Kessel, ancien grand maître du Grand-Orient de France), qui ont aussitôt menacé de démissionner.

« La laïcité, la laïcité, voilà ce que droite et gauche nous ont répondu lorsque nous avons plaidé pour un enseignement du religieux ! Mais c’est dans notre pays laïque que des personnes en assassinent d’autres en prenant prétexte de leur foi ! » s’insurge de son côté Esther Benbassa, sénatrice EELV du Val-de-Marne, directrice d’études à l’École pratique des hautes études et auteur, avec l’UMP Jean-René Lecerf, d’un rapport sur la lutte contre les discriminations qui ‘a enflammé le Palais du Luxembourg en novembre dernier. « Les professeurs d’histoire, de lettres ou de philosophie continueraient comme ils le font d’aborder les religions en fonction des programmes, avance-t-elle. Mais un enseignement spécifique et laïque permettrait de développer chez les élèves un esprit critique et une connaissance de leurs différentes cultures qui, sans doute, aideraient à tempérer la force des radicalismes. On ne peut pas laisser la question religieuse à Internet. »

Sanctuaire

Le 12 janvier, le président du Conseil supérieur des programmes, Michel Lussault, soutenait dans un entretien que, sans « remettre en cause la laïcité à l’ancienne », il fallait « dire que la société et les élèves ont changé au point que le corpus des enseignants doit lui aussi évoluer ». Soit, pour le nouvel enseignement de « l’instruction civique et morale », atteindre « une forme de consensus par recoupement, forger une morale commune à partir de la diversité sociale, culturelle, religieuse des élèves », explique Philippe Portier, plutôt que chercher à renouer avec le modèle de la IIIe République en administrant d’en haut un dogme laïque. Soit l’exact opposé, par exemple, des déclarations d’un André Gerin, l’ancien maire (PCF) de Vénissieux, qui, en 2009, avait été à l’origine de la loi interdisant le port du voile intégral dans l’espace public : « L’école doit redevenir un sanctuaire, déclare-t-il au Point.fr. Il faut sortir de l’illusion de l’école portes ouvertes, comme on le fait depuis quarante ans. Il faut désormais que la laïcité soit totalement respectée, qu’il y ait une séparation entre l’école et la société, et un retour à l’autorité. » Retour à la case départ.

Dans la même interview, Michel Lussault parlait de la laïcité comme d’un « savoir chaud ». Sur ce point du moins, les enseignants ne le contrediront pas.

Par Marion Cocquet

Pour en savoir plus : http://www.lepoint.fr/

Le Point – Publié le – Modifié le

 

Najat Vallaud-Belkacem détaille les mesures pour réaffirmer les valeurs républicaines à l’école

Laïcité et valeurs républicaines, apprentissage de la citoyenneté, réduction des inégalités : la ministre de l’éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem a détaillé jeudi 22 janvier des mesures pour un coût de plus de 250 millions d’euros sur trois ans, au nom de la « mobilisation » de l’école pour la République après les attentats à Paris et les incidents qui ont suivi dans certains établissements.
L’école « ne tolère aucune remise en cause des valeurs de la République », a souligné Najat Vallaud-Belkacem, affirmant vouloir lutter contre le « repli identitaire », les « théories du complot », la « défiance » à l’égard des médias et le « péril du relativisme généralisé ».

Laïcité, enseignement moral et civique

L’accent est mis sur la laïcité. Un plan de formation continue exceptionnel va être mis en place pour « 1.000 premiers formateurs formés d’ici juillet » à « la laïcité et à l’enseignement moral et civique », selon le ministère. Par ailleurs, lors du concours de recrutement des enseignants, les candidats seront désormais « évalués sur leur capacité à faire partager les valeurs de la République ».

La ministre de l’éducation veut aussi sévir contre les comportements mettant en cause les valeurs de la République. « Ils seront systématiquement signalés au directeur d’école ou au chef d’établissement et seront suivis d’un dialogue éducatif avec les parents et, le cas échéant, d’une sanction disciplinaire », prévient Najat Vallaud-Belkacem, en promettant aussi de développer « un portail de ressources destinés à lutter contre le racisme et l’antisémitisme ».

 

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Najat Vallaud-Belkacem a mis l’accent sur la laïcité (photo AFP).
 

« La question de l’autorité à l’école se pose », a martelé la ministre, jugeant que la formation est inutile si les enseignants « continuent à être trop souvent perturbés dans leur enseignement ». Elle a donc promis qu’elle ne tolérerait « aucune faiblesse contre les comportements » qui « portent atteinte » aux enseignants, appelant à l’extension, parmi les sanctions, des travaux d’intérêt général.
Les rites républicains – hymne national, drapeau, devise – seront « expliqués » et « valorisés » afin de « rétablir l’autorité des maîtres ». Et une journée de laïcité sera célébrée chaque 9 décembre dans tous les établissements.

Un « nouveau parcours citoyen » de l’école élémentaire à la terminale s’articulera notamment autour du nouvel enseignement moral et civique, prévu dès la prochaine rentrée, d’une éducation aux médias et à l’information, ou encore de l’incitation à débattre et à argumenter dans les classes. « Le parcours citoyen sera évalué à la fin de la scolarité obligatoire selon des modalités qui seront définies au printemps », précise le ministère.
Des ressources seront produites sur « la pédagogie de la laïcité et pour l’enseignement laïque du fait religieux », ajoute le ministère sans préciser les modalités.
Autre annonce : la création d’une « réserve citoyenne » d’appui aux écoles et aux établissements dans chaque académie. Les bénévoles d’associations ainsi que les délégués départementaux de l’éducation nationale « seront notamment sollicités pour y participer ». La ministre veut aussi « associer pleinement les parents d’élèves ». Aussi, un comité départemental d’éducation à la santé et à la citoyenneté sera créé et les espaces parents seront développés. Ces comités locaux seront destinés à être « une instance de réflexion sur les protocoles de communication vis-à-vis des parents d’élèves lors des situations d’urgence ».

Lutter contre les inégalités

La maîtrise du français est « un chantier prioritaire ». Il y aura une évaluation du niveau des élèves en français en début de CE2.

« L’école républicaine, gratuite et laïque, est en première ligne, a déclaré le premier ministre Manuel Valls. Au fil des années, notre école a dévié de son cap. Elle reproduit les inégalités ». Pour mieux aider les enfants en situation de pauvreté, les fonds sociaux seront augmentés de 20 %, a annoncé Najat Vallaud-Belkacem.

Concernant les jeunes placés sous contrôle de la justice après un acte de délinquance et pour les jeunes détenus, le gouvernement lance « une mobilisation en faveur de la poursuite de l’enseignement et de l’acquisition des compétences fondamentales ». Enfin, face aux risques de repli chez les jeunes pouvant représenter un risque pour eux-mêmes et la vie collective, « un meilleur repérage » aura lieu avec « la formation renforcée des chefs d’établissements » et « le contrôle renforcé de l’instruction à domicile ».

Avec AFP
En savoir plus sur http://www.fait-religieux.com

Laïcité et enseignement des faits religieux : où en est-on ?

Deux spécialistes font le point avec nous sur cette question, plus que jamais d’actualité.

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L’attentat contre Charlie Hebdo et les quelques cas de perturbations de la minute de silence par des élèves ont soulevé beaucoup de questions sur la laïcité et ravivent le débat sur l’enseignement des faits religieux à l’école. Alors que la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, « mobilise » l’école autour des valeurs républicaines et cherche à revaloriser les cours d’éducation morale et civique, un rapport des sénateurs Esther Benbassa (EELV) et Jean-René Lecerf (UMP), adopté en novembre 2014 par le Sénat, soulevait déjà la question de cet enseignement pour lutter contre les discriminations. L’une des mesures était l’enseignement du fait religieux au cours de la scolarité, en dispensant la formation nécessaire aux enseignants. « On voit ici poindre deux questions distinctes quoique complémentaires, explique Philippe Gaudin, directeur adjoint de l’Institut européen en sciences des religions (IESR) : la formation autour de la laïcité et l’enseignement des faits religieux. »

La laïcité aujourd’hui à l’école

« Jusqu’à présent, poursuit Philippe Gaudin, la formation sur la laïcité à l’école se faisait dans le cadre de l’éducation civique au collège, et de l’ECJS (éducation civique juridique et sociale) au lycée. Le grand projet de réforme en cours sur la laïcité propose, à terme, un enseignement moral et civique, de la Primaire à la Terminale. » Une pédagogie autour de la laïcité est aussi mise en place par le ministère de l’Education nationale, coordonnée par Abdenmour Bidar, chargé de mission et membre de l’Observatoire national de la laïcité . Cette pédagogie s’appuie notamment sur la Charte de la laïcité  : « C’est une bonne chose mais cette charte n’a pas de valeur juridique ou contraignante, il est donc nécessaire de former les enseignants pour mieux transmettre ses messages », souligne Charles Coutel, directeur de l’Institut d’étude des faits religieux (IEFR), rattaché à l’université d’Artois et travaillant en collaboration étroite avec l’IESR.

 

L’enseignement des faits religieux

En France, contrairement aux autres pays européens,« l’enseignement des faits religieux se fait dans le cadre des disciplines existantes : l’Histoire, les Lettres, la Philosophie… »,reprend Charles Coutel. Le rapport du philosophe Régis Debray, en 2002, sur l’enseignement du fait religieux à l’école a jeté les bases d’un redéploiement de cet enseignement. Le philosophe en précisait le but : non pas « remettre Dieu à l’école » mais « décrisper, dépassionner, et même (…) banaliser le sujet, sans lui enlever, tout au contraire, sa dignité intrinsèque ».

Une formation continue peut exister dans le plan de formation des enseignants, ainsi qu’une formation initiale sur ces questions dans les ESPE, mais « c’est encore trop peu car l’enseignement civique et moral et celui sur les faits religieux sont interdépendants,poursuit Charles Coutel. Le combat laïc n’est pas un combat contre les religions mais contre les fanatismes. Il faudrait donc, en formation initiale, deux modules de 15 heures : l’un sur la pédagogie de la laïcité, l’autre sur une initiation à l’éducation aux faits religieux. »

Philippe Gaudin explique d’ailleurs que l’IESR a été créé en 2003, à la suite du rapport Debray, pour participer à la formation initiale et continue des enseignants et des formateurs, et réfléchir au contenu des enseignements.

La laïcité n’est pas une démarche antireligieuse

Beaucoup de choses ont donc été faites jusqu’ici, mais « de façon discontinue, avec un certain manque d’homogénéité sur le territoire et peut-être aussi d’intensité dans les programmes », souligne Philippe Gaudin. Le temps de l’action est venu et on peut parler de façon laïque de la « matière » religieuse. « On vit dans une société sécularisée et laïcisée, mais où les religions s’expriment de plus en plus et avec un pluralisme religieux qui n’existait pas en 1905 (date de la séparation de l’Eglise et de l’État.) », rappelle-t-il. Ce à quoi souscrit Charles Coutel : « L’enseignement des faits religieux peut se faire par la controverse : parler des guerres de religions pour évoquer le catholicisme et le protestantisme, évoquer l’islam en expliquant la différence entre chiisme et sunnisme, ne pas parler de taoïsme sans évoquer le confucianisme… » Les événements de ces derniers jours pourraient marquer une prise de conscience sur ces questions.

Aurélien Coustillac

 

Pour en savoir plus : http://www.vousnousils.fr

  • Le défi de l’enseignement des faits religieux à l’école, réponses européennes et québécoises, Jean-Paul Willaime. Riveneuve éditions, 2014, 358 p.
  • Double défi pour l’école laïque : enseigner la morale et les faits religieux, Isabelle Saint-Martin et Philippe Gaudin, avec la participation notamment de Charles Coutel. Riveneuve éditions, 2013, 204 p.
  • L’enseignement des faits religieux France – Espagne – Irlande – Écosse.Préface et conclusion par Charles Coutel. Artois Presses Université, 2014, 157 p.
  • Vers une laïcité d’intelligence en France ? L’enseignement des faits religieux en France comme politique publique d’éducation depuis les années 1980, Philippe Gaudin, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2014.

Attaques terroristes: La laïcité et le fait religieux restent sous-abordés à l’école

Fait-Religieux-Enseignement

A l’école Louis-Aragon de Pantin, un élève travaille sur la charte de la laïcité, le 9 décembre 2014. – EREZ LICHTFELD/SIPA

Eviter les amalgames, promouvoir à nouveau la laïcité, contrer les réactions hostiles face aux hommages aux victimes… Quelques jours après les attaques terroristes qui ont endeuillé la France, la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem, a consulté ce lundi matin les syndicats de l’éducation et les fédérations de parents pour «préparer une mobilisation renforcée de l’école pour les valeurs de la République». L’occasion de discuter aussi de la manière d’aborder la laïcité et le fait religieux à l’école.

Car pour l’heure, ces questions semblent sous-traitées dans les établissements. Les élèves du primaire bénéficient d’une instruction morale et civique à l’école, où les différentes religions et la laïcité ne sont que survolées. Au collège, les élèves suivent aussi un enseignement d’éducation civique par leurs professeurs d’histoire-géographie et au lycée, un enseignement d’éducation civique, juridique et sociale est généralement dispensé par les mêmes enseignants. La laïcité fait partie du programme, mais elle n’est souvent abordée qu’en coup de vent. «Par ailleurs, ces heures servent souvent de variables d’ajustement aux enseignants pour finir d’aborder le programme. Et au bac, cet enseignement n’est pas évalué, ce qui le fragilise», explique Pierre Kahn, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Caen Basse-Normandie.

«La méconnaissance est source de haine»

Idem concernant le fait religieux. «Depuis 1996, il est introduit par le biais d’autres disciplines (littérature, art et histoire) au collège et au lycée, mais il ne fait pas l’objet d’un enseignement spécifique», souligne Clémentine Vivarelli, docteur en sociologie spécialiste de la laïcité à l’école. Conséquence selon elle: «On n’aborde pas les religions dans leur dimension contemporaine (les faits religieux dans l’actualité, les pratiques religieuses…) et on reste sur des discours stéréotypés que ne s’approprient pas les élèves». Ces derniers manquent ainsi d’outils pour comprendre les différentes religions, ce qui peut entraîner des conflits confessionnels entre eux. Et lorsqu’ils sont interrogés sur le sujet par leurs élèves, certains enseignants préfèrent parfois botter en touche que de risquer d’attirer les foudres des parents d’élèves et de leurs parents.

Pour la chercheuse, il serait pourtant nécessaire «d’aborder le fait religieux de manière critique, distanciée, scientifique car la méconnaissance est source de haine». Des associations interviennent parfois dans certains établissements pour aborder la lutte contre les discriminations et l’identité religieuse. «Mais ces initiatives sont trop rares», souligne Clémentine Vivarelli. En novembre, la sénatrice EELV Esther Benbassa et son collègue de l’UMP Jean-René Lecerf avaient d’ailleurs proposé que le fait religieux soit enseigné dès l’école primaire. De son côté, Pierre Kahn estime aussi qu’il faudrait «renforcer la formation des enseignants afin de les aider à mieux aborder le fait religieux à l’école et de pouvoir désamorcer certains conflits entre les élèves».

A la rentrée 2015, les choses devraient cependant commencer à changer car un nouvel enseignement moral et civique sera initié dans les classes du primaire jusqu’au lycée et dans toutes les sections.A la tête du groupe d’experts chargés de concevoir ces programmes, Pierre Kahn estime qu’ils permettront de mieux aborder la laïcité et la manière dont les religions peuvent coexister dans l’espace public.

Publié par Delphine Bancaud – Créé le 12/01/2015 à 19h58 – Mis à jour le 12/01/2015 à 21h27

Pour en savoir plus : http://www.20minutes.fr

 

Mères voilées et sorties scolaires : mettons un terme à l’instrumentalisation de la laïcité

Depuis la prise de parole publique de Najat Vallaud-Belkacem en faveur des mères voilées aux sorties scolaires, des voix se font entendre pour dénoncer une position qui menacerait la laïcité et réclamer une nouvelle loi d’interdiction contre le voile. L’Observatoire de la laïcité tranche cette question. Ici, la mise au point du président de l’instance, Jean-Louis Bianco, et du rapporteur général, Nicolas Cadène.

MèresVoilées

Le 21 octobre dernier, la ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Najat Vallaud-Belkacem, a été auditionnée par l’Observatoire de la laïcité. Cette instance a été installée le 8 avril 2013 par le président de la République. Elle est composée de personnalités diverses, d’élus de droite comme de gauche, et est indépendante dans la conduite de ses travaux.

Établissant un état des lieux du respect de la laïcité dans son secteur – qui, basé sur des faits objectifs et des remontées de terrain, apparaît éloigné de la situation « dramatisante » décrite par certains –, la ministre de l’Éducation a rappelé la règle concernant les parents accompagnateurs des sorties scolaires.

Mères voilées et sorties scolaires : mettons un terme à l'instrumentalisation de la laïcité

La participation des parents d’élèves est la règle

Celle-ci est claire et ne modifie en rien la ligne déjà définie par le Conseil d’État et le droit actuel : l’acceptation de la participation des parents d’élèves est la règle ; le refus de la participation des parents accompagnateurs portant un signe religieux est l’exception.

Cette règle repose sur l’analyse du comportement des parents d’élèves accompagnateurs, et non sur leur seule apparence. Si le comportement est prosélyte (par exemple, lors d’une visite dans un musée, en commentant un tableau de façon orientée), alors il sera fermement sanctionné. S’il n’y a aucun prosélytisme et si la sortie scolaire n’est pas perturbée, alors il n’y aura pas lieu de sanctionner.

Vouloir imposer une totale neutralité « d’apparence » va bien au-delà de la neutralité dans l’expression orale ou dans le comportement – exigée légitimement – vis-à-vis d’élèves. Jusqu’où faudrait-il aller ? Des vérifications sur la taille des habits ? Trop couvert… ou insuffisamment ? Où est-ce-qu’on commence et où est ce qu’on arrête ?

Les enfants sont entourés en permanence d’incitations diverses, à la surconsommation ou à une réussite matérielle flamboyante. La publicité ne se prive pas pour encourager les jeunes filles à ressembler à des femmes qui, à force de retouches, n’existent plus. Le champ des influences sociales est immense et il n’est pas exclusivement religieux.

Tout cela nous invite à nous interroger sur le sens profond de nos obsessions vis-à-vis de la neutralité : ne s’agirait-il pas plutôt d’un désir de « normalisation » sociale, très éloigné d’un idéal de laïcité ?


La laïcité, un principe qui permet le vivre ensemble

L’Observatoire de la laïcité le constate tous les jours : la méconnaissance entourant le principe de laïcité est considérable.

Dans notre société à vif, certains semblent penser que la laïcité a le devoir de résoudre tous les maux, y compris ceux qui supposent des politiques publiques ambitieuses en matière d’intégration, de mixité sociale, urbaine, scolaire et d’accès à la culture, seules véritablement efficaces contre les dérives communautaristes.

Non, la laïcité, ce n’est pas la neutralité de tous les citoyens, c’est au contraire la garantie donnée à chacun de croire ou de ne pas croire et de l’exprimer dans les limites de l’ordre public. C’est de l’histoire de France que découle la laïcité. Une histoire traversée par des guerres de religions et des persécutions contre les protestants et les juifs qui nous rappelle combien la liberté de conscience garantie par la laïcité est un formidable acquis de la République.

La laïcité ne suppose la neutralité que des représentants de l’administration (fonctionnaires ou assimilés) pour garantir leur impartialité, en particulier dans le service rendu aux usagers des services publics, quelles que soient les convictions politiques, philosophiques ou religieuses de ces usagers.

La laïcité, ce n’est pas une conviction ou une opinion mais le cadre qui les autorise toutes. C’est un principe qui permet le vivre ensemble : que l’on soit croyant ou non, on est laïque en ce sens où on accepte que chacun croit ou ne croit pas, l’exprime ou ne l’exprime pas.


La loi du 9 décembre 1905 a déjà tranché

Cessons les pressions encourageant les « lois d’émotion » (dont la France a toujours été malheureusement experte) et rappelons que la loi du 9 décembre 1905, dont découle pour l’essentiel notre laïcité, a déjà tranché ce débat entre les partisans d’une laïcité qui combattrait les religions et interdirait le port de tout signe religieux, et ceux de la laïcité telle que défendue par Aristide Briand, qui sépare l’État des organisations religieuses tout en garantissant le vivre ensemble quelques soient les opinions ou croyances de chacun.

Maurice Allard, Charles Chabert ou Émile Combes – par ailleurs principal opposant de l’époque au droit de vote des femmes –, défenseurs de cette « laïcité de combat », avaient ainsi exigé l’interdiction du port des vêtements religieux dans la rue (à l’époque : soutane des clercs, foulard des nonnes, etc.).

Aristide Briand, « père » de la laïcité française, y avait répondu très fermement, en estimant qu’il s’agirait d’une inacceptable atteinte à la liberté de conscience et qu’une telle disposition exposerait au « ridicule » en voulant par « une loi de liberté » imposer une « obligation de modifier la coupe des vêtements ».

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Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène sont respectivement président et rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité.