L’islam est-il une religion violente ?

Croisades
L’islam n’a pas l’apanage de la violence. Les guerres de religion, les guerres coloniales et les guerres civiles ont été menées, elles aussi, au nom d’une croyance religieuse et d’une idéologie politique. Ce tableau représente l’armée de Saladin, qui, en 1187, défait les armées chrétiennes et reprend Jérusalem. Le siège du royaume de Jérusalem est installé à Saint-Jean-d’Acre en 1229.
En raison d’événements géopolitiques saillants qui, depuis des décennies, dominent l’actualité du monde musulman (Révolution iranienne de 1978, décennie noire algérienne, 11-Septembre, État islamique, etc.), mais aussi à cause de toute une série de biais et de deux poids-deux mesures dans la couverture médiatique et le discours politique sur l’islam, deux notions négatives sur cette religion et ses croyants se sont cristallisées dans les opinions publiques occidentales ainsi que dans de larges segments des pays à majorité musulmane, à commencer par leurs élites et diasporas libérales-sécularistes.Première notion : l’islam serait par essence une « religion de haine » qui favoriserait la violence, ou du moins qui l’encouragerait ou la tolérerait plus que les autres religions. Une grande partie de l’excitation théologique qui agite aujourd’hui nos politiciens et têtes islamiques pensantes autour d’une « réforme islamique » présentée comme urgente semble en fait largement déterminée par ce stéréotype, auquel certains, y compris parmi les meilleurs, semblent désormais céder.En France, grande est en effet la peur de ne pas passer pour un bon musulman bien républicain, bien « modéré » et bien « intégré » si l’on n’a pas le discours politiquement correct que l’Etat et ses pseudo-laïcs attendent de vous.Seconde idée, si implantée dans les esprits que l’on ne songe même pas à la vérifier : la majorité (et pour beaucoup, la quasi-totalité) des attaques terroristes dans le monde serait le fait de « jihadistes islamistes » agissant au nom de l’Islam ou de l’idée qu’ils s’en font (Al Qaïda, ISIS, « loups solitaires » ou cellules semi-autonomes à la Mohammed Merah, Frères Kouachi, etc.). Nous avons affaire ici à un consensus idéologique qui vire à un quasi-unanimisme à l’évidence éminemment néfaste pour tous les musulmans.Cette doxa délétère structure les perceptions et opinions publiques vis-à-vis de l’Islam et de ses pratiquants, souvent d’ailleurs aussi chez les musulmans eux-mêmes. Mais elle détermine également de plus en plus les politiques publiques dans un sens liberticide : surveillance-espionnage des mosquées, politiques de « contre-radicalisation », efforts étatiques d’ailleurs anti-laïques, pour forger un « Islam de France » afin de réguler, y compris théologiquement, une religion perçue comme dangereuse, récente loi renseignement,etc. Le tout dans l’hystérie et la paranoïa collective la plus complète, dans une atmosphère de panique morale médiatiquement et politiquement organisée autour d’une prétendue « menace islamiste » qui ressemble de plus en plus à une de ces orwelliennes politiques de la peur bien connues, fort pratiques pour le contrôle des populations, et calquée sur les précédentes : « Menace Rouge » (la « Red Scare » de la Guerre froide), « complot judéo-bolchévique » ou, plus récemment, « armes de destruction massive » (non existantes) de Saddam Hussein justifiant l’invasion de l’Irak.

Le problème ? Les notions sur lesquelles reposent ces perceptions collectives et entreprises politiques sont toutes factuellement fausses, sur le plan tant historique que contemporain.

Un mythe que chacun peut empiriquement démentir

Première observation : avec 1,6 milliard de musulmans dans le monde, 23 % de la population globale, si l’islam était cette religion de haine et de « barbarie » que ses opposants nous décrivent à longueur de journée, ce n’est pas une poignée d’« États faillis » (Irak, Syrie, Libye, Yémen, Nigéria) qui seraient à feu et à sang, mais l’ensemble de la planète.Force est de constater que si cette religion propage un message de haine, de violence et d’intolérance, alors, bizarrement, la quasi-totalité de ses fidèles ne semble curieusement pas entendre ce supposé message, puisqu’ils restent à 95 % ou plus parfaitement non violents.Sans même aller dans la recherche sur ce sujet (qui existe bel et bien, surtout dans le monde anglo-saxon), faites le test autour de vous : prenez tous vos collègues musulmans, amis, membres de la famille, amis de la famille, tous ceux et celles que vous connaissez de près ou de loin. Combien sont religieusement violents, combien sont terroristes ? On prend le pari : pas un(e) seul(e). Fait aisément observable qui s’applique d’ailleurs non seulement aux musulmans occidentaux mais à ceux dans les autres parties du monde, y compris la zone Afrique du Nord – Moyen-Orient.

Un mythe également démenti par l’Histoire

Dans une perspective plus objective et historique, il n’existe aucune preuve que l’islam et ses civilisations aient été plus violentes et « barbares » que, par exemple, l’Occident chrétien. A vrai dire, cela a, la plupart du temps, été le contraire.Il n’est que de rappeler l’histoire ultraviolente du catholicisme européen, avec son cortège ininterrompu d’atrocités à grande échelle, ses croisades, saintes inquisitions, massacres sans fin de juifs et autres chrétiens (Templiers, etc.), ses guerres de religion seiziémistes (70 000 tués, tous chrétiens massacrés par d’autres chrétiens) et ses entreprises coloniales aux quatre coins de la planète, des Amériques à l’Asie en passant par l’Afrique, avec leurs cohortes de massacres de masse, dont l’immense majorité reste à ce jour inconnus du grand public mis à part les quelques cas médiatisés comme Sétif.Le tout accompli par des États bien évidemment non islamiques, tant monarchiques que républicains, tant religieux que séculaires, mais avec à chaque fois les Églises chrétiennes présente pour stimuler et justifier ces horreurs, au nom de Dieu.Un exemple : quand les croisés européens capturèrent Jérusalem le 10 juillet 1099 (sur ordre du pape Urbain II et au nom de la chrétienté) , ils massacrèrent les populations juives et musulmanes, hommes, femmes et enfants, souvent après les voir torturés et coupés en morceaux, faisant des piles de têtes, jambes, pieds et mains, comme ils s’en vantent dans leurs propres récits, allant même jusqu’à remercier Dieu de leur avoir permis de massacrer les infidèles jusque dans leurs temples et mosquées, où, dit l’un d’eux, « nos chevaux pataugèrent dans le sang jusqu’aux genoux ».Par contraste, quand Saladin reconquiert Jérusalem le 2 octobre 1187, il ne commet, lui, aucun massacre de civils, épargne les populations juives et chrétiennes, et leur donne même une escorte militaire musulmane pour les accompagner jusqu’aux côtes de la Syrie et de la Palestine afin de les protéger contre des attaques de tribus locales, bandes de brigands ou marchands d’esclaves.

Plus tard, tout au long des XIXe et XXe siècles, les nations de l’Occident chrétien se distinguent par une compétition coloniale de nature impérialiste, dont l’ampleur planétaire, la durée et la brutalité restent sans équivalent dans le monde islamique, lui-même d’ailleurs objet de cette colonisation. Et en France, ces guerres de conquête, exemples types de pure « barbarie », sont bel et bien menées par et au nom de la République et de la chrétienté (la fameuse « mission civilisatrice » qui imprègne toujours les esprits de si nombreux laïcards anti-voile), avec, partout, la participation active des Églises catholiques et protestantes qui voient dans les populations africaines, asiatiques ou amérindiennes, toutes conçues comme « arriérées », autant d’opportunités d’évangélisation.

Et cette histoire-là, loin d’être ancienne, ne se termine qu’en 1962 avec l’indépendance algérienne.

Plus généralement, c’est tout le XXe siècle qui infirme la thèse d’un Islam « religion violente ». En effet, parmi les pires atrocités historiques qui pullulent tout au long de ce siècle de sang, et elles furent nombreuses, la quasi-totalité fut commise non pas par des populations musulmanes au nom de l’islam, mais par les États et peuples occidentaux.

Première et Seconde Guerres mondiales. Fascisme. Nazisme. Hitlérisme. Stalinisme. Maoïsme, et on en passe. Aucune de ces horreurs ne fut déclenchée et perpétrée par des musulmans au nom d’Allah. Toutes furent, au contraire, commises par des athées, des agnostiques ou des chrétiens. Rappelons-le encore et toujours : chaque fois que l’on propage ce mensonge d’un Islam-religion-plus-violente : l’Holocauste ne fut pas le fait de musulmans et n’eut pas lieu au Moyen-Orient, mais bien au cœur de l’Europe chrétienne.

Qui plus est, toutes ces tragédies furent bel et bien accomplies non seulement par des régimes et populations européennes (ou asiatiques dans le cas de Mao ou de Pol Pot et de ses khmers rouges) non musulmanes, mais elles le furent au nom d’idéologies qui n’avaient rien à voir avec l’islam : « mission civilisatrice » de la IIIe République, celle de Jules Ferry ; supériorité de la « race aryenne » et nécessité du Lebensraum (l’ « espace vital » du IIIe Reich) ; chrétienté (on oublie trop souvent que, par exemple, la Première Guerre mondiale eut une très forte dimension de guerre religieuse, de guerre sainte, chacun clamant que Dieu était de son côté) ; idéologies athées marxistes-léninistes, etc.

Le mythe actuel selon lequel l’islam a toujours été et reste une religion particulièrement toxique et violente, en tout cas beaucoup plus que les autres idéologies religieuses (ou pas), était déjà un mensonge au Moyen Âge. Il reste un mensonge tout au long du XIXe siècle colonial et du XXe siècle. Il ne saurait perdurer en plein XXIe siècle.

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Alain Gabon, professeur des universités aux États-Unis, dirige le programme de français à Virginia Wesleyan College (université affiliée à l’Église méthodiste de John Wesley), où il est maître de conférences. Il est l’auteur de nombreux articles sur la France contemporaine et la culture française.

Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com/

Comme l’uranium, le vivre-ensemble doit être enrichi

À l’initiative de la Fondation Adyan, un congrès international sur l’éducation à la citoyenneté inclusive de la diversité vient de se tenir à Beyrouth.

IDENTITÉ
À l’heure des replis identitaires et de la résurgence des systèmes totalitaires sous une forme religieuse, l’élaboration d’une nouvelle éducation à la citoyenneté apparaît indispensable et la Fondation Adyan, sous la conduite de Fadi Daou et de Nayla Tabbara, a pris depuis un certain nombre d’années l’engagement d’y contribuer.

À son initiative, un symposium international vient de se tenir à Beyrouth sur le thème de « l’éducation à la citoyenneté inclusive de la diversité (religieuse et culturelle) pour un vivre-ensemble pacifique ». L’événement était placé sous le patronage du ministre de l’Éducation nationale et a bénéficié de l’appui du gouvernement britannique. Il s’est tenu en présence d’une trentaine de participants, dont le secrétaire général adjoint de la Ligue arabe, Badreddine Alali. La conférence inaugurale du congrès a été prononcée par l’ancien ministre Tarek Mitri, directeur de l’Institut des sciences politiques et affaires internationales Issam Farès de l’AUB.

Repenser l’éducation civique

Il s’agit de repenser notre éducation civique, explique en substance Nayla Tabbara (43 ans), docteur en sciences des religions de l’École pratique des hautes études (EPHE-Paris). Une éducation à la citoyenneté inclusive de la diversité, et développant une approche critique de l’extrémisme, s’impose désormais non seulement au Liban, mais partout dans le monde. La Fondation Adyan y travaille depuis des années, en coordination avec le Centre de recherche et de développement pédagogiques (CRDP) et le ministère de l’Éducation nationale. En outre, un institut vient d’être lancé par la Fondation, pour le développement de programmes de formation, Le nouvel institut se propose comme référence dans le monde arabe concernant l’éducation à la citoyenneté interculturelle, les religions et la chose publique, et enfin les relations interreligieuses et interculturelles.

 

ENQUÊTES
Pour bien cibler son approche, la Fondation Adyan a eu recours à des études de perception des professeurs et des élèves. Ces études ont été menées par l’agence Ipsos. Ces études ont déjà donné des fruits sous la forme d’une « charte nationale » pour l’éducation à la citoyenneté, et d’un nouveau manuel pour les classes de première sur le thème « Philosophie et civilisation », qui sera utilisé pour la première fois à la prochaine rentrée scolaire. Une formation adéquate est en cours pour un certain nombre de professeurs qui vont conduire cette expérience-pilote.
« Les concepts que nous développons ne seront pas seulement pour le Liban, précise Nayla Tabbara. Nous pressentons déjà que dans des pays comme l’Irak, la Palestine, la Tunisie ou Oman, ils feront la différence. »
« Même au Liban, cette approche pourrait être modulée en fonction des régions où se fait l’apprentissage. On n’apprend pas de la même façon à Beyrouth et au Akkar », nuance-t-elle.

Un monde pluriel
« Le monde entier devient un monde pluriel, explique encore Nayla Tabbara. Une citoyenneté inclusive de la diversité s’impose désormais aussi bien en Orient qu’en Occident. En Europe, l’approche est multiculturelle. Nous voulons et nous travaillons à ce qu’elle devienne interculturelle. Un dialogue ou une communication superficielle sont apparus insuffisants. Il faut aussi travailler sur les mémoires, les aspirations profondes. »
« Au Liban, notre culture est un peu comme celle de l’Europe. Il y a coexistence, mais pas véritable connaissance de l’autre. Dans certains domaines, le travail est entièrement à refaire. Nous avons grandi avec un livre d’éducation civique où la fierté que l’on peut tirer de l’identité libanaise était absente, perdue dans les programmes »
Du discours de Nayla Tabbara, on réalise que les programmes mis en circulation étaient inspirés d’une philosophie ou d’une idéologie de l’intégration nationale, du nivellement identitaire, de la suppression de la diversité, « alors même que ce qui fait le Liban, c’est la diversité. Une philosophie politique de la participation plutôt que de la tolérance ».
« En quelque sorte, conclut Nayla Tabbara, nous restituons le Liban à lui-même, avec une connaissance de sa spécificité et de sa précieuse valeur. » La Fondation Adyan réinvente le vivre-ensemble, mais enrichi, comme l’uranium.

 

Combien s’identifient comme Libanais ?

Pour reconnaître les besoins, la Fondation Adyan a eu recours à des enquêtes Ipsos. Qu’est-ce que la citoyenneté ? Quelle est la bonne citoyenneté libanaise ? Combien de Libanais se reconnaissent d’abord dans leur identité nationale ? D’où viennent nos connaissances des autres religions ? Toutes ces questions simples – aux réponses compliquées – ont été proposées à des professeurs, comme à des élèves et étudiants. Exemple : Combien, parmi les professeurs, s’identifient d’abord comme Libanais ? Réponses : 61 % parmi les chrétiens, 62 % parmi les sunnites et… 77 % parmi les chiites ! Le reste s’identifie d’abord par sa religion (21 % chez les chrétiens), ou par sa communauté religieuse spécifique (8 % chez les chrétiens). Éclairant.

Fady NOUN | OLJ

01/05/2015

Pour en savoir plus : http://www.lorientlejour.com/