Le sens des mots

Je reconnais au Premier ministre le mérite d’avoir décrit une réalité de l’immigration souvent minorée ou même déniée. Manuel Valls a eu raison de parler de « misère sociale », de « ghetto », de « relégation périurbaine », de « misère sociale », auxquelles « s’additionnent les discriminations quotidiennes parce que l’on n’a pas le bon nom de famille, la bonne couleur de peau ». Tout ceci existe, c’est la réalité quotidienne de millions de Français, et même des « immigrés » les mieux intégrés.

Il fallait enfin poser le diagnostic et admettre la réalité. C’est un premier pas encourageant pour la classe politique française qui, depuis des décennies, a refusé d’admettre les immenses problèmes liés à l’intégration. Ce refus est d’autant plus scandaleux qu’il est le résultat, soit d’une naïveté méprisante, soit d’une mauvaise conscience ou encore d’une méconnaissance coupable. Espérons que ces déclarations soient une étape franchie, un acquis sans retour pour qu’enfin, les gouvernements puissent agir concrètement sans fausse pudeur ou mystifications paralysantes.

Pourtant, il faut reprocher au même Premier ministre l’emploi d’un mot qui se voulait fort pour décrire cette situation, « l’apartheid », mais c’est un mot faux. En effet, si la situation de certains « quartiers » est très inquiétante et que le sort réservé à une grande partie de la population issue de l’immigration est, à bien des égards, scandaleuse, la France ne connaît pas une situation d’apartheid. Le laisser penser est dangereux.

Dangereux pour la nécessaire sérénité et quiétude qui doit exister entre les Français, quelles que soient leurs origines. Dangereux pour les « minorités visibles » de se laisser cantonner à être perçues comme une population ségrégée. Dangereux car ceux qui dénoncent et luttent contre la société, en dévoyant une idéologie politico-religieuse pour provoquer des actes abjectes, pourraient croire qu’ils sont des héros en puissance. En effet, Nelson Mandela a été pendant des décennies considéré comme un « terroriste » par le pouvoir sud-africain. Ne donnons pas l’occasion à nos terroristes en puissance de croire à un destin de libérateur d’un « peuple ». Ce sont des fous ou des terroristes dangereux qui instrumentalisent la religion pour assouvir leurs pulsions meurtrières.

La France n’est pas une société qui organise et légitime la discrimination et le racisme. Les mots ont un sens. Dire « apartheid » voudrait dire aussi que toutes les personnes issues de l’immigration se retrouvent de l’autre côté d’un mur invisible les séparant des Français d’origine. Ce n’est pas vrai. De la même manière, le Premier Ministre ne peut pas dire que l’intégration n’est pas un « mot qui ne veut plus rien dire ». La France est le pays où les mariages mixtes sont les plus nombreux. L’immense majorité des Français d’origine sont totalement étrangers à l’idée de racisme et, encore plus, à ses pratiques. La France sait que la diversité est une chance pour elle. Et enfin, une grande majorité de Français issus de l’immigration sont la preuve vivante d’une intégration réussie. L’immigration ne se résume pas qu’aux échecs scolaires, à la violence, aux quartiers sensibles, au chômage ou à une pratique religieuse.

Plusieurs acteurs se mobilisent, comme Le club XXIe siècle, pour changer les représentations de la diversité dans la société française. En dix ans, beaucoup de choses ont changé. Certes, pas assez et pas assez vite. Mais les Français issus de la diversité qui sont « visibles » ne sont plus uniquement des sportifs et des rappeurs. Ces Français sont aussi ministres, entrepreneurs, médecins, chercheurs, journalistes, présentateurs à la télévision, élus, hauts fonctionnaires, cadres en entreprise, et tous ceux que l’on ne voit jamais mais qui sont des citoyens honnêtes, travailleurs, fiers.

La France « diversifiée » s’intègre et travaille. Les Français issus de la diversité sont fiers d’être Français à l’image du discours émouvant de Lassana Bathily prononcé lors de la cérémonie où il a été fait français. Les Français issus de l’immigration ont souffert, comme tous les Français, lors des attaques terroristes qui ont fait des victimes françaises comme nous. Nous souffrons aussi parce que nous savons le prix que nous en aurons à payer dans le regard des autres, nous craignons encore plus de préjugés, encore plus de défiance, encore moins d’avenir.

La perte d’espérance est le pire des horizons que l’on puisse imaginer pour un citoyen. Si l’on ajoute à cela les discriminations ethniques ou religieuses, la situation peut devenir hors de contrôle. Il est donc urgent de cesser d’opposer les Français, les uns aux autres. Il ne doit y avoir que des citoyens français, aspirant à vivre ensemble. Encore une fois, le sens des mots est important. Que l’on cesse de parler de musulmans de France ou de juifs de France, mais plutôt de citoyens français de confessions musulmane, juive ou catholique.

Aujourd’hui, le plus important serait de redonner l’espoir, à tout un peuple, d’un avenir meilleur. Dans la difficulté et sans espérance, un peuple se déchire, les tensions croissent, les incompréhensions et les haines surgissent et les violences deviennent possibles.

La France est malade et les Français de toute origine souffrent. La France est malade d’une éducation nationale défaillante pour tous les Français. La France est malade de ses institutions que tous les Français respectent de moins en moins. La France est malade d’un chômage structurel de masse qui touche tous les Français. La France est malade d’une urbanisation impensée et chaotique. La France est malade d’une violence non-maîtrisée.

C’est ensemble que tous les Français doivent construire leur avenir. Les responsables politiques doivent s’attacher à prendre en compte la réalité, rien que la réalité et toute la réalité, sans exagération, sans stigmatisation. Maintenant, ils doivent imaginer les solutions et penser le futur d’une France apaisée, forte et fière de ses valeurs.

Arnaud Dupui-Castérès, Président de Vae Solis Corporate, cabinet de conseil en statégie d’information et communication de crise

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