Des conflits géopolitiques sous couvert de religion

Et si les conflits du Moyen-Orient contemporain n’étaient pas de nature religieuse ? Pour l’historien et économiste libanais Georges Corm, cette approche réductrice de la géopolitique ne sert qu’à légitimer la thèse du « choc des civilisations ». Dans son livre Pour une lecture profane des conflits*, l’universitaire démontre les nombreux mécanismes qui ont permis de légitimer des guerres injustes depuis la fin de la Guerre froide. Une politique qui passe par l’instrumentalisation du religieux.

Par une lecture profane des conflits, entendez-vous vous opposer à la théorie de « choc des civilisations » ?

C’est un retour à la politologie classique, une approche des situations de guerre par une analyse multifactorielle, et non pas par une causalité unique qui serait religieuse, ethnique ou prétendument morale. La thèse du choc des civilisations est, à mon avis, une mise à jour post-moderne de la division du monde entre Sémites et Aryens, qui a provoqué l’antisémitisme effarant ayant mené au génocide des communautés juives d’Europe. Cette thèse perverse empêche de réfléchir sur les causes des conflits. Aveuglée par cette théorie du choc des civilisations, l’opinion publique peut soutenir des entreprises guerrières comme l’invasion de l’Irak, de l’Afghanistan, ou encore les interventions en Libye, en Syrie et très récemment au Yémen.

Au Moyen-Orient, le conflit sunnites-chiites est souvent mis en avant. La religion n’est-elle pas un vecteur de conflit dans cette région du monde ?

Quand le shah d’Iran était en place (1941-1979), sa politique n’était pas différente de celle du régime actuel. Pourtant, personne ne parlait d’opposition entre sunnites et chiites. Des intérêts géopolitiques se jouent aujourd’hui sous couvert de religion. Des enquêtes, publiées notamment dans The New Yorker, montrent que, suite à l’échec de l’invasion de l’Irak, les États-Unis ont décidé de provoquer des troubles entre sunnites et chiites. En créant notamment la notion de triangle chiite  Iran/Syrie/Hezbollah libanais, considéré comme l’équivalent d’un « axe du mal ». C’est très loin de la complexité des réalités de terrain, qui implique les intérêts géopolitiques des régimes turc, qatari, saoudien et israélien. La politique occidentale poursuit une ligne « sunnites contre chiites » sur le plan intérieur, et une vision « monde islamique contre monde occidental » sur un plan plus large. Il s’agit d’une approche fantaisiste : tous les gouvernements des pays musulmans sont dans l’orbite des puissances occidentales à l’exception de l’Iran, qui tente de normaliser ses relations avec les États-Unis.

Pourquoi les problèmes de religion, culture et civilisation sont si souvent invoqués pour justifier les conflits ?

Le Moyen-Orient est l’un des carrefours géopolitiques les plus importants dans le monde. C’est le principal réservoir énergétique. C’est aussi le lieu de naissance des trois monothéismes. Il est très facile d’utiliser les symboles religieux pour couvrir d’un voile les enjeux profanes purement politiques, militaires, économiques et autres désirs de puissance et d’hégémonie. Le Moyen-Orient est constitué de trois grands groupes ethniques ou nationaux : les Perses iraniens, les Turcs et les Arabes. Iraniens et Turcs ont pu hériter de structures d’empires vieilles de plusieurs siècles. En revanche, les Arabes ont été balkanisés dans diverses entités par les deux colonialismes français et anglais.

À l’heure du nationalisme arabe du président égyptien Nasser (1956-1970), la région était le théâtre d’atmosphères révolutionnaires qui menaçaient les intérêts occidentaux. L’organisation des Frères musulmans a été bien instrumentalisée afin de s’opposer à un panarabisme anti-impérialiste et tiers-mondiste qui entretenait des relations croissantes avec le bloc soviétique. Bien plus, l’instrumentalisation du religieux est devenue quasiment la politique officielle américaine pendant la Guerre froide. Zbigniew Brzezinski, conseiller du président américain Jimmy Carter de 1977 à 1981, a décidé d’organiser la mobilisation religieuse contre l’URSS. Dans l’aberrante guerre d’Afghanistan, en 1979, l’Arabie saoudite a été appuyée et financée par les États-Unis pour entraîner des milliers de jeunes Arabes, qui partaient ensuite se battre en Afghanistan. Al-Qaida est née à ce moment-là. Ces groupes de combattants ont ensuite été transportés en Bosnie, en Tchétchénie, aux Philippines, aujourd’hui dans le Xinjiang chinois… L’instrumentalisation de ces groupes mène à des organisations comme l’État islamique.

Vous parlez bien plus d’un recours au religieux que d’un « retour du religieux », expression que vous dénoncez. Pourquoi ?

Il n’y a jamais eu d’abandon du religieux dans l’Histoire du monde. Parler de retour du religieux est un ethnocentrisme européen poussé à l’extrême. Certes, la petite Europe a été relativement déchristianisée. Mais le reste du monde a conservé des liens importants avec la religion. À commencer par les États-Unis, pays fondé par des colons britanniques puritains. Le « retour du religieux » a été beaucoup invoqué pour dénoncer les dictatures marxisantes. Le philosophe allemand Léo Strauss (1899-1973) se demandait s’il ne fallait pas mieux revenir à des législations de type religieuses, après les malheurs qu’il attribuait exclusivement à la laïcité et la Révolution française, qui auraient d’après lui provoqué les deux Guerres mondiales. Accuser la Révolution française ou les philosophes des Lumières de tous les malheurs du monde est une thèse tout à fait exagérée. Pour moi, l’archétype de la guerre d’extermination, du goulag et du nazisme se trouve dans les guerres de religion.

Le raidissement des dogmes, aujourd’hui, traduit-il une nouvelle crise religieuse ?

Il ne faut pas tomber dans le piège des mouvances terroristes actuelles. Elles se réclament de trois théologiens politiques musulmans : Ibn Taymiyya (1263-1328), emprisonné par le sultan pour son extrémisme religieux ; le Pakistanais Abul a’la-Maududi (1903-1979), qui a justifié la sécession sanglante des Indiens de confession musulmane ayant donné lieu à la création de « l’État des purs » (ou Pakistan) ; et le Frère musulman égyptien Sayyid Qutb (1906-1966) qui a considéré tous les régimes politiques arabes comme « hérétiques » parce que ne respectant le principe d’une souveraineté absolue de Dieu sur les hommes. Mais la théologie musulmane, vieille de plus de treize siècles, va bien au-delà de ces trois noms et les théologiens « libéraux » sont très nombreux. Je pense qu’il y a aujourd’hui une crise des monothéismes, à cause de la manipulation du religieux. Concernant l’islam, la croyance wahhabite a été largement condamnée par la plupart des théologiens musulmans qui la considèrent beaucoup trop extrémiste. À l’origine, cette doctrine est née au XVIIIe siècle d’une simple alliance entre le prédicateur Abd al-Wahhab et la famille al Saoud aux ambitions politiques très grandes. Quand, dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’Arabie saoudite a atteint une puissance pétrolière et financière importante, le wahhabisme s’est exporté tous azimuts.

Quel rôle joue l’instrumentalisation de la mémoire dans la gestion des conflits ?

Les musulmans restés fidèles au concept de « religion du juste milieu » sont marginalisés. Aujourd’hui, les médias et les chercheurs ne s’intéressent plus à la sociologie des sociétés arabes, turques, perses… Ils se consacrent à l’étude des réseaux islamistes. C’est un islam abstrait, une méga-identité qui ne veut rien dire mais sert à stimuler cette idéologie du conflit des civilisations. On retrouve le même type de crispation, en ce qui concerne le judaïsme. De très nombreux citoyens européens ou américains de confession juive n’approuvent pas la politique d’Israël. Des groupes de religieux, comme Neturei Karta, ne reconnaissent même pas la légitimité de l’État israélien. Mais ils sont totalement marginalisés dans les médias et la recherche académique. Une autre manipulation de la mémoire est le passage de la notion d’Occident gréco-romain à la notion d’Occident judéo-chrétien. Ce coup d’État culturel n’a pas beaucoup de sens, car le christianisme s’est construit contre le judaïsme. Cette opération est destinée à réparer le traumatisme causé par l’Holocauste.

Alors que le XXe a vu, pendant un temps, triompher une vision laïque de l’ordre international, comment la religion a-t-elle pu opérer un tel retour en force ?

Jusqu’aux années 1970, la vie internationale était laïque. Les pays non-alignés basaient leur discours sur le rapport avec les deux grandes puissances. La préoccupation était le développement économique et social, l’appropriation des sciences et les technologies. Tout a basculé avec la Guerre froide. L’extension du marxisme dans les rangs de la jeunesse arabe dans les années 1950-60 était très impressionnant. De quoi inquiéter les milieux militaires et politiques occidentaux. En cherchant à réislamiser les sociétés musulmanes, la doctrine Brzezinski entendait que leurs préoccupations ne soient plus économiques ou sociales, mais théologiques.

Pourquoi la laïcité a-t-elle échoué dans le monde arabe et musulman ?

Je n’aurais pas un jugement aussi abrupt. De très larges pans de laïcité subsistent dans des pays comme la Turquie ou la Tunisie. La Syrie et l’Irak étaient largement laïcisés eux aussi. Tout comme l’Égypte dans les années 1940-1950. Il n’y a pas non plus de recul absolu. Heureusement, il existe encore des millions de musulmans arabes sans comportement religieux ostentatoire. Mais l’échec complet de l’industrialisation est associé à une expansion démographique effarante. Devant l’incapacité de trouver un emploi, la mosquée devient attirante. Toutes les ONG islamiques ont fleuri grâce au financement des monarchies et émirats du Golfe. Elles ont distribué des aides sociales, conditionnées par l’adoption d’un mode de vie religieux.

Les médias et intellectuels occidentaux ont-ils joué un rôle dans cette « réislamisation » ?

Les politologues occidentaux ont donné une crédibilité islamique à des gens comme Ibn Taymyya ou Sayyid Qutb, ainsi que Ben Laden et le soi-disant « État islamique ». Vouloir expliquer des phénomènes comme les attentats du 11 septembre 2001 ou celui de Charlie Hebdo par la religion musulmane ne fait qu’amplifier le malaise. Les organisations terroristes doivent être considérées comme telles. Si vous mobilisez des savoirs soi-disant académiques pour justifier leurs actes par la théologie musulmane, vous jouez dans leur camp et renforcez leur crédibilité. S’est-on penché sur les textes marxistes pour expliquer les crimes d’Action directe, ou de la bande à Baader ou le goulag ? Chercherions-nous dans les Évangiles une justification des Croisades ou du génocide des Indiens d’Amérique ? Non.

Pensez-vous qu’il est possible de sortir de ce cercle vicieux ?

Je ne suis pas très optimiste. À partir du moment où les médias américains et européens appellent Daesh « l’État islamique », le terrorisme s’accroît. En luttant contre Ben Laden, longtemps allié des États-Unis, on en a fait un grand héros, avec un retentissement médiatique hors-pair. Deux pays souverains ont été envahis en déployant des moyens militaires absurdes. D’autant plus que l’Irak était considéré par Ben Laden comme un État mécréant à détruire. Et ça continue avec le drame syrien. On a décidé de diaboliser Bachar el-Assad, sous prétexte de réduire un dictateur qui n’est pas dans le sillage géopolitique de l’Occident. Tout en affirmant, à côté, que des organisations comme le Front al-Nosra, pourtant classé comme terroriste, font du bon travail en Syrie. Au Yémen, on recommence à bombarder les Houthis sous prétexte qu’ils sont soutenus par l’Iran et qu’ils appartiennent à l’une des nombreuses branches du chiisme. Ces folies coûtent des milliards de dollars aux contribuables européens et américains. Comment arrêter cette machine ? Depuis 2001, il n’y a aucune demande de comptes dans les pays occidentaux. Il est temps que les démocrates se réveillent pour demander que cela cesse.

Propos recueillis par Matthieu Stricot – publié le 22/07/2015

(*) Georges Corm, Pour une lecture profane des conflits : sur le « retour du religieux » dans les conflits contemporains du Moyen-Orient, Paris, La découverte, 2015, 11 €.

Du même auteur : Pensée et politique dans le monde arabe : contextes historiques et problématiques, XIXe-XXIe siècles, Paris, La Découverte, 2015, 23 €.

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr/

Journée d’étude : le fondamentalisme islamique

FondamentalismeMusCathoLyon

20 mars 2015

Voici une partie des notes que j’ai prise à cette journée d’étude sur le fondamentalisme islamique.

Le reste va suivre rapidement !

Elles pourront apparaître comme approximative sur certains sujets. L’idée est de vous donner envie d’en savoir plus !

 

La compréhension du fondamentalisme passe par son décryptage historique, sociologique, anthropologique et psychologique, elle s’appuiera sur le mécanisme littéraliste et rigoriste.

L’objectif de la journée est de comprendre aujourd’hui la place qu’occupe ce phénomène dans le contexte musulman francophone actuel.

Pour cela, il s’attachera à étudier des penseurs musulmans soit parce qu’ils contribuent  à ce phénomène, soit parce qu’ils cherchent à le contrecarrer. En instaurant le débat, il s’agit de voir comment est considéré le rapport à l’origine, comment sont désamorcés les versets violents, quelle condamnation de la violence ?

 

Le fondamentalisme et ses modes opératoires

 

Le salafisme comme expression du fondamentalisme à dimension politique

SamirAmghar

Samir Amghar

 

Le salafisme est un mouvement ultra-orthodoxe de l’islam qui développe une lecture littéraliste du Coran et de la tradition prophétique. Il est le produit du retour des étudiants en Sciences des Religions d’Arabie Saoudite en France et de la venue de l’aile salafiste du Front du Salut Algérien.

Il existe trois tendances salafistes :

– le salafisme quiétiste et non-violent qui condamne les attentats du 11 septembre. Il est apolitique.

– le salafisme politique : pour ce courant,  il est nécessaire de s’engager en politique au nom de l’islam. Il y a des liens avec l’idéologie des Frères Musulmans.

– le salafisme révolutionnaire, jihadiste : il faut combattre par les armes ceux qui ne respectent pas les musulmans.

Pourquoi est-ce que les jeunes sont attirés par le salafisme jihadiste ?

– l’idéologie est attirante, même si certains ne sont pas formés idéologiquement,

– la politique : certains jeunes sont le produit d’une frustration politique. En effet, les musulmans ont le sentiment qu’ils ne peuvent pas exprimer leurs idées sans se faire arrêter. L’Etat criminalise l’outil de contestation que sont les manifestations par un verrouillage sécuritaire.

– la sur-criminalisation des acteurs jihadistes : la prison a sur eux un effet accélérateur de leurs activités politico-religieuse.

– la radicalisation : ils n’ont plus rien à perdre (altruisme familial).

Il est cependant important de ne pas enfermer le salafisme dans une catégorie.

 

Le salafisme, le cas de l’Égypte et des Frères musulmansHaouesSemiguer

Haouès Seniguer

L’approche salafiste peut être critique, apologétique ou violente.

En Egypte, les responsables néo-salafistes ne veulent pas s’aliéner les coptes : ils prônent donc un retour aux valeurs conservatrices qui plaisent également aux coptes.

 

Le Maroc, État fondamentaliste ?

Ali Mostfa

Les salafistes au Maroc sont pour la purification de l’islam et contre l’innovation (bidaa). Ils n’ont pas de prétentions politiques.

La définition du fondamentalisme en arabe peut se traduire par celle d’authenticité, d’autorité par rapport au corpus du Coran et de la tradition prophétique.

Dans le contexte marocain, on peut identifier trois périodes différentes sur ce sujet :

– le 18è siècle avec Moulay Slimane qui a eu des liens (courriers) avec Abdel-Wahhab. Le wahhabisme est introduit au Maroc : c’est le retour au salaf des 2è et 3è génération après le prophète. Les pratiques populaires (pélérinage autour de mausolés,…) sont interdites. On interdit aussi de fêter l’anniversaire (mouloud) du prophète.

Il n’y a pas de place pour une pensée autre, pas de nuances.

– Années 30-40 : naissance du nationalisme qui aboutira à la négociation de l’indépendance, avec Allal Al-Fassi qui s’érige comme figure du nationalisme au Maroc. Il prône un nouveau salafisme fait de thèses nationalistes, de salafisme, de fiqu et de références françaises.

Pour lui, ce nouveau salafisme est un message fédérateur, contrairement à la dichotomie du message de Abdel-Wahhab et à l’opposé des soufis. Al Fassi a été un des négociateurs de l’indépendance du Maroc en 1956 sur la base d’un discours politico-religieux.

– Arrivée de Hassan II au pouvoir (1960) jusqu’à 1999. Hassan II islamise la société marocaine. Au moment de la révolution iranienne en 1979, Hassan II définit le Maroc comme un pays fondamentaliste (maîtrise des sciences islamique et du fiqh) par opposition à l’intégrisme.

C’est le début du processus de dé-divinisation de l’espace publique et la fin du discours religieux dans cet espace. La synthèse du politique et du religieux au Maroc, c’est le roi.

Les marocains font allégeance au roi chaque année au moment de la fête du trône.

 

Le fondamentalisme : analyse et mise en rapportBertrandSouchard

Bertrand Souchard

Qu’est-ce que le fondamentalisme ?

– C’est une identité religieuse,

– Absolue et sans médiation (on relativise tout le reste), sans la médiation d’une culture,

– Dualiste ou binaire : rejet de l’autre, exclusion (voir violente, bipolaire ou schizophrène : l’ennemi est dans mon camp),

– Eschatologique (rapport à la fin des temps) et tragique : mal-être du présent. Mon identité présente est tragique,

– Peut être en réaction avec les modernité, lutter contre.

 

Pourquoi le fondamentalisme ?

Le fondamentalisme serait-il une réaction à la modernité (qui elle pourrait se définir comme défense des individus, foi en la sciences et tolérance) ?

Le fondamentalisme existe de tout temps et en tout lieu, dans toutes les religions. Ce pourrait être plutôt une réaction à la post-modernité.

En fait, toute religion porte en elle fondamentalement l’énigme de la mort. La mort produit l’acte religieux. La religion est donc un engagement qui a une forme d’absolu. Ce sont des questions qui sont très profondes chez l’homme et qui peuvent mettre en colère !

La reconnaissance pour construire son identité :

La conscience de soi passe par la re-connaissance de l’autre. Il y a plusieurs façons d’être reconnu : par sa famille, la société, la politique, le religieux, les médias, la culture, l’esthétique, l’amitié.
L’idéal étant d’être reconnu par toutes ces facettes identitaires.

Les reconnaissances les plus naturelles sont celles de la famille, du travail et de la nation (même si cela fait un peu pétainiste !).

Les terroristes des attentats de janvier ont une quant à eux une reconnaissance post-mortem.

Les discours qui méprisent les nationalistes et les fondamentalistes viennent de personnes qui sont eux-même reconnus…

Pourquoi ce basculement dans la violence ?

Kant a dit : « La guerre ne paraît pas avoir de motifs déterminants, elle est greffée sur la nature humaine. »

Il faut prendre conscience de la potentialité de violence qui est en chacun de nous. Il faut entendre les réactions identitaires. La post-modernité génère parfois de excès et des dérives qui excluent la religion et prônent un égocentrisme individualiste.

Le relativisme aussi (tout se vaut) provoque un vide de notre société aux questions que les gens se posent.

 

Le fondamentalisme musulman est-il spécifique ?

Les caractéristiques du fondamentalisme musulman sont la lecture littéral du livre, avec cette dichotomie : halal/ haram (illicite/ licite).

Pour les islamistes, la colonisation reste un sujet difficile à digérer. Ils se sentent victimes. Et en même temps, l’islam étant la dernière religion, ils peuvent se sentir supérieurs. Ils se questionnent sur la suprématie occidentale, sur le développement de la science, de l’industrie…

Il y a un profond ressentiment par rapport aux peuples judéo-chrétien.

Est-ce que le Coran est universel ? Il faut regarder le lien avec les juifs et les chrétiens dans le Coran.

 

 

Figures du fondamentalisme islamique

 

Le hanbalisme ou la lecture littéraliste d’un Coran incrééMichelYounes

Michel Younès

 

 

Ibn Taymiya, Ibn ‘abdel Wahhab : concepteurs du fondamentalismeAbdel-Wahhab

Maurice Borrmans

 

L’image des femmes dans les fatwas hanbalites d’ouvrages francophonesBenedicte-du-chaffaut

Bénédicte du Chaffaut

 

La place des autres dans la littérature fondamentalisteMalekChaieb

Malek Chaieb

 

 

 

Intervenants :

Samir Amghar, Post-doctorant au Centre d’études sur les arts, les langues et
la tradition de l’Université du Québec à Chicoutimi

Maurice Borrmans, Professeur émérite au PISAI (Institut Pontifical d’Etudes
Arabes et Islamologie) de Rome

Bénédicte du Chaffaut, Enseignante au Centre Théologique de Meylan-
Grenoble

Malek Chaieb, Enseignant à l’Université catholique de l’Ouest, Angers

Philippe Dockwiller, Maître de conférences à l’UCLy

Ali Mostfa, Enseignant-chercheur à l’ESTRI (UCLy), Chercheur associé
au GREMMO (Groupe de Recherches et d’Études sur la Méditerranée
et le Moyen Orient)

Emmanuel Pisani, Directeur de l’ISTR, Paris

Haouès Seniguer, Maître de conférences à l’IEP de Lyon, chercheur
au GREMMO

Bertrand Souchard, Maître de conférences à l’UCLy, titulaire de la chaire
Science et Religion

Michel Younès, Professeur à l’UCLy, directeur du CECR

Du bon usage du mot « terrorisme » et de quelques autres termes

Des concepts à dimension variable

Au moment où une coalition internationale, conduite par les États-Unis et à laquelle participe la France est engagée dans une opération militaire contre l’organisation de l’État islamique, il n’est pas indifférent de rappeler combien certains mots sont source d’ambiguïté et objets de manipulations. Par leur usage répétitif, sans discernement ni à propos, ils contribuent à former des opinions erronées et à faire accepter des politiques à courte vue.

«  Islamiste  », «  salafiste  », «  djihadiste  », «  wahhabite  », «  takfiriste  », «  extrémiste  », «  barbare  » : les médias français et internationaux ne prennent plus la peine de distinguer entre ces termes, qu’ils utilisent depuis plusieurs décennies. Au gré de l’écriture ou de la parole, ils les appliquent indifféremment à ceux qui ont une conception dogmatique de l’islam — qu’ils aient recours à la violence ou qu’ils respectent les règles de la démocratie — et parfois même aux musulmans dans leur ensemble. Plus ambigu encore, ils sont parfois accompagnés, sans nuance, du mot «  terroriste  », utilisé à tort et à travers1.

Ces analogies sont de plus en plus fréquentes depuis que  «  l’organisation de l’État islamique (OEI) «  conquiert des territoires en Irak et en Syrie, diffuse sur Internet les macabres exécutions de ses otages occidentaux et arabes et commet des exactions contre les chrétiens, les chiites et les Kurdes yézidis. Quant au premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, il a mis dans un même sac «  le Hamas, Al-Qaida, Jabhat Al-Nosra, l’État islamique en Syrie, Boko Haram, Al-Shabab et le Hezbollah soutenu par l’Iran  ». S’il avait pensé à un passé récent, il n’aurait pas manqué d’allonger sa liste en citant Yasser Arafat, les Afghans, le Front islamique du salut algérien (FIS), etc.

Manipulation par la peur

L’imprécision des uns et la politique d’amalgame des autres obscurcissent la compréhension de phénomènes politiques, religieux et politico-religieux distincts. Ils donnent aussi le sentiment que le monde se réduit à deux humanités, celle qui utilise la violence et celle qui n’y consent pas, celle qui menace et celle qui est menacée.

Cette profession de foi, réductrice et simpliste, contribue au développement d’un sentiment de peur et à son corollaire, la demande de sécurité. Cet échange est inhérent au pacte social mais, outre qu’il a un coût en matière de libertés publiques (surveillance des populations par des moyens techniques et informatiques, adoption de textes législatifs et réglementaires renforçant la répression et la censure, emprisonnement de journalistes, etc.), il donne carte blanche aux États démocratiques pour intervenir à l’extérieur de leurs frontières. Forts du consentement de leur peuple, ces États se sentent légitimés dans leur lutte contre des menaces susceptibles d’être importées dans la sphère nationale mais parfois aussi contre un danger fantasmé. Ainsi des armes de destruction massive qu’aurait détenues le régime de Saddam Hussein en 2003, ou des tortures pratiquées à Guantanamo au nom de la lutte contre le terrorisme.

Société de l’informatique ou âge de pierre, la peur reste la raison de tout pouvoir politique. C’est bien la peur d’être anéanti qui est à l’origine du pacte social passé entre les membres d’un groupe et leur chef, que les sociétés soient archaïques, anciennes, modernes, contemporaines ou post-modernes. Plus le sentiment de danger est fort (que le danger soit réel ou ressenti) plus les peuples acceptent, réclament, exigent l’autorité de leurs chefs pour qu’ils assurent leur protection. Ils donnent ainsi du champ aux responsables politiques qui peuvent être tentés de stigmatiser toute manifestation individuelle ou populaire contraire à leurs intérêts ou à leur existence en la qualifiant de «  terroriste  ». Le président syrien Bachar Al- Assad, cherchant à éliminer son opposition au nom d’une trompeuse «  guerre contre le terrorisme  », a beaucoup utilisé ce prétexte. D’autres dirigeants de la région se sont abrités derrière la «  guerre mondiale contre le terrorisme  » mise en place par Washington au début des années 2000 pour emprisonner ou éliminer leurs opposants. D’où la nécessité de s’approcher au plus près de la notion de terrorisme.

«  Terroristes  » ou «  combattants de la liberté  »  ?

Il n’existe aucune définition du terrorisme unanimement reconnue par la communauté internationale. Ceux qui utilisent les violences radicales, quelles qu’en soient les formes, les moyens, les motivations, les cibles ou les résultats, sont-ils des «  terroristes  », des «  combattants de la liberté  » ou des «  résistants  »  ? On connaît le dilemme. Il n’est pas tranché. En mars 2002, le réalisateur américain Oliver Stone rendait visite à Yasser Arafat. Il lui expliqua qu’il voulait faire un film sur les «  combattants de la liberté  » dans lequel il aurait naturellement sa place. «  Definitely  !  », lui répondit avec chaleur le chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Puis, suspicieux, il demanda quels autres dirigeants seraient au générique du film. Kim Jong-il, le dirigeant coréen «  bien aimé  », Saddam Hussein «  le combattant  », Mouammar Kadhafi «  le fantasque  » et d’autres, répondit le réalisateur américain. Arafat mit aussitôt fin à l’entretien, signifiant que son propre combat avait sa spécificité et une finalité différente.

Tentons quelques classifications. Les attentats à la voiture piégée au Liban, en Syrie ou en Irak sont des actes de terrorisme en ce sens qu’ils tuent des civils de façon indiscriminée. Le largage par le régime syrien de bombes-barils sur des zones civiles, l’utilisation de l’arme chimique contre ces mêmes populations et les massives prises d’otages de populations civiles par Boko Haram sont des actes terroristes parce qu’ils visent des civils de façon indiscriminée. L’élimination par Israël de Mohammed Deif (responsable des brigades Ezzedine al-Qassem, branche armée du Hamas, tué dans Gaza en août 2014) est un assassinat ciblé qui ne devrait pas entrer dans la catégorie des actes terroristes. Mais les tirs de missiles sur Gaza qui ont provoqué la mort de milliers d’enfants et civils entrent dans cette catégorie. L’enlèvement, tant médiatisé, du soldat franco-israélien Gilat Shalit en 20067 ne peut être considéré comme un acte terroriste dans la mesure où il a été libéré (en 2011) et échangé contre d’autres prisonniers palestiniens. En revanche l’assassinat d’Hervé Gourdel est un acte terroriste parce que son enlèvement a été accompagné de menaces et de chantage à l’égard de la France et que son exécution a été préméditée.

Les notions de terrorisme d’État et de contre-terrorisme d’État mériteraient d’être affinées. Le terrorisme d’État est celui pratiqué par l’actuel régime syrien contre ses opposants. La violence radicale de certains groupes palestiniens ou kurdes est typique de ces affrontements entre organisations de libération nationale terroristes et puissance occupante de type colonial ou oppressif, laquelle en retour pratique un contre-terrorisme d’État.

Brouiller la compréhension

Désigner comme «  terroristes  » tous les acteurs qui utilisent la violence a pour inconvénient d’empêcher l’analyse des stratégies, par nature différentes, de ceux qui utilisent cette violence. Si tout est «  terrorisme  », il n’est plus possible de distinguer entre les différentes formes que prend la violence et il n’y a d’autre solution que d’y porter remède par une autre violence qu’on appellera résistance, riposte, guerre préventive, représailles, vengeance, auto-défense, etc. Surtout, il n’est plus nécessaire de prendre en compte les causes sociales, économiques, politiques ou historiques de chacune de ces violences. Selon cette conception, la lutte des Palestiniens serait d’essence «  terroriste  » et il ne serait plus utile de mentionner leur histoire, leur aspiration à disposer d’un État, leurs revendications territoriales et leur rejet des colonies. On considèrerait que Palestiniens et Israéliens sont engagés dans des actions de «  terrorisme  » et de «  contre-terrorisme  » attribuables aux uns ou aux autres selon les circonstances et les convictions de chacun, à la manière des vendettas insulaires.

Les médias contribuent à cette simplification. Un exemple du rôle que jouent les chaînes d’information est celui offert par Euronews, une chaîne de télévision d’information en continu, paneuropéenne et internationale. Elle diffuse chaque jour de très courtes séquences d’actualité internationale — le plus souvent sur des conflits — sans offrir le moindre commentaire. L’intitulé de cette émission est d’ailleurs «  No comment  ». Pour peu que l’on ne sache pas de quoi il s’agit, on s’imprègne de l’idée d’un monde fait de guerres, grandes ou minuscules, de destructions et de catastrophes humaines, où existe une violence sans frontières pouvant surgir à tout moment, ici ou là, sans raison et dont n’importe quel groupe ou individu serait responsable. Le journal du soir donne la clé qui manquait : il s’agit de «  terrorisme  », terme suffisamment dramatique pour englober uniformément toutes les formes de violence, radicales ou pas, et propre à saisir d’effroi les populations. Mais justement, toutes les actions de violence ont pour ambition de semer la terreur.

Ce qui est vrai en politique interne se retrouve en diplomatie. Juger de la nature de son ennemi — aujourd’hui l’OEI — passe par la compréhension de ce qu’il est et de ce qu’il n’est pas. Faute d’y parvenir, l’issue du combat et ses conséquences risquent de ne pas être à la hauteur des espérances.

«  Ni État ni islamique  »

Lorsque le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, remarque que le «  califat  » est une «  injure [qui] n’est ni un État ni islamique  », il parle aux Français de toutes croyances en reprenant ce que la plupart d’entre eux ressentent. Il dit ce qu’avait déjà signalé le président Barack Obama : «  L’EIIL n’est pas islamique (…) et l’EIIL n’est certainement pas un État  ».

Le fait que l’OEI ne soit pas un État n’est pas contestable, même si ses membres disposent désormais d’un territoire sans frontières établies ou reconnues et qu’ils ont autorité sur ses populations par la contrainte, la soumission ou la conviction. Dire qu’il utilise la terreur à grande échelle comme moyen de sa politique est une évidence générale. C’est d’ailleurs cette évidence même qui a permis la formation de la coalition internationale10. Sans eux la coalition aurait été réduite, bancale, voire illégitime, comme a été illégitime et illégale l’intervention américaine en Irak à partir de 2003. Signifier qu’il serait injuste et immoral d’amalgamer l’OEI et l’islam est frappé au coin du bon sens. Qu’une coalition d’États engage le fer contre une alliance de groupes qui ont assassiné nombre de personnes, qui en menacent des milliers d’autres et déstabilisent le Proche-Orient est donc légitime. Mais affirmer que sa nature n’est pas islamique est un défi d’une autre portée.

L’islam est pluriel comme toute autre religion. Mais il existe un courant qui tente depuis longtemps d’imposer «  sa  » vision d’un islam véritable et authentique : le wahhabisme. Ce courant dispose d’un État, l’Arabie saoudite, seul de la communauté internationale à porter le nom de la famille régnante et à avoir été constitué en 1932 à partir d’une doctrine religieuse et d’un pacte d’alliance passé au XVIIIe siècle entre un chef de tribu, Mohamed ibn Saoud et un théologien, Mohammed ibn Abdelwahhab. Cet État a un souverain qui se présente comme le «  Gardien des deux saintes mosquées  » et le défenseur de l’islam authentique. Il s’affirme comme musulman, récusant l’idée qu’il ne représente que les wahhabites. Il y a longtemps que les Saoud prônent un strict retour au Coran et se réclament d’une interprétation doctrinaire de la religion musulmane. Ils en ont fait aussi le guide de leur action diplomatique en finançant des groupes salafis, en exportant sur tous les continents les textes wahhabites, en contribuant au financement de mosquées, d’écoles…Leur conception de l’islam a gagné du terrain dans de nombreux pays arabes, musulmans et occidentaux.

Il ne faut pas chercher trop longtemps pour vérifier que les conceptions doctrinales du wahhabisme et de l’OEI se recoupent sans difficulté et qu’elles sont interchangeables. Le paradoxe est que le roi Abdallah Ben Abdel Aziz Al-Saoud a accepté de faire partie d’une coalition destinée à combattre ceux qui ont profité des financements de son royaume et de ses princes. Plus grave, son régime participe à une action politique et militaire dont les prémices sont de déclarer «  non islamique  » une organisation qui partage avec lui la même conception de l’islam. Mais comment discréditer celui dont vous êtes le double presque parfait  ? Comment retirer à l’OEI sa référence islamique et rester crédible auprès de tous ceux qui se reconnaissent dans le wahhabisme  ?

On comprend que la royauté saoudienne s’est engagée pour plusieurs raisons. D’une part, elle profitera de sa présence au sein de la coalition pour tenter de porter des coups au régime de Damas. D’autre part, elle craint que son autorité religieuse, voire son existence, soit menacée et elle a tout intérêt à condamner «  l’extrémisme et le terrorisme  » dont elle a déjà été la cible.

Certes, l’Organisation de l’État islamique n’ira pas demain conquérir la Mecque. Mais elle menace le royaume parce qu’elle y dispose d’un très large soutien de la population dont le référent religieux est identique au sien. Un récent sondage publié par Al-Monitor montre que la quasi-totalité des Saoudiens estime que l’OEI «  se conforme aux valeurs de l’islam et à la loi islamique  ». Même défait militairement, l’OEI conserverait un réservoir de soutiens en Arabie saoudite et probablement dans tous les pays qui ont été réceptifs à la diffusion du wahhabisme.

Alexis Varende

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