Séminaire Entreprises et religions : c’est parti !!!
Rejoignez la communauté
Animé par Dominique Coatanéa & Michel Younès
Ce slogan de lancement de la campagne pour la French Tech, filière numérique française, souligne au coeur de l’actualité entrepreneuriale française, la pertinence du questionnement sur la capacité à faire communauté en entreprise.
La première étape, sur la notion de communauté dans le contexte du pluralisme culturel et religieux, a permis de visualiser les tensions à l’oeuvre et de proposer un premier repérage des types de communautés.
L’étape actuelle est une invitation à affiner les valeurs susceptibles de mobiliser chaque acteur de l’entreprise en faveur du pluralisme culturel et religieux. L’enjeu est non seulement de repérer le pluralisme comme une richesse pour le projet entrepreneurial, mais encore d’en décliner les conditions de possibilité.
Par quels apprentissages doivent passer les appartenances culturelles et religieuses pour entrer dans un dialogue « polyphonique » ? Il s’agit de construire des « parcours de la reconnaissance » qui valorisent les apports positifs et régulent les freins au « vivre ensemble ». Cette créativité éthique est le noeud complexe et l’appel lancé par la notion même de communauté au coeur des organisations économiques.
Deux jours de séminaire à Montréal : 14 et 15 mai 2015
Éthiques religieuses et entreprises. Expériences canadiennes
Université de Sherbrooke, Campus de Longueuil
Séminaire international conjoint entre l’Université catholique de Lyon (France),
l’Université catholique de Louvain (Belgique) et l’Université de Sherbrooke (Canada)
(Chaire de recherche sur les religions en modernité avancée)
avec la collaboration de l’Institut de recherche pluridisciplinaire Religions, Spiritualités, Cultures et Sociétés de l’Université catholique de Louvain et du Centre de recherche Droit, Sociétés, Religions de l’Université de Sherbrooke (SoDRUS)
Participants (entre autres) :
Sébastien Arcand (Ph.D. Sociologie, Université de Montréal; Postdoctorat, Columbia University) est professeur agrégé au Département du management au HEC Montréal.
Charles Baron (Ph.D. en sciences de l’orientation, Université Laval), professeur agrégé au Département du management de l’Université Laval, membre de l’Ordre des psychologues du Québec.
Stéphane Bernatchez est professeur à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke
Michel Dion (Ph.D. Théologie, Université Laval) est professeur titulaire à la Faculté d’administration de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche en intégrité financière CIBC
David Koussens (Ph.D. Sociologie) est professeur au Département et d’études religieuses, titulaire de la Chaire sur les religions en modernité avancée et membre du Centre de recherche Société, Droit et Religions de l’Université de Sherbrooke.
Sylvie Laviolette, doctorante en études du religieux contemporain de l’Université de Sherbrooke.
Thierry C. Pauchant (Ph.D. Management, University of Southern California (USC) est professeur titulaire de management à HEC Montréal où il dirige la Chaire de management éthique
Jamel Stambouli, candidat au doctorat en management/entrepreneuriat à HEC Montréal
Louis-Léon Christians, Professeur à l’Université catholique de Louvain, spécialiste du droit comparé.
Walter Lesch, Professeur à l’Université catholique de Louvain, spécialiste en éthique sociale.
Sophie Izoard, doctorante à l’Université catholique de Louvain, éthique et religions en entreprise.
AndréDaher, Université des Pères Antonins, Baabda, Liban, spécialiste gestion diversité religieuse dans les établissements scolaires.
Dans » La possibilité du cosmopolitisme », Constantin Languille prend l’affaire de la burqa comme point de départ d’une réflexion sur les conditions du vivre ensemble et les limites du cosmopolitisme. FIGAROVOX/ GRAND ENTRETIEN
Dans La possibilité du cosmopolitisme. Burqa, droits de l’homme et vivre-ensemble (Gallimard, 2015), Constantin Languille retrace avec pédagogie les débats sur l’interdiction de la burqa votée en 2010. Il part de cette affaire pour engager une réflexion sur les limites du cosmopolitisme et la possibilité de vivre -ensemble dans des sociétés libérales. Il revient également sur les contradiction d’une république française, tiraillée entre le culte de l’universel et le cadre de la nation.
Constantin Languille est juriste et étudiant en science politique.
LE FIGAROVOX : Qu’est-ce que le cosmopolitisme, en tant que projet politique?
CONSTANTIN LANGUILLE : Avant d’être un projet politique, le cosmopolitisme est un état de fait, résultant de la mondialisation. Certains le déplorent et l’appellent «grand remplacement» d’autres le célèbrent sous le nom de «métissage». Mais c’est un fait: le monde est désormais un tout unifié, où les diverses cultures se croisent et se répondent. C’est un raccourcissement brutal de l’espace temps, voire même, avec les nouvelles technologies, une instantanéité. Lorsqu’il y a une caricature à Paris, il y a des morts au Niger.
Mais, depuis le XIXème siècle, le cosmopolitisme est aussi un projet politique, une idéologie héritée des Lumières selon laquelle le seul fondement d’une communauté politique peut être les principes universels, soit les droits de l’homme et la démocratie. Le cosmopolitisme contemporain a été théorisé par le philosophe allemand, Ulrich Beck. C’est le concept de «société inclusive», développé notamment par le rapport Tuot. Quand tout le monde verra ses droits garantis, quand tout le monde sera tolérant, quand la justice sociale sera installée, on pourra vivre heureux ensemble. Il n’y a pas besoin d’éléments culturels et religieux pour unir les hommes.
Vous prenez l’affaire de la burqa comme point de départ d’une interrogation sur les limites du cosmopolitisme. Pourquoi?
Mon livre se veut avant tout une contribution scientifique à un débat souvent saturé de postures idéologiques. La question fondamentale de la science politique est la suivante : de quoi a-t-on besoin pour vivre-ensemble ? La séquence de la burqa constitue une expérience de laboratoire pour savoir si les droits et la démocratie suffisent à assurer ce vivre-ensemble, ou si nous avons besoins de quelque chose en plus. Plus précisément, la séquence de la burqa pose trois questions: Pourquoi des femmes françaises portent-elles apparemment volontairement le voile intégral? Pourquoi la France a-t-elle décidé de l’interdire? Comment rendre la loi juridiquement constitutionnelle au regard de la liberté de conscience?
Ces débats me paraissaient révélateurs des controverses autour de la laïcité en France. Pour motiver l’interdiction, beaucoup de députés sont partis de la laïcité, et de la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école. Puis on s’est rendu compte que cela ne marchait pas, car la rue n’était pas un espace de service public. On a employé ensuite l’argument de la dignité des femmes, mais personne n’arrivait vraiment à s’accorder sur une définition de la dignité. Finalement, le voile intégral a été interdit au nom du vivre-ensemble, qui impose à chacun de montrer son visage dans l’espace public. Cependant, de nombreux juristes ont estimé que la loi empiétait trop sur la liberté de conscience.
Le voile intégral est un cas limite. Il dévoile la tension fondamentale entre les droits de l’homme (et leur universalité) et ce «vivre-ensemble» (qui nécessite du «commun»).
Pourquoi cette tension?
L’universel (la démocratie, la tolérance, les droits de l’homme) est tout ce qui reste comme fondement politique à nos sociétés libérales. Nous aspirons à cet universel, mais nous sommes aussi aspirés à notre corps défendant. Car, quand nous voyons les conséquences concrètes de cet universel, à savoir plus de diversité, politique, religieuse, culturelle, nous sommes parfois gênés. Nous subissons parfois malgré nous les conséquences sociologiques de notre théorie politique. Le mouvement de l’histoire nous conduit vers une société plus cosmopolite, qui correspond à nos valeurs très anciennes. Ainsi, le droit invoqué à porter la burqa, ce n’est pas le «droit à la différence» invoqué par SOS racisme dans les années 1980, c’est fondamentalement la liberté de conscience, posée dans la déclaration de 1789 c’est à dire le libéralisme politique.
Peut-on parler, comme le fait Régis Debray, d’une «religion républicaine»?
J’écris dans mon livre que la burqa est un «blasphème» contre la religion laïque. La burqa choque à la fois pour des raisons universelles (la dissimulation du visage et le refus de l’interaction avec autrui) et qui touchent au particulier, à l’histoire française. La République, ce n’est pas seulement des droits, cela suppose une certaine mobilisation du citoyen. Le mot clé est l’émancipation. Le citoyen de la République française se doit d’être émancipé, impliqué, mobilisé, lumierisé. Tout ce qui est religieux est susceptible d’être une concurrence à cet attachement. Or la République n’a jamais pu finalement dérouler totalement son programme. Nous sommes dans une situation bancale où en fait la République, tout en «tolérant» le fait religieux, le perçoit comme une concurrence fondamentalement illégitime. Il y a une tradition républicaine qui a du mal à considérer que la manifestation extérieure de la foi relève des libertés publiques. En 1792, on a fait une loi pour interdire le port de la soutane ! C’est revenu en 1905. La laïcité est un mode d’organisation des pouvoirs qui postule la séparation de l’Etat et de la religion, pas une valeur «républicaine» dans laquelle peuvent croire les citoyens.
Quelle est la différence entre cette République et le libéralisme cosmopolite?
Ce qu’offre la modernité libérale, c’est le fait que l’Etat ne puisse pas imposer une vérité révélée. Mais cela n’interdit pas aux individus de croire en une vérité universelle. C’est l’idée libérale d’un «marché des idées»: si vous voulez que la vérité émerge, vous ne devez pas compter sur la force de l’Etat mais sur celle de vos arguments. Le libéralisme ne connait pas de civilisations, mais seulement des individus. Le républicanisme postule lui que les individus n’existent pas, qu’ils se créent (Renan: «l’homme ne s’improvise pas»), et qu’il faut les «émanciper», contre leur gré même, par l’école républicaine, etc…La République critique le libéralisme car il laisserait les individus tels qu’ils sont, prisonniers de leurs appartenances identitaires et de leurs conditions sociales, sans leur donner de perspectives d’émancipation. La République serait le lieu où l’individu aurait l’occasion de se décentrer par rapport à son héritage social, culturel ou civilisationnel, et pourra juger de lui-même que les civilisations ne se valent pas. L’Etat peut produire des individus par l’école.
Est-ce à dire que le cosmopolitisme est une chimère, impossible à réaliser?
Le cosmopolitisme intégral est impossible, il doit trouver en lui-même des limites. Cette limite, c’est la vertu de tolérance que chaque citoyen doit pratiquer, pour permettre aux autres de pratiquer leurs droits comme ils l’entendent. Or il est quasiment impossible de fabriquer des tolérants, et même pourrait on dire à l’instar de Léo Strauss, que la «tolérance est un séminaire d’intolérance». Quand tout le monde est tolérant, il n’y a plus de discussion possible sur le contenu d’une vie bonne. Ce relativisme peut conduire à la réaffirmation des identités et des subjectivités particulières. La tolérance conduit à l’exacerbation des particularismes.
De façon assez paradoxale, l’universalisme conduit au relativisme…
Tout cela pose la question de la solidité du fondement de la philosophie politique moderne. Le fondement de notre politique, c’est les droits de l’homme, c’est à dire le droit d’être ce que vous voulez, la pure indétermination. La nature humaine, c’est qu’il n’y a pas de nature humaine, chacun est libre de s’actualiser comme il le souhaite, sous des formes culturelles diverses. La seule chose qu’il faut garantir c’est que les gens puissent en changer potentiellement. D’un coté on affirme l’unité de l’humanité – quiconque dressera des barrières sera critiqué- mais ce qui unit, c’est le fait de pouvoir être différent. C’est un problème politique potentiellement insoluble.
La nation aurait-elle subi le processus de «désenchantement du monde» que décrit Marcel Gauchet ?
Oui. La nation a elle aussi été «désenchantée». Comme le souligne Pierre Manent, la République ne s’est imposée que comme nouveau régime de la nation française, et parce que les religions ont été reléguées dans l’espace privé par cette nouvelle communauté qui réunissait les citoyens français. Selon lui l’Etat républicain ne peut survivre à l’Etat nation. Or aujourd’hui, il y a une sorte d’essoufflement, de décompression de l’idée nationale, et donc, de l’idée républicaine. Les cérémonies républicaines, le drapeau, la Marseillaise, l’idée de France, sont frappés d’une perte de sens peut être irréversible. Or, si on perd la nation, on perd le cadre commun qui permet d’unir au delà des différences religieuses ou culturelles.
La disparition de la nation ouvre-t-elle la voie à la guerre de tous contre tous?
Dans la situation actuelle, deux voies sont envisageables. Option numéro un : le cosmopolitisme, qui permet à chacun de vivre comme il l’entend. Option numéro deux : il faut du particulier, une communauté qui nous rassemble et nous transcende, qui était la nation. Il est possible que les deux options soient désormais obsolètes. La nation, car elle est balayée par la mondialisation. Le cosmopolitisme, car il repose sur une contradiction fondamentale : basé sur la tolérance, peut-il tolérer l’intolérance ? La société ouverte peut-elle tolérer ses ennemis? La démocratie peut-elle inclure les ennemis de la démocratie? On voit ces contradictions à l’œuvre tous les jours dans notre société: on marche pour la liberté d’expression le dimanche, tout en condamnant Dieudonné le lundi. Un revival national aujourd’hui pourrait être dangereux, aboutir à la guerre des identités, mais la tolérance aussi y conduit.
Comment trancher ce nœud gordien?
Il me semble qu’aujourd’hui, il y a une profonde nécessité de réforme de la tradition républicaine française. Il faut que la République s’ouvre davantage à la diversité sociologique française. Il y a un effet négatif des incohérences du discours républicain. Le principe de liberté appartient à notre devise, et les Français musulmans ne comprennent pas qu’au nom de cette devise républicaine, on leur interdise certaines pratiques religieuses. Il y a toute une série d’exceptions au principe liberté : Liberté, mais pas pour Dieudonné, ni pour Renaud Camus. Liberté, mais pas pour le voile.
Où fixer la limite?
Il me semble légitime de penser que la démocratie n’est pas seulement les droits de l’homme, mais aussi une capacité à se définir collectivement par un certain nombre de valeurs et de règles. Tout n’est pas permis en France, il y a une certaine civilité minimale, ou de décence commune, qu’il faut respecter. D’un autre côté, il faut que les Républicains français comprennent qu’ils n’ont pas le monopole de la liberté, qui protège aussi les minorités politiques et religieuses, aussi dérangeantes que soient leurs pratiques. La défense de la République ne justifie pas toutes les atteintes aux libertés publiques.