Journée d’étude : le fondamentalisme islamique

FondamentalismeMusCathoLyon

20 mars 2015

Voici une partie des notes que j’ai prise à cette journée d’étude sur le fondamentalisme islamique.

Le reste va suivre rapidement !

Elles pourront apparaître comme approximative sur certains sujets. L’idée est de vous donner envie d’en savoir plus !

 

La compréhension du fondamentalisme passe par son décryptage historique, sociologique, anthropologique et psychologique, elle s’appuiera sur le mécanisme littéraliste et rigoriste.

L’objectif de la journée est de comprendre aujourd’hui la place qu’occupe ce phénomène dans le contexte musulman francophone actuel.

Pour cela, il s’attachera à étudier des penseurs musulmans soit parce qu’ils contribuent  à ce phénomène, soit parce qu’ils cherchent à le contrecarrer. En instaurant le débat, il s’agit de voir comment est considéré le rapport à l’origine, comment sont désamorcés les versets violents, quelle condamnation de la violence ?

 

Le fondamentalisme et ses modes opératoires

 

Le salafisme comme expression du fondamentalisme à dimension politique

SamirAmghar

Samir Amghar

 

Le salafisme est un mouvement ultra-orthodoxe de l’islam qui développe une lecture littéraliste du Coran et de la tradition prophétique. Il est le produit du retour des étudiants en Sciences des Religions d’Arabie Saoudite en France et de la venue de l’aile salafiste du Front du Salut Algérien.

Il existe trois tendances salafistes :

– le salafisme quiétiste et non-violent qui condamne les attentats du 11 septembre. Il est apolitique.

– le salafisme politique : pour ce courant,  il est nécessaire de s’engager en politique au nom de l’islam. Il y a des liens avec l’idéologie des Frères Musulmans.

– le salafisme révolutionnaire, jihadiste : il faut combattre par les armes ceux qui ne respectent pas les musulmans.

Pourquoi est-ce que les jeunes sont attirés par le salafisme jihadiste ?

– l’idéologie est attirante, même si certains ne sont pas formés idéologiquement,

– la politique : certains jeunes sont le produit d’une frustration politique. En effet, les musulmans ont le sentiment qu’ils ne peuvent pas exprimer leurs idées sans se faire arrêter. L’Etat criminalise l’outil de contestation que sont les manifestations par un verrouillage sécuritaire.

– la sur-criminalisation des acteurs jihadistes : la prison a sur eux un effet accélérateur de leurs activités politico-religieuse.

– la radicalisation : ils n’ont plus rien à perdre (altruisme familial).

Il est cependant important de ne pas enfermer le salafisme dans une catégorie.

 

Le salafisme, le cas de l’Égypte et des Frères musulmansHaouesSemiguer

Haouès Seniguer

L’approche salafiste peut être critique, apologétique ou violente.

En Egypte, les responsables néo-salafistes ne veulent pas s’aliéner les coptes : ils prônent donc un retour aux valeurs conservatrices qui plaisent également aux coptes.

 

Le Maroc, État fondamentaliste ?

Ali Mostfa

Les salafistes au Maroc sont pour la purification de l’islam et contre l’innovation (bidaa). Ils n’ont pas de prétentions politiques.

La définition du fondamentalisme en arabe peut se traduire par celle d’authenticité, d’autorité par rapport au corpus du Coran et de la tradition prophétique.

Dans le contexte marocain, on peut identifier trois périodes différentes sur ce sujet :

– le 18è siècle avec Moulay Slimane qui a eu des liens (courriers) avec Abdel-Wahhab. Le wahhabisme est introduit au Maroc : c’est le retour au salaf des 2è et 3è génération après le prophète. Les pratiques populaires (pélérinage autour de mausolés,…) sont interdites. On interdit aussi de fêter l’anniversaire (mouloud) du prophète.

Il n’y a pas de place pour une pensée autre, pas de nuances.

– Années 30-40 : naissance du nationalisme qui aboutira à la négociation de l’indépendance, avec Allal Al-Fassi qui s’érige comme figure du nationalisme au Maroc. Il prône un nouveau salafisme fait de thèses nationalistes, de salafisme, de fiqu et de références françaises.

Pour lui, ce nouveau salafisme est un message fédérateur, contrairement à la dichotomie du message de Abdel-Wahhab et à l’opposé des soufis. Al Fassi a été un des négociateurs de l’indépendance du Maroc en 1956 sur la base d’un discours politico-religieux.

– Arrivée de Hassan II au pouvoir (1960) jusqu’à 1999. Hassan II islamise la société marocaine. Au moment de la révolution iranienne en 1979, Hassan II définit le Maroc comme un pays fondamentaliste (maîtrise des sciences islamique et du fiqh) par opposition à l’intégrisme.

C’est le début du processus de dé-divinisation de l’espace publique et la fin du discours religieux dans cet espace. La synthèse du politique et du religieux au Maroc, c’est le roi.

Les marocains font allégeance au roi chaque année au moment de la fête du trône.

 

Le fondamentalisme : analyse et mise en rapportBertrandSouchard

Bertrand Souchard

Qu’est-ce que le fondamentalisme ?

– C’est une identité religieuse,

– Absolue et sans médiation (on relativise tout le reste), sans la médiation d’une culture,

– Dualiste ou binaire : rejet de l’autre, exclusion (voir violente, bipolaire ou schizophrène : l’ennemi est dans mon camp),

– Eschatologique (rapport à la fin des temps) et tragique : mal-être du présent. Mon identité présente est tragique,

– Peut être en réaction avec les modernité, lutter contre.

 

Pourquoi le fondamentalisme ?

Le fondamentalisme serait-il une réaction à la modernité (qui elle pourrait se définir comme défense des individus, foi en la sciences et tolérance) ?

Le fondamentalisme existe de tout temps et en tout lieu, dans toutes les religions. Ce pourrait être plutôt une réaction à la post-modernité.

En fait, toute religion porte en elle fondamentalement l’énigme de la mort. La mort produit l’acte religieux. La religion est donc un engagement qui a une forme d’absolu. Ce sont des questions qui sont très profondes chez l’homme et qui peuvent mettre en colère !

La reconnaissance pour construire son identité :

La conscience de soi passe par la re-connaissance de l’autre. Il y a plusieurs façons d’être reconnu : par sa famille, la société, la politique, le religieux, les médias, la culture, l’esthétique, l’amitié.
L’idéal étant d’être reconnu par toutes ces facettes identitaires.

Les reconnaissances les plus naturelles sont celles de la famille, du travail et de la nation (même si cela fait un peu pétainiste !).

Les terroristes des attentats de janvier ont une quant à eux une reconnaissance post-mortem.

Les discours qui méprisent les nationalistes et les fondamentalistes viennent de personnes qui sont eux-même reconnus…

Pourquoi ce basculement dans la violence ?

Kant a dit : « La guerre ne paraît pas avoir de motifs déterminants, elle est greffée sur la nature humaine. »

Il faut prendre conscience de la potentialité de violence qui est en chacun de nous. Il faut entendre les réactions identitaires. La post-modernité génère parfois de excès et des dérives qui excluent la religion et prônent un égocentrisme individualiste.

Le relativisme aussi (tout se vaut) provoque un vide de notre société aux questions que les gens se posent.

 

Le fondamentalisme musulman est-il spécifique ?

Les caractéristiques du fondamentalisme musulman sont la lecture littéral du livre, avec cette dichotomie : halal/ haram (illicite/ licite).

Pour les islamistes, la colonisation reste un sujet difficile à digérer. Ils se sentent victimes. Et en même temps, l’islam étant la dernière religion, ils peuvent se sentir supérieurs. Ils se questionnent sur la suprématie occidentale, sur le développement de la science, de l’industrie…

Il y a un profond ressentiment par rapport aux peuples judéo-chrétien.

Est-ce que le Coran est universel ? Il faut regarder le lien avec les juifs et les chrétiens dans le Coran.

 

 

Figures du fondamentalisme islamique

 

Le hanbalisme ou la lecture littéraliste d’un Coran incrééMichelYounes

Michel Younès

 

 

Ibn Taymiya, Ibn ‘abdel Wahhab : concepteurs du fondamentalismeAbdel-Wahhab

Maurice Borrmans

 

L’image des femmes dans les fatwas hanbalites d’ouvrages francophonesBenedicte-du-chaffaut

Bénédicte du Chaffaut

 

La place des autres dans la littérature fondamentalisteMalekChaieb

Malek Chaieb

 

 

 

Intervenants :

Samir Amghar, Post-doctorant au Centre d’études sur les arts, les langues et
la tradition de l’Université du Québec à Chicoutimi

Maurice Borrmans, Professeur émérite au PISAI (Institut Pontifical d’Etudes
Arabes et Islamologie) de Rome

Bénédicte du Chaffaut, Enseignante au Centre Théologique de Meylan-
Grenoble

Malek Chaieb, Enseignant à l’Université catholique de l’Ouest, Angers

Philippe Dockwiller, Maître de conférences à l’UCLy

Ali Mostfa, Enseignant-chercheur à l’ESTRI (UCLy), Chercheur associé
au GREMMO (Groupe de Recherches et d’Études sur la Méditerranée
et le Moyen Orient)

Emmanuel Pisani, Directeur de l’ISTR, Paris

Haouès Seniguer, Maître de conférences à l’IEP de Lyon, chercheur
au GREMMO

Bertrand Souchard, Maître de conférences à l’UCLy, titulaire de la chaire
Science et Religion

Michel Younès, Professeur à l’UCLy, directeur du CECR

La montée de l’Etat islamique, ou la nouvelle fin de la fin de l’Histoire

Comme face à al-Qaida il y a treize ans, les experts, aveuglés par leur rationalisme, ont été pris de court par l’apparition en Syrie et en Irak de l’organisation. Elle montre que le pouvoir des idées, même les plus archaïques, est une réalité, et le sens de l’histoire une notion à manier avec précaution.

Une fois encore, les experts occidentaux, militaires, politiques et religieux, ont été pris de court par l’apparition en Syrie et en Irak de l’organisation Etat islamique ou Daech, par son expansion rapide et par sa capacité à fasciner et tétaniser tout à la fois le monde musulman. La découverte, il y a un peu plus de treize ans, de la capacité d’al-Qaida à frapper sur le sol américain avait produit un choc semblable. Comme si nous restions aveuglés par notre rationalisme.

Les religions, les idéologies, les identités ne sont pas seulement le produit de rapports de force politiques, économiques et sociaux. «Entre la raison et les passions, les peuples choisissent toujours les secondes», expliquait déjà Raymond Aron au siècle dernier. Et l’organisation Etat islamique est la partie extrême d’une idéologie qui fait de la religion le centre de la vie publique et est dominante dans la majeure partie du monde arabo-musulman, sunnite comme chiite.

Le sens de l’histoire

Le pouvoir des idées, même les plus archaïques, est une réalité. Nous l’avions oublié. L’historien américain néoconservateur Robert Kagan rappelle dans le Wall Street Journal que «pendant un quart de siècle, on a dit aux Américains que le sens de l’histoire nous [conduisait] vers la tranquillité et la disparition des conflits militaires…». Une croyance encore plus marquée en Europe où la plupart des pays, à l’exception de la France, ont tout simplement renoncé à conserver des moyens militaires significatifs. L’ascension de Daech suffit à démontrer que le sens de l’histoire est une notion à manier avec précaution et qu’elle ne nous conduit pas forcément vers un avenir pacifique et harmonieux. Les dernières années au Moyen-Orient sont exactement à l’opposé de ce monde idéal.

Bien sûr, la grande majorité des musulmans ne partage pas l’interprétation extrême de leur religion de l’organisation Etat islamique. Pour autant, on ne peut nier que son ascension ait quelque chose à voir avec l’Islam. Peut-être une forme dévoyée de cette religion, mais une forme qui exerce un pouvoir d’attraction indéniable, y compris auprès de nombreux jeunes musulmans en Occident. Daech et son Islam, qui se veut celui des origines, fascinent au même titre que les totalitarismes européens du siècle dernier ont envoûté les foules en promettant par la violence de créer un homme nouveau ou d’instaurer le règne de la race des seigneurs.

Dans une déclaration interminable et décousue faite en septembre, le porte-parole de l’organisation, Abou Muhammad al-Adnani, a donné en partie les clés de son pouvoir d’attraction. Irrationnel d’abord, avec une forme de nihilisme et un désir absolu de «pureté», et plus rationnel aussi, avec l’ambition de redonner vie au califat, un fantasme qui agite le monde arabe depuis la disparition de ce dernier en 1924, il y a juste 90 ans, avec le démantèlement de l’empire ottoman.

L’effondrement d’une civilisation

Sur l’aspect irrationnel, Daech considère qu’il ne peut tout simplement pas être vaincu. «Etre tué est une victoire. Vous combattez un peuple qui ne peut connaître la défaite. Il remporte la victoire ou il est tué», affirme Abou Muhammad al-Adni. Les combattants de l’organisation Etat islamique ne se sacrifient pas seulement par conviction religieuse: ils ont le culte de cette mort en martyr, car ils iront directement au paradis. Et ils y croient.

Sur un plan plus rationnel cette fois, l’organisation incarne «enfin» une tentative de renaissance du califat. La résurrection d’une entité politique gouvernée par la loi et la tradition islamique est un fantasme puissant, même auprès des musulmans qui rejettent les islamistes. Le califat est le symbole d’une civilisation longtemps dominatrice qui a connu un des déclins les plus rapides de l’histoire humaine. Le souvenir de ce qu’était la puissance arabo-musulmane et le constat de ce qu’elle est aujourd’hui sont une source permanente de colère et d’humiliation.

Il faut dire que depuis 1924, le monde arabo-musulman a été incapable de se doter d’un modèle politique accepté et acceptable. Des Etats-nations souvent artificiels, dont les frontières ont été dessinées sans réflexion par les Occidentaux, se sont retrouvés entre les mains de régimes monarchiques ou dits «progressistes», mais toujours autoritaires, brutaux, inefficaces et corrompus.

Des autorités religieuses discréditées

Comme l’écrit le chroniqueur d’al-Arabiya Hisham Melhem dans un article pour Politico qui a eu un important retentissement, titré «The barbarians within our gates» («Les barbares dans nos murs»):

«La civilisation arabe s’est effondrée, elle ne se redressera pas de mon vivant… Le monde arabe est aujourd’hui plus violent, instable, fragmenté et mené par l’extrémisme –l’extrémisme des pouvoirs et des opposants– qu’à aucun autre moment depuis l’effondrement de l’empire ottoman il y a un siècle. Tous les espoirs d’une histoire arabe moderne ont été trahis. La promesse d’une émancipation politique, le retour de la politique, la restauration de la dignité humaine proclamée par les révolutions arabes, tout cela a débouché sur des guerres civiles, ethniques, religieuses, des divisions régionales et la réaffirmation de l’absolutisme à la fois sous ses formes militaires et répressives.»

Face à cette réalité, revenir à un califat idéalisé semble être un désir rationnel.

En écho, Dennis Ross, spécialiste du Moyen-Orient, conseiller d’Henri Kissinger et de Barack Obama, souligne que «ce que les islamistes ont tous en commun est de subordonner leurs identités nationales à leur identité islamique». C’est une des clés de leur succès. Le problème, c’est qu’il n’y a aucune définition commune de cette identité islamique et que les autorités religieuses qui auraient dû la définir sont discréditées par leur proximité et leur complicité avec les pouvoirs en place.

Les salafistes, qui prônent sur le seul plan de la doctrine religieuse le retour à l’Islam des origines, et tous les islamistes du monde sunnite, des Frères musulmans à al-Qaida en passant par Daech, sont nés du rejet des pouvoirs religieux en place. Le mouvement égyptien des Frères musulmans, né en 1918, qui est le précurseur et l’inspirateur de la plupart des mouvements dits islamistes «modérés» et indirectement (via une dissidence) de la doctrine d’al-Qaida, a été chercher ses dirigeants parmi des médecins, des ingénieurs, des juristes…

Mohammed Morsi, issu des Frères musulmans, élu président en Egypte en juin 2012 et chassé par un coup d’Etat militaire en juillet 2013, est un ingénieur. Oussama ben Laden, fondateur d’Al-Qaida, abattu en 2011, était aussi un ingénieur de formation. Ayman al-Wazahiri, qui a succédé à Ben Laden à la tête d’al-Qaida, est un chirurgien.

Islam et politique sont indissociables

Le procès fait par les islamistes aux religieux est comparable sur certains points à celui fait par la Réforme protestante à l’Eglise catholique au XVe et XVIe siècles, qui a conduit à… une interminable guerre de religion. Les salafistes affirment que des siècles d’enseignement perverti de l’Islam ont masqué la pureté du message du prophète Mohammed et de ses compagnons. Pour eux, il suffit de lire le Coran et de suivre à la lettre l’exemple du prophète.

Ainsi, même si les Frères musulmans sont des islamistes très différents de ceux de l’organisation Etat islamique et n’entendent pas utiliser les mêmes moyens pour parvenir à leur fins, ils ont eux aussi une vision de la société qui met l’Islam et la loi islamique au centre de la vie publique. Une conception d’un système légal et social construit autour de la religion qui correspond, à en croire certains sondages, à la façon de penser aujourd’hui de la majorité des populations arabes. C’est le cas notamment des Egyptiens et des Jordaniens, qui pourtant ne vivent pas dans un pays où le pouvoir est aux mains des islamistes comme la Turquie, l’Arabie Saoudite ou le Qatar.

Cela n’empêche pas 88% des Egyptiens musulmans et 83% des Jordaniens musulmans de soutenir la peine de mort pour les apostats (ceux qui rejettent la religion), selon un sondage réalisé en 2011 par Pew Research. Dans la même étude d’opinion, 80% des Egyptiens étaient favorables à la lapidation des auteurs d’adultère et 70% à couper la main aux voleurs.

La tentation politique de l’Islam est permanente. La question n’est pas de savoir si c’est une bonne chose ou une mauvaise, c’est une réalité. Le prophète Mohammed était tout à la fois un théologien, un prophète, un chef d’Etat, un chef de guerre, un prêcheur et un marchand. Ce n’était pas le cas de Moïse, et encore moins de Jésus. Une «confusion» des pouvoirs en contradiction avec les exigences de la modernité et d’un monde ouvert que les régimes arabes ne parviennent pas à surmonter.

Même les pouvoirs modérés, alliés des occidentaux et anti-islamistes, sont de nature religieuse. C’est le cas des monarchies marocaine et jordanienne et même du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi qui, dans sa thèse écrite au collège de guerre américain, expliquait que «la démocratie ne peut pas se comprendre au Moyen-Orient sans comprendre le concept de l’Etat idéal du califat…».

Confusion et chaos

La tentation de se trouver un avenir dans un passé mythique est d’autant plus forte que le chaos n’a cessé de grandir dans la région au cours des dernières années. La volonté confuse de liberté exprimée pour la première fois dans la rue lors des printemps arabes de 2011 a fini de discréditer et déstabiliser les régimes en place.

La polarisation –religieuse, politique, ethnique– est devenue telle en Syrie et en Irak qu’il est difficile de voir ces deux Etats renaître un jour. En Libye, les 42 années de règne de terreur de Mouammar Kadhafi ont fait place à un pays disloqué. Le Yémen est un Etat défaillant miné par les divisions tribales. Bahreïn survit grâce au soutien militaire de son voisin saoudien.

L’intervention armée occidentale, à reculons, contre Daech ajoute à la confusion. Il suffit de voir les réticences des «alliés» sunnites de l’occident (Turquie, Arabie Saoudite, Qatar), qui ont un temps financé et armé l’Etat islamique. Tout aussi perturbante est l’alliance de fait contre l’Etat islamique des Etats-Unis avec l’axe chiite : la République islamique d’Iran, son affidé syrien Bachar el-Assad et le Hezbollah libanais.

Égyptiennes et chrétiennes, des femmes dans les révolutions

L’Égypte vit au rythme des changements de régimes depuis la révolution du 25 janvier 2011, au tout début des « printemps arabes ». Démission de Moubarak, arrivée au pouvoir des Frères musulmans, coup d’État puis élection du maréchal al-Sissi à la présidence… Depuis, l’Égypte a été le théâtre de graves violences et de tensions politiques et sociales. Comment la communauté chrétienne d’Égypte, la plus grande du monde arabe (plus de 10 millions de fidèles), a-t-elle traversé ces évènements ? Quelle est la place des femmes sous les différents régimes ? Nous avons rencontré trois chrétiennes égyptiennes.

ChrétiennesEgypte

Chaque mercredi, Martine Akad et Hélène Khoari suivent des cours de théologie à l’église Saint-Cyrille d’Héliopolis. © Matthieu Stricot

Le 25 janvier 2011, des millions de Cairotes envahissent la place Tahrir, réclamant la démission du président Hosni Moubarak.« Je n’avais jamais vu de révolution, de guerre ou de conflit en Égypte », se souvient Martine Akad, âgée de 23 ans au début de la Révolution. « C’était la première fois que je voyais des gens dans la rue pour s’opposer au pouvoir ». Après avoir étudié le droit à Paris, cette jeune catholique melkite est rentrée au Caire pour travailler comme manager de projet. Chaque mercredi, elle suit des cours de théologie à l’église Saint-Cyrille d’Héliopolis – à l’ouest de l’agglomération cairote – à l’instar d’autres femmes catholiques, toutes générations confondues. L’occasion de partager leurs opinions sur les évènements survenus depuis 2011.

Quand les premiers cocktails molotov ont explosé place Tahrir, Nadia Michelle Gaballa, 62 ans, a « fait le rapprochement avec la révolution égyptienne de 1952 ». Les manifestations antioccidentales avaient abouti au renversement de la monarchie de Farouk Ier. « La Révolution avait été kidnappée » par le coup d’État de Mouvement des officiers libres, conduit par Mohammed Naguib et Gamal Abdel Nasser. Mais l’enseignante à la retraite a vite changé son regard sur la révolution de 2011 : « Les Égyptiens victimes de la corruption ont rejoint les manifestants avec de bonnes intentions. Cependant, j’ai vite ressenti l’influence des Frères musulmans. »

Dans un premier temps, la présence de la confrérie dans les manifestations n’a pas inquiété la jeune Martine : « L’équipe de Moubarak faisait passer les Frères musulmans pour des monstres. Mais ils ont bien joué leur rôle place Tahrir. Ils n’étaient pas agressifs. Les gens ont eu pitié d’eux. » Après la démission de Moubarak, le 11 févier 2011, les Frères musulmans sont portés au pouvoir par les urnes en juin 2012. Mohamed Morsi est alors le premier président d’Égypte démocratiquement élu.

« Je ne pouvais plus conduire en débardeur »

« Une fois au pouvoir, les Frères musulmans n’avaient plus les mêmes idées, plus les mêmes objectifs, se souvient Martine. Beaucoup de traditions nous empêchent de nous habiller et de nous exprimer comme on veut. Mais quand un groupe islamiste veut imposer la sharia, sans séparer religion et politique, c’est effrayant. J’ai dû changer ma manière de vivre. Je ne pouvais plus conduire en débardeur. Une femme chrétienne a été attaquée parce qu’elle avait une croix dans sa voiture ».

Hélène Khoari, pharmacienne et enseignante de 54 ans, s’inquiétait surtout pour ses enfants : « Pour aller à l’université, ma fille devait attacher ses cheveux, ne pas porter un pantalon trop serré et mettre une veste, pour ne pas attirer l’attention. J’ai demandé à mes enfants s’ils voulaient partir étudier à l’étranger. » Aujourd’hui, l’une de ses filles étudie au Portugal, une autre en France.
Nadia, pour éviter les problèmes, s’efforçait de « penser comme les islamistes pour ne pas paraître trop féminine ». Elle admet tout de même n’avoir « pas trop souffert en tant que femme à Héliopolis. Ailleurs en Égypte, la situation était pire. Des femmes ont été kidnappées dans des villages, des magasins ont été attaqués ».

Autrefois enseignante, Nadia ne comprend pas cette division entre chrétiens et musulmans : « Dans mon école franciscaine, musulmans et chrétiens récitions ensemble le Notre Père et le Je vous salue Marie tous les matins. Mes amies, de vraies musulmanes, prient cinq fois par jour, mais elles ne mettent pas de mur entre nous. »
Hélène regrette également ce clivage : « Quand j’avais 10 ans, il n’y avait pas de division entre chrétiens et musulmans. Le phénomène est apparu à la fin des années 70. »

« Je pense d’abord comme une Égyptienne »

Face à la montée des tensions, plus de 12 millions d’Égyptiens sont descendus dans la rue pour exiger le départ de Morsi, le 30 juin 2013. « Les Frères musulmans accusent les chrétiens d’être responsables des manifestations. Mais je pense comme une Égyptienne avant de penser comme une chrétienne. Les Égyptiens musulmans manifestaient avec nous. Ils étaient tout aussi inquiets », affirme Martine.
Ce soulèvement populaire ouvre la voie au coup d’État mené par le maréchal Abdel Fattah al-Sissi contre Mohamed Morsi le 3 juillet 2013. Il jouit depuis d’une certaine popularité chez les Égyptiens. Le 8 juin dernier, il a remporté l’élection présidentielle avec 96 % des suffrages. Un vote orchestré dans un contexte de fraudes et de « violations répétées des droits de l’homme » contre des Frères musulmans, des violences dénoncées comme « l’un des plus importants massacres de manifestants de l’histoire récente » par l’ONG Human Rights Watch.

Cela n’empêche pas Nadia de qualifier al-Sissi de « sauveur ayant répondu à notre SOS ».Pourquoi cette dévotion ? L’armée est une institution profondément respectée de nombreux Égyptiens : « Elle est composée de pères, d’oncles, de frères, de nos familles. Ce ne sont pas des mercenaires. L’armée fait partie de nous. Elle est comme un père », affirme Nadia. Pour elle, le peuple égyptien « a besoin d’un grand leader. Avoir un militaire au pouvoir est une bonne chose pour notre pays. Al-Sissi est ferme et organisé. De plus, il a enlevé l’uniforme. Je suis certaine que l’on avance vers la démocratie, à l’opposé des Frères musulmans ».

La jeune Martine est plus réservée : « Je suis descendue dans la rue le 30 juin 2013. Mais je ne voulais pas revoir les militaires au pouvoir. C’est comme revenir en arrière. » Elle essaie tout de même de rester optimiste : « Jusqu’à présent, le gouvernement n’est pas parfait, mais il essaie de s’attaquer aux problèmes, contrairement à l’époque de Moubarak. À commencer par faire face à la vague d’attentats dans le Sinaï. »

Matthieu Stricot, envoyé spécial au Caire – publié le 13/11/2014

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr